MARIA BOUZIDI
LA REPRÉSENTATION DE L’ISLAM
AU QUÉBEC
Analyse de contenu de mémoires présentés
à la commission Bouchard-Taylor
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en sociologie
pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.)
DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE
FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2009
© Maria Bouzidi, 2009
Résumé
L’intérêt de cette étude a porté sur les difficultés culturelles d’intégration de la minorité
musulmane au Québec. En procédant à l’analyse de contenu de douze mémoires déposés à
la commission Bouchard-Taylor, en 2007, nous apprenons l’existence d’une représentation
très négative de l’islam et des musulmans. L’islam est perçu, en effet, comme
essentiellement violent, extrémiste et misogyne. De plus, il est associé à la quête de pouvoir
et au refus des idéaux de la modernité. Cependant, les critiques adressées à l’islam
représentent une invitation à la médiation sociale lancée aux musulmans. L’objectif
consiste à résoudre le conflit de normes qui oppose les sociétés d’installation occidentales à
l’islam, notamment en ce qui concerne le statut de la femme et le droit à la liberté de
religion. L’islam est convié de ce fait à construire en son sein une éthique pluraliste afin de
s’insérer dans l’environnement sécularisé de la société québécoise. Or, la représentation
sociale stéréotypée qui est proposée de l’islam, dans les mémoires analysés, ne favorise pas
la participation des musulmans à la médiation sociale. Par ailleurs, les individus rejettent le
catholicisme en tant que système de régulation des rapports sociaux, au même titre que
l’islam. Ils proposent une laïcité hybride pour le Québec, laïque et libérale, qui donne à voir
l’existence d’un rapport ambivalent à la religion. Le principe de l’égalité des sexes au
Québec est également affirmé. Il est envisagé comme un droit des femmes à disposer de
leurs corps.
ii
Remerciements
Toute ma reconnaissance va à Mesdames Andrée Fortin et Madeleine Pastinelli,
respectivement directrice et codirectrice de ce mémoire, pour avoir été toujours disponibles.
Leurs conseils judicieux, leur rigueur, leur patience, leur écoute, leur empathie et leur
indulgence m’ont aidée et soutenue plus que je ne pouvais l’imaginer.
Il faut dire que lorsque j’ai accepté la proposition de mon mari et compagnon de route,
Lahbib, de faire porter mon mémoire de maîtrise sur la représentation de l’islam au Québec,
j’étais loin de me douter que ce projet allait être pour moi autant une recherche qu’une
catharsis. Originaire du Maroc, j’ai immigré en compagnie de mon conjoint et de mes deux
enfants au Canada en 2004. Dès notre arrivée à Québec, nous avons vite compris qu’aux
grands sacrifices matériels et humains déjà consentis, il nous fallait en accepter d’autres
dont le retour aux études. Sans hésiter, nous avons entrepris cette nouvelle aventure qui
nous a, somme toute, grandis. Nous n’avons donc pas regretté notre aventure. Quelle ne fut
alors notre surprise d’entendre, dans les médias, les propos parfois extrêmement acerbes
tenus, lors des audiences de la commission Bouchard-Taylor, par certaines personnes,
envers ce qui nous a nourris toute notre vie, c’est-à-dire l’islam et sa culture, et a fait de
nous ce que nous sommes : des individus sans grande prétention sauf peut-être celle de
vouloir être utiles à eux-mêmes et à autrui. Aujourd’hui, après deux années de travail
acharné pour tenter de comprendre, je peux dire que j’ai surmonté le sentiment
d’amertume. Que mon conjoint soit ici remercié.
Par ailleurs, rien n’aurait été possible sans le sourire de mes filles, Rim et Aya, et l’agréable
présence de Zineb, Mustapha, Amal, Kamar, Jean-Nicolas, Khalil, Isabelle, Farah et bien
d’autres parents et amis.
Je voudrais enfin remercier le Centre de recherche en sciences humaines pour l’aide
financière qu’il m’a offerte. Grâce à sa générosité, j’ai pu me consacrer un peu plus à mes
études et un peu moins aux aléas de la vie.
Avant-propos
De prime abord, nous affirmons que cette étude n’a aucune prétention à l’objectivité, même
si cette dernière demeure l’horizon vers lequel nous tendons. En effet, nous faisons trop
partie de notre objet d’étude pour pouvoir nous en distancier vraiment. Mais, faut-il se
distancier complètement de notre objet d’étude, qu’il soit l’islam ou le Québec ?
