Les documents montrent bien que son apostolat se limite alors strictement aux frontières de
sa cité, et même de son clan; l'ambition universelle inspirée d'Abraham ne survient que bien
plus tard5 , au gré des circonstances.
Les source deviennent de plus en plus nombreuses sur cette période. Mais elles ne sont pas
sûres pour autant, notamment en ce qui concerne la chronologie. Une foule de traditions
manipulent et camouflent, décorent à l’extrême le banal en d’inutiles ornementations . Le
meilleur exemple est celui de l’intégration décorative et superficielle de l’archange Gabriel
à ces épisodes: son ampleur, ses ailes, sa couleur, etc... C'est un peu comme si l'aniconisme
musulman trouvait là un massif retour du refoulé, car il ne peut exprimer sa foi, son
imaginaire, sa créativité comme toutes les autres civilisations; les immenses et précises
fresques chrétiennes, parsemées d’anges, partout en Orient ont certainement fasciné les
témoins, contemporains et arabes.
Dans ce contexte très mouvementé, Muhammad et ses disciples n’ont pas eu l’occasion de se
construire une Histoire (en excluant le Coran, bien entendu6). C’est pourquoi le traitement
de ce sujet ne sera pas strictement chronologique, une mise en ordre d’une telle nature étant
trop hypothétique. Mais l’organisation thématique suivra la succession général des grandes
périodes de l’apostolat mecquois.
Que l'on soit bien clair à propos de cette affaire de "révélation", car plusieurs cas peuvent se
présenter: vous vous dites musulman, et vous êtes sûr qu'il y a bien eu une "révélation" par
Gabriel d'un début de révélation. Soit, vous suivez un dogme, c'est votre problème et peu
importe alors. Vous vous soumettez à cette conception sans être pour autant musulman, et
dans ce cas, vous êtes naïf et même imbécile. Enfin, parce que vous êtes savant et intelligent
dans ces affaires, dans un enseignement ou dans un ouvrage, mais que néanmoins, vous
divulguez ces idées de "révélation", alors vous n'êtes que malhonnête et lâche.
Voici les pièces du dossier concernant cette remarquable, fascinante et redoutable
mystification, qui illustre comment toute religion se construit sans le savoir et se construit des
origines imaginaire.
Ces propos du regretté Jean Bottéro nous guident: “L’Histoire religieuse, ancienne ou
contemporaine, montre qu’il est toujours des esprits qui, tout à coup, ont une idée, parfois
complètement farfelue, et fondent une religion.”7 Nous aimons bien cette manière de
considérer les choses, avec une compétente, pertinente et impertinente liberté.
Lisons pour commencer ce texte fameux attribué à Critias, dans son Sisyphe, et tâchons
d'en recevoir les enseignements8:
En ce temps-là jadis, l’homme traînait sa vie!, sans ordre, bestiale et soumise à la force,!et jamais aucun prix ne
revenait aux bons,! ni jamais aux méchants aucune punition.
!Plus tard les hommes, je le crois, ont pour punir institué des lois, pour que régnât le droit! et que pareillement
également à tous,!la démesure soit maintenue asservie!. Alors on put châtier ceux qui avaient fauté.! Mais,
puisque par les lois ils étaient empêchés! par la force, au grand jour, d’accomplir leurs forfaits! qu’ils les
commettaient à l’abri de la nuit.
Alors, je le crois, pour la première fois, !Un homme à la pensée astucieuse et sage !inventa la crainte des dieux
pour les mortels!. Afin que les méchants ne cessent de craindre!.
5 M. Cook, Muhammad, Oxford 1983, p. 35.
6 Il est exclu du fait de sa composition très postérieure, et de son organisation tout à fait artificielle.
7 In Collectif, Enquête sur le dieu unique, Paris 2010.
8 Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens. IX, 54.