Proceedings Chapter Le retour du roi. Littérature “apocalyptique” égyptienne et construction du Roman d'Alexandre MATTHEY, Philippe AUFRÈRE, Sydney (Ed.), MÖRI, Frédéric (Ed.) Abstract This paper proposes a reflection on the construction of the Alexander Romance and its Egyptian “apocalyptic” literary roots. As pointed out by various scholars, many different Egyptian influences can be felt throughout the Alexander Romance; for instance, the presence of a recurrent Egyptian motive, the advent of a just king chasing the impious foreigners and establishing once again the Ma’at. Interestingly enough, the figure of king Nectanebo played a prominent role in another literary text known as Nectanebo’s Dream, a fragmentary narrative conserved on a Greek papyrus from the second century BC (P. Leiden I 396), which can be completed by a handful of Demotic papyri (especially P. Carlsberg 424, 499 and 559). The story, as it can be reconstructed from these documents, belongs to the so-called apocalyptic or pseudo-prophetic Egyptian literature. Texts belonging to this kind of literature, for example the “Demotic” Chronicle, the Prophecy of the Lamb or (translated in Greek) the Potter’s Oracle, always follow the same narrative structure: a king who doesn’t pay the proper respect to the gods is [...] Reference MATTHEY, Philippe, AUFRÈRE, Sydney (Ed.), MÖRI, Frédéric (Ed.). Le retour du roi. Littérature “apocalyptique” égyptienne et construction du Roman d’Alexandre. In: Aufrère, Sydney & Möri, Frédéric. Alexandrie la divine. Sagesses barbares. Échanges et réappropriations dans l’espace culturel gréco-romain. Genève : La Baconnière, 2016. p. 145-190 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:82398 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Alexandrie la Divine Sagesses barbares ! ! HYPERION est chez Homère et Hésiode le nom du Soleil, « celui qui va au-dessus », et même au-delà, qui surpasse. Il signifie une exigence : de s’élever pour éclairer et rayonner. Ainsi l’entendit, au tournant du siècle des Lumières (Aufklärung) et des révoltes et élans libérateurs (Sturm und Drang) du romantisme, le grand poète allemand, Friedrich Hölderlin (1770-1843). Il en fit le récit d’une âme habitée par la splendeur de la Grèce antique et assoiffée d’absolu, de liberté et de beauté, qui se trouvait aux prises avec l’oppression et l’asservissement de son peuple. Comment habiter le monde en poète ? Comment « concevoir dans le Beau » (Diotima) un monde autre et tout ensemble réconcilié ? Comment donner à tous les êtres vivants l’innocence qu’on porte au plus intime de soi sans que jamais on cède à la violence qui la nie et la dégrade ? Comment vivre l’instant de la merveille d’amour pour y puiser la force de résistance à tous les désespoirs et les destructions ? Ces interrogations continuent de nous hanter quand l’horizon de l’Histoire et l’avenir de notre terre elle-même se chargent de ténèbres. Elles guident notre action, qui est, sous forme poétique, éditoriale et culturelle, un combat pour plus de lumière. Charles MÉLA Président du Centre européen de la culture et président de l’association Hypérion ! ! ! ! Collection Hypérion ! ! Alexandrie la Divine Sagesses barbares Échanges et réappropriation dans l’espace culturel gréco-romain Actes du colloque scientifique international, Fondation Martin Bodmer Cologny – Genève, 27-30 août 2014 Édités par Sydney Hervé AUFRÈRE Aix-Marseille Université – CNRS TEDMAM-CPAF, UMR 7297 avec Frédéric MÖRI Conception et organisation Sous l’égide du Centre européen de la culture La Baconnière, Genève 2016 ! ! La tenue d’un tel colloque n’aurait naturellement pu avoir lieu ni cette publication voir le jour sans la bienveillance et la générosité d’EFG Group auquel nous exprimons notre profonde reconnaissance. Nous adressons également nos remerciements à la Fondation Martin Bodmer, à son directeur Jacques Berchtold et à son vice-directeur Nicolas Ducimetière, pour avoir accueilli notre colloque dans la Salle Historique de la Fondation à Cologny pour conclure l’exposition sur Alexandrie la divine, ainsi qu’à tous les collaborateurs du Musée qui nous ont offert des conditions de travail exceptionnelles. Mise en pages Sydney Hervé AUFRÈRE © 2016, Éditions La Baconnière, 4 rue Maunoir 1207 Genève Suisse. Tous droits réservés, y compris les droits de traduction. ISBN: 978-2-940431-48-9 ! ! Table des matières ! ! ! Liste des abréviations .................................................. Polices, abréviations et orthotypographie .................. 9 19 AVANT-PROPOS ET PRÉSENTATION Frédéric MÖRI Alexandrie la Divine, un projet improbable ................ 23 Sydney H. AUFRÈRE Sagesses et Philosophies barbares : l’improbable échange ou « comment peut-on être barbare ? » ........ 31 PREMIÈRE PARTIE GRECS ET BARBARES Marie-Françoise BASLEZ La traduction en grec des Sagesses barbares, une politique de médiation culturelle ? ……….….….…… 79 Anthony ANDURAND & Corinne BONNET « Les coutumes et les lois des nations barbares » (Quest. Conv. 2,1). Réseaux savants entre centre et périphérie dans les Propos de table de Plutarque ........ 109 DEUXIÈME PARTIE ÉGYPTE Philippe MATTHEY Le retour du roi. Littérature « apocalyptique » égyptienne et construction du Roman d’Alexandre…... Sydney H. AUFRÈRE Sous le vêtement de lin du prêtre isiaque, le 145 4 TABLES DES MATIÈRES « philosophe » : le « mythe » égyptien comme Sagesse barbare chez Plutarque ................................................ 191 TROISIÈME PARTIE JUDAÏSME Gilles DORIVAL Qui sont les Barbares pour les Juifs ? ......................... 273 Daniel BARBU Moïse, l’Égypte et les Juifs : l’Exode selon Artapan … 291 Carlos LÉVY Philon d’Alexandrie face à l’altérité. Le problème des Sagesses barbares ........................................................ 313 QUATRIÈME PARTIE PERSE ET MONDE SÉMITIQUE Philippe SWENNEN Zoroastre dans Les Mages hellénisés. Portrait illusoire d’une Sagesse barbare ................................... 341 Helmut SENG Les Oracles chaldaïques : une fiction féconde ............ 357 Victor GYSEMBERG & Adrien LECERF Néoplatonisme et Sagesses barbares L’exemple de la théologie babylonienne ...................... 389 Michel TARDIEU Religion d’Abraham : un concept précoranique ......... 419 CINQUIÈME PARTIE INDE Guillaume DUCOEUR Histoire d’une catégorie antique : le Gymnosophiste indien dans la littérature d’expression grecque …....... Delphine LAURITZEN Les Dionysiaques, poème barbare ? La vision 463 TABLE DES MATIÈRES! nonnienne des Brahmanes …........................................ 5 505 SIXIÈME PARTIE CHRISTIANISME Alain LE BOULLUEC Des « Nations » aux « Barbares ». Une mutation, des Pères apostoliques aux apologètes ............................... 527 Andrei TIMOTIN !"#$% barbare et &%'()$% grecque dans le Discours aux Hellènes de Tatien ................................................. 553 Eric JUNOD Origène et les Sagesses barbares ................................. 575 Francesco MASSA Les théologies barbares chez Eusèbe de Césarée. Taxinomies et hiérarchie .............................................. 597 ANNEXE L’éditeur, le concepteur et les auteurs ......................... ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! 625 1. L’éditeur et le concepteur L’éditeur, Sydney Hervé AUFRÈRE, a dirigé et édité ouvrages, catalogues de musées, mélanges et actes de colloques, dont : Égypte & Provence, Avignon 1985 (avec M.-P. Foissy-Aufrère et Chr. Loury) ; Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal (4 vol. Montpellier 1999-2005 ; On the Fringe of Commentary. Metatextuality in Ancient Near Eastern and Ancient Mediterranean Cultures, Louvain 2014 (avec Zl. Ple!e & Ph. S. Alexander) ; De Hattu!a à Memphis. Jacques Freu in honorem, Paris 2013 ; Au confluent des cultures. Enjeux et maîtrise de l’eau, Paris 2015 (avec M. Mazoyer) ; co-éditeur secondaire d’Alexandrie la Divine, 2 vol., Genève 2014. Le concepteur et l’organisateur, Frédéric MÖRI (né en 1971), est docteur en Science des Religions (EPHE, Ve section), chercheur, éditeur et photographe. Depuis 2006, il a conçu, coordonné et produit, avec Charles Méla, des projets éditoriaux, scientifiques et muséographiques autour de thématiques originales et actuelles, centrées sur les notions d’échanges et d’identités culturelles, de l’Antiquité à la Renaissance : « Orient-Occident. Racines spirituelles de l’Europe » (2009) ; « Alexandrie la Divine » (2014). Chacun de ces projets a rassemblé près d’une centaine d’acteurs et fédéré plusieurs institutions (Fondation Martin Bodmer, Biblioteca Medicea Laurentiana, École Pratique des Hautes-Études, Institute for Inter-Faith Studies d’Amman, etc.) dans le but de produire des évènements culturels (expositions, concerts, colloques scientifiques internationaux) et produire des ouvrages mettant en lumière l’importance de la notion de relation et de réappropriation dans la constitution des phénomènes culturels majeurs. 