éditorial Virologie 2007, 11 : 91-5 Virus et insectes : relations multiples et variées F. Rodhain Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Professeur honoraire à l’Institut Pasteur, Paris L es virus existent depuis longtemps ; depuis toujours serait-on tenté de dire. Ils sont aussi anciens que les premières formes de vie apparues sur terre, aussi vieux que l’ADN disent certains. Les « espèces » virales sont nombreuses, même si nous ne pouvons pas aujourd’hui en connaître le nombre réel. Les insectes, eux aussi, sont très anciens : ils existent depuis au moins 400 millions d’années (Dévonien), les premières formes ailées (donc déjà évoluées) datent de 290 millions d’années (Carbonifère). Les insectes sont très nombreux : ils représentent aujourd’hui plus de 80 % des formes animales vivantes connues. Mais surtout le nombre des individus est énorme ; certains estiment qu’il y aurait au moins 1018 individus d’insectes sur terre, soit 2 milliards pour 1 homme ! Dès lors, comment imaginer que les virus et les insectes ne se soient pas rencontrés de multiples fois et qu’ils n’aient pas noué des relations plus ou moins durables ? Les différents systèmes virus-insectes doi: 10.1684/vir.2007.0083 Les premières relations entre les virus et les arthropodes ne datent donc pas d’hier, et les transmissions de virus par insectes pourraient remonter à quelque 200 millions d’années [1]. Quoi qu’il en soit, on observe aujourd’hui que les systèmes virus-insectes ont pris des aspects extrêmement variés : – il peut parfois s’agir de virus simplement hébergés et donc conservés et transportés, par des insectes ; – le virus peut parfois entraîner des troubles chez son insecte-hôte et afficher ainsi une « entomopathogénicité » (par ex. : les agents des polyédroses ou de granuloses d’insectes) ; – à la frontière de la pathogénicité, on peut parfois observer, chez l’insecte-hôte, une modification physiologique à la suite de l’infection (par ex. : le cas du virus Matsu ou des Rhabdovirus comme sigma et bien d’autres, qui confèrent une sensibilité inhabituelle au CO2, ou celui des virus responsables d’un dérèglement du sex-ratio de la descendance, etc.) ; – il existe, par ailleurs, des virus d’invertébrés, en particulier d’insectes, qui sont transmis par d’autres insectes. C’est le cas des associations particulièrement complexes impliquant d’une part des hyménoptères ichneumonides ou braconides endoparasitoïdes et des Polydnavirus (Ichnovirus, Bracovirus) ou des Ascovirus, et des insectes-hôtes, le plus souvent des chenilles de lépidoptères, d’autre part [2]. Ces virus, hébergés, génération après génération par les guêpes et injectés par elles, avec leurs œufs, dans les insectes-hôtes, interagissent avec la régulation endocrinienne des mues et inhibent le système immunitaire, permettant ainsi le développement des larves d’hyménoptères dans le corps des chenilles qui ne se défendent plus. Ces virus constituent ainsi des vecteurs de transfert d’informations génétiques destinées à rendre l’hôte tolérant vis-à-vis du parasite [3, 4] ; – des virus de végétaux sont souvent transmis par des vecteurs [5]. Les végétaux étant des organismes immobiles, beaucoup de leurs virus sont disséminés par des insectes, notamment des homoptères (pucerons, cochenilles, cicadelles, etc.), mais aussi des coléoptères, des lépidoptères, etc. ; Virologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007 91 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. éditorial – et, bien sûr, un grand nombre de virus de vertébrés sont également transmis par des insectes vecteurs. Les premiers « arbovirus » remonteraient à quelque 150 millions d’années. On dit qu’aujourd’hui, plus de 70 % des virus de plantes et quelque 40 % des virus de mammifères ont des arthropodes comme vecteurs [6]. Il faut bien percevoir ce que ces classifications ont d’artificiel ; nous observons de nombreux intermédiaires entre ces catégories. Ainsi : – des effets pathogènes sont parfois entraînés par des arbovirus, même chez leurs vecteurs habituels ; certains arbovirus (comme les Bunyavirus du groupe California) peuvent induire une sensibilité au CO2 chez les moustiques ; – des arbovirus, dont le mode de transmission habituel est vectoriel, peuvent, dans certaines circonstances, être transmis par d’autres voies. Pour certains arbovirus, comme le virus de la stomatite vésiculaire des ruminants, on discute encore du mode le plus efficace de transmission : par vecteur hématophage ou par des sauterelles ingérées par inadvertance ? – certains virus, comme les Phlebovirus des phlébotomes, se maintiennent dans les populations d’insectes par transmission verticale et ne passent qu’occasionnellement