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un principe qui avait régné sur la physique depuis Galilée : celui de la continuité dans
le temps et l’espace. Natura non facit saltus, a dit Leibniz. Ce principe dit que ce qui se
présentera à un instant ne peut différer beaucoup de ce qui s’est passé immédiatement
auparavant, que ce qui se passe ici ne peut être très différent de ce qui se présente dans
le voisinage immédiat. Néanmoins, depuis un demisiècle déjà, les gaz, les uides et les
solides n’étaient plus considérés comme des milieux continus ni uniformes, mais comme
des ensembles de petits blocs de plusieurs sortes, tous identiques pour chaque sorte :
les atomes et molécules des différentes espèces chimiques. Plus récemment, la lumière
également était apparue comme corpusculaire. Mais les mouvements de toutes ces
particules étaient toujours considérés comme continus.
L’émission ou l’absorption de lumière fut attribuée à des changements internes
soudains et imprévisibles des atomes qui, autrement, restent dans un état de mouvement
immuable. Dans la nouvelle physique, l’instant de tels changements ne peut être prévu que
statistiquement, et le processus même du changement ne peut être observé pendant qu’il
se produit.
Le mouvement des particules, comme les résonances internes des atomes, fut compris
comme conditionné par la propagation de certaines ondes d’un type nouveau. Une
nouvelle et étrange mécanique fut développée. Elle renonça à une véritable description du
monde physique et se limita à prédire des probabilités, mais elle sortit de la crise avec un
pouvoir d’explication et de prédiction considérablement accru : elle fut à l’origine de toute
l’électronique moderne.
Les notions d’ondes d’oscillation ont joué un rôle fondamental dans cette évolution.
* *
C’est de cette belle histoire que j’ai voulu tracer les différentes étapes sous plusieurs
aspects. Malheureusement, elle échappe généralement au public, parce que le
comportement des ondes est beaucoup moins intuitif que celui des objets ou même des
substances chimiques, parce que le fonctionnement des appareils électroniques est aussi
étrange que leur efcacité est évidente. Dans cet ouvrage, j’ai cherché à présenter les faits
de la physique comme un chercheur peut les percevoir. Un traité, une étude historique ou
les biographies des plus grands physiciens prennent des volumes. J’ai préféré rassembler,
dans la perspective composite qui m’est propre, des développements historiques,
biographiques, théoriques, parfois expérimentaux ou techniques qui m’ont paru marquants.
J’ai souvent favorisé un fait ou une personnalité peu connue. plutôt que de m’étendre sur
les plus célèbres. C’est pourquoi j’ai réservé une place particulière à Pythagore, qui a joué
un si grand rôle dans la civilisation occidentale, et qui est si peu connu malgré le grand
nombre de témoignages indirects qui sont parvenus sur lui ainsi que sur ses innombrables
disciples.
(1564-1642) et Kepler (1571-1630) qui, avec leurs lois sur le mouvement des corps,
inaugurèrent l’âge scientique moderne.
À cette époque, l’acoustique connut également un renouveau spectaculaire. Toutefois,
les propriétés des oscillations sonores et des ondes qui les transmettent dans l’espace
ne constitueraient qu’un chapitre intéressant mais limité de la physique si l’analyse
mathématique n’avait révélé au XVIIe siècle leur parenté avec l’hydrodynamique et
les déformations des solides. Il se constituera sur cette base une physique théorique
qui permit de traiter de nombreux phénomènes peu à peu découverts, en particulier
électriques et magnétiques. Elle allait même, après 1860, prédire l’existence des ondes
électromagnétiques, et montrer que la lumière est de même nature.
L’optique et l’électromagnétisme réunis constituaient désormais l’un des deux versants
de la physique fondamentale, l’autre groupant la mécanique et l’étude des propriétés de la
matière. La physique au sens large avait été jusque-là dominée par les propriétés et les
mouvements des corps, et en particulier des astres, celle des ondes couvrait dès 1900 un
vaste territoire. Mais les efforts pour réunir ces deux versants étaient restés vains.
En outre, alors que les mouvements des corps sont immédiatement perceptibles, et
que la nature des ondes sonores fut comprise de bonne heure comme un mouvement de
vibration de la matière, la nature des ondes électromagnétiques restait mystérieuse. En
particulier, on appelait éther le milieu dans quel elle se propage, mais on n’avait attribué
aucune propriété précise à ce milieu.
Au début du XXe siècle, les propriétés de la lumière furent avec la radioactivité l’objet
essentiel de la physique fondamentale pendant plusieurs décades. Cette dernière connut
plusieurs crises graves, puis de grandes unications conceptuelles, pour aboutir aux
extraordinaires développements théoriques dont chacun entend parler, et aux innovations
techniques qui modièrent peu à peu notre existence.
On sait généralement que la première crise fut résolue par la théorie de la relativité entre
1905 et 1920. Des physiciens cherchaient à déterminer les propriétés de l’éther. Einstein
raisonnait différemment et cherchait à se représenter ce qu’il observerait s’il pouvait
voyager assis sur un rayon de lumière. Les premiers rent des expériences probantes qu’ils
ne pouvaient expliquer. Einstein aboutit, comme chacun sait, à une nouvelle conception de
l’espace et du temps. L’électromagnétisme et la physique de la lumière restèrent inchangés,
mais la mécanique fut profondément modiée, quoique d’une manière qui n’apparaît qu’aux
très grandes vitesses.
La seconde crise survint à propos des propriétés optiques des atomes et molécules.
Les gaz chauds rayonnent ou absorbent de la lumière de certaines longueurs d’onde
caractéristiques des atomes qu’ils contiennent. Loin d’expliquer cette propriété,
l’électromagnétisme fournissait des prédictions absurdes. C’est en considérant ces atomes
comme les supports d’ondes d’un type inconnu, et de ce fait comparables aux cordes des
instruments de musique, que l’on parvint à fournir une explication. Mais il fallut abandonner