Une histoire singulière
PAR CLAUDE LELIÈVRE BLOG : HISTOIRE ET POLITI-
QUES SCOLAIRES
Ecrite à la première personne, cette histoire est celle
de la première femme nommée ministre de l'Educa-
tion nationale, une fille d'ouvrier, de famille marocai-
ne musulmane.
Dans ce livre, Najat Vallaud-Belkacem ne dit pas
grand chose de son expérience personnelle d'un cer-
tain sexisme ambiant, préférant parler de son minis-
tère aux Droits des femmes, prélude à sa nomination à
la tête du ministère de l'Education nationale. Une pre-
mière.
En revanche, elle est nettement plus prolixe sur sa
trajectoire sociale qui fait d'elle – et de loin – le ( la?)
ministre de l'Education nationale à l'origine sociale la
plus modeste Extraits
« Parfois, il m'est arrivé de ne me sentir à ma place
nulle part. Parfois, il y a eu des repas de famille où
mon opinion a été celle de l'élite, des puissants. Des
repas au cours desquels les miens m'ont dit : ''On ne
te comprend plus. Tu es une parisienne maintenant''.
Et inversement , il m'est arrivé de me sentir en pro-
fond décalage auprès de mes camarades de Sciences
Po […]. Parce que je travaillais jusqu'à plus soif, trop
convaincue que je devais redoubler d'efforts pour
prouver que j'étais bien à ma place. Oui, parfois, vous
enragez de sentir votre parcours vous rattraper à
coups de lacunes dans une culture et des codes qui ne
sont pas exclusivement scolaires [… ]. De voir à quel
point certains estiment, au contraire, être toujours à
''leur'' place [....]. Quoi qu'il arrive, ne vous excusez
jamais ! Ne vous excusez jamais d'être là où vous êtes
arrivés. Ne vous excusez jamais de vouloir aller plus
loin et toujours plus haut. L'ambition est la richesse
des pauvres. Et restez fidèles à ce que vous
êtes » (pages 105-106).
Najat Vallaud-Belkacem ajoute et conclut :
« Longtemps je me suis trompée en cherchant à me
fondre dans le moule, à me cacher le mieux possible, à
être presque sans histoire personnelle. Maintenant je
sais : si la diversité fait silence et ne se raconte jamais,
comment y croire encore ? Comment se comprendre,
regarder dans la même direction, construire un avenir
commun, rêver ensemble ? » (« La vie a beaucoup
plus d'imagination que toi », éditions Grasset,. page
107)
Najat Vallaud-Belkacem (et les éditions Grasset) com-
prendront sans doute que je livre ici un troisième (et
encore plus long) extrait de ce livre, en avant-
première,dans un journal tel que « Médiapart » (qui
s'est honoré en soutenant fermement une laïcité
non dévoyée et non instrumentalisée).
« Je n'ai pu m'empêcher d'interroger l'islam. Com-
ment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas
défaillir d'une douleur redoublée, ce matin du 7 jan-
vier 2015, en entendant ces mots empoisonnés des
assassins de ''Charlie'' : ''On a vengé Mahomet '' ?
Comment ne pas se sentir salie, ravagée, trahie, hon-
teuse malgré soi, quand on a grandi dans cette foi ?
Comment ne pas sentir aussi la morsure des regards
soudain suspicieux, inquisiteurs, parfois réels, parfois
fantasmés, et les imaginer plus pesants encore sur les
anonymes musulmans, véritables ou supposés, dans la
rue, dans le bus, au travail...Bien sûr qu'on interroge
l'islam . Même si j'ai rappelé ce que pouvait être la
pratique pieuse, rurale, de mes parents, oui, je parta-
ge les préoccupations de ceux qui s'inquiètent à la fois
de le ''sainte ignorance'' qui entoure souvent cette
religion et en même temps, du développement d'un
islam rigoriste, fondamentaliste qui rejette, qui fractu-
re. Oui, il y a une nécessité que l'islam et ses respon-
sables combattent en leur sein le cancer obscurantis-
te.
Mais cela n'a rien à voir avec l'injonction qui a pu
être faite aux musulmans de se désolidariser des ter-
roristes. Cette injonction est scandaleuse. Parce qu'el-
le suppose une complaisance généralisée. Alors que
c'est l'inverse : la révulsion des musulmans pour les
attentats doit être un levier, non pas de stigmatisa-
tion, mais de mobilisation du pays, de tout le pays
soudé autour de ces valeurs que les terroristes abhor-
rent, comme ils abhorrent les ''nouveaux Français''
que nous sommes, parce que nous en sommes les pre-
miers promoteurs, nous qui les avons choisies. Les
lieux ciblés par les terroristes, vivants, animés, frater-
nels, brassant juifs, chrétiens, musulmans, athées, d'ici
et d'ailleurs, joyeusement mélangés sur les terrasses
des cafés comme sur la promenade des Anglais, ne
laissent pas place au doute sur ce sujet .
Je sais bien que les questions sont là. Je sais bien que
l'anxiété, les déchirures, les deuils et les peurs ne sont
pas propices à la réflexion distanciée. Je sais bien
qu'il flotte comme un air vaguement empoisonné,
alimenté par des discours toxiques. Après l'attentat
de Nice, et ses 86 morts, j'ai été stupéfaite de regarder
cette vidéo de Marion Maréchal-Le Pen, qui parle de
guerre mondiale, explique que ''tout ça'' c'est ''le re-
groupement familial'' et le fait des ''Français de papie-
r''. Expression affreuse : je serais Française de papier ?
D'une pure catégorie administrative, provisoire et
qu'on puisse froisser ? Mon visage serait celui d'une
Marocaine, et je n'aurais de français ''que lespapier-
s'' ? A quand les lois de dénaturalisation ? » (pages 86
et 87).
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