sur vertébrés : ils se situent à la frontière des arbovirus ; – et se pose également la question de la transmission mécanique de virus, par exemple lors de repas interrompus. Ici, le virus ne subit aucune réplication chez l’insecte qui n’est, en fait, qu’un transporteur. Peut-être est-ce le cas pour le virus de la leucose bovine chez les tabanides, ou encore celui de l’anémie infectieuse des équidés (Retroviridae, Lentivirus) avec les stomoxes ou les tabanides. Mais il existe aussi des virus de plantes disséminés par des pollinisateurs et, inversement, des virus de pollinisateurs passent d’un insecte à l’autre grâce aux fleurs visitées qui agissent en tant qu’agent contaminant passif. Et cela dure depuis quelque 160 millions d’années ! – et que dire des virus infectant des protozoaires qui, euxmêmes, se développent à l’intérieur d’insectes (par ex. : virus de leishmanies) ou des virus trouvés dans des rickettsiales (RLO : rickettsia-like organisms) présentes dans les cellules épithéliales du tube digestif des glossines ? En outre, non seulement des familles, bien que monophylétiques, peuvent comprendre des arbovirus et des « nonarbovirus » (par ex. : Flaviviridae), mais certaines, comme les Rhabdoviridae, comprennent à la fois des virus d’insectes (sigma), des virus de vertébrés (virus de poissons, virus rabique... certains, comme le VSV, étant transmis par insectes) et même des virus de plantes, également transmis par insectes [7]. Manifestement arbitraires, les frontières établies par les chercheurs sont floues et évolutives. Nous pouvons observer toutes les situations intermédiaires entre les dif92 férentes catégories et, d’ailleurs, par le jeu de l’évolution, certains virus sont passés de l’une à l’autre. Quoi qu’il en soit, les relations virus-insectes constituent, on le voit, un énorme champ de recherche. Sur un plan très pratique, les insectes sont devenus des animaux de laboratoire. On sait que les arbovirologistes utilisent depuis longtemps des insectes, ou encore des cultures de cellules d’insectes, pour isoler des virus à des fins diagnostiques ou de recherche. Par ailleurs, on cherche bien entendu à utiliser les virus entomopathogènes comme agents de lutte biologique contre les insectes « nuisibles » (ravageurs de cultures ou de forêts, tordeuses, phylloxera ou vecteurs de maladies). Chacun connaît bien, également, l’intérêt que présentent, pour les biologistes, certains virus d’insectes, comme les Baculovirus, en matière de transgenèse. Sur un plan plus fondamental enfin, n’oublions pas que la tolérance conférée par des virus aux chenilles qui se laissent progressivement dévorer par des insectes parasitoïdes est un phénomène sur lequel se sont penchés de célèbres entomologistes comme Réaumur ou Dufour, notamment dans le cadre du grand débat sur la génération spontanée et la transmutation des espèces [8]. Quelques aspects du fonctionnement des systèmes arbovirus-insectes Obligé de se répliquer dans une cellule vivante, un virus est un parasite. Cela signifie qu’il doit vivre et se maintenir dans un milieu physiquement discontinu, vivant, c’est-àdire mortel, qui se défend en développant contre lui des réactions de défense et qui est lui-même soumis à de fortes contraintes de la part de l’environnement. Cela dit, pour les arbovirus, l’intervention d’un insecte vecteur apparaît très intéressante. L’adoption de ce mode original de transmission leur permet de résoudre plusieurs des difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement pour assurer leur survie : la recherche d’un hôte vertébré et la pénétration dans cet hôte, la manière de quitter cet hôte ; le vecteur permet aussi d’éviter une perte de virus par dispersion dans le milieu extérieur. Il permet enfin la dissémination facile du virus à partir d’un hôte virémique qui n’a guère de contacts avec ses congénères parce que rapidement immobilisé par la maladie virale aiguë. Grâce à ses préférences trophiques qui ne sont pas toujours très strictes, le vecteur offre de multiples occasions de franchir les barrières d’espèce. De plus, il conserve longtemps le virus dans son organisme ; il peut même parfois le transmettre à sa descendance et jouer ainsi un rôle de réservoir naturel. Enfin, on estime que c’est surtout à son niveau qu’ont lieu les phénomènes de recombinaison et de réassortiment qui déterminent l’évolution des virus. En revanche, le virus doit être capable de survivre, de se répliquer, d’exprimer l’information génétique, alternativeVirologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. éditorial ment dans deux systèmes biologiques radicalement différents à tous égards. Il ne s’agit plus ici de franchir, de temps à autre, une