INTRODUCTION
Les ondes et les vibrations ont de nos jours envahi tout l’espace dans lequel nous vivons,
et il ne s’agit pas seulement de celles qui transportent les programmes de radio, de télévision,
les messages de nos téléphones portables ; il s’agit aussi des ondes de diverses natures qui
servent aujourd’hui à expliquer le comportement de la matière. Celle-ci, jusqu’ici symbole de
la solidité et de la permanence, supposée présente même lorsque nous ne la regardons pas
ou ne la sentons pas, se révèle tout autre aux moyens d’investigation puissants dont nous
disposons : elle manifeste des propriétés fugaces, difcilement tangibles, dont certaines sont
décrites par des ondes.
Or, l’histoire de la physique nous enseigne que les débuts de cette science peuvent
être situés il y a environ 2500 ans, avec les premières observations quantitatives sur les
oscillations des cordes de la lyre. L’envahissement de notre espace par les ondes ne s’est
donc pas produit soudain, mais au cours d’un long travail théorique et expérimental, parfois
ponctué de crises.
Intéressé dès mon enfance par les phénomènes élémentaires que je pouvais observer,
sensible aux beautés des mathématiques, de la musique, j’ai voulu plus tard me consacrer
à des recherches appliquées sur les ondes électromagnétiques, tout en développant mes
connaissances en physique fondamentale. C’est ce qui m’a permis d’entrevoir la continuité
du développement qui, initié par Pythagore, a tant contribué à la physique et aux techniques
modernes, et m’a donné le désir d’écrire les pages qui suivent.
* *
Suivant la tradition, Pythagore (env. 570-480 av. J.-C.) découvrit que les longueurs de
cordes identiques qui émettent des sons consonants sont dans des rapports simples, par
exemple de trois à deux pour l’intervalle que nous appelons une quinte. Cette découverte
concernait des phénomènes chargés de beaucoup d’émotion. Sans doute a-t-on reconnu là
un phénomène de résonance : les émotions musicales sont en effet ressenties comme une
sorte de résonance de l’auditeur avec l’instrument ou avec celui qui en joue. Les nombres
ne sont pas non plus affectivement neutres ; ils ont toujours semblé chargés de propriétés
extraordinaires, voire magiques. Or, Pythagore découvrait par ses observations leur rôle
direct dans un phénomène éminemment sensible.
Ces rapports numériques constituent une propriété « moderne » par son caractère général
et quantitatif. De ce point de vue, rien de comparable ne devait apparaître avant longtemps
dans l’histoire des sciences. On ne trouve rien de pareil chez Aristote. Certes, Archimède
(287-212 av. J.-C.) conçut aussi des lois quantitatives : l’égalité de son propre poids et de
celui du volume d’eau qu’il déplaçait, les propriétés des leviers. Mais ce furent surtout Galilée
2
un principe qui avait régné sur la physique depuis Galilée : celui de la continuité dans
le temps et l’espace. Natura non facit saltus, a dit Leibniz. Ce principe dit que ce qui se
présentera à un instant ne peut différer beaucoup de ce qui s’est passé immédiatement
auparavant, que ce qui se passe ici ne peut être très différent de ce qui se présente dans
le voisinage immédiat. Néanmoins, depuis un demisiècle déjà, les gaz, les uides et les
solides n’étaient plus considérés comme des milieux continus ni uniformes, mais comme
des ensembles de petits blocs de plusieurs sortes, tous identiques pour chaque sorte :
les atomes et molécules des différentes espèces chimiques. Plus récemment, la lumière
également était apparue comme corpusculaire. Mais les mouvements de toutes ces
particules étaient toujours considérés comme continus.
L’émission ou l’absorption de lumière fut attribuée à des changements internes
soudains et imprévisibles des atomes qui, autrement, restent dans un état de mouvement
immuable. Dans la nouvelle physique, l’instant de tels changements ne peut être prévu que
statistiquement, et le processus même du changement ne peut être observé pendant qu’il
se produit.