2. Les auteurs Anthony ANDURAND est docteur en Sciences de l’Antiquité et membre de l’équipe PLH-ERASME (Université Toulouse – Jean Jaurès). Ses recherches portent conjointement sur l’histoire de l’érudition classique et la réception de l’Antiquité en Allemagne (XIXe-XXe siècle), et l’histoire des mondes savants dans l’Empire romain abordée en particulier à partir des Propos de table de Plutarque. On trouvera mention de ses travaux dans https://univ-tlse2.academia.edu/AnthonyAndurand. Sydney H. AUFRÈRE est égyptologue, directeur de recherche au CNRS. Il est membre de l’UMR 7297 (Centre Paul-Albert Février : « Textes et documents de la Méditerranée antique et médiévale »). Il a été directeur de l’UMR 5052 (« Religion et Société dans l’Égypte des époque tardives », Université Paul-Valéry, 1991-2012). Ses domaines de recherche et de publication portent sur les savoirs scientifiques et sacerdotaux égyptiens aux époques tardives et leur réception, ainsi que sur les savants, voyageurs et amateurs s’intéressant à l’Égypte entre les XVIIe et XIXe siècles. Daniel BARBU est maître-assistant à l’Université de Berne, Institut des Études juives. Docteur en histoire des religions, il est spécialisé dans l’histoire du judaïsme et les interactions entre le judaïsme et les autres cultures de la Méditerranée antique. Sa 626 ÉDITEURS ET AUTEURS thèse, Naissance de l’idolâtrie: identité, image et religion, doit paraître aux Presses universitaires de Liège en 2016. Il travaille actuellement à un nouveau projet, portant sur les traditions juives relatives à Jésus et les origines du christianisme. Marie-Françoise BASLEZ est professeur émérite d’histoire des religions à l’Université de Paris-Sorbonne (UMR 8167, « Orient-Méditerranée »). Historienne, ses travaux portent sur l’Orient hellénistique et romain, dans une approche de sociologie religieuse et d’histoire politique et culturelle à travers l’étude des mouvements migratoires, de la diffusion des cultes orientaux, du judaïsme hellénisé et de la coexistence locale entre différentes communautés. Ses recherches actuelles s’inscrivent dans le cadre du Labex RESMED (« Religions et Sociérés des Mondes Méditerranéens antiques et médiévaux »). Corinne BONNET est professeur d’Histoire grecque à l’université de Toulouse – Jean Jaurès, où elle anime l’équipe de recherche PLH-ERASME (EA 4601). Spécialiste du monde phénicien et punique, elle étudie les religions du monde méditerranéen, dans une perspective historique et historiographique, ainsi que les pratiques savantes et la circulation des savoirs parmi les antiquisants des XIXe et XXe siècles, en utilisant les archives de Franz Cumont comme observatoire privilégié. Gilles DORIVAL, est professeur émérite de langue et littérature grecques à l’Université d’Aix-Marseille et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France (chaire « Judaïsme hellénistique et christianisme ancien »). Il est co-directeur de la collection « La Bible d’Alexandrie » aux éditions du Cerf (19 vol. parus). Ses travaux portent sur la Bible grecque des Septante, l’histoire des traditions bibliques, la patristique et les chaînes exégétiques grecques. Il est membre de l’UMR 7297 « Textes et documents de la Méditerranée antique et médiévale / Centre Paul-Albert Février », dont il a été le directeur de 2000 à 2010. Guillaume DUCŒUR est maître de conférences d’histoire comparée des religions à la Faculté des Sciences historiques de l’université de Strasbourg. Il est membre de l’UMR 8210 « Anthropologie et histoire des mondes antiques » et de la Société asiatique de Paris. Ses domaines de recherche portent sur l’histoire des échanges intellectuels entre mondes grec et indien anciens, l’histoire des religions indiennes et l’histoire des méthodes comparatives et des théories des religions du XVIIe siècle à nos jours. Victor GYSEMBERGH est doctorant à l’Université de Reims (équipe CRIMEL-EA 3311) et boursier de la Fondation Thiers. Ses recherches portent notamment sur l’histoire des sciences et de la philosophie dans l’Antiquité et sur les interactions culturelles entre la Grèce et le Proche-Orient ancien. Eric JUNOD est professeur honoraire de l’Université de Lausanne et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il a enseigné l’histoire du christianisme. Son principal champ de recherche et de publication est le christianisme des premiers ÉDITEURS ET AUTEURS 627 siècles, en particulier la littérature apocryphe, la formation de la Bible, le christianisme alexandrin et la naissance du monachisme. Alain LE BOULLUEC, directeur d’études honoraire, a enseigné en 1969-1970 à l’Université de Brest et de 1970 à 1983 à l’École Normale Supérieure de Paris (« Langue et littérature grecque »), puis à l’École Pratique des Hautes Études, Sciences religieuses (« Patristique et histoire des dogmes »). Il a dirigé le « Centre d’études des religions du Livre » (URA 152 puis UMR 8584) de 1990 à 1998. Ses recherches et ses publications traitent de l’hérésiologie antique, de l’histoire des dogmes aux premiers siècles, du christianisme alexandrin, des méthodes de l’exégèse biblique des Pères grecs, de la Septante (Exode et Isaïe), des écrits pseudo-clémentins. Une liste de ses publications est disponible sur le site du « Laboratoire d’études sur les monothéismes » (UMR 8584). Delphine LAURITZEN est ancienne élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégée de Lettres classiques, docteur en Études grecques de l’Université de Paris Sorbonne (Paris IV) (titre : « La Description du Tableau représentant le monde par Jean de Gaza. Édition, traduction, commentaire »). Ses domaines de recherche et de publication portent sur la philologie grecque, la poésie du Ve-VIe siècles byzantins, la philosophie esthétique, les mosaïques et peintures de l’Antiquité tardive. On trouvera une liste de ses publications dans https://independent.academia. edu/DelphineLauritzen Adrien LECERF est agrégé de Lettres classiques. Il a soutenu en décembre 2015 sa thèse de doctorat à l’École Pratique des Hautes-Études, à Paris (titre : « Ordre et variation : Essai sur le système de Jamblique »). Ses travaux portent prioritairement sur l’histoire du platonisme, particulièrement dans l’Antiquité tardive (Jamblique, Julien, Porphyre, école d’Athènes). Il est rattaché au Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS, UMR 8584). Carlos LÉVY est professeur émérite de philosophie et littérature romaines à l’Université de Paris-Sorbonne. Il a fondé en 1995 le Centre d’études sur la philosophie hellénistique et romaine de Paris XII-Val de Marne et en 2001, avec Perrine Galand à la Sorbonne, l’Équipe de recherche « Rome et ses renaissances ». Sa recherche porte principalement sur la philosophie romaine (en particulier sur Cicéron), sur Philon d’Alexandrie dans le contexte de la philosophie hellénistique et sur la présence de la philosophie antique dans la philosophie contemporaine (Michel Foucault). Francesco MASSA est historien des religions antiques et travaille sur les transformations et les cohabitations religieuses à l’époque de l’Empire romain. Membre associé de l’UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques (AnHiMA) de Paris, il est actuellement collaborateur scientifique à l’Unité d’Histoire des religions de l’Université de Genève où il mène un projet de recherche (FNS / « Ambizione ») sur les cultes à mystères « païens » et « chrétiens » des IIe-IVe 628 ÉDITEURS ET AUTEURS siècles. On trouvera mention lettres/antic/hr/enseignants/massa/ de ses travaux sur http://www.unige.ch/ Philippe MATTHEY est docteur en histoire des religions. Il est actuellement chercheur postdoctorant du Fond National Suisse au sein de l’unité de recherche « Thiasos. Religion grecque antique » de l’Université de Liège. Il a auparavant collaboré pendant plusieurs années avec l’unité d’Histoire des religions de l’Université de Genève, à laquelle il est encore rattaché. Il est spécialisé dans l’étude des échanges et influences réciproques entre l’Égypte de la Basse Époque et la Grèce hellénistique. Helmut SENG, Prof. Dr. Dr., est spécialiste de philologie classique. Il enseigne la philologie classique aux universités de Constance et