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Web 18 Fiche 18.1
LA PROPHYLAXIE ANTI-INFECTIEUSE
J.-C. LIÉBART et L. PAOLOZZI
La surveillance du développement de populations microbiennes est une nécessité pour la qualité
de notre vie, non seulement pour éviter les risques d’infections par des pathogènes, mais aussi
pour éviter des contaminations des aliments et boissons, frais ou conservés, ou des
médicaments, ce qui risquerait de les détériorer ou de les rendre toxiques. L’ensemble des
mesures préventives visant à empêcher l’apparition, la réapparition ou la propagation des
maladies infectieuses constitue la prophylaxie anti-infectieuse. Ces mesures sont de grande
importance dans les salles opératoires, les laboratoires de microbiologie médicale, les industries
pharmaceutiques et alimentaires, en particulier celles des conserves. Les processus industriels
de fermentation, d’autre part, peuvent être compromis dans leur rendement et/ou leur qualité à la
suite de contaminations non désirées. La surveillance microbienne peut être assurée selon les
cas soit en limitant la croissance des micro-organismes à travers des procédures d’inhibition,
soit alternativement en prévenant la présence de contaminations éventuelles ou, dans d’autres
cas, en les détruisant par stérilisation. Les moyens pour assurer ces buts sont respectivement la
désinfection, l’antisepsie et la stérilisation.
LA DÉSINFECTION ET L'ANTISEPSIE
La désinfection se réfère à la destruction, l’inhibition ou simplement la suppression des micro-
organismes pathogènes présents sur tous matériaux et objets avec lesquels nous sommes en
contact quotidien, de manière à annuler leur potentialité infectieuse. Cette action ne comporte
pas nécessairement l’élimination de tous les micro-organismes présents, mais surtout
l'élimination, ou au moins la réduction de charge, des pathogènes. Les désinfectants sont
généralement de nature chimique et leur utilisation est souvent réservée à tout ce qui est
abiotique. Ce ne sont pas nécessairement des agents de stérilisation ; en effet, leur application ne
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fait que réduire la population bactérienne exposée et non la détruire entièrement, comme dans le
cas de la stérilisation, et ils sont inactifs sur les spores. Proche de la désinfection est
l'assainissement, qui consiste à réduire la population microbienne dans les instruments utilisés
pour l’alimentation à un niveau considéré comme dépourvu de risque pour la santé.
L'élimination des micro-organismes présents sur un tissu vivant (peau, muqueuse saine ou
lésée) est dite antisepsie. Les agents utilisés, des antiseptiques, doivent être le plus possible
dépourvus de toxicité. Il s’agit de substances chimiques à usage topique, appliquées sur la
surface à protéger, pour tuer d'éventuels micro-organismes pathogènes, ou inhiber leur
développement ; son but est donc strictement préventif. Les agents antiseptiques doivent être
capables de détruire ou au moins d'inhiber la croissance, des pathogènes, en réduisant en même
temps la population totale présente. Étant donné que ces produits ne doivent pas causer de
destruction (au moins excessive) des tissus de l’hôte à traiter, les antiseptiques en usage sont
moins toxiques que les désinfectants, qui sont utilisés sur des matériaux abiotiques.
EFFICACITÉ DES MESURES DE DÉSINFECTION ET DANTISEPSIE
L’efficacité d’une mesure de désinfection ou d’antisepsie est liée à de nombreux facteurs,
comme la dimension de la population microbienne à traiter, les micro-organismes présents, la
concentration ou l'efficacité de l’agent anti-microbien utilisé, la durée d’exposition, la
température, et toutes autres conditions définissant l’environnement où résident les micro-
organismes.
L’efficacité d’un même anti-microbien varie suivant le type de micro-organismes à traiter.
Par exemple Mycobacterium tuberculosis est bien plus résistant à ces agents que d’autres
bactéries. Les spores sont toujours plus résistantes que les cellules végétatives dont elles
dérivent.
La mortalité d’une population bactérienne en fonction de l’exposition à un agent anti-
microbien suit une loi de décroissance exponentielle, c’est-à-dire que le taux de mortalité par
unité de temps est constant. Autrement dit, une augmentation de la durée d’exposition entraîne
une augmentation du nombre des micro-organismes inactivés.