Le mouvement des particules, comme les résonances internes des atomes, fut compris
comme conditionné par la propagation de certaines ondes d’un type nouveau. Une
nouvelle et étrange mécanique fut développée. Elle renonça à une véritable description du
monde physique et se limita à prédire des probabilités, mais elle sortit de la crise avec un
pouvoir d’explication et de prédiction considérablement accru : elle fut à l’origine de toute
l’électronique moderne.
Les notions d’ondes d’oscillation ont joué un rôle fondamental dans cette évolution.
* *
C’est de cette belle histoire que j’ai voulu tracer les différentes étapes sous plusieurs
aspects. Malheureusement, elle échappe généralement au public, parce que le
comportement des ondes est beaucoup moins intuitif que celui des objets ou même des
substances chimiques, parce que le fonctionnement des appareils électroniques est aussi
étrange que leur efcacité est évidente. Dans cet ouvrage, j’ai cherché à présenter les faits
de la physique comme un chercheur peut les percevoir. Un traité, une étude historique ou
les biographies des plus grands physiciens prennent des volumes. J’ai préféré rassembler,
dans la perspective composite qui m’est propre, des développements historiques,
biographiques, théoriques, parfois expérimentaux ou techniques qui m’ont paru marquants.
J’ai souvent favorisé un fait ou une personnalité peu connue. plutôt que de m’étendre sur
les plus célèbres. C’est pourquoi j’ai réservé une place particulière à Pythagore, qui a joué
un si grand rôle dans la civilisation occidentale, et qui est si peu connu malgré le grand
nombre de témoignages indirects qui sont parvenus sur lui ainsi que sur ses innombrables
disciples.
(1564-1642) et Kepler (1571-1630) qui, avec leurs lois sur le mouvement des corps,
inaugurèrent l’âge scientique moderne.
À cette époque, l’acoustique connut également un renouveau spectaculaire. Toutefois,
les propriétés des oscillations sonores et des ondes qui les transmettent dans l’espace
ne constitueraient qu’un chapitre intéressant mais limité de la physique si l’analyse
mathématique n’avait révélé au XVIIe siècle leur parenté avec l’hydrodynamique et
les déformations des solides. Il se constituera sur cette base une physique théorique
qui permit de traiter de nombreux phénomènes peu à peu découverts, en particulier
électriques et magnétiques. Elle allait même, après 1860, prédire l’existence des ondes
électromagnétiques, et montrer que la lumière est de même nature.
L’optique et l’électromagnétisme réunis constituaient désormais l’un des deux versants
de la physique fondamentale, l’autre groupant la mécanique et l’étude des propriétés de la
matière. La physique au sens large avait été jusque-là dominée par les propriétés et les
mouvements des corps, et en particulier des astres, celle des ondes couvrait dès 1900 un
vaste territoire. Mais les efforts pour réunir ces deux versants étaient restés vains.
En outre, alors que les mouvements des corps sont immédiatement perceptibles, et
que la nature des ondes sonores fut comprise de bonne heure comme un mouvement de
vibration de la matière, la nature des ondes électromagnétiques restait mystérieuse. En
particulier, on appelait éther le milieu dans quel elle se propage, mais on n’avait attribué
aucune propriété précise à ce milieu.
Au début du XXe siècle, les propriétés de la lumière furent avec la radioactivité l’objet
essentiel de la physique fondamentale pendant plusieurs décades. Cette dernière connut
plusieurs crises graves, puis de grandes unications conceptuelles, pour aboutir aux
extraordinaires développements théoriques dont chacun entend parler, et aux innovations
techniques qui modièrent peu à peu notre existence.
On sait généralement que la première crise fut résolue par la théorie de la relativité entre
1905 et 1920. Des physiciens cherchaient à déterminer les propriétés de l’éther. Einstein
raisonnait différemment et cherchait à se représenter ce qu’il observerait s’il pouvait
voyager assis sur un rayon de lumière. Les premiers rent des expériences probantes qu’ils
ne pouvaient expliquer. Einstein aboutit, comme chacun sait, à une nouvelle conception de
l’espace et du temps. L’électromagnétisme et la physique de la lumière restèrent inchangés,
mais la mécanique fut profondément modiée, quoique d’une manière qui n’apparaît qu’aux
très grandes vitesses.
