Regards croisés des linguistes sur la polysémie et la langue arabe 3
des signications », à laquelle se référait déjà en 626 de l’hégire le célèbre
linguiste Sakkī, s’intéressait seulement au sens des mots (Al-bir 1996 : 89),
autrement dit à la sémantique. La classication par commune prononciation al-
mutarak l-lafī (Ans 1965 : 192) se xait, elle, sur la seule prononciation. Une
troisième classication faisait le lien entre des mots de même prononciation mais
de sens différents, m t-tafaqa lafuhu wa-italafa manhu (A-aar 1996 :
400) donnant alors la totalité du sens d’homonymie. Enn, le phénomène de
l’homonymie des opposés, tadd, représentait un autre style de classication qui
a été largement utilisé et s’intéressait à un même mot porteur de sens opposés. Ce
dernier phénomène de l’homonymie des opposés, très courant en arabe et dans les
langues sémitiques en général, a donné lieu à de nombreuses études, comme celles
de Cohen (1970 : 79) par exemple.
Certains académiciens arabes d’aujourd’hui reprennent les différents champs
polysémiques distingués à travers la pensée des linguistes et grammairiens arabes
dans l’histoire en tant que catégories scientiques étanches. L’absence de passerelle
en fait des références gées et occulte toute une partie du caractère polysémique et
antonymique de mots dont des sens sont considérés comme actuellement disparus
ou sans importance (Ans 1965 : 196). Ils ont en fait désactivé les mots polysémiques
et antonymiques, geant dans l’histoire certains de leurs sens. Les anciennes
signications n’auraient plus lieu d’exister dans la compréhension actuelle de ces
mots, leur sens correspondant à des périodes historiques particulières, délimitées
dans le temps et non réemployées dans la langue actuelle.
Ne leur reconnaissant pas la possibilité de cumuler différents sens, les mots
actuels sont alors considérés comme porteurs d’un seul sens institutionnel. Cette
classication accepte la succession historique de différents sens, mais refuse
l’existence d’une vraie polysémie cumulative. S’ils attirent l’attention sur la
pluralité des sens, ils ne permettent pas à cette pluralité d’accéder au présent.
Les mots actuels sont donc moins riches et beaucoup de leurs sens anciens
désactivés. Ils sont nalement présentés comme monosémiques, les sens anciens
étant considérés comme « morts ». Il existe de ce fait une sorte de légitimation
des sens dans une lecture linéaire mais non cumulative de l’histoire. Une des
conséquences de ce phénomène de désactivation des mots polysémiques est que
la compréhension globale des textes anciens se fait parfois par le biais de mots
compris dans leur sens actuel sans lien avec leurs perceptions plus anciennes. Ce
décalage crée un anachronisme qui, certes, permet une utilisation de mots dans
leur conception moderne et permet un « rajeunissement sémantique » des textes de
référence anciens, mais consacre en même temps une perte polysémique, du fait
qu’ils sont utilisés avec leur seul sens moderne.