Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. RI R1.2
L'expansion de l'islam a été particulièrement nette en Afrique sahélienne et orientale
(en revanche les rives du golfe de Guinée, par lesquelles s'est faite la pénétration européenne,
sont à majorité chrétienne, ainsi que l'essentiel du bassin du Congo, qui donne sur ledit golfe, et
le sud de l'Afrique), ainsi qu'en Indonésie — c'est aujourd'hui le premier pays musulman de la
planète, plus peuplé à lui seul que l'ensemble du monde arabe, les deux suivants étant le Bangla
Desh et le Pakistan (l'Égypte, le pays arabe le plus peuplé, ne vient qu'en quatrième position).
Dans ces deux régions, l'islam s'était implanté depuis longtemps, mais il ne touchait que les
élites et les villes; il s'est généralisé au XXe siècle, à l'exception de quelques îlots chrétiens (les
Moluques en Indonésie, les hauts plateaux d'Abyssinie en Afrique orientale) ou bouddhistes
(Bali). En fait, plus que d'un progrès de l'islam, il faudrait peut-être parler d'un renouveau, d'une
extension d'une conception plus rigoureuse de la pratique, extension qui a touché aussi des
régions déjà complètement musulmanes. Ce type de processus a été abondamment décrit pour le
Caucase septentrional, région très superficiellement islamisée en 1800: ici ce sont l'hostilité à la
pénétration russe, puis les nécessités de la résistance au communisme et de l'affirmation d'une
identité, qui ont abouti à l'approfondissement de l'islamisation.
Dans certaines régions l'islam, majoritaire depuis longtemps, s'est généralisé par
massacre ou expulsion des non-musulmans: ainsi en Turquie entre 1915 et 1923 tous les
chrétiens ont disparu (les Arméniens**, les Chaldéens**, les Grecs); presque tous les juifs du
monde arabe ont été expulsés ou ont fui dans les années 1940 à 1960. Des phénomènes
comparables ont eu lieu au Pakistan en 1947-19481. Il faut y ajouter le déclin constant des
communautés chrétiennes arabes par conversion plus ou moins forcée ou par départ —
seule la communauté maronite du Liban a conservé une place prédominante jusqu'en 1975 dans
ce pays taillé pour elle (mais où elle était minoritaire); mais la guerre civile qui a suivi a abouti à
la mise sous tutelle du Liban par la Syrie musulmane en 1989, et aujourd'hui les maronites
semblent quitter lentement le Liban. En Égypte, en Palestine, les chrétiens sont de moins en
moins nombreux; c'est l'aboutissement sans doute inéluctable d'un processus commencé depuis
mille quatre cent ans, mais au XXe siècle il a été accéléré par la politisation des enjeux religieux,
souvent assimilés aux enjeux nationalistes.
On a assisté également, pour la première fois dans l'Histoire (si l'on excepte l'épisode
ancien de l'Espagne musulmane), à l'apparition de communautés musulmanes importantes en
Europe occidentale (notamment en Belgique, au Royaume-uni, en Allemagne, en France où
l'islam est aujourd'hui la deuxième religion derrière le catholicisme — avec des taux de pratique
bien supérieurs); il s'agit de populations issues des anciens Empires coloniaux et venues par le
biais de l'immigration, surtout dans les années 1950 à 1970. En revanche, il n'y a rien eu de
1 Dans certaines régions des populations christianisées à l'époque coloniale, et favorisées par les
colonisateurs, ont été marginalisées à l'indépendance, sans pour autant être expulsées: je pense notamment aux
Moluquais d'Indonésie. Cependant, dans les années 1990 la situation des Moluquais chrétiens s'est à son tour
aggravée: les agressions se multiplient de la part des musulmans locaux, avec la complicité des forces armées et
de la police indonésiennes.