La seconde crise survint à propos des propriétés optiques des atomes et molécules.
Les gaz chauds rayonnent ou absorbent de la lumière de certaines longueurs d’onde
caractéristiques des atomes qu’ils contiennent. Loin d’expliquer cette propriété,
l’électromagnétisme fournissait des prédictions absurdes. C’est en considérant ces atomes
comme les supports d’ondes d’un type inconnu, et de ce fait comparables aux cordes des
instruments de musique, que l’on parvint à fournir une explication. Mais il fallut abandonner
3
Cette histoire se veut en même temps une introduction à la physique quantique, souvent
réputée incompréhensible, mais omniprésente dans les techniques modernes. Beaucoup
d’aspects de cette physique si fertile restent obscurs, mais l’étude des ondes est une bonne
préparation à son étude.
Je m’adresse à des lecteurs de prols assez différents, plus ou moins versés dans
la physique ou les mathématiques. Mon expérience m’ayant montré que l’on est souvent
contraint d’écouter ou d’observer sans tout comprendre, j’ai supposé que le lecteur
peut accepter éventuellement de faire de même. Nous ne comprenons pas tous les
personnages lorsque nous lisons un roman. Le praticien utilise des traités qu’il ne comprend
généralement pas entièrement. Le lecteur acceptera peut-être de ne pas savoir utiliser, ni
même comprendre chaque formule mathématique présentée ici.
Les passages théoriques sont les plus difcilement accessibles, semblables à des pics
ou des cavernes plutôt qu’à des collines ou des replis de terrain. Mais je sais que d’assez
nombreux lecteurs seraient frustrés si on ne leur présentait pas au moins la forme que
prennent les lois, les théories, ce qui leur permet souvent de trouver une réponse aux
questions qu’ils se posent. J’ai cherché à ce que le texte garde un sens si l’on passe les
développements mathématiques, de façon que des lecteurs sans formation mathématique
puissent y trouver leur intérêt. C’est pourquoi on trouvera des passages, très élémentaires
à côté d’autres inaccessibles à d’assez nombreux lecteurs. L’index situé à la n du livre doit
aider le lecteur à comprendre les concepts qui ne lui sont pas familiers
J’espère surtout avoir mis en évidence le sentiment sous-jacent et permanent au cours
des siècles d’un certain ordre de la nature, et de notre rapport avec elle.
J’espère aussi que le lecteur aura à la n de cet ouvrage acquis une idée plus proche
et moins désincarnée de la science physique, dont les lois sont en constante évolution -
comme nous-mêmes ; qu’il éprouvera un plus grand sentiment de familiarité avec le monde
scientique et technique ; enn, que ces pages lui donneront envie d’en savoir plus.
TABLE DES MATIÈRES
Première Partie.
Des Grecs au Siècle des Lumières 6
Chapitre 1. De Pythagore à Newton 6
Les origines 6
Qui-était Pythagore ? 6
Pythagore et les cordes vibrantes 9
La résonance 9
Naissance de la science moderne 10
L’acoustique 10
La lumière 12
La réfraction de la lumière 12
Le premier « principe de minimum » de la physique 12
La vitesse de la lumière 13
La première conception ondulatoire de la lumière 14
Les débuts de la mécanique 15
Les oscillations, mesure précise du temps 16
Chapitre 2. La science newtonienne 16
Newton et la mécanique 16
Remarques sur les mathématiques 17
Le calcul différentiel et intégral 17
Technique de la dérivation 19
L’intégration 20
Généralisations 20
Les ondes et le calcul différentiel 21
Jean Le Rond d’Alembert 21
Regard sur la science après Newton 21
L’équation de d’Alembert 22
Vitesse de propagation des ondes 23
Les opérateurs 23
4
Opérateurs linéaires, fonctions propres et valeurs propres 23
Une solution de l’équation de d’Alembert par les opérateurs linéaires 24
Chapitre 3. Oscillations et ondes 25
Multiples solutions de l’équation de d’Alembert 25
La propagation 25
Les ondes stationnaires ou oscillations 26
La phase 28
Qu’est-ce qu’une onde simple ? 28
Extensions de la théorie des cordes vibrantes 29
Les trois dimensions et les symétries 30
Le rayonnement 31
La phase et la distance 31
Deuxième Partie.
