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l’antimachiavélisme
iii
-, Moscherosch qualifiait le prince par la
double image du loup (pour la force) et du renard (pour la ruse).
Jouant sur l’attrait récent pour les arcana imperii – quant bien
même cette doctrine avait été élaborée en réaction à
Machiavel -, il introduisait son lecteur dans les chambres du
pouvoir. La première salle du gouvernement était tapissée de
manteaux multicolores, cousus à l’extérieur de fourrures mais
garnis à l’intérieur de doublures dépravées de loup et de renard ;
tous arboraient de grandes maximes : Bonum Publicum, Salus
Populi, Conservatio Religionis, etc. Mais leur usage et
mésusage quotidiens les avaient tant décousus qu’elles ne
tenaient plus que par le fil de l’intentio, par lequel on faisait
passer la haine, l’envie, la faveur, les présents et la jouissance
pour de l’amitié. La deuxième salle était décorée de masques si
finement coloriés qu’on les aurait pris pour des visages
humains ; parés des mots Simulatio, Calumnia, Ius Iurandum et
Fucus et utilisés lors des entrées et des mascarades princières,
ils servaient à extorquer des contributions de guerre et à
tromper les sujets. La troisième salle contenait tous les outils du
barbier, les jabots par lesquels on coupait les contributions, la
lessive acide avec laquelle on punissait les chefs rebelles et on
tourmentait le Saint Empire comme l’avaient dix années durant
la France et la Suède. Enfin, on avait rangé dans une armoire les
lunettes de l’Etat par lesquelles on pouvait transformer
l’apparence, la taille et la couleur des objets
iv
. La politique non
seulement était du ressort du feint, mais transformait aussi la
réalité en apparence trompeuse ; elle semblait rapprocher l’un
de l’autre le mensonge de la vérité. Ce qu’on rejetait dans la
« raison d’Etat », considérée à ce point ennemie que le terme
était ostensiblement écrit en français, c’était un nouveau statut
de la vérité.
La raison d’Etat était en effet incarnée par le courtisan
« à la mode » (Alamode), brillant de la séduction du monde,
attifé d’une accumulation de signes (les vêtements, les
mimiques et les locutions français). Tirant sa force d’un
discours où il se mettait en représentation, il avait une pensée
sans cesse autre, sans commencement ni fin ; son discours, qui
jamais ne faisait retour sur lui-même et jouait incessamment sur
l’illusion, dissolvait toute vérité absolue. Derrière la satire du