Francfort-sur-le-Main et a été en 2010 directeur d’études invité à l’École Pratique des Hautes-Études à Paris. Au cours des semestres d’hiver 2012 / 2013 et 2014 / 2015, il a été professeur remplaçant de philologie classique à l’Université de Cologne et au semestre d’été 2013, professeur remplaçant de latin à l’université Humbolt de Berlin. Outre des monographies sur Synésios de Cyrène, les Bucoliques de Virgile et les Oracles Chaldaïques, il a publié de nombreux articles sur ces thèmes et d’autres et édité plusieurs ouvrages collectifs. Il dirige la collection « Bibliotheca Chaldaica ». Philippe SWENNEN a entrepris l’étude des langues indo-iraniennes anciennes à l’Université de Liège, où il a obtenu sa licence en 1993. Il devient Dottore di ricerca à l’Istituto Universitario Orientale di Napoli en 2000 (section Studi iranici). Il est chargé de cours à l’Université de Liège depuis octobre 2012, titulaire de la chaire Langues et religions du monde indo-iranien ancien. Il dédie ses recherches à l’étude comparative des cérémonies sacrificielles mazdéennes et védiques. Michel TARDIEU est professeur honoraire au Collège de France, où il a occupé de 1991 à 2008 la chaire d’Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité (histoire des idées et des religions, Proche-Orient, Iran, Asie centrale, Ier-XIIe siècles). Ses publications (12 livres, 300 articles) portent également sur l’historiographie moderne et contemporaine des domaines suivants : gnosticisme, mandéisme, manichéisme, oracles chaldaïques, néoplatonisme, papyrus magiques, manuscrits gnostiques coptes. Andrei TIMOTIN est docteur (2008) en Histoire de l’École des Hautes-Études en Sciences sociales (titre : « Sainteté, charismes et pouvoir. L’autorité des visions et des prophéties à Byzance selon les sources hagiographiques médiévales (IXe-XIe siècles) »), et docteur en Philosophie antique (2010) de l’École pratique des HautesÉtudes (titre : « Histoire de la notion de daim"n de Platon aux derniers néoplatoniciens »), thèses publiées. Son domaine actuel de recherche porte sur Artémidore et sur l’onirocritique byzantine, ainsi que sur les théories médio et néoplatoniciennes de la prière. On trouvera une liste de ses travaux sur le site http://institute. phenomenology.ro/en/researchers/dr-andrei-timotin/ ! Le retour du roi Littérature « apocalyptique » égyptienne et construction du Roman d’Alexandre Philippe Matthey Introduction : les origines égyptiennes du Roman d’Alexandre Les origines et les circonstances de la rédaction du fameux Roman d’Alexandre constituent une énigme qui n’en finit pas d’occuper les spécialistes. Cette fiction mettant en scène une version légendaire de la vie du conquérant macédonien a été d’abord composée en grec à partir de plusieurs sources hétérogènes et faussement attribuée à Callisthène, l’historien et compagnon d’Alexandre, avant de faire l’objet de nombreuses réécritures et traductions et de connaître un immense succès littéraire de l’Europe jusqu’aux confins de l’Asie. Les manuscrits de la première écriture hellénique du Roman sont répartis en cinq recensions principales, présentant parfois des différences considérables entre elles : la version la plus ancienne, la recension α représentée par l’unique texte A (Parisinus 1711) 1, se révèle être la plus riche en détails 1 Pour le texte A du Roman, nous utiliserons dans cet article l’édition de Wilhelm KROLL, Historia Alexandri Magni. Recensio vetusta, Berlin 1926 et une traduction modifiée à partir de celle d’Aline TALLET-BONVALOT, Le Roman d’Alexandre : Vie d’Alexandre De Macédoine, Paris 1994. Précisons que quelques passages de l’édition du texte A, abîmés ou manquants dans le manuscrit grec, sont reconstruits par Wilhelm Kroll d’après la version arménienne du Roman et sa traduction latine par Jules Valère : c’est pourquoi il convient d’étudier cette version du récit en prêtant attention à l’apparat critique fourni par Kroll et d’utiliser avec beaucoup de précaution l’ouvrage d’Aline Tallet-Bonvallot, qui ne donne jamais d’indication concernant la provenance du 146 PH. MATTHEY concernant l’Égypte. Sa composition semble remonter à une période comprise entre le IIe et le IVe siècle apr. J.-C., mais elle emprunte de nombreux éléments à un fonds littéraire élaboré en milieu alexandrin dans le courant de la période hellénistique, ainsi qu’on le verra dans le présent article 2. Les quatre autres recensions — bêta (β), lambda (λ), epsilon (ε) et gamma (γ) — sont d’époque byzantine : on se concentrera dans le présent article avant tout sur le texte L (Leidensis Vulc. 93), représentant atypique mais très complet de la version β, une réécriture du Roman datant du Ve siècle apr. J.-C., qui prête une attention moindre aux détails du contexte égyptien mis en scène dans le texte A 3. Un épisode en particulier, parfois appelé l’ « imposture de Nectanébo » (Roman d’Alexandre livre I, chapitres 1 à 14), semble avoir été composé à partir de sources égyptiennes d’époque hellénistique, voire plus anciennes. Il s’agit de l’introduction au récit racontant les origines secrètes de la conception d’Alexandre le Grand, fruit de la duperie et de la séduction de la reine de Macédoine Olympias par le pharaon égyptien Nectanébo, exilé hors de son pays après l’invasion des Perses : divergence majeure par rapport à l’histoire officielle, Alexandre le Grand ne serait donc pas le fils de Philippe II de Macédoine, mais l’enfant caché du souverain égyptien. Plus tard, l’arrivée d’Alexandre en Égypte est présentée comme le retour de l’ancien pharaon et la réalisation de sa 2 3 texte qu’elle traduit. Voir à ce sujet Corinne JOUANNO, Naissance et métamorphoses du roman d’Alexandre. Domaine grec, Paris 2002, p. 13-17. Voir à ce sujet JOUANNO, Roman d’Alexandre, p. 26-28. Se référer à l’introduction de Richard STONEMAN, Il Romanzo di Alessandro, vol. 1, Milan, 2007, p. XXV-XXXIV à propos de la difficile datation de la première composition du Roman en tant que tel : le texte, dans son essence, remonte probablement à la première moitié de la période ptolémaïque, entre 300 et 150 av. J.-C., mais comprend de nombreux éléments ajoutés tout au long de l’époque impériale. Pour le texte L, on aura recours à l’édition de Leif BERGSON, Der griechische Alexanderroman. Rezension β (AUStock, Studia Graeca 3), Stockholm – Göteborg – Uppsala 1965 et à la traduction de Gilles BOUNOURE & Blandine SERRET, Le Roman d’Alexandre : La vie et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine, Paris 1992. LE RETOUR DU ROI 147 vengeance à l’égard des envahisseurs perses qui l’avaient chassé de son trône. Cet épisode particulier a souvent été interprété comme l’œuvre d’un groupe d’individus dont le projet aurait été de fabriquer un outil de résistance culturelle contre l’envahisseur grec, une forme de « propagande nationaliste » 4 égyptienne issue des milieux sacerdotaux et dirigée contre le pouvoir gréco-macédonien 5. Mais cette notion de « nationalisme » est anachronique dans une certaine mesure 6, parce qu’elle présuppose que la société égyptienne de l’époque ptolémaïque était stratifiée entre des groupes ethniques clairement distingués les uns des autres, principalement les GrécoMacédoniens d’un côté et les Égyptiens de l’autre. Cette théorie est aujourd’hui largement battue en brèche par les spécialistes qui ont démontré que l’identification ethnique, dans l’Égypte ptolémaïque et romaine, était appliquée de manière très fluide selon les acteurs et 4 5 6 On ne s’attardera pas ici sur la pertinence du concept de « propagande » dans l’Égypte ptolémaïque et romaine : voir à ce sujet William K. SIMPSON, « Belles Lettres and Propaganda », dans A. LOPRIENO (éd.), Ancient Egyptian Literature. History and Forms, Leyde 1996, p. 435-443, ainsi que Pascal VERNUS, Essai sur la conscience de l’Histoire dans l’Égypte pharaonique, Paris 1995, p. 163-165. Voir en premier lieu Samuel EDDY, The King is Dead. Studies in the Near Eastern Resistance to Hellenism 334-31 B.C., Lincoln 1961, p. 257-294, ainsi qu’Alan B. LLOYD, « Nationalist Propaganda in Ptolemaic Egypt », Historia : Zeitschrift für Alte Geschichte 31 (1982), p. 33-55. Voir également Werner HUß, Der Makedonischer König und die ägyptischen Priester. Studien zur Geschichte des ptolemaiischen Ägypten, Stuttgart 1994 ; Werner HUß, « Le basileus et les prêtres égyptiens », dans D. VALBELLE & J. LECLANT (éd.), Le Décret de Memphis: colloque de la Fondation Singer-Polignac à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la découverte de la Pierre de Rosette, Paris, 1er juin 1999, Paris 2000, p. 117-126 : p. 123-126 ; Tim WHITMARSH, « Prose Fiction », dans J. J. CLAUSS & M. CUYPERS (éd.), A Companion to Hellenistic Literature, Malden, Mass. 2010, p. 395-411 : p. 407-408. Pour une discussion au sujet de la pertinence de cette notion, voir AnneEmmanuelle VEÏSSE, « À propos du nationalisme égyptien », dans J. FRÖSEN, T. PUROLA & E. SALMENKIVI (éd.), Proceedings of the 24th International Congress of Papyrology, Helsinki, 1.