La maîtrise de la lumière et de l’électricité 32
Chapitre 4. Fourier et les phénomènes périodiques 32
Jean-Baptiste Fourier 32
Différents espaces 34
Séries de Fourier dans un espace borné entre 0 et 1 34
Généralisation aux fonctions périodiques 34
Nouvelle généralisation : intégrales de Fourier 36
L’espace et le temps revus par Fourier 36
Restrictions à la validité de l’analyse de Fourier 37
Importance de l’analyse de Fourier 37
Chapitre 5. De Thomas Young à Max Planck 38
Lumière, électromagnétisme et physique des ondes 38
Les « interférences » ; l’expérience d’Young 38
Diffraction des pinceaux ou faisceaux lumineux 41
Le son, la lumière et les spectres de fréquences 42
Le spectre du « corps noir » 42
Lumière et Électromagnétisme 43
Électricité, magnétisme, ondes électromagnétiques 43
Prélude à la « théorie de tout » 44
Nouveaux effets électrodynamiques 44
La théorie électromagnétique 46
Une physique complète ? 46
Chapitre 6. Les oscillations et les ondes dans la physique et la technique 47
Généralités 47
La domestication des ondes électromagnétiques 48
Les résonances dans la technique 49
Le bruit 50
Diverses techniques de radioélectricité 51
Modulation et démodulation 51
De diverses ondes 52
Ondes élastiques dans les solides 52
Ondes de surface ; vitesse de phase et vitesse de groupe 52
Non-linéarités dans les ondes 53
Effets de lentille, ondes sismiques 53
Lentilles gravitationnelles 54
Ondes dans les plasmas 54
Les ondes lumineuses 54
La lumière à l’ère quantique : masers et lasers 55
Les hologrammes 55
Troisième Partie.
L’âge quantique ou le monde décrit par des ondes 58
Chapitre 7. Retour aux particules et au discontinu 58
Propriétés étranges de la lumière des atomes 58
Planck introduit les quanta 58
La mécanique statistique 59
Einstein bombarde la matière avec des quanta de lumière 59
Retour à Pythagore 60
5
Chapitre 8. Les atomes, la quantication et les ondes 61
Niels Bohr quantie les mouvements des particules 61
La mécanique quantique et la mécanique classique 62
L’École de Copenhague 64
Intervention de Louis de Broglie 64
Les ondes de de Broglie 65
Les ondes de de Broglie existent ! 65
Comment être simultanément onde et particule 66
Chapitre 9. La mécanique quantique 66
Erwin Schrödinger et la mécanique quantique 66
L’équation de Schrödinger 66
Les nombres complexes 67
Séries de Fourier complexes 68
Intégrales de Fourier complexes 68
Les nombres complexes et les oscillations 69
Les nombres complexes et les ondes 69
La mécanique de Werner Heisenberg 70
Le « principe d’incertitude » de Heisenberg 70
Quelques chiffres 70
Dirac et Pauli 71
Particules et antiparticules en cosmologie 72
Chapitre 10. L’état quantique 73
Interprétation de la fonction d’onde Ψ 73
Un problème simple : l’électron rééchi entre deux parois parallèles 74
Le principe de superposition et la mesure 75
Qu’est-ce que l’état d’un système quantique ? 75
Les transitions ; le temps quantique 76
Mort naturelle sans vieillissement 77
Incertitude sur la constitution d’un système 78
Le paradoxe du chat de Schrödinger 78
Le paradoxe « EPR » (1935) 79
Le théorème de Bell. L’expérience d’Aspect et la non-localité 80
Chapitre 11. Le monde quantique 81
La réduction de la fonction d’onde 81
La mesure suivant Bohr et la conscience 81
Au-delà du système de mesure 82
Statistiques, hasard, probabilités 82
Épilogue 83
Appendices 84
APPENDICE I. Les grands noms de la physique des ondes 84
APPENDICE II. Sur le calcul différentiel 84
APPENDICE III. Les gammes et le chant des oiseaux 87
APPENDICE IV. Transitions quantiques 89
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