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LES MYTHES
DE LA CAVERNE
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"Homme, contente-toi de cette soif béante ;
Mais ne dirige pas vers Dieu ta faculté
D'inventer de la peur et de l'iniquité,
Tes catéchismes fous, tes korans, tes grammaires,
Et ton outil sinistre à forger des chimères."
(Victor Hugo, Religions et religion).1
“…sans faire cas des prophéties. On les a inventées
pour tromper les mortels”.
(Euripide, Hélène 984-6).
"Au point de vue scientifique,
il faut classer évidemment Mahomet,
comme la plupart des fondateurs de religions,
dans la grande famille des aliénés."
(G. Lebon, La civilisation des Arabes II,1).2
1 Présentation
La présente partie traitera du début de la prédication dudit Muhammad ibn Abdallah
(selon son nom de scène)3, dans le cadre de sa patrie, la Mecque, au sein de sa tribu et de son
clan. Nous dirons "début de prédication" et non "révélation" comme cela est écrit dans
nombre d'ouvrages. Le premier terme est d'une réalité historique assez admissible, tandis
que le second ne peut guère être montré comme une certitude. Que cela soit gravé dans le
granite, coulé dans le métal le plus dur: rien ne sait passé comme il a été écrit, et c'est
justement pour cela que les textes racontent cela de cette manière. La littérature règne ici
sans partage, gouvernant l'imaginaire des hommes. Dans le cas présent, la littérature se
construit sur un texte littéraire lui-même. Alors, pensez roman, et non Histoire.
L'hypothèse qui peut être formulée est que le point de départ a été le contenu du Coran,
quelques extraits infimes, sibyllins certains, mais qui ont servi de base, comme un squelette.
Après, l'invention a fait son oeuvre, et a mis du muscle et de la graisse sur les os. Le
matériau, peut-être, n'a pas été entièrement imaginaire, et des expériences mystiques,
proto-prophétiques, de tel ou tel délirant ou charismatique d'Arabie aura pu être récupéré
par le texte. Nous n'en saurons sans doute jamais rien. Il vaut mieux croire cela, plutôt que
d'avaler tout cru les contes et les légendes.
1 Paris, 1880.
2 Paris, 1884.
3 Par là, nous signalons que nous ne croyons pas une seconde que ce nom soit son vrai nom. De
toute façon, nous ne croyons pas, et pensons donc.
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Alors bien entendu, la méthode commanderait de finalement ne plus rien prendre en
compte, puisque plus rien ne compte, sinon la fantaisie humaine, populaire, collective et
anonyme. Cela reviendrait certes à un pyrrhonisme néfaste, à un scepticisme stérile. Sans
pour autant succomber à la séduction des moments primordiaux, nous estimons qu'il y a
certainement quelque chose d'utile à tirer de ces inventions, sans même que les auteurs de
ces textes se soient aperçus de quelque chose. Une fois prémunis par cette remarque
préalable, nous pourrons cheminer, presque sans crainte, dans le monde des grottes et des
chimères.
Inventer une religion, cela revient un peu à commencer un roman: s'il l'on veut du succès, il
ne faut pas rater le début. Le début... Il s'appuie sur lui-même: la base est étroite. Il n'y a
rien avant, ou des erreurs, et ensuite, la vérité. Qui? Quoi? Comment? En résumé, les débuts
sont difficiles, et faciles à démonter.
Il est en effet bien difficile de commencer un roman, et de constituer un début absolu à un
phénomène, en bousculant d'un coup toutes les règles de la physique. Rien ne se perd, rien
ne se crée, en physique, en biologie, comme en Histoire.
Il fallait bien trouver dans le livre qui construit cette religion, quelques lignes qui pouvaient
bien correspondre à un début de discours. Le consensus s'est fait autour d'un fragment très
court, et qui ne dit rien, et que nous étudierons en détail, en le disséquant. Ensuite, d'autres
fragments, décousus, et qui portent à peine quelques idées, ou des bribes. La Tradition, fait
étrange, n'a pas trop voulu se répandre, sur les phases primordiales: le mysticisme fait peur,
et ceux qui ne sont pas mystiques ne peuvent pas le maîtriser, ni s'y sentir à l'aise. En effet,
raconter n’importe quoi, oui, la Tradition sait faire, mais craint que quelque autorité armée
de sabres puisse à un moment lui reprocher, et trancher des têtes trop imaginatives.
Les mois ou années qui suivent sont aussi peu traités, et en fait, ce n'est qu'au moment la
nouvelle pratique se répand parmi des adeptes, et surtout quand elle suscite des oppositions
que les textes surgissent. Sur le commencement, ils ne savent rien, et préfèrent ne pas
s'exprimer. Il faudrait à ce moment être dans la cervelle de Muhammad, amoindrie par la
faim, la soif, la chaleur, la fatigue et la solitude. Et même, l'idée de la proximité immédiate
de la divinité est une chose qui terrifie. Voilà un point qu'il faut noter: le moment le plus pur
de l'islamisme, celui de sa naissance même, celui de son intimité n'intéresse point ceux qui se
proclameront musulmans.
Après les débuts accidentés de Muhammad dans le registre mystique, son activité religieuse
aboutit peu à peu à la constitution d’une secte apocalyptique.4 Le mot "secte" est pris ici sans
but polémique: les idées religieuses de Muhammad poussent ses disciples vers un nouveau
comportement qui les sépare du reste de la population ; à ce stade, la personnalité du
dirigeant du groupe minoritaire est primordial ; c’est avec le passage à Médine que
l’islam(isme) (qui n’a pas encore ce nom) devient une religion, un mouvement majoritaire
puis totalitaire, qui fournit et impose la norme et quelle norme à une communauté.
4 J. Vernette, Les sectes, Paris, 1996; George Makdisi, Dominique Sourdel et Janine Sourdel-
Thomine..., Prédication et propagande au Moyen âge : Islam, Byzance, Occident = Preaching and
propaganda in the Middle ages = Islam, Byzantium, West (Penn-Paris-Dumbarton Oaks colloquia 3 ;
1980)
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Les documents montrent bien que son apostolat se limite alors strictement aux frontières de
sa cité, et même de son clan; l'ambition universelle inspirée d'Abraham ne survient que bien
plus tard5 , au gré des circonstances.
Les source deviennent de plus en plus nombreuses sur cette période. Mais elles ne sont pas
sûres pour autant, notamment en ce qui concerne la chronologie. Une foule de traditions
manipulent et camouflent, décorent à l’extrême le banal en d’inutiles ornementations . Le
meilleur exemple est celui de l’intégration décorative et superficielle de l’archange Gabriel
à ces épisodes: son ampleur, ses ailes, sa couleur, etc... C'est un peu comme si l'aniconisme
musulman trouvait là un massif retour du refoulé, car il ne peut exprimer sa foi, son
imaginaire, sa créativité comme toutes les autres civilisations; les immenses et précises
fresques chrétiennes, parsemées d’anges, partout en Orient ont certainement fasciné les
témoins, contemporains et arabes.
Dans ce contexte très mouvementé, Muhammad et ses disciples n’ont pas eu l’occasion de se
construire une Histoire (en excluant le Coran, bien entendu6). C’est pourquoi le traitement
de ce sujet ne sera pas strictement chronologique, une mise en ordre d’une telle nature étant
trop hypothétique. Mais l’organisation thématique suivra la succession général des grandes
périodes de l’apostolat mecquois.
Que l'on soit bien clair à propos de cette affaire de "révélation", car plusieurs cas peuvent se
présenter: vous vous dites musulman, et vous êtes sûr qu'il y a bien eu une "révélation" par
Gabriel d'un début de révélation. Soit, vous suivez un dogme, c'est votre problème et peu
importe alors. Vous vous soumettez à cette conception sans être pour autant musulman, et
dans ce cas, vous êtes naïf et même imbécile. Enfin, parce que vous êtes savant et intelligent
dans ces affaires, dans un enseignement ou dans un ouvrage, mais que néanmoins, vous
divulguez ces idées de "révélation", alors vous n'êtes que malhonnête et lâche.
Voici les pièces du dossier concernant cette remarquable, fascinante et redoutable
mystification, qui illustre comment toute religion se construit sans le savoir et se construit des
origines imaginaire.
Ces propos du regretté Jean Bottéro nous guident: “L’Histoire religieuse, ancienne ou
contemporaine, montre qu’il est toujours des esprits qui, tout à coup, ont une idée, parfois
complètement farfelue, et fondent une religion.”7 Nous aimons bien cette manière de
considérer les choses, avec une compétente, pertinente et impertinente liberté.
Lisons pour commencer ce texte fameux attribué à Critias, dans son Sisyphe, et tâchons
d'en recevoir les enseignements8:
En ce temps-là jadis, l’homme traînait sa vie!, sans ordre, bestiale et soumise à la force,!et jamais aucun prix ne
revenait aux bons,! ni jamais aux méchants aucune punition.
!Plus tard les hommes, je le crois, ont pour punir institué des lois, pour que régnât le droit! et que pareillement
également à tous,!la démesure soit maintenue asservie!. Alors on put châtier ceux qui avaient fauté.! Mais,
puisque par les lois ils étaient empêchés! par la force, au grand jour, d’accomplir leurs forfaits! qu’ils les
commettaient à l’abri de la nuit.
Alors, je le crois, pour la première fois, !Un homme à la pensée astucieuse et sage !inventa la crainte des dieux
pour les mortels!. Afin que les méchants ne cessent de craindre!.
5 M. Cook, Muhammad, Oxford 1983, p. 35.
6 Il est exclu du fait de sa composition très postérieure, et de son organisation tout à fait artificielle.
7 In Collectif, Enquête sur le dieu unique, Paris 2010.
8 Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens. IX, 54.
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« C’était, leur disait-il, comme un démon vivant! d’une vie éternelle. Son intellect entend! et voit tout en tout
lieu. Il dirige les choses! de par sa volonté. Sa nature est divine,! par elle il entendra toute parole d’homme,! et
par elle il verra tout ce qui se commet.! Et si dans le secret encore tu dites! quelque mauvaise action, cela
n’échappe point! aux dieux, car c’est en eux qu’est logée la pensée. »
!D’avoir compte à rendre de ce qu’ils auraient fait,! dit, ou encore pensé, même dans le secret :! aussi introduit-
il la pensée du divin.! Et c’est par ces discours qu’il donna son crédit! à cet enseignement paré du plus grand
charme.! Quant à la vérité, ainsi enveloppée,!elle se réduisait à un discours menteur,!Il racontait ainsi que les
dieux habitaient! un céleste séjour qui par tous ses aspects. !Ne pouvait qu’effrayer les malheureux mortels.! Car
il savait fort bien d’où vient pour les humains. La crainte, et ce qui peut secourir le malheur.! Maux et biens
provenaient de la leste sphère,!de cette voûte immense brillent les éclairs,! éclatent les bruits
effrayants du tonnerre;! mais se trouve aussi la figure étoilée! de la voûte céleste, et la fresque sublime,! le
chef-d’œuvre du temps, architecte savant,! l’astre de lumière, incandescent, s’avance.! Et d’où tombent les
pluies sur la terre assoiffée.!Voiles craintes dont il entoura les hommes,! par lesquelles il sut, par l’art de la
parole,! fonder au mieux l’idée de la Divinité,! dans le séjour voulu; et ainsi abolir! avec les lois le temps de
l’illégalité.
(…) C’est ainsi, je le crois, que quelqu’un, le premier,! persuada les mortels de former la pensée! qu’il existe
des dieux.
Le texte, divin par son inspiration, devrait suffire à fermer la bouche de tant de clercs
inutiles et moisis, prêchant des inepties à leurs troupeaux inertes.
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