–7. August 2004, 2 vol. (CHL 122 / 2), Helsinki 2007, vol. 2, p. 1045-1050 et une prise de position différente par Brian MCGING, « Revolt in Ptolemaic Egypt : Nationalism Revisited », dans P. SCHUBERT (éd.), Actes du 26e Congrès International de Papyrologie. Genève, 16-21 août 2010, Genève 2012, p. 509-516. 148 PH. MATTHEY les contextes 7. Il s’agit donc de rester prudent en utilisant cette catégorie de propagande « nationaliste » pour désigner certains textes de production égyptienne sur lesquels on reviendra ci-dessous, et notamment le prologue du Roman d’Alexandre : qualifier ainsi ce récit serait sans doute trop simplificateur, tant il est vrai qu’il est susceptible d’une double lecture. Il paraît d’un côté servir les intérêts égyptiens en redorant le blason du dernier pharaon égyptien et en se moquant du pouvoir royal macédonien que Nectanébo parvient à ridiculiser en abusant de la crédulité d’Olympias et de Philippe II, mais semble d’un autre côté remplir la fonction de légitimer le pouvoir lagide en présentant les souverains ptolémaïques comme les héritiers directs des pharaons égyptiens plutôt que comme de vulgaires envahisseurs étrangers. C’est pourquoi il peut se révéler fructueux de renoncer à comprendre cette « tromperie de Nectanébo » comme résultat d’un projet bien défini élaboré en réaction à des événements historiques déterminés (la domination lagide puis romaine en Égypte), et de la considérer comme le produit d’un bricolage au sens lévi-straussien du terme, réalisé sans but particulier à partir d’un assemblage hétéroclite de divers matériaux et outils 8. Autrement dit comme le résultat d’une pensée 7 8 Pour ce vaste dossier, consulter notamment Gilles GORRE, « Identités et représentations dans l’Égypte ptolémaïque », Ktèma 32 (2007), p. 239-250 ; Sofia TORALLAS TOVAR, « Linguistic Identity in Graeco-Roman Egypt », dans A. PAPACONSTANTINOU (éd.), The Multilingual Experience in Egypt, from the Ptolemies to the Abbasids, Farnham 2010, p. 17-43 ; Gaëlle TALLET, « In or out ? L’insaisissable frontière entre Grecs et Égyptiens dans la société de l’Égypte lagide », dans G. CHABAUD (éd.), Classement, déclassement, reclassement de l’Antiquité à nos jours. Actes du colloque de l’Université de Limoges, 28-30 novembre 2006, Limoges 2011, p. 15-38 ; Christelle FISCHER-BOVET, art. « Ethnicity, Greco-Roman Egypt », The Encyclopedia of Ancient History [en ligne] (2013), mis en ligne le 26 octobre 2012, consulté le 13 janvier 2015. URL : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/9781444338386.wbeah07038/full. Claude LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Paris 1962, p. 26-36. Dans le prologue du Roman d’Alexandre, ce sont notamment les éléments faisant référence aux pratiques « magiques » accomplies par Nectanébo qui révèlent de larges réinterprétations et emprunts à la tradition sacerdotale égyptienne. Voir à ce sujet ma thèse de doctorat Pharaon, magicien et filou. Nectanébo II entre l’histoire et la légende, Université de Genève 2012 (en cours de publication). LE RETOUR DU ROI 149 mythopo(i)étique féconde et riche en emprunts à l’ensemble des traditions présentes dans l’horizon intellectuel alexandrin entre la fin de l’époque pharaonique et la domination romaine. Il s’agira précisément, dans le présent article, de revenir sur le dossier complexe d’une partie de ces sources, d’inspiration égyptienne ou autre, du Roman d’Alexandre 9. Il se trouve que l’élément déclencheur de l’intrigue du Roman d’Alexandre présente de nombreux points communs avec un certain type de récits égyptiens appartenant à la littérature dite « apocalyptique » : Nectanébo est obligé de fuir l’Égypte après avoir réalisé que ses propres dieux s’étaient retournées contre lui, mais une prophétie annonce ensuite aux Égyptiens qu’il reviendra un jour sous l’aspect d’un jeune homme qui se révélera n’être autre qu’Alexandre le Grand. Cette façon de mettre en scène la chute d’un pharaon comme le résultat de la volonté des dieux et d’annoncer l’avènement d’un roi sauveur constitue un motif très fréquent dans la littérature prophétique ou « apocalyptique » des époques pharaonique et gréco-romaine, et s’inscrit tout à fait dans le courant de la théodicée particulièrement développée dès la Basse Époque, selon laquelle le pharaon doit être un modèle de piété et de respect 9 Les études fondamentales sont celles de Rheinold MERKELBACH, Die Quellen des griechischen Alexander-Romans, Munich 1977 (1re éd. 1954) ; John W. B. BARNS, « Egypt and the Greek Romance », dans H. GERSTINGER (éd.), Akten des VIII. Internationalen Kongresses für Papyrologie : Wien, 1955, Vienne 1956, p. 29-36 ; Richard JASNOW, « The Greek Alexander Romance and Demotic Egyptian Literature », JNES 56 (1997), p. 95-103 ; John DILLERY « The θεατὴς θεῶν : Josephus CAp 1.232 (FRGHist 609 F 10) reconsidered », ClassJourn 99 (2004), p. 239-252. Plus récemment, je renvoie également à mon propre article : « Récits grecs et égyptiens à propos de Nectanébo II : une réflexion sur l’historiographie égyptienne », dans N. BELAYCHE & J.-D. DUBOIS (éd.), L’oiseau et le poisson. Cohabitations religieuses dans les mondes grec et romain, Paris 2011, p. 303-328, ainsi que, sur la question des influences de la fiction égyptienne sur la fiction grecque, à l’état des lieux dressé par Ian RUTHERFORD, « Greek fiction and Egyptian fiction. Are they related, and, if so, how ? », dans T. WHITMARSH & S. THOMSON (éd.), The Romance Between Greece and the East, Cambridge – New York 2013, p. 23-37. 150 PH. MATTHEY de la loi divine 10. Formellement, ces discours « apocalyptiques » font la plupart du temps usage de prophéties, en les inventant ou en recyclant d’anciens récits, afin d’annoncer l’avènement attendu du retour à l’ordre habituel. Le terme « apocalyptique » peut paraître inadapté pour désigner ces textes : en réalité, cette qualification n’a été utilisée dans le domaine de l’égyptologie qu’à partir de 1925 11 pour désigner des textes présentant de frappantes ressemblances avec les apocalypses judéo-chrétiennes, un genre littéraire tirant bien sûr son nom de l’Apocalypse selon Saint Jean mais dont la plus ancienne formulation remonte au IVe-IIIe siècle av. J.-C. avec le premier livre d’Hénoch 12. Héritières de pensées sapientiales et de traditions prophétiques plus anciennes, ces apocalypses juives et plus tard chrétiennes sont caractérisées par une conception théonome du déroulement de l’histoire universelle selon laquelle Dieu a planifié tous les événements historiques à l’avance 13. L’élément central en est le plus souvent la présence d’une prophétie ou d’une révélation — en grec ἀποκάλυψις, littéralement « dévoilement » — qui donne à voir une réalité transcendante et révèle le plan divin. Elles intègrent également des descriptions catastrophiques ainsi qu’un élément messianique, l’annonce de l’avènement futur d’un roi 10 Janet JOHNSON, « The Demotic Chronicle as a Statement of a Theory of Kingship », JSSEA 13 (1983), p. 61-72 ; Roland ENMARCH, « Theodicy », dans J. DIELEMAN & W. WILLEKE (éd.), UCLA Encyclopedia of Egyptology [en ligne] (2008), mis en ligne le 13 août 2008, consulté le 30 janvier 2015. URL : http://www.escholarship.org/uc/item/7tz9v6jt. 11 Cf. Chester C. MCCOWN, « Hebrew and Egyptian Apocalyptical Literature », HTR 18 (1925), p. 357-411. 12 Voir à ce sujet John J. COLLINS, « From Prophecy to Apocalypticism : the Expectation of the End », dans J. COLLINS, B. MCGINN & S. J. STEIN (éd.), The Encyclopedia of Apocalypticism, 2 vol., New York, 1998, vol. 1 : The Origins of Apocalypticism in Judaism and Christianity, p. 129-161. 13 Martin LEUENBERGER, « Histoire théonome. Théologies prophétiques et apocalyptique de l’histoire », dans J.