L’empathie n’est-elle pas l’une des conditions pour bien comprendre les motivations des
individus et des groupes ? Mais, nous avouons que cette disposition de l’esprit, pour être
utile au chercheur, doit être assortie de travail rigoureux afin d’éviter les fausses pistes que
peut induire une trop grande propension à « se mettre à la place d’autrui » ou à faire
confiance à ses intuitions. Pour ce qui concerne le Québec, ce travail a pris pour nous des
allures d’enquête1 du fait que nous n’avons pas baigné dans la culture québécoise mais
l’avons adoptée.
Quant à notre rapport à l’islam, il est beaucoup plus compliqué. La culture arabo-
musulmane a fait de nous ce que nous sommes. Comme beaucoup de ceux qui proviennent
de l’islamité, nous avons avec cette culture qui nous a nourrie un rapport d’amour et de
haine, car nous voudrions la voir fleurir à nouveau tout en étant consciente qu’elle est
alourdie par beaucoup trop d’entraves. En désespoir de cause, nous la fuyons, comme tant
d’autres, tout en y restant viscéralement liée. Le temps et l’espace de nos rêves semblent
ainsi toujours être un peu à côté de ceux de notre réalité.
Pourtant, cette culture a façonné notre vision du monde, les concepts que nous utilisons
pour le cerner, concepts eux-mêmes empruntés peut-être à d’autres cultures qui leur ont
donné un sens avant de les exporter. L’un de ces concepts est sans doute celui d’Occident.
Dans le cadre de cette étude, ce concept est présent comme un arrière-plan qui donne son
sens au présent car le Québec fait partie de la culture occidentale. Mais comment traiter du
1 L’enquête aurait été incomplète si nous n’avions pas bénéficié de quelques précieuses discussions avec les
professeurs Jean-Jacques Simard, Raymond Lemieux et Anne Fortin qui ont généreusement répondu à nos
questions et nous ont même pointé quelques indices. Toutefois, nous assumons l’entière responsabilité des
fausses pistes ou des présomptions injustifiées que le lecteur ne manquera pas de débusquer.
iv
rapport de l’Occident à la religion sans tomber dans les clichés ? Car, il faut bien l’avouer,
le discours dans lequel nous avons baigné durant notre vie y prédispose.
L’Occident existe bel et bien pour les sociétés musulmanes. Bien entendu, la vision que les
individus peuvent avoir de cet autre varie selon les sociétés. Ces dernières possèdent
chacune un rapport particulier à ce qu’il est convenu d’appeler Al-Gharb (littéralement, là
où le soleil se couche, c’est-à-dire l’ouest), même s’il existe des similitudes. Mais au regard
de notre propos, la notion d’Al-Gharb a une histoire fort révélatrice. S’il y a toujours eu des
contacts dans le bassin méditerranéen, la dichotomie Chark (là où le soleil se lève)/Gharb
n’a pas toujours existé. Pour El-Husseini (1998), l’islam premier ignore le concept d’Al-
Gharb. Tout au plus est-il en interaction avec des éléments qui, bien plus tard, seront
associés abusivement à ce concept : la religion chrétienne, la chrétienté (les peuples et leurs
différentes Églises), et peut-être déjà certaines œuvres parvenues de la Grèce antique ainsi
qu’une image floue et plutôt défavorable des peuples habitant ce qui constitue aujourd’hui
l’Europe. Cette interaction s’intensifiera et se diversifiera avec le temps au point de fournir
des jalons historiques anté-occidentaux qui marqueront les rapports entre les deux
imaginaires Occident et Orient.
Cela dit, comme l’affirme El-Husseini, la culture d’où nous provenons endosse de manière
générale trop facilement la dichotomie Chark/Gharb comme un fait historique opposant
deux entités qui existent depuis des millénaires. Dans cet imaginaire, l’autre est réduit par
l’appellation même d’Al-Gharb, ce qu’elle dénote (L’Europe ? Les États-Unis ? Les non-
musulmans ? Les pays développés ?), et ce qu’elle connote (Mécréants ? Froideur ?
Matérialisme ? Manque de générosité ? Agression ? Arrogance ?) Comme catégorie
généralisante, une appellation de ce genre est commode car elle constitue un « fourre-tout »
où les nuances peuvent être gommées et où les préjugés peuvent s’installer permettant ainsi
aux individus d’avoir prise sur le monde qui les entoure. Mais, elle peut aussi induire en
erreur. Cela est aussi valable pour une notion comme celle d’Orient.
Mais, il y a toujours eu un Occident. Les récits mythologiques sur l’Occident remontent en
effet loin dans le temps du côté sud de la méditerranée. Mais, de quel Occident s’agit-il ?
Pour les Phéniciens, l’Occident c’était l’espace qui englobe l’Afrique du Nord actuelle.
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