barrière d’espèce mais d’établir, audessus d’un énorme fossé phylogénétique, un pont permanent et fonctionnant alternativement dans un sens et dans l’autre. L’écologie d’un arbovirus comporte donc deux niveaux ; le premier est son environnement immédiat : la cellule de l’hôte (une cellule nerveuse ou une cellule de l’épithélium intestinal d’un moustique par exemple) ; le second est l’environnement de son insecte-hôte et de son vertébréhôte ; c’est à ce titre que l’on peut parler d’un virus « tropical », « de forêt », etc. Nous connaissons aujourd’hui plus de 650 arbovirus. Ce nombre témoigne de leur succès évolutif. On en trouve dans diverses familles de virus : Togaviridae, Flaviviridae, Rhabdoviridae, Reoviridae, Bunyaviridae, etc. Parmi eux, plus d’une centaine sont connus pour être pathogènes pour l’espèce humaine et beaucoup d’autres le sont pour des animaux domestiques. Ces virus constituent, avec leurs hôtes vertébrés et leurs arthropodes vecteurs, des systèmes dont le fonctionnement se révèle extrêmement complexe. Une condition sine qua non, ou presque, pour qu’un virus puisse être transmis par un vecteur hématophage est de provoquer une phase de virémie chez le vertébré. Pour être efficace, cette virémie doit répondre à deux critères : elle doit être suffisamment élevée et suffisamment prolongée. Son titre déterminera les arthropodes qui pourront s’infecter (en fonction de la réceptivité de ces arthropodes vis-à-vis du virus en question) ; sa durée déterminera le nombre d’arthropodes réceptifs qui s’infecteront sur le vertébré infectant (c’est-à-dire le pouvoir amplificateur du vertébré pour le virus en question). Par la suite, chez l’insecte vecteur, les virions ingérés avec le sang pénètrent dans les cellules de l’épithélium de la partie postérieure du mésentéron, s’y répliquent, avant de déverser dans les espaces intercellulaires entre la couche épithéliale et la membrane basale ; ils infectent alors d’autres organes et s’y répliquent à nouveau. Une troisième phase de réplication, très intense, survient enfin dans les glandes salivaires (lobes latéraux surtout) et le virus est stocké dans les canaux salivaires, prêt pour être injecté lors du repas suivant. L’arthropode est alors dit « infectant ». Mais la notion la plus importante est ici celle d’incubation extrinsèque : la bonne réalisation de tous ces phénomènes demande du temps ; après s’être gorgé sur un vertébré virémique, notre arthropode ne sera infectant (c’est-à-dire que sa salive contiendra des virions) que 10 à 12 jours plus tard, cette durée étant variable suivant le virus, l’arthropode, les conditions d’environnement (en particulier la température). Pour les épidémiologistes, cela signifie que, pour avoir une bonne capacité vectorielle, l’insecte en Virologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007 question doit survivre suffisamment longtemps. Généralement, le début d’une épidémie a lieu au moment du pic des populations de vecteurs, alors que son acmé coïncide avec une population vectorielle en déclin mais composée d’individus âgés. Par ailleurs, dans certains systèmes, il peut exister une transmission verticale du virus, d’une génération à la suivante. Si la fréquence de ce phénomène est suffisante, le vecteur est alors aussi un réservoir de virus dont il peut assurer la maintenance sur place pendant des périodes défavorables à la transmission au vertébré, surtout s’il a des œufs durables. Il faut alors, en outre, qu’existe une transmission trans-stadiale. Enfin, il faut reconnaître que nous ne savons rien sur la transmission sexuelle des virus (transmission du mâle à la femelle lors de l’accouplement) dans la nature, un phénomène parfois observé au laboratoire. Quoi qu’il en soit, ces phases successives de développement viral dans l’organisme de l’arthropode sont susceptibles de constituer autant de barrières potentielles qui, lorsque l’une d’elles au moins est efficace, peuvent rendre le système non fonctionnel. Par exemple, si une barrière salivaire s’avère efficace, l’insecte infecté ne devient pas infectant ; il n’est pas vecteur. L’arthropode est alors dit « incompétent ». Il faut d’emblée retenir que, pour un virus donné, cette compétence vectorielle varie au sein d’une même espèce d’arthropode, selon les populations. Il ne s’agit pas d’une règle de « tout ou rien », de sorte que, pour un virus donné, différents vecteurs interviendront, avec des compétences vectorielles différentes : il y a des degrés dans la compétence. Il s’agit, en fait, d’une modulation de l’infection virale chez l’insecte, aboutissant à l’installation d’un certain état d’équilibre. Si la compétence est trop forte, il y a risque d’emballement du