Retrouver notre unité avec la nature

publicité
12
Bible
RÉFORME NO 3634 • 26 NOVEMBRE 2015
ÉCHOPSYCHOLOGIE (4). Répondre en profondeur à la crise écologique implique de nous « re-naturer », car tout ce que nous faisons à la
nature, nous le faisons à nous-mêmes et nous laisse sourds aux gémissements de la Création.
Retrouver notre unité avec la nature
L
Humain, humus
Répondre en profondeur à la crise
écologique nous enjoint à dépasser ces deux manières de voir et les
impasses auxquels leur opposition
conduit. Une troisième voie – « cosmothéanthropique » (Raimon Panikkar) – est possible, fondée sur une
relation dynamique et équilibrée entre
l’humain, le cosmos et Dieu, lequel est
le centre caché de toutes choses. Dans
cette perspective, la première tâche
À NOTER
Écothéologien
orthodoxe, sociologue
et responsable d’ONG,
Michel Maxime Egger
est l’auteur de La Terre
comme soi-même.
Repères pour une
écospiritualité et
Soigner l’esprit, guérir
la Terre. Introduction
à l’écopsychologie,
tous deux chez Labor
et Fides. Il anime
le réseau
www.trilogies.org
L’homo economicus
actuel est
conditionné
par un milieu
de vie urbain
© ALBERT HUBER
a perception de ce dont nous
sommes capables est liée à notre
sens de qui nous sommes »,
déclare l’écopsychologue
Joanna Macy. Pour effectuer le changement de paradigme nécessaire à la
transition écologique, il convient de
changer notre regard. Non seulement
sur la nature, mais aussi sur l’être
humain et sa place dans la Création.
Dans le débat écologique, les positions
oscillent entre deux pôles : l’anthropocentrisme et le biocentrisme. Dans le
premier, consacré par la modernité
occidentale et présent de manière plus
ou moins prononcée dans la tradition judéo-chrétienne (Gn 1,28), l’être
humain apparaît comme le gestionnaire
d’une nature objet dont il est séparé et
qu’il domine. Au risque de s’autodéifier,
de devenir dé-naturé et « hors-sol », à
l’instar de l’homo economicus actuel
conditionné par un milieu de vie urbain,
une éducation centrée sur la rationalité
logique et des technologies qui virtualisent le réel. À l’autre pôle, représenté
par certains courants de l’écologie profonde, le biocentrisme voit l’humanité
comme une simple composante parmi
d’autres de la nature. Une espèce perturbatrice d’ailleurs, au point que la
nature se porterait mieux si elle en était
débarrassée.
est de nous « re-naturer » (Jean-Marie
Pelt), de retrouver notre unité perdue
avec la nature. Dans « humain », il y a
« humus », la terre. La même racine se
retrouve dans l’humilité. Cette vertu
nous convie à reconnaître que la Terre
n’est pas seulement notre environnement, mais notre origine, notre matrice
et notre destin. Ainsi que le soulignent
les écopsychologues, la notion de « moi
séparé » est une « terrible illusion » et un
« grand mensonge ». La coupure avec
la nature n’est pas un état fondamental
de l’être, mais un sentiment subjectif
qui est la manifestation de l’ego dans sa
volonté de contrôler le monde extérieur
ou de s’en protéger.
Nous sommes, disent les scientifiques, poussières de terre et d’étoiles.