Généralement, dans un certain intervalle, l’efficacité est fonction de la concentration de
l’agent antimicrobien. Mais ceci n’est pas une règle générale. Ainsi l’éthanol est plus efficace à
70 % qu’à 95 %, car la présence d’eau, en ralentissant son évaporation, maintient plus
longtemps son activité bactéricide.
L’augmentation de la température, encore dans certaines limites, favorise l’efficacité des
antimicrobiens.
De nombreuses autres conditions environnementales, pH, humidité, présence de substances
organiques qui assureraient une protection aux micro-organismes, sont autant de facteurs qui
définissent l’efficacité des désinfectants et des antiseptiques.
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CATÉGORIES MOLÉCULAIRES DOUÉES DACTIVI ANTI-
MICROBIENNE
De nombreuses catégories moléculaires sont douées d’activité bactéricide, anti-fongique ou
antivirale. Ce sont notamment les phénols et leurs dérivés, les alcools, les produits halogénés,
les métaux lourds, les composés quaternaires de l’ammonium et les aldéhydes. L’activité anti-
microbienne de ces molécules est liée, selon leur nature, à leur capacité à solubiliser les lipides
ou à dénaturer les protéines, ou encore à leur propriété d’oxydation, d’alkylation, d'ioduration
des résidus tyrosine, de combinaison avec les groupes -SH, ou d'interaction avec les
phospholipides. Il existe environ 360 spécialités pharmaceutiques à activité antiseptique,
formant une dizaine de classes sur la base de leur principe actif. Les classes principales sont le
phénol et ses dérivés, les biguanides (chlorhexidines), les produits halogénés, les alcools, les
tensioactifs, la diamidine et les oxydants (tab. F18.1-1)
Les phénols et dérivés
Le phénol est le premier agent à la fois désinfectant et antiseptique. Son utilisation fut introduite
en 1867 par Joseph Lister pour réduire les risques d’infections chirurgicales (Encart F18.1-1).
Ce produit, et ses dérivés, dégradent les protéines et désagrègent les membranes. Ils restent
actifs longtemps après leur application. De nombreux dérivés phénolés sont utilisés comme
désinfectants dans les hôpitaux. Leur activité contre les germes tuberculeux est importante.
L’hexachlorophène est particulièrement efficace contre la flore bactérienne cutanée.
Encart F18.1-1 - Joseph Lister et l'introduction de mesures d'asepsie
On the Antiseptic Principle of the Practice of Surgeryest une publication de Joseph Lister,
chirurgien et naturaliste anglais, parue en 1867 dans la revue The Lancet. Dans cette publication
Lister jette les bases de l’antisepsie moderne. Profond admirateur et ami de Pasteur, Lister a
écrit deux ans auparavant: "Quand les recherches de Pasteur eurent montré que l'atmosphère
était septique, non à cause de l'oxygène ou autre constituant gazeux, mais du fait d'organismes
minuscules qui s'y trouvent en suspension, j'eus l'idée qu'on pouvait éviter la décomposition des
régions blessées sans supprimer l'air, en leur appliquant comme pansements une substance
capable de détruire la vie des particules flottantes." Les mesures inventées par Lister, qui eurent
vite un retentissement mondial, consistaient à appliquer des couches de gaze trempées dans des
solutions phéniquées (appelées traitement de Lister) sur les blessures, ou comme pansements en
général. En traitant les instruments chirurgicaux ainsi que les blouses au phénol, Lister parvint,
en 1869, à réduire le taux de mortalité opératoire de 60 à 15 %. En 1870, il ajoute, pendant
l’opération, des pulvérisations phéniquées dans la salle opératoire et sur le personnel. En 1871,
il invente le drainage des plaies infectées. À cette date, il fut appelé pour soigner un abcès à
l’aisselle de la reine Victoria. La guérison fut obtenue après incision de la plaie et drainage par
un tube de caoutchouc imbibé d’une solution phéniquée.
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Tableau F18.1-1. Principales familles d’antiseptiques et leur spectre d’action.
Gram+
Gram-
Myco-
bactéries
Levure
Spores
Virus
enve-
loppés
Virus
nus
Pox-
virus
HALOGÉNÉS
Iodés/Chlorés
+++
+++
+++
++
++
++
++
BIGUANIDES
Chlorexidine
+++
++
+ / -
+
0
+ / -
0
ALCOOLS
Éthylique 70 %
Isopropylique
++
++
0
+
0
+
+ / -
TENSIO-ACTIFS
Ammoniums
quaternaires
+++
+
+ / -
+
0
?
0
DIAMIDINE
Hexamidine
+
0
0
+
0
0
0
CARBANILIDES
Triclorban
++
+ / -
0
0
0
DÉRIVÉS
MÉTALLIQUES
Nitrate d'Ag
Sulfates de Cu, de
Zn
+ / -
+ / -
0
0
0
0
0
DÉRIVÉS
MERCURIELS
+
+
0
+
0
0
0
OXYDANTS
Peroxyde
d’hydrogène à
10 vol
+
++
?
+ / -
+
+ / -
0
Activité forte, +++, moyenne, ++, faible +, nulle, 0.
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Les alcools
Ce sont les produits les plus utilisés comme désinfectants et comme antiseptiques. Leur activité
est bactéricide et antifongique, mais ces produits n’agissent pas sur les spores. Ils peuvent en
outre être actifs sur certains virus dont l'enveloppe contient des lipides. Ils agissent en
dénaturant les protéines, et peut-être par leur capacité à dissoudre les lipides membranaires. Les
plus utilisés sont l’éthanol et l’isopropanol, généralement à une concentration d'environ 70-
80 %.
Les dérivés halogénés
L'iode se combine de façon irréversible aux protéines (par exemple ioduration des résidus
tyrosine) et agit comme oxydant. La teinture d’iode (solution hydro-alcoolique à 2-7 % en I2)
contenant du KI est un bon antiseptique pour la peau en cas de petites blessures, mais
l'application peut être douloureuse et provoquer des lésions des tissus traités. Sous forme
d'hypo-iodure il est utilisé pour l’hygiène des surfaces (industries alimentaires et de
restauration).
Le chlore sous forme d’hypochlorite est un puissant oxydant. À une concentration de 1-3 ppm
il est utilisé pour la désinfection de l’eau potable et des piscines.
D’autres oxydants comme l'eau oxygénée, H2O2, à 3 %, ont été autrefois très utilisés, mais la
sensibilité bactérienne à ce produit est très variable.
L’oxyde d’éthylène
L’oxyde d’éthylène est présent généralement sous forme de gaz à température ambiante mais
peut être aussi liquide. Cette molécule a de nombreuses utilisations industrielles (solvant des
graisses et des huiles ; fabrication d’antigel et beaucoup d'autres applications). Ce gaz étant très
peu interactif avec les matières premières utilisées dans les applications médicales, il est utilisé
pour stériliser les instruments et matériaux qui seraient détériorés par la stérilisation à la chaleur
tels les cathéters, fibres optiques, instruments télescopiques, caoutchouc, tentes à oxygène. Les
objets à stériliser sont placés dans des enceintes fermées contenant une atmosphère d’oxyde
d’éthylène gazeux, puis remis à l’air avant d’être réutilisés. Ce produit est aussi utilisé pour la
stérilisation de matériel de laboratoire jetable (boîtes de Petri, pipettes, seringues, etc.).
Ce système efficace de stérilisation est toutefois dangereux pour l’environnement, car ce gaz
est un puissant explosif, qui est d'autre part dangereux pour la santé de l’Homme et des
animaux. Chez l’Homme il provoque des irritations des yeux, de la peau, de la muqueuse
nasale, des réactions allergiques, des troubles de l’appareil digestif, des effets sur le système
nerveux central. L’exposition à long terme ou chronique peut être cause de mutations et de
tumeurs, Pour toutes ces raisons, l’utilisation de l’oxyde d’éthylène nécessite un personnel
qualifié, un contrôle permanent de la sécurité des systèmes employés au cours de son utilisation
et un monitorage permanent des éventuelles fuites dans les lieux de travail.
L’ozone (O3)
L’ozone est un gaz produit par l’oxygène exposé au rayonnement UV ou soumis à des
décharges électriques à haut voltage. L’ozone est peu stable, et relâche un radical O., qui est
l'agent de désinfection et de décontamination. Cette molécule, grâce à son potentiel élevé
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