système qui serait alors trop efficace ; si elle est trop faible, on aboutit à l’arrêt de la transmission. C’est sur le terrain que l’on peut apprécier la seconde dimension de l’écologie des virus. Là, c’est la biologie de l’insecte vecteur qui va s’avérer déterminante pour comprendre les modalités de circulation du virus en question. Il faut connaître, entre autres, les préférences écologiques du vecteur, la dynamique de sa population, sa longévité, ses préférences trophiques, etc. L’ensemble de ces paramètres qui, généralement, varient avec la saison, va déterminer la capacité vectorielle de l’arthropode, qui est la résultante de la compétence et de l’action que tous les facteurs de l’environnement exercent sur elle. On conçoit bien que le rôle de l’insecte ne se limite pas à la simple transmission du virus. L’insecte sélectionne un ou plusieurs génotypes au sein de la population virale qu’il a absorbée, il assure aussi son amplification, son passage d’une espèce-hôte à une autre, sa maintenance dans le foyer, sa persistance durant l’hiver ou la saison sèche, et 93 éditorial même, en cas de co-infection, il permet les réassortiments ou les recombinaisons avec un autre virus, et donc l’évolution de la lignée. Le passage sur un vecteur inhabituel peut être, pour le virus, l’occasion d’ouvrir un nouveau cycle lui permettant d’émerger chez d’autres hôtes, dans un autre écosystème. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Les systèmes arbovirus-insectes non fonctionnels On connaît des ordres entiers d’insectes auxquels aucun virus ne paraît associé. Pourquoi certains ordres, comme les lépidoptères ou les hyménoptères, ou encore les diptères sont-ils porteurs de nombreux virus, alors que des groupes entiers paraissent indemnes de virus ? Peut-être seraient-ils seulement moins étudiés ? De nombreuses interrogations demeurent ainsi sans réponse. Il existe aujourd’hui quelque 15 000 espèces d’insectes hématophages, mais nous connaissons beaucoup d’hématophages qui ne transmettent rien. Pourquoi les glossines, les poux, les punaises, etc. ne sontils vecteurs d’aucun virus ? Pourquoi les virus des fièvres à phlébotomes qui circulent chez les rongeurs du bassin méditerranéen n’ont-ils pas pu s’associer à leurs puces ? Parmi les moustiques eux-mêmes, pourquoi existe-t-il si peu de virus à Anopheles alors qu’il y en a tant chez les Culex et les Aedes ? Évolution des systèmes arbovirus-vecteurs Il est très difficile de reconstituer l’histoire des relations virus-insectes ; pour ce faire, on pourrait imaginer de s’adresser aux meilleurs fossiles d’insectes que nous ayons, ceux qui sont emprisonnés dans l’ambre. Mais, nous n’avons malheureusement pas de virus fossiles. Un point certainement essentiel pour l’évolution des virus réside dans les taux très élevés de substitutions nucléotidiques observés chez les virus à ARN (de l’ordre de 10-2 à 10-4 par site et par an). Ce n’est certainement pas une coïncidence si la quasi-totalité des virus de végétaux et d’animaux transmis par insectes sont des virus à ARN, avec, pour certains, un génome segmenté. L’arthropode apparaît comme un site privilégié pour l’évolution des arbovirus car l’infection est persistante chez eux (elle y dure plus longtemps que chez le vertébré), surtout s’il existe une transmission verticale, et elle permet, grâce aux co-infections, des changements génomiques : recombinaisons homologues (entre deux variants d’un même virus) ou hétérologues (entre deux virus de même famille) et réassortiments. Les exemples sont nombreux. 94 Ainsi, on pense aujourd’hui que les Bunyavirus du groupe California se sont diversifiés en même temps que les Aedes qui leur servent de vecteurs, ce qui est en accord avec la spécificité observée au niveau de ces systèmes virusvecteurs. Pour les Alphavirus du complexe VEE, en revanche, dont les vecteurs sont des Culex du sous-genre Melanoconion, l’hypothèse la plus plausible paraît être une diversification résultant du passage sur un autre vecteur (switching), comme dans le cas du virus Everglades [9]. Un autre exemple nous est fourni par l’émergence du virus O’Nyong Nyong qui n’est vraisemblablement pas autre chose qu’un virus Chikungunya passé d’Aedes sur Anopheles, ce qui s’est traduit par la survenue d’une très importante épidémie en Afrique orientale en 1959 (plusieurs millions de cas). Si les circonstances font qu’un virus vient à passer par un vecteur qui n’est pas son vecteur habituel, il va avoir l’occasion d’infecter des hôtes vertébrés également inhabituels (cela dépend des préférences trophiques de l’arthropode), ce qui pourra entraîner l’établissement de nouveaux cycles. Les bio-invasions par des vecteurs, de plus en plus fréquentes, sont évidemment très favorables à de tels changements. Grâce aux co-infections chez l’insecte vecteur, l’apparition de nouveaux virus à génome non segmenté peut résulter de recombinaisons. L’exemple classique d’un tel mécanisme concerne le genre monophylétique des Alphavirus : il s’agit de l’apparition sur le continent américain, il y a un peu plus de 1 000 ans, du virus de l’encéphalite équine de l’ouest (WEE) par recombinaison entre celui de l’encéphalite équine de l’est (EEE) et le virus Sindbis (SIN) ou un virus proche de SIN [10]. Cette recombinaison hétérologue a certes pu se produire chez un hôte vertébré mais sa survenue chez un vecteur co-infecté est plus probable en raison de la longue persistance de l’infection virale chez l’insecte. Avec des virus à génome segmenté, une telle circonstance peut permettre des réassortiments. Au laboratoire, on sait réaliser cela depuis longtemps. En théorie, cette éventualité ne devrait pas être rare ; toutefois, dans la nature, un tel phénomène est freiné par l’existence de phénomènes d’interférence entre des virus proches, qui peuvent rendre l’insecte réfractaire à une surinfection après un certain délai. Impact des changements environnementaux On conçoit facilement que les systèmes virus-insectes soient sensibles aux changements environnementaux. Or, l’environnement change au gré des saisons, de manière cyclique. Mais, en outre, il se trouve aujourd’hui exposé à deux autres types de modifications, irréversibles celles-là : Virologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. éditorial les effets du changement climatique d’une part, ceux qui résultent des activités humaines d’autre part. Les systèmes virus-insectes en subiront de plein fouet les conséquences. Notre accroissement démographique et l’évolution socioéconomique de nos sociétés sont à l’origine de bouleversements de plus en plus profonds des milieux naturels : – disparition progressive des écosystèmes naturels ; – construction de barrages, adoption de nouvelles techniques d’élevage, mise en place de cultures irriguées ; – urbanisation, généralement mal contrôlée ; une évolution importante à cet égard est le développement de liens étroits entre l’homme et certains vecteurs comme Aedes ægypti, ce qui aboutit à l’émergence de cycles « domestiques », fonctionnant en milieu urbain et auxquels la totalité des individus se trouve alors exposée ; – extraordinaire développement, en fréquence comme en rapidité, des transports, reflet de la mondialisation, qui a aboli les barrières écologiques qui, autrefois, nous protégeaient. Les virus, les insectes, peuvent ainsi tester de nouveaux hôtes, de nouveaux environnements. Et certains nouveaux arrivants s’associent, les uns avec un virus existant sur place, les autres avec un insecte autochtone. La plupart ne persistent pas, mais quelques-uns toutefois réussissent à se maintenir (par ex. : le virus West Nile en Amérique) ; – changement climatique enfin, dont la réalité n’est plus contestable, qui affectera le fonctionnement des systèmes virus-insectes, avec des conséquences importantes en termes d’éco-épidémiologie, même si le nombre et la variété des interactions mises en jeu rendent les prévisions bien difficiles. Conclusion Généralement, lorsqu’il les a identifiés, l’homme ne voit pas d’un bon œil ces associations virus-insectes. Il les considère comme des « associations de malfaiteurs » et, lorsque ces systèmes sont considérés comme nuisibles économiquement ou dangereux pour la santé, il s’efforce de les détruire, le plus souvent en s’attaquant à la composante Virologie, Vol. 11, n° 2, mars-avril 2007 insecte. Pour ce faire, des outils assez grossiers ont tout d’abord été mis au point (insecticides), mais on peut imaginer d’autres moyens d’action, par exemple en cherchant à modifier génétiquement les insectes afin de les rendre non permissifs aux virus ou encore incapables de les transmettre. Pour différentes raisons, cela demeure difficilement utilisable sur le terrain. Il faudra, en tout cas, si l’on décide de recourir à de telles méthodes, procéder avec beaucoup de prudence et de discernement. On peut aussi chercher à utiliser un virus susceptible de constituer un agent de lutte biologique contre un insecte considéré comme indésirable. Cependant, que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, il n’y a sans doute pas lieu de se faire du souci pour le futur des virus d’insectes, dont le nombre doit être considérable : il en existera tant qu’il y aura des insectes. Or, malgré tous les efforts déployés par les hommes, nous ne sommes pas à la veille de voir disparaître les insectes. 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