Nous sommes également, affirme la
tradition judéo-chrétienne, enfants du
même Père créateur. À travers cette origine partagée, toutes les créatures sont
nos « frères » et « sœurs », ainsi que le
proclame François d’Assise dans son
célèbre Cantique des créatures. La notion
de microcosme – chère notamment aux
Pères de l’Église – exprime bien cette
appartenance à la même communauté
biotique. On en trouve les fondements
dans le récit symbolique de la Genèse :
Dieu façonne l’être humain en dernier
– comme une forme de récapitulation –
à partir de la glaise et le même jour
que les animaux. Non seulement nous
sommes partie intégrante du cosmos,
mais – en tant que produit de l’histoire
de l’évolution – nous portons en nous
Imago mundi et imago Dei
Le pape François, dans sa belle encyclique Laudato Si,
invite à ne pas tomber dans le piège du biocentrisme. Car
si l’être humain est bien un « animal terrestre », il n’est
pas que cela. Selon la tradition biblique, il n’est pas seulement un microcosme, mais aussi un microthéos : un être
« céleste », créé à l’image de Dieu, doué d’une intelligence
autoréflexive, d’un pouvoir créateur et d’une capacité de
liberté qui lui confèrent un statut particulier par rapport aux
autres espèces. Il a ses racines dans les cieux, une âme
spirituelle, une conscience capable de transcender la matière et de l’élever vers les plus hautes sphères de l’Esprit.
Il n’a pas seulement un corps et une âme, mais aussi un
esprit ou intellect spirituel qui le rend « capable de Dieu »
(saint Augustin), de saisir la Création et tous les éléments
qui la composent dans leur essence, mystère et dimension
sacrée. À la fois image du cosmos et image de Dieu, nous
sommes des « êtres-frontières », affirme Grégoire de Nazianze (IVe siècle). Nous appartenons – par notre constitution – à deux ordres de réalité entre lesquels nous sommes
appelés à être des médiateurs ou des traits d’union : le
visible et l’invisible, le temporel et l’éternel, la terre et les
cieux. Cette condition de pont définit notre vocation. Elle ne
nous donne aucune supériorité ontologique sur le reste de
la Création, mais une responsabilité particulière : participer
à la transfiguration du monde (plutôt qu’à sa défiguration) à
M. M. E.
travers notre propre transfiguration.
tous les degrés d’existence ainsi que les
trois règnes (minéral, végétal, animal)
du monde naturel.
La nature est donc inscrite au plus profond de notre corps et de notre âme. Avec
sa vie et son organisation, ses structures
bio-physico-chimiques, ses saisons, ses
alternances entre le jour et la nuit. Mais
aussi, avec sa psyché – les scientifiques
parlent aujourd’hui de psycho-matière,
une matière douée de conscience. Au
plan le plus profond, notre psyché n’est
pas seulement liée à nos parents et aux
générations qui nous ont précédés, mais
aussi à la Terre, cette autre mère dont
nous sommes nés, qui nous porte et
nous nourrit.
Selon les écopsychologues, nous
n’avons pas seulement un inconscient
personnel (freudien) et collectif (jungien), mais aussi un inconscient « écologique ». « Mémoire vivante de l’évolution
cosmique » (Theodore Roszak), celui-ci
est la strate la plus archaïque de la psyché
humaine, la racine de notre lien le plus
intime avec la vie, ce qui fait que nous
pouvons nous sentir « à la maison » dans
la nature sauvage.
« Notre identité
n’est pas seulement
individuelle
et sociale, mais
aussi cosmique »
Notre identité n’est donc pas seulement individuelle et sociale, mais aussi
cosmique. L’accomplir, c’est dépasser
les frontières de la famille humaine en
l’étendant spatialement à tous les êtres
de la biosphère dont nous sommes
interdépendants, et temporellement en
intégrant l’histoire de la planète dont
nous sommes issus et à laquelle nous
participons. Il résulte de cette unité
ontologique avec toute la Création une
profonde interdépendance et solidarité
– physique, énergétique, psychique et
spirituelle.
Ultimement, tout ce que nous faisons à
la nature, nous le faisons à nous-mêmes
et inversement. Plus notre conscience
de nous-mêmes inclura le monde naturel, plus les actions qui conduisent à sa
destruction seront vécues comme des
formes d’autodestruction.
À l’inverse, tant que nous n’aurons
pas acquis cette connaissance de notre
unité avec la Terre, nous resterons plus
ou moins sourds aux gémissements de la
Création et inaptes à répondre vraiment
à ses maux.•
MICHEL MAXIME EGGER
Téléchargement