-D MACCHI, Chr. NIHAN, Th. RÖMER & J. RÜCK (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origines, milieux, et contexte proche-oriental, Genève 2012, p. 510-548. LE RETOUR DU ROI 151 sauveur 14. Certaines apocalypses peuvent également mettre en scène le voyage du prophète dans l’au-delà ; dans ce cas, le récit met l’accent sur la révélation et la contemplation du monde céleste, qui inclut la vision du trône de Dieu, du royaume des morts, etc. L’apparition des textes de l’apocalyptique juive et chrétienne semble souvent liée à une situation de crise, et de fait on a aujourd’hui tendance à qualifier d’« apocalyptique » la production littéraire issue des mouvements révolutionnaires « millénaristes » ou parfois « messianiques » à travers le monde, sans craindre de multiplier les utilisations de notions issues du judéo-christianisme en dehors de leur contexte d’élaboration initiale. L’interprétation la plus communément admise, quand le chercheur se trouve confronté à l’étude de ces discours dits « apocalyptique » ou à toute production littéraire issue d’une tendance « millénariste », est de les considérer comme le produit des désirs révolutionnaires d’une communauté se sentant opprimée ou persécutée à l’occasion par exemple d’une invasion étrangère ou d’un changement social responsable de la perte son ancien statut privilégié 15 : c’est d’ailleurs dans ce type 14 Pour de plus ample discussions à propos du concept de littérature apocalyptique et de sa pertinence, il faut se référer à Jonathan Z. SMITH, « A Pearl of Great Price and a Cargo of Yams », dans J. Z. SMITH (éd.), Imagining Religion : from Babylon to Jonestown, Chicago – Londres 1982, p. 90-101 ; Freddy RAPHAËL, « Esquisse d’une typologie de l’Apocalypse », dans Fr. RAPHAËL, Fr. DUNAND, & J.-G. HEINTZ (éd.), L’apocalyptique, Paris 1977, p. 11-38 ; David HELLHOLM (éd.), Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East, Tübingen 1989 ; John J. COLLINS, Bernard MCGINN & Stephen J. STEIN (éd.), The Encyclopedia of Apocalypticism, 3 vol. New York, 1998, vol. 1 : The Origins of Apocalypticism in Judaism and Christianity ; Bernd U. SCHIPPER, « “Apokalyptik”, “Messianismus”, “Prophetie” – Eine Begriffbestimmung », dans Andreas BLASIUS & Bernd SCHIPPER (éd.), Apokalyptik und Ägypten. Eine kritische Analyse der relevanten Texte aus dem griechisch-römischen Ägypten (OLA 107), Paris – Louvain – Sterling 2002, p. 21-40. 15 Cette tendance a été lancée par Norman COHN, The Pursuit of the Millennium. Revolutionary Millenarians and Mystical Anarchists of the Middle Ages (Galaxy Books 321), New York 1970 (1re éd. 1957) ainsi que par Vittorio LANTERNARI, Les mouvements religieux de liberté et de salut des peuples opprimés, Paris, 1983 (1re éd. 1960). Plus récemment voir Richard LANDES, Heaven on Earth: the Varieties of the Millennial Experience, New York 2011. Pour un état des lieux et 152 PH. MATTHEY d’analyse que s’inscrit l’interprétation de la propagande « nationaliste » évoquée plus haut à propos du Roman, notamment celle que Samuel Eddy avait proposée à propos des courants apocalyptiques perse, égyptien et juif, vus comme des mouvements cherchant à restaurer le pouvoir des élites indigènes face aux envahisseurs grecs 16. Là aussi, il conviendra de se montrer plus prudent dans l’utilisation de concepts qui ne recouvrent pas toujours la réalité égyptienne, même si l’on constatera au fil de notre enquête que la composition des textes égyptiens que l’on appelle « apocalyptiques » suit un développement très proche de celle des apocalypses hébraïques, notamment en ce qui concerne leur utilisation de thèmes propres aux littératures sapientiale et prophétique de l’Égypte pharaonique. La littérature « apocalyptique » de l’Égypte grécoromaine Dans l’Égypte de la Basse Époque et de la période grécoromaine, la littérature que l’on qualifie d’« apocalyptique » forme à vrai dire un corpus très restreint : les trois documents principaux qui en font partie sont la « Chronique » démotique (IVe-IIIe siècle av. J.C.), la Prophétie de l’agneau (4 apr. J.-C.) et l’Oracle du potier 17 une réflexion différente, voir Bruce LINCOLN, « La politique du passé dans les discours sur le futur. Apocalypticismes et leurs mécontents », Asdiwal 8 (2013), p. 35-57. 16 EDDY, The King is Dead. 17 Kim RYHOLT, « Late Period Literature », dans A. B. LLOYD (éd.), A Companion to Ancient Egypt, 2 vol., Malden, Mass. 2010, vol. 2, p. 709-731 (sous la rubrique « Prophecies » : p. 718-719). L’ouvrage de référence au sujet de la littérature apocalyptique en Égypte reste celui d’Andreas BLASIUS & Bernd U. SCHIPPER (éd.), Apokalyptik und Ägypten. Eine kritische Analyse der relevanten Texte aus dem griechisch-römischen Ägypten (OLA 107), Louvain – Paris – Sterling 2002. Un certain nombre de textes égyptiens appartenant aux genres prophétique et apocalyptique sont disponibles en traduction française chez Didier DEVAUCHELLE, « Les prophéties en Égypte ancienne », dans J. ASURMENDI (éd.), Prophéties et oracles II : En Égypte et en Grèce ancienne, LE RETOUR DU ROI 153 (IIe-IIIe siècle apr. J.-C.), auxquels on ajoutera le Songe de Nectanébo et sa suite (IIe siècle av. J.-C. pour la version grecque, Ier-IIe siècle apr. J.-C. pour la version et la suite en démotique). Le plus ancien de ces textes — et sans doute le plus complexe à interpréter — est la Chronique démotique, titre donné à une compilation de réponses oraculaires suivies de leurs interprétations, conservée sur un unique manuscrit fragmentaire, le P. Bibliothèque Nationale 215 daté entre le début de l’époque ptolémaïque et la deuxième moitié du IIIe siècle av. J.-C. 18. Ces oracles étaient rassemblés en plusieurs « chapitres » (ég. ḥw.t) dont seuls une demi-douzaine ont été conservés : ils concernent l’ensemble des pharaons des XXVIIIe, XXIXe et XXXe dynasties, d’Amyrtée à Téos, et prédisent en des termes énigmatiques une période de troubles causée par l’impiété d’un souverain que le texte ne nomme pas, mais qui ne peut être que l’un des pharaons de la XXXe dynastie, soit Nectanébo Ier, Téos, ou (CEv Supp 89), Paris 1994, p. 6-31 ; pour des traductions plus récentes en allemand, cf. Friedhelm HOFFMANN & Joachim F. QUACK, Anthologie der demotischen Literatur, Berlin, 2007. Autres références indispensables pour l’ensemble du dossier de l’apocalyptique égyptienne à l’époque gréco-romaine : Jan BERGMAN, « Introductory Remarks on Apocalypticism in Egypt », dans HELLHOLM (éd.), Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East, p. 51-60, et John G. GRIFFITHS, « Apocalyptic in the Hellenistic Era », ibid., p. 273-293 ; John J. COLLINS, « From Prophecy to Apocalypticism: the Expectation of the End », dans COLLINS, MCGINN & STEIN (éd.), Encyclopedia of Apocalypticism, vol. 1, p. 129-161. 18 Wilhelm SPIEGELBERG, Die sogenannte Demotische Chronik des Pap. 215 der Bibliothèque Nationale zu Paris, Leipzig 1914 ; JOHNSON, « The Demotic Chronicle as a Statement of a Theory of Kingship » ; Joachim KÜGLER, « Propaganda oder performativer Sprechakt ? Zur Pragmatik von Demotischer Chronik und Töpferorakel », GöttMisz 142 (1994), p. 83-92 ; Heinz FELBER, « Die Demotische Chronik », dans BLASIUS & SCHIPPER (éd.), Apokalyptik und Ägypten, p. 65-112 ; HOFFMANN & QUACK, Anthologie der demotischen Literatur, Berlin 2007, p. 183-191 ; Joachim F. QUACK, « Menetekel an der Wand ? Zur Deutung der “Demotischen Chronik” », dans M. WITTE & J. F. DIEHL (éd.), Orakel und Gebete. Interdisziplinäre Studien zur Sprache der Religion in Ägypten, Vorderasien und Griecheland in hellenisticher Zeit, Tübingen 2009, p. 23-51. Traduction française chez DEVAUCHELLE, « Prophéties », p. 18-27. 154 PH. MATTHEY Nectanébo II. Ce mauvais pharaon abandonne la loi (ég. hp) 19, les dieux le maudissent 20 et la fin de son règne est marquée par l’invasion de peuples extérieurs, les « Étrangers », à savoir les Mèdes (i.e. les Perses) et les Grecs. L’oracle prédit ensuite l’avènement d’un roi originaire d’Héracléopolis 21 qui se rebellera contre les souverains étrangers et dont le règne remplira les dieux de joie. Plus loin, le texte s’attarde sur les scènes de désolation consécutives à l’invasion des Mèdes 22, et s’adresse à plusieurs reprises directement au pharaon Nectanébo Ier, l’accusant d’être responsable des malheurs de l’Égypte et de n’avoir pas convenablement assumé sa fonction de souverain 23. De manière générale, le but principal de la Chronique semble être de présenter une théorie de la royauté égyptienne selon laquelle un pharaon accomplissant de bonnes actions (en particulier envers les temples) se voit récompensé par un règne prospère, tandis qu’un pharaon délaissant ses devoirs conduit le pays à la ruine, jusqu’à le faire tomber aux mains des ennemis étrangers. Le deuxième texte, la Prophétie de l’agneau, ou Agneau de Bocchoris, est également connu par un unique manuscrit rédigé en démotique 24. Il s’agit du récit de la malédiction censée avoir été 19 20 21 22 23 24 Sur la notion de loi-hep, cf. l’étude de Charles NIMS, « The Term Hp, “law, right”, in Demotic », JNES 7 (1948), p. 243-260 et les remarques de GRIFFITHS, « Apocalyptic in the Hellenistic Era », p. 281-282 ; le concept est ici clairement lié au respect de la Maât. Chronique démotique, chap. 9, col. II, 17 : « on fit que l’abomination l’atteigne. » Chronique démotique chap. 9, col. II, 25 : « Hérychef est celui qui commandera au souverain qui adviendra. On dit : un homme d’Héracléopolis est celui qui régnera après les Étrangers et les Grecs. » Chronique démotique, chap. 10, col. IV, 20 – V, 2 et chap. 12, col. V, 15. Notre compréhension du texte ne nous permet pas de déterminer avec certitude si, par le nom de « Nectanébo Ier », la Chronique fait référence au pharaon luimême ou s’il s’agit d’une métonymie pour désigner toute la XXXe dynastie. P. Vindob. D 10000, manuscrit fragmentaire que le scribe a précisément daté du 1er août de l’an 4 apr. J.-C. ; la composition du texte lui-même remonte certainement à une époque antérieure, probablement entre la seconde domination perse et le règne de Ptolémée II Philadelphe ou Ptolémée III Évergète. Voir Lászlo KÁKOSY, « Prophecies of ram gods », dans L. KÁKOSY (éd.), Selected LE RETOUR DU ROI 155 professée par un agneau miraculeux devant le prêtre Pasaenhor, en l’an 6 du pharaon Bocchoris, second et dernier souverain de la XXIVe dynastie (718-712 av. J.-C.) 25. Inspiré par le dieu Prê (Rê), l’agneau annonce une période de troubles à venir et énumère les différents malheurs qui affligeront l’Égypte : renversements des codes sociaux et moraux, morts et surtout invasion de peuples étrangers, en l’occurrence les Perses, qui pilleront les temples égyptiens et sèmeront la désolation en Égypte. Arrivé à la fin de sa prophétie, l’agneau meurt après avoir prédit que les malheurs de l’Égypte seraient suivis d’un retour à l’ordre quand lui-même reviendrait régner sur l’Égypte après une période de neuf cents ans 26 ; le prêtre Pasaenhor explique ensuite au roi Bocchoris que les troubles commenceront sous son règne, et ce dernier prend les mesures nécessaires pour enterrer l’agneau à la manière d’un dieu, dans un naos d’or. Même si la Prophétie ne nous est parvenue que par le biais d’un seul manuscrit, le motif de ce récit semble avoir connu un certain succès dans l’Antiquité, puisqu’il est mentionné Papers (1956-73), Budapest 1981, p. 129-154 ; Karl-Theodor ZAUZICH, « Das Lamm des Bokchoris », dans Papyrus Erzherzog Rainer. Festschrift zum 100jährigen Bestehen der Papyrussammlung der Österreichischen Nationalbibliothek, vol. 1, Vienne 1983, p. 165-174 ; Heinz-Joseph THISSEN, « “Apocalypse Now !” Anmerkungen zum Lamm des Bokchoris », dans W. CLARYSSE, A. SCHOORS & H. WILLEMS (éd.), Egyptian Religion the Last Thousand Years, 2 vol. (OLA 85), Louvain 1998, vol. 2, p. 1043-1053 ; HeinzJoseph THISSEN, « Das Lamm des Bokchoris », dans BLASIUS & SCHIPPER (éd.), Apokalyptik und Ägypten, p. 113-138. 25 La prophétie est donc censée avoir été annoncée très peu de temps avant la fin du règne de ce pharaon, à l’instar de ce qui se passe pour Nectanébo dans le récit du Songe de Nectanébo (cf. infra, p. 158-164). Selon la tradition de Manéthon (Frag. 66 et 67) rapportée par Eusèbe, Bocchoris serait mort brûlé vif après avoir été détrôné par Chabaka, fondateur de la XXVe dynastie dite « nubienne ». À l’instar de Ncctanébo, Bochhoris est donc lui aussi, d’une certaine manière, une figure du dernier pharaon indigène avant la domination de l’Égypte par la dynastie nubienne et les diverses invasions assyriennes. 26 Cette mention d’une période de neuf cents ans pousse certains chercheurs à soupçonner une influence iranienne, puisque c’est la durée du cycle zoroastrien selon PLUTARQUE, Is. Os. 47. Cf. GRIFFITHS, « Apocalyptic in Hellenistic Era », p. 286, et Anders HULTGÅRD, « Persian Apocalypticism », dans COLLINS, MCGINN & STEIN (éd.), Encyclopedia of Apocalypticism, vol. 1, p. 39-83. 156 PH. MATTHEY chez Manéthon 27 et dans le dernier grand texte de l’apocalyptique gréco-égyptienne, l’Oracle du potier 28. Un texte attribué à Plutarque évoque également une expression alexandrine circulant à l’époque, « l’agneau t’a parlé », qui faisait référence à la légende d’un pharaon anonyme à qui un agneau monstrueux aurait révélé une prophétie 29. Enfin, selon la tradition rapportée par Élien (IIIe siècle apr. J.-C.), l’agneau prophétique de Bocchoris était une créature monstrueuse à huit pattes, deux queues, deux têtes et quatre cornes 30. L’Oracle du potier, enfin, est un récit conservé en grec sur cinq papyrus datés entre le IIe et le IIIe siècle apr. J.-C. ; le colophon d’un des manuscrits (P. Rainer) affirme que le texte a été traduit depuis l’égyptien, et l’on pense effectivement que le texte original a été composé dans cette langue pendant la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. 31. On distingue deux recensions du texte grec, l’une plutôt anti-alexandrine 32, l’autre à la fois pro-héliopolitaine et antijudéenne 33. Le récit de base, reconstitué à partir de toutes les versions, commence avec la visite d’un sanctuaire d’Isis et Osiris 27 28 29 30 31 32 33 MANÉTHON, Frag. 64 et 65a et b WADDELL : « Bochchôris de Saïs, 6 ans (44 ans selon Eusèbe) : un agneau parla sous son règne. » P. Oxy. 23332, l. 34 : « celui qui règnera pendant 55 ans (...) apportant le malheur aux Grecs, que l’agneau de Bocchoris a annoncé. » Eduard MEYER, « Ein neues Bruchstück über das Lamm des Bokchoris », ZÄS 46 (1909), p. 135-136, texte grec publié par Otto CRUSIUS, Plutarchi. De proverbiis Alexandrinorum 21, Leipzig 1887, p. 12. ÉLIEN, Nat. an. 12, 3. Ludwig KOENEN, « Die Prophezeiungen des “Töpfers” », ZPE 2 (1968), p. 178209 ; Françoise DUNAND, « L’oracle du Potier et la formation de l’apocalyptique en Égypte », dans RAPHAËL, DUNAND & HEINTZ (éd.), L’apocalyptique, p. 4167 ; Allen KERKESLAGER, « The Apology of the Potter : A Translation of the Potter's Oracle », dans I. SHIRUN-GRUMACH (éd.), Jerusalem Studies in Egyptology, Wiesbaden 1998, p. 68-79 ; Ludwig KOENEN, « Die Apologie des Töpfers an König Amenophis oder das Töpferorakel », dans BLASIUS & SCHIPPER (éd.) Apokalyptik und Ägypten, p. 139-187. KOENEN, « Apologie des Töpfer », p. 139-140 : deux papyrus de Vienne — P. Graf (G. 29787 ; IIe siècle apr. J.-C.) et P. Rainer (G. 19813 ; IIIe siècle apr. J.-C.) — et un papyrus d’Oxyrhynque (P. Oxy. 2332, fin du IIIe siècle apr. J.-C.). KOENEN, « Apologie des Töpfer », p. 140 : deux papyrus fragmentaires, le PSI 982 (= CPJ III, 520, IIIe-IIe siècle av. J.-C.) et un papyrus d’Oxyrhynque qui était encore inédit en 2002, le P. Oxy. [26] 3B.52.B (13) (a), IIe siècle av. J.-C. LE RETOUR DU ROI 157 situé sur « l’île d’Hélios » par un pharaon nommé Aménophis, sans précision permettant de savoir de quel souverain de la XVIIIe dynastie il est censé s’agir. Le pharaon y rencontre un potier pris de folie et inspiré par le dieu Hermès, qui révèle bientôt au roi que, de la même manière que ses poteries et son four ont été vandalisés par la foule massée autour de lui, l’Égypte sera bientôt dévastée par des envahisseurs après avoir subi de nombreux bouleversements naturels et sociaux : sécheresse, stérilité, obscurcissement du ciel, etc. Les envahisseurs étrangers en question sont désignés comme des « Typhoniens » 34 — autrement dit des suivants du dieu Seth — et des « porteurs de ceinture » (ζωνοφόροι) 35. Les Typhoniens et leur roi impie venus de Syrie pilleront les temples et emporteront les statues des dieux ; pire, ils déplaceront la capitale égyptienne dans une nouvelle ville, Alexandrie, et se fabriqueront de nouveaux dieux 36. La prophétie se termine une nouvelle fois avec l’annonce 34 Dans la recension anti-judéenne du PSI 982, les Typhoniens sont identifiés comme des Juifs. On peut y voir un parallèle avec le récit « protoapocalyptique » des Impurs raconté par Manéthon (chez Flavius Josèphe, cf. infra, p. 158), mettant en scène un pharaon Aménophis opposé à des lépreux et à des descendants des Hyksos (adorateurs de Seth / Typhon) qui ne sont autre que les ancêtres du peuple juif. Lire à ce propos Youri VOLOKHINE, « Des Séthiens aux Impurs. Un parcours dans l’idéologie égyptienne de l’exclusion », dans Ph. BORGEAUD, T. RÖMER & Y. VOLOKHINE (éd.), Interprétations de Moïse. Égypte, Judée, Grèce et Rome (JSRC 10), Leyde – Boston 2010, p. 199-243. 35 Le sens exact du hapax ζωνοφόροι n’est pas certain : Willy CLARYSSE (« The City of the Girdle-Wearers and a New Demotic Document », Enchoria 18 [1991], p. 177-178) propose d’y voir une manière de désigner des soldats ou des policiers. D’autres ont voulu y reconnaître une traduction de l’égyptien rmṯ ẖr ʿgśw « hommes porteurs de ceinture », une expression attestée depuis la Xe dynastie pour désigner les ennemis étrangers, mais cela reste une supposition ; cf. KOENEN, « Töpferorakel », p. 180, n. 4. Françoise DUNAND (« Oracle du Potier », p. 42-43) avait rappelé pourquoi les hypothèses « iranisantes » — identifiant ces ζωνοφόροι à des démons porteurs de ceintures mentionnés dans une prophétie zoroastrienne — n’étaient pas convaincantes. 36 P. Rainer (G. 19813), col. I, l. 1-4 (éd. KOENEN, « Prophezeiungen », p. 199, trad. DEVAUCHELLE, « Prophéties ») : « Il (un roi impie) régnera sur l’Égypte, quand il se [sera installé] dans la ville en construction, qui moulera à nouveau les dieux et se fera sa propre idole. » La ville « en construction » est bien sûr Alexandrie, 158 PH. MATTHEY d’un retour à l’ordre, quand la déchéance des Typhoniens aura provoqué leur perte et que les dieux égyptiens seront rentrés à Memphis. Alors, un roi envoyé par Hélios et établi par Isis régnera pendant cinquante-cinq ans, rétablira l’équilibre et ramènera les statues des dieux en Égypte. Une fois la prophétie achevée, le potier meurt et le roi le fait enterrer à Héliopolis. On peut également inscrire au dossier des textes apocalyptiques gréco-égyptiens l’épisode de la « prophétie d’Aménophis » inclus dans l’épisode manéthonien des Impurs 37 (dont on ne parlera pas dans le cadre de cette étude) et surtout le récit que l’on peut reconstituer d’après le début du Roman d’Alexandre et le texte fragmentaire connu comme le Songe de Nectanébo, ainsi que sa suite, Nectanébo et l’oracle d’Haroëris. Le Roman d’Alexandre, le Songe de Nectanébo (Prophétie de Pétésis) et Nectanébo et l’oracle d’Haroëris Au début du Roman d’Alexandre, le pharaon Nectanébo, puissant magicien jusque là capable de repousser n’importe quelle armée ennemie, réalise que sa défaite face aux Perses qui menacent d’envahir son pays est inévitable parce que ses propres dieux, cette fois, sont contre lui. Il est contraint de fuir : (…) ἀτενίσας δὲ εἰς τὴν λεκάνην εἶδε τοὺς τῶν Αἰγυπτίων θεοὺς τὰ τῶν πολεµίων βαρβάρων πλοιάρια διακυβερνῶντας. διὸ καὶ στοχάσας τὸν τῶν Αἰγυπτίων βασιλέα ὑπὸ τῶν µακάρων ἤδη προδοσίαν ἐσχηκέναι ξυρησάµενος τὴν κεφαλὴν καὶ τὸν πώγωνα πρὸς τὸ ἀλλοµορφῆσαι, ἐγκολπωσάµενος χρυσὸν ὅσον ἠδύνατο βαστάξαι, ἔφυγε τὴν Αἴγυπτον διὰ τοῦ Πηλουσίου. (…) Ἐν δὲ τῇ Αἰγύπτῳ ἀφανοῦς γενοµένου τοῦ Νεκτανεβῶ ἠξίωσαν οἱ Αἰγύπτιοι τὸν appelée en démotique Rhakôtis ou rʿ-qdt, littéralement « (état de) construction, chantier », et le nouveau dieu qui y est fabriqué est sans doute Sarapis. 37 Connu uniquement par la citation de FLAVIUS JOSÈPHE, C. Ap. 1, 22. LE RETOUR DU ROI 159 προπάτορα τῶν θεῶν Ἥφαιστον, τί ἄρα ὁ τῆς Αἰγύπτου βασιλεὺς ἐγένετο. ὁ δὲ ἔπεµψεν αὐτοῖς χρησµόν, πρὸς τὸν ἀόρατον τοῦ Σινωπίου παραστῆναι, ὃς χρησµοδοτεῖ αὐτοῖς οὕτως· ‘Αἴγυπτον ὁ φυγὼν κραταιὸς ἄλκιµος πρέσβυς βασιλεὺς δυνάστης ἥξει µετὰ χρόνον νέος, τὸ γηραλέον ἀποβαλὼν τύπων εἶδος, κόσµον κυκλεύσας, ἐπὶ τὸ Αἰγύπτου πεδίον, ἐχθρῶν ὑποταγὴν διδοὺς ἡµῖν.’ Οὕτως δοθέντος τοῦ χρησµοῦ τούτου µὴ νοήσαντες τὴν λύσιν εἰς τὴν τοῦ ἀνδριάντος τοῦ Νεκτανεβῶ βάσιν γράφουσι τοὺς στίχους εἰς µνήµην ποτέ που ἐκβησοµένου τοῦ χρησµοῦ. (…) Après avoir scruté le bassin, il (Nectanébo) vit que les dieux des Égyptiens pilotaient les navires des ennemis barbares. En ayant conclu que le roi d’Égypte était désormais trahi par les (dieux) bienheureux, il se rasa la tête et la barbe pour changer son apparence, empocha dans sa robe autant d’or qu’il pouvait en emporter et s’enfuit d’Égypte par l’embouchure de Péluse. (…) En Égypte cependant, après la disparition de Nectanébo, on interrogea l’ancêtre des dieux, Héphaïstos, pour savoir ce qu’était devenu le roi. Le dieu conseilla aux Égyptiens d’aller consulter la divinité invisible de Sinope (i.e. Sarapis), et ce dernier leur rendit l’oracle suivant : « Le vieux roi qui a fuit l’Égypte, encore puissant et valeureux, reviendra en son temps en tant que jeune souverain, sans plus être marqué des traits de la vieillesse ; après avoir fait le tour du monde, il nous fera don, dans la plaine de l’Égypte, de la soumission de nos ennemis. » Ne sachant comment interpréter cet oracle qui leur avait été donné, les Égyptiens décidèrent d’en inscrire les paroles sur (la base d’)une statue de Nectanébo afin que le souvenir en soit fixée le jour où l’oracle se réaliserait 38. 38 PSEUDO-CALLISTHÈNE, Roman d’Alexandre 1, 3 (texte A). Ce passage est présent avec quelques variantes mineures dans toutes les recensions grecques du Roman d’Alexandre : citons encore ici celui de la version du texte L : « Et il voit que les dieux égyptiens pilotent les vaisseaux des assaillants barbares et que les armées de fantassins sont guidées par ces dieux mêmes. Alors Nectanébo, en homme fort expérimenté qu’il était en magie et accoutumé à converser avec les dieux, en apprenant d’eux que les dernières heures de la royauté égyptienne approchaient, après avoir caché beaucoup d’or dans son poitrail, s’être rasé les cheveux et la barbe et déguisé sous un autre vêtement, s’enfuit par l’embouchure de Péluse. (…) Alors les Égyptiens allèrent demander à leurs “divinités”, si l’on peut dire, ce qu’était devenu le roi d’Égypte. Car toute l’Égypte avait été ravagée 160 PH. MATTHEY La prophétie ainsi annoncée par le dieu Sarapis ne se réalise qu’une trentaine d’années plus tard, peu après l’arrivée d’Alexandre le Grand en Égypte : ἐπειδὴ δὲ εἰς τὴν Μέµφιν παρεγένετο, ἐνεθρόνιζον αὐτὸν εἰς τὸ τοῦ Ἡφαίστου ἱερὸν θρονιστήριον καὶ ἐστόλιζον ὡς Αἰγύπτιον βασιλέα. Ὁρᾷ δὲ ὁ Ἀλέξανδρος ἀνδριάντα µέλανος λίθου καὶ ἐπιγραφὴν εἰς τὴν βάσιν· ‘Ὁ φυγὼν βασιλεὺς πάλιν ἥξει εἰς Αἴγυπτον, οὐ γηράσκων ἀλλὰ νεάζων, καὶ τοὺς ἡµῶν ἐχθροὺς Πέρσας ἡµῖν ὑποτάξει.’ Ἐπυνθάνετο δέ, τίνος ὁ ἀνδριάς; οἱ δὲ εἶπον· ‘Οὗτός ἐστιν ὁ ὕστατος ἡµῶν γενόµενος βασιλεὺς Νεκτανεβώ, ὅστις ἐρχοµένων τῶν Περσῶν τὴν Αἴγυπτον πολεµῆσαι εἶδε διὰ τῆς µαγικῆς δυνάµεως τοὺς θεοῦς τῶν Αἰγυπτίων στρατοπεδάρχας τῶν πολεµίων τυγχάνοντας εἰς τὴν Αἴγυπτον [ὃς] καὶ µαθὼν τὴν ὑπ' αὐτῶν γενοµένην προδοσίαν ἔφυγεν. ζητούντων δὲ ἡµῶν αὐτὸν <καὶ> ἀξιούντων τοὺς ἰδίους θεούς, ποῦ ἔφυγεν ὁ βασιλεύς, ἐχρηµάτισεν ἡµῖν ὁ ἐν τῷ ἀδύτῳ τοῦ Σινωπείου θεὸς οὕτως· (…) Ταῦτα ἀκούσας ὁ Ἀλέξανδρος ἀνάλλεται ἐπὶ τοῦ ἀνδριάντος καὶ περιπλέκεται εἰπών· ‘Οὗτος ἐµὸς πατήρ ἐστιν· τούτου ἐγὼ υἱὸς τυγχάνω. οὐκ ἐψεύσατο ὑµᾶς ὁ τοῦ θεοῦ χρησµός. (…) Lorsqu’il (Alexandre) arriva à Memphis, ils l’intronisèrent sur le trône sacré d’Héphaïstos et le vêtirent comme un roi égyptien. Alexandre vit la statue d’un homme en pierre noire, portant sur son socle cette inscription : « Le roi qui s’est enfui reviendra en Égypte, sans avoir vieilli, rajeuni au contraire ; il soumettra à notre loi nos ennemis les Perses. » Alexandre demanda qui représentait la statue. On lui répondit : « C’est notre dernier roi, Nectanébo. Quand les Perses sont arrivés pour faire la guerre à l’Égypte, il a vu, grâce à son pouvoir magique, les dieux égyptiens prendre la tête des armées par les Barbares. Alors le dieu qu’ils prétendent présent dans le sanctuaire du Sérapeum leur délivra cet oracle : “Ce fugitif reviendra en Égypte en roi, sous l’aspect, non pas d’un vieillard, mais d’un jeune homme, et il soumettra à son autorité nos ennemis les Perses.” Et les Égyptiens cherchaient ensemble ce que cette parole signifiait. Et sans en avoir trouvé le fin mot, ils inscrivent cependant l’oracle qui leur avait été donné sur le socle de la statue de Nectanébo. » On relèvera, dans le texte A autant que dans le texte L, la mention anachronique du dieu Sarapis, dont le culte n’existait, bien sûr, pas encore sous le règne de Nectanébo II. LE RETOUR DU ROI 161 ennemies et les guider contre l’Égypte : comprenant qu’il était trahi, il a pris la fuite. Nous l’avons recherché et avons interrogé nos dieux pour savoir où s’était réfugié notre roi. C’est le dieu qui habite le sanctuaire de Sinope (Sarapis) qui nous a rendu cet oracle : (…). » À ces mots, Alexandre sauta sur la statue et l’embrassa en disant : « C’est mon père, je suis son fils ! L’oracle du dieu ne vous a pas menti ! (…) 39. » Rien dans le Roman d’Alexandre ne permet d’expliquer la raison pour laquelle les dieux de l’Égypte se sont retournés contre Nectanébo et ont provoqué la chute du pays. Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers deux autres textes égyptiens. Le premier est celui que l’on a coutume d’appeler le Songe de Nectanébo ou la Prophétie de Pétésis, connu dans sa version grecque grâce à un papyrus grec inachevé retrouvé en 1820 dans le Sérapeum de Memphis 40 et en démotique grâce à une copie très fragmentaire découverte à la fin du XXe siècle dans les archives du temple de Tebtynis 41 : on y lit comment le pharaon Nectanébo, assiste en rêve à une assemblée des dieux égyptiens, qui se plaignent de la négligence du roi concernant un temple d’Onouris (Arès) à Sébennytos dont la décoration n’a jamais été terminée ; à son réveil, Nectanébo mandate aussitôt le sculpteur Pétésis pour réparer son erreur, mais il semble que ses efforts se révèleront vains puisque le 39 PSEUDO-CALLISTHÈNE, Roman d’Alexandre 1, 34, 2-5 (texte A ; le texte L est très similaire). Relevons que cet épisode n’est présent que dans les versions les plus anciennes du Roman, c’est-à-dire dans le texte A et dans le texte L, ainsi que dans les traductions qui en sont directement dérivées (notamment la version latine de Jules Valère et la version arménienne). Le couronnement d’Alexandre à Memphis et la réalisation de la prophétie sont en revanche absents des réécritures byzantines plus tardives, comme celle de la recension γ. 40 P. Leiden I 396 (milieu du IIe siècle av. J.-C.) : le papyrus appartient aux archives de Ptolémaios et Apollonios, les célèbres reclus du Sérapeum. L’édition du texte de référence est celle Ludwig KOENEN, « The Dream of Nektanebos », BASP 22 (1985), p. 171-194 ; pour une bibliographie récente et une traduction française, voir Bernard LEGRAS, Les reclus grecs du Sarapieion de Memphis. Une enquête sur l’hellénisme égyptien, Louvain – Paris – Walpole, Mass. 2011, p. 216-226. 41 P. Carlsberg 562 (Ier-IIe siècle apr. J.-C.), cf. Kim RYHOLT, « A Demotic Version of Nectanebo’s Dream [P. Carslberg 562] », ZPE 122 (1998), p. 197-200. 162 PH. MATTHEY récit s’interrompt abruptement au moment où l’artisan est sur le point d’oublier sa mission dans le vin et les femmes. La version grecque (la plus complète) est la suivante : (Col. I, 1) Πετήσιος ἰερογλύφου πρὸς Νεκτοναβὼν τὸν βασιλέα (Col. II, 1) Ἔτους ις Φαρµοῦθι κα εἰς τὴν κβ, κατὰ θεὸν δὲ διχοµηνίαι, Νεκτοναβὼ τοῦ βασιλέως καταγινοµένου ἐ<ν> Μέµφει καὶ θυσίαν ποτὲ συντελεσαµένου καὶ ἀξιώσαντος τοὺς (II, 5) θεοὺς δηλῶσαι αὐτῶι τὰ ἐνεστηκότα. ἔδοξεν κατ' ἐνύπν<ι>ον πλοῖον παπύριον ὅ καλεῖται Αἰγυπτιστὶ Ῥω<µ>ψ ποσορµῆσαι εἰς Μέµφιν, ἐφ' οὗ ἦν θρόνος µέγας· ἐπί τε τούτου καθῆσθαι (II, 10) τὴν µεγαλόδοξον εὐεργέτειαν, καρπῶν εὑ<ρέτρ>ιαν καὶ θεῶν ἄνασσαν Ἶσιν· καὶ τοὺς ἐν Αἰγύπτῳ θεοὺς πάντας παρεστάναι αὐτῇ ἐγ δεξιῶν καὶ εὐωνύµων αὐτῆς· ἕνα δὲ προελθόντα εἰς τὸ µέσον, οὗ ὑπελάµβανεν εἶναι (II, 15) τὸ µέγεθος πηχῶν εἴκοσι ἑνός, τὸν προσαγορευόµενον Αἰγυπτιστὶ Ὀνοῦριν, Ἑλληνιστὶ δὲ Ἄρην πεσόντα ἐπὶ κοιλίαν λέγειν τάδε· « ἐλθέ µοι θεὰ θεῶν, κράτος ἔχουσα (II, 20) µέγιστον καὶ τῶν ἐν τῷ κόσµωι ἄρχουσα καὶ σῴζουσα θεοὺς πάντας, Ἶσι, καὶ ἵλεως γινοµένη{ς} ἐπάκουσόν µου. καθότι προσέταξας, διατετήρηκα τὴν χώραν ἀµέµπτως· (col. III, 1) καὶ ἕως τοῦ νῦν ἐµοῦ τὴν πᾶσαν ἐπιµέλειαν πεποιηµένου Νεκτοναβῶ τοῦ βασιλέως Σαµαῦτος, ὑπὸ σοῦ κατασταθεὶς ἐπὶ{ς} τῆς ἀρχῆς ἠµέληκεν (III, 5) τοῦ ἐµοῦ ἱεροῦ καὶ τοῖς ἐµοῖς προστάγµασιν ἀντιπέπτωκεν. ἑκτὸς τοῦ ἑαυτοῦ ἱεροῦ εἰµι καὶ τὰ ἐν τῷ ἀδύτωι <τῶι καλουµένωι Φέρσωι> ἡµιτέλεστα ἐστιν διὰ τὴν τοῦ προεστῶτος κακίαν. » Τὴν δὲ τῶν θεῶν (III, 10) ἄνασσαν ἀκούσ<ασ>αν τὰ προδεδηλωµέν[α] µηθὲν ἀποκριθῆναι. Ἰδὼν τὸν ὄνειρον διεγέρθη καὶ προσέταξεν κατὰ σπουδὴν ἀποστεῖλαι εἰς Σεβεννῦτον τὴν µεσόγεον ἐπὶ τὸν ἀρχιερέα καὶ (III, 15) τὸν προφήτην τοῦ Ὀνούριος. Παραγενοµένων δὲ αὐτῶν εἰς τὴν αὐλήν, ἐπυνθάνετο ὁ βασιλεύς, τίνα ἐστὶν τὰ ἐνλείποντα ἔργα ἐν τῷ ἀδύτωι τῶι καλουµένωι Φέρσωι. (III, 20) Τῶν δὲ φαµένων· « Τέλος ἔχει πάντα παρὲξ τῆς ἐπιγραφῆς τῶν ἐνκολαπτοµένων ἰερῶν γραµµάτων ἐν τοῖς λιθικοῖς ἔργοις, » (col. IV, 1) προσέταξεν κατὰ σπουδὴν γράψαι εἰς τὰ λόγι{σ}µα ἱερὰ τὰ κατ' Αἴγυπτου ἐπὶ τοὺς ἱερογλύφους. Παραγενοµένων δ’ αὐτῶν κατὰ τὸ προστεταγµένον, ἐπυνθάνετο ὁ βασιλεύς, τίς ἐστιν ἐν αὐτοῖς (IV, 5) εὐφυέστατος ὅς δυνήσεται ἐν τάχει ἐπιτελέσαι τὰ ἐνλείποντα ἔργα ἐν τῷ ἀδύτωι τῷ καλουµένῳ LE RETOUR DU ROI 163 Φέρσωι. Τούτων διερωτηθέντων <εἷ>ς <τῶ>ν ἐξ Ἀφροδίτης πόλεως τοῦ Ἀφροδιτοπολίτου ὧι ὄνοµα Πετῆσι{ο}ς, (IV, 10) πατρὸς δὲ Ἑργέως, καταστὰς ἔφη δύνασθαι τὰ ἔργα πάντα ἐπιτελέσειν ἐν ὀλίγοις ἡµέραι<ς>. Ὁµοίως δὲ καὶ τῶν ἄλλων ἐπυνθάνετο ὁ βασιλεύς· οἱ δὲ ἔφασαν ἀληθῆ λέγειν <αὐτὸν> καὶ µὴ [εἶ]ναι ἐν τῇ χώραι τοιοῦτον παρευρέσει (IV, 15) ᾑτινιοῦν. Διότι τὰ προδεδηλωµένα ἔργα τάξας αὐτῷ µισθοὺς µεγάλους <ἔδωκεν> ἅµα τε παρεκάλεσεν αὐτὸν ἵνα ἐν ὀλίγαις ἡµέραις ἐγδιώξῃ τὸ ἔργον καθάπερ καὶ αὐτὸς ἔ<φη ἐ>πιτελε[ῖ]ν διὰ τὴν τοῦ θεοῦ βούλησιν. Ὁ δὲ Πετῆσι{ο}ς (IV, 20) κέρµατα λαβὼν πολλὰ ἀπῆλθεν εἱς Σεβεννῦτον καὶ ἔδοξεν αὐτῷ φύσει ὄντι οἰνοπότῃ ῥαθυµῆσαι πρὶν ἤ ἅψασθαι τοῦ ἔργου. (col. V, 1) Καὶ δὴ συµβαίνει αὐτῷ περιπατοῦντι κατὰ τὸ πρὸς νότον µέρος τοῦ ἱεροῦ κατανοῆσαι Ἁθύρεψε θυγατέρα <...> ἥτις ἦν καλλίστη τῶν εἴδ[ε]ι κατ' ἐκεῖνον τὸν 42 ... (Col. I) (… ?) de Pétésis le graveur de hiéroglyphes au roi Nectanébo. (Col. II) L’an 16 [du règne de Nectanébo II], dans la nuit du 21 au 22 Pharmouthi, selon la divinité [i.e. selon le calendrier religieux] le premier jour de la pleine lune. Le roi Nectanébo était parti pour Memphis, il avait accompli un sacrifice et il avait imploré les dieux de lui révéler l’avenir. Il lui apparut en songe qu’un bateau de papyrus, qui est appelé en égyptien rômps, avait jeté l’ancre à Memphis. Sur le bateau se trouvait un grand trône sur lequel était assise la glorieuse Bienfaitrice, Celle qui donne les fruits, la Reine des dieux, Isis, et tous les dieux de l’Égypte se tenaient auprès d’elle, à sa droite et à sa gauche. L’un d’entre eux s’avança vers le milieu, il mesurait à mon avis vingt et une coudées, celui qu’on nomme en égyptien Onouris, en grec Arès, il tomba à terre sur le ventre et dit ces mots : « Viens vers moi, déesse des déesses, toi qui as le plus grand pouvoir, qui règnes sur toute chose dans le monde et qui sauves tous les dieux, Isis sois favorable, écoute-moi. Comme tu l’as ordonné, j’ai conservé sain et sauf le pays d’une manière irréprochable, (col. III) et alors que je prenais jusqu’ici tout le soin possible de Nectanébo, (fils du) roi Samaus, celui qui a été placé en charge du pouvoir par toi a négligé mon sanctuaire et a 42 Édition de KOENEN, « Dream of Nektanebos ». 164 PH. MATTHEY résisté à mes ordres. Je suis exclu de mon propre sanctuaire et les travaux dans le Saint des Saints restent à moitié achevés en raison de la mauvaise volonté du responsable du temple. » La reine des dieux entendit ces mots, mais ne répondit rien. À la vue de ce songe, (Nectanébo) se réveilla et il ordonna au plus vite d’envoyer un messager à Sébennytos auprès du grand-prêtre et du prophète d’Onouris. Quand ceux-ci se furent présentés à la cour, le roi leur demanda quels étaient les travaux restés inachevés dans le Saint des Saints, celui nommé Phersôs. Ils dirent : « Tout est achevé, sauf l’inscription des caractères sacrés gravés sur les reliefs de la pierre. » (col. IV) Le roi ordonna aussitôt d’écrire aux temples renommés en Égypte à l’adresse des graveurs de hiéroglyphes. Ceux-ci s’étant présentés conformément à l’ordre, le roi leur demanda quel était parmi eux le plus doué, capable de terminer rapidement les travaux inachevés dans le Saint des Saints, celui nommé Phersôs. Lorsqu’ils furent interrogés, un homme d’Aphroditopolis, du [nome] Aphroditopolite, du nom de Pétésis, père [i.e. fils] d’Hergeus, se leva et déclara qu’il pouvait accomplir le travail en très peu de jours. Le roi posa la même question aux autres, ils répondirent que cet homme avait dit la vérité, et qu’il n’y en avait pas dans le pays un autre comme lui, quoi que cet autre pût prétendre. C’est pourquoi le roi lui confia les travaux susdits, lui donna un beau salaire et l’exhorta à terminer l’ouvrage en peu de jours, comme il l’avait lui-même promis, car telle était la volonté du dieu. Pétêsis prit beaucoup d’argent, partit pour Sébennytos, et décida, parce qu’il était amateur de vin, de se distraire avant de commencer l’ouvrage. (col. V) Or, tandis qu’il se promenait dans la partie sud du sanctuaire, il rencontra Hathyrepse, la fille de […], qui était bien la plus belle par son apparence 43… Le deuxième récit, que l’on a proposé d’appeler Nectanébo et l’oracle d’Haroëris, est connu en démotique par trois copies 43 Traduction personnelle, modifiée à partir de celle de LEGRAS, Les reclus grecs du Sarapieion de Memphis, p. 217-218. Voir également la traduction plus ancienne mais toujours pertinente d’André-Jean FESTUGIÈRE, La révélation d’Hermès Trