C’est aussi la raison pour laquelle il s’agit d’exclure les navires étrangers ou neutres à moins
que des situations particulières ne s’y opposent. La seule navigation que la métropole peut
laisser aux mains de la colonie est celle qui la concerne directement à savoir le « cabotage le
long des côtes de chacune » (Forbonnais, 1796, I ; 358), la navigation entre les colonies
nationales et celle existant entre la colonie et les colonies étrangères (Forbonnais, 1796, I ;
359). Mais, dans ces différents cas, la marine coloniale reste essentiellement pensée comme
dépendante et soumise aux volontés de la métropole.
Pour assurer la prédominance de la marine nationale, il s’agit en outre de veiller à sa
compétitivité. L’objectif est ainsi de limiter les coûts de transport en trouvant tout d’abord des
moyens pour limiter les coûts du travail dans cette branche. Est ainsi justifié l’emploi d’une
main-d’œuvre servile voire même la promulgation d’une loi obligeant « d'employer dans leurs
vaisseaux un certain nombre d'esclaves par nombre de tonneaux, afin que la métropole ne
perde pas trop long-temps de vue une si grande multitude de matelots, et que les salaires ne
renchérissent pas à l'excès. » (Forbonnais, 1796; I, 360). Les coûts de l’assurance maritime
doivent eux aussi être réduits pour participer à l’abaissement du coût du fret de la marine
nationale. Ceci explique la position pragmatique de Forbonnais dans l'Essai sur l'admission
des navires neutres dans nos colonies qui paraît en 1756. Alors qu’il était favorable au
monopole de la métropole vis-à-vis de la navigation coloniale, il déroge à ses positions se
faisant favorable au commerce effectué par des navires neutres. Cet écrit de circonstance,
répondant à une commande (voir Alimento, 2011 ; 62, Forbonnais, 1756 ; 75), cherche à
« concilier la loi qu'impose une nécessité passagere, avec la facilité d'un prompt retour vers
des principes ordinaires. » (Forbonnais, 1756 ; 5). L’essai fait en effet suite aux attaques
anglaises perpétrées traîtreusement en 1755 contre la marine française qui perdit en quelques
semaines dans l’Atlantique 300 navires et 8 000 marins expérimentés (Chaline, 2004, 25). Ces
évènements générèrent une augmentation des coûts d'assurance (Alimento, 2011 ; 62) et par
extension des coûts de transport de nature à limiter les échanges entre les colonies la
métropole. Dans cette perspective, les colonies françaises risquaient d'être coupées de la
métropole provoquant à la fois l'appauvrissement des planteurs coloniaux, mais aussi des
acteurs économiques métropolitains. L'admission de navires neutres était donc de nature à
pallier les conséquences économiques désastreuses du renchérissement du coût des assurances
et du fret. Ceci contribuait également à favoriser la marine des Provinces-Unies au détriment
de la Grande-Bretagne tout en les incitant à obtenir leur indépendance militaire par rapport à
l'Angleterre et à rejoindre la ligue des nations neutres établie en 1756 par le Danemark et la
Suède sous l'influence de la France (Alimento, 2011 ; 64-65). L’idée de Forbonnais était donc
de trouver un moyen pragmatique pour que les colonies continuent à stimuler la croissance
économique nationale et pour que la France ne soit pas distancée par l'Angleterre. Il s’agissait
en outre de maintenir l'équilibre politique de l'Europe. Une telle position n'était en outre que
provisoire et ne devait durer que le temps nécessaire à la France pour reconstituer sa marine
(Forbonnais, 1756 ; 13).
Nous percevons que les écrits de Forbonnais s’inscrivent dans la lignée des analyses du
XVIIIe siècle faisant reposer « la consolidation des colonies (…) sur l’idée que ces dernières,
tant sur le plan économique que politique, peuvent profiter avant tout à la métropole, en raison
notamment de la complémentarité des relations commerciales et de l’impact du rayonnement
politique » (Clément, 2009 ; 101-102). C’est la raison pour laquelle, selon Forbonnais, il
incombe à l'Etat de fonder des colonies et d’encadrer l’émigration coloniale (Forbonnais,
1796; I, 361).