– 3 –
ne sont pas diffusés. En France, Claude Bernard (1813-1878) vient de jeter les bases de la méde-
cine expérimentale, fondement de la médecine actuelle. Louis Pasteur (1822-1895) et ses travaux
commencent seulement à être reconnus. En Angleterre, Joseph Lister (1827-1912) lutte pour im-
poser la notion d’asepsie. En Allemagne, Robert Koch (1823-1910) découvre le bacille de la tu-
berculose (1882), aboutissant à la découverte de la tuberculine.
Toutes ces recherches qui constituent le point de départ de la médecine scientifique moderne, ne
sont peut-être pas encore connues de Still, ou bien la méfiance qu’il a développée à l’égard de
tout ce qui est médical le rend très circonspect à leur égard. Il raisonne donc à partir de son ni-
veau de connaissance en anatomie et en physiologie et formule des hypothèses par rapport à ce
qu’il observe ou aux résultats qu’il obtient. Dans beaucoup de cas, nos connaissances
d’aujourd’hui sont venues invalider ces hypothèses, apportant d’autres explications. Pourtant, le
bon sens, la faculté d’observer, l’aptitude à résoudre les difficultés et les résultats obtenus nous
obligent à admettre que malgré cela, l’ostéopathie demeure une approche véridique et efficace,
même si Still nous déroute souvent.
Le collège de Kirksville et le développement de l’ostéopathie
L’histoire du collège et du développement de l’ostéopathie nous donnera enfin quelques ultimes
lumières. Jusqu’en 1896, le collège de Kirksville a été la seule institution de formation à
l’ostéopathie. Still a pu assez facilement contrôler le développement et les orientations prises par
le mouvement, mais à partir de 1896, d’autres collèges se sont créés (entre 1896 et 1899, treize
collèges légitimes se sont ouverts). Dès lors, il ne contrôle plus le mouvement et sent
l’ostéopathie lui échapper, prendre des orientations qu’il ne souhaitait pas, et il en souffre : « Ils
me citèrent comme le fondateur et le créateur de la plus grande science jamais donnée à l'homme.
Mais quand vint le moment de dire ce qui était meilleur dans l'intérêt de l'école et de son futur,
alors ils n'eurent que faire de mon savoir ou de mon avis. Ils coururent vers d'étranges Dieux.
Mon cœur en fut attristé. Comme une poule rassemble les siens sous son aile, j'aurais voulu vous
rassembler, vous, mes enfants, mais vous n'avez pas voulu… » 9
Au sein même du collège de Kirksville existent des conflits dans les orientations de
l’enseignement, notamment entre Still d’une part, et William Smith,10 enseignant de la première
heure au collège et les frères Littlejohn, d’autre part, tous écossais et médecins. Les frères Little-
john sont arrivés aux États-Unis vers les années 1890. J. Martin Littlejohn – celui là même qui
fondera la British School of Osteopathy à Londres en 1913 –, était diplômé de l’université de
Glasgow, James était chirurgien et docteur en médecine et David détenait un diplôme en scien-
ces.11 Souffrant de problèmes de nuque et de gorge, J. Martin se rendit à Kirksville en 1897 pour
9 Note manuscrite non datée, non paginée trouvée au dos d’un autre manuscrit, « How to be a Great Thinker. » in
C. Trowbridge, A. T. Still, 1828-1917, Thomas Jefferson University Press, Kirksville, Mo, 1992, p. 198.
10 William Smith : Diplômé de l’université d’Édimbourg en 1889, également détenteur de certificats du collège
royal de médecine d’Édimbourg, du collège royal de chirurgie et de la faculté de médecine et de chirurgie de
Glasgow. Il avait émigré aux USA et vendait du matériel chirurgical. Poussé par les médecins qu’il démarchait, il
rencontra Still à Kirksville avec l’idée de le confondre comme charlatan. Il fit plus tard le récit de leur entrevue :
« Ce qu'il me dit semblait tellement éloigné de tout ce qu'on m'avait enseigné dans les écoles médicales, si com-
plètement absurde et chimérique que je lui demandais des preuves de ce qu'il avançait. Les preuves me furent
données par les quelques seize patients qui témoignèrent de leur condition lors de leur arrivée à Kirksville et de
leur état consécutif au traitement. » Il fut tellement séduit par les propos et les démonstrations de Still qu’il devint
fervent partisan de l’ostéopathie, participa à la création du premier collège en 1892 et y enseigna l’anatomie pen-
dant de nombreuses années. Still raconte à sa manière leur première entrevue dans l’Autobiographie (pp. 113-
117).
11 J. Martin Littlejohn (1865-1947) s’inscrivit à l’université de Glasgow où il étudia la théologie. Bien que non