Conférence ID4D « Créer de l’emploi en Méditerranée : quels secteurs privilégier ? »
Mercredi 12 février 2014 au Parlement européen, Bruxelles
SYNTHESE
Sont intervenus :
- Gilles Pargneaux, député européen et membre de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et de la délégation à
l’assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée (UPM) ;
- Mohamed Slassi Sennou, président de la commission Formation de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) ;
El Mouhoub Mouhoud, professeur d’Économie à l’université de Paris Dauphine ;
- Jean-Claude Bouly, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), chaire Petite entreprise et artisanat, directeur
CNAM Entrepreneur(s) ;
- Nicole Madariaga, économiste au sein de la division Analyse macroéconomique et Risque pays à l’Agence française de développement
Malgré une croissance significative dans les années 2000, les économies des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) n’ont
pas pu absorber l’arrivée massive de jeunes diplômés sur le marché du travail : 19 % de jeunes chômeurs au Maroc, 25% en Égypte,
42 % en Tunisie. Pour inverser cette tendance, deux axes paraissent essentiels : diversifier les économies vers des secteurs capables
de générer des chocs de productivité favorables à l’emploi, et agir sur les facteurs structurels qui limitent la création d’emplois.
PRIVILEGIER DES SECTEURS INNOVANTS CAPABLES DE DRAINER DE LA MAIN D’ŒUVRE
Si « les gains de productivité ont des effets essentiels sur la croissance économique », leurs effets sur l’emploi sont variables
selon leur nature (Nicole Madariaga) :
– les gains intrasectoriels : l’innovation technologique ou la montée en gamme dans un secteur donné créent de
nouvelles lignes de production à plus forte valeur ajoutée tout en générant des gains de productivité qui
favorisent la création d’emplois. A l’inverse, les gains de productivité liés à l’amélioration ou à la mécanisation
des processus de production économise de la main d’œuvre et réduit les besoins en emplois ;
– les mouvements de main d’œuvre entre secteurs (gains intersectoriels) : lorsqu’ils se font depuis un secteur
peu productif vers un autre qui l’est davantage et où la valeur ajoutée est plus importante (par exemple de
l’agriculture vers les hautes technologies), on assiste à un « choc de productivité » favorable à l’emploi.
Or, les économies des PSEM sont fortement polarisées sur un petit nombre de secteurs à faible valeur ajoutée ou à faible
contenu technologique comme le textile dans l’industrie ou les centres d’appels dans les services. En outre, « les mouvements
de main d’œuvre se sont effectués entre des secteurs qui ne se distinguaient pas par une forte différence de productivité
initiale » (Nicole Madariaga). En somme, les gains de productivités intersectoriels –liés aux mouvements de main d’œuvre-
ont été presque inexistants tandis que les gains intrasectoriels ont été plus importants mais ne proviennent pas d’efforts
d’innovation et demeurent donc peu créateurs d’emplois. Les PSEM doivent par conséquent diversifier leurs économies tout
en faisant émerger un ou des secteurs leaders attirant la main d’œuvre et pouvant bénéficier d’importants gains
technologiques ou d’une forte montée en gamme comme « l’agro-alimentaire, les énergies renouvelables ou le tourisme »
(Gilles Pargneaux), mais aussi l’automobile et l’aéronautique qui ont déjà montré de très bons résultats au Maroc, ou encore
les NTIC ou le BTP.
AGIR SUR LES FACTEURS STRUCTURELS QUI ENTRAVENT LA CREATION D’EMPLOIS
Ces solutions de diversification sectorielle et de montée en gamme ne peuvent être efficaces qu’à condition d’agir en même
temps sur les obstacles structurels qui entravent la création d’emplois dans les PSEM :
Des taux d’emploi parmi les plus bas du monde, de l’ordre de 40 à 50% (contre 65% en Amérique Latine ou en Asie de
l’Est), avec un taux de participation des femmes à la force de travail de 22 %, contre 73 % en Asie de l’Est. « La faiblesse du
taux d’emploi des femmes est une raison majeure de l’inertie de ces économies. » (El Mouhoub Mouhoud)
Une jeunesse massivement confrontée au chômage. Le phénomène touche là encore en priorité les femmes. En 2013,
120 000 emplois ont été créés au Maroc alors qu’on comptait 400 000 jeunes primo demandeurs. En outre, les ruraux ne
parviennent pas à accéder à l’emploi en ville du fait de loyers trop élevés.
Une crise du système d’éducation de masse. La dépense en éducation par tête décroît régulièrement. Les systèmes éducatifs
rencontrent des difficultés de maintien de leur qualité et d’adéquation entre les diplômes et les besoins de l’économie : « des
demandes réelles sont exprimées par les entreprises mais elles ne rencontrent pas les profils adéquats » (Mohamed Slassi
Sennou).
Le poids du secteur informel limite la compétitivité du secteur formel et entrave sa capacité à créer de l’emploi. La
corruption et les phénomènes de rentes sur le marché du travail constituent des facteurs d’inhibition pour l’entrepreneuriat et
pour l’emploi.
Une intégration régionale insuffisante. Faute d’entente entre gouvernements, les accords bilatéraux, notamment avec
l’Union européenne, se sont multipliés au détriment d’accords régionaux qui abaisseraient les coûts de transaction entre pays
frontaliers, et donc au détriment du développement économique régional.
Six leviers ont été identifiés pour agir sur ces facteurs structurels :
– développer des politiques publiques en faveur de l’emploi des femmes et des jeunes ;
– améliorer la formation et l’adéquation entre compétences et besoins des entreprises ;
– réfléchir sur la politique fiscale à adopter face au travail informel ;
– soutenir l’entrepreneuriat et la diversification de la production ;
– mettre en place des stratégies sectorielles nationales et améliorer le dialogue public/privé
– favoriser l’intégration régionale à travers des politiques communes, par exemple dans les domaines de
l’agriculture et de l’énergie.