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L’exemple du Maroc, où le paysage politique et
religieux est fragmenté, rappelle qu’il n’existe aucun
parallèle strict entre la manière de vivre sa religion
et le positionnement politique. «Parmi les confréries
religieuses d’inspiration soufie, décrypte Baudouin
Dupret, certaines sont opposées à la monarchie et
demandent l’instauration d’une république islamique,
à l’instar de celle menée par le cheikh Abdessalam
Yassine. Mais d’autres sont très proches du pouvoir,
comme la confrérie Boutchichi, dont le ministre des
affaires religieuses est membre…»
Plutôt que de chercher un label de «modération»,
le vrai critère serait de se demander, explique
Stéphane Lacroix, professeur à Sciences-Po et
spécialiste de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, «si
ces partis reconnaissent toute la légitimité du système
démocratique et sont prêts à jouer le jeu politique sans
avoir l'intention d’en changer les règles. En Tunisie,
Ennahda me semble avoir été très clair, là-dessus,
sauf à leur faire un procès d'intention. Les écrits de
Ghannouchi à ce sujet remontent à de nombreuses
années, il ne s'est pas converti à la démocratie après
la révolution. Les Frères musulmans, en Egypte, sont
plus tiraillés et ne disposent pas d'un tel travail
idéologique. Mais ils s'opposent aux salafistes, pour
qui la démocratie est une impiété, et affirment que
le système démocratique est celui qui s'approche le
plus de l'Islam. Par rapport à Ennahda, ils cultivent
l'ambiguïté, peut-être pour ratisser plus large. Mais je
pense qu'ils ne pourront échapper au mouvement de
l'histoire».
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Même si on les range, par commodité, sous la bannière
commune d’un «islam modéré», l’AKP en Turquie, les
Frères musulmans en Egypte, Ennahda en Tunisie, ou
le Parti de la justice et du développement au Maroc
ne réclament pas le même système politique. Le PJD
marocain, explique Baudouin Dupret, est ainsi «plutôt
monarchiste, parce qu’il pense que le jeu politique
au Maroc se fait avec la monarchie et non contre
elle». Comme le souligne Olivier Roy, professeur à
l’Institut universitaire européen de Florence, «il n’y
a pas d’homothétie entre la diversification du champ
religieux et la diversification du champ politique.
En Egypte, on a des fondamentalistes en religion
qui peuvent être libéraux en politique, des laïcs
qui sont pour un contrôle fort de l’armée afin
de contrer les salafistes ou encore des disciples
des prédicateurs télévisuels très conservateurs en
religion, mais libéraux en économie et politique».
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Le débat sur la «modération» de l’islam a, en
réalité, pris la place de l’autre débat portant sur
«l’agenda caché» islamiste. «Au début, explique
Jean Marcou, professeur à l’IEP de Grenoble et
spécialiste de la Turquie, tout le monde disait
ne pas croire à la sincérité politique d’Erdogan,
alors que la sincérité politique est une notion à
manier, de toute façon, avec des pincettes… Cette
idée a, ensuite, été supplantée par celle “d’islam
modéré”. Mais à force de s’intéresser à la modération
uniquement sous l’angle de l’islam, on ne se soucie
guère du risque de concentration des pouvoirs de
l’AKP, qui a fait tomber successivement tous les
bastions kémalistes : l’armée, la justice, la diplomatie,
l’université… Concentration à laquelle il faut ajouter
les arrestations de Büsra Ersanli, professeur de droit
constitutionnel, de l’éditeur Ragip Zarakolu, la non-
résolution de la question kurde et les entraves à la
liberté de la presse…»
Si l’expression «d’islam modéré» est donc
insatisfaisante, celle «d’islamistes modérés» n’a aucun
sens pour Dominique Avon, professeur d’histoire
à l’Université du Maine et spécialisé dans l’étude
comparée des religions. «C’est un oxymore. Le suffixe
“iste” désigne un extrémiste, si vous voulez dire “parti
islamiste”, vous le dites, sinon vous dites “parti
musulman modéré” ou “islamo-modéré”.»
Islamistes ? Islamiques ? Post-islamistes ?
Pour s’affranchir de l’opposition binaire entre islam
«modéré» et islam «radical», la distinction entre
«islamique» et «islamiste», maniée avec adresse
par quelqu’un comme Tariq Ramadan, est-elle
pertinente ? Baudouin Dupret rappelle que «cette
distinction n’existe pas en arabe. Ce qui existe, c’est
muslim et islami. Pour désigner ceux qui se disent
islami, on aurait dû dire les "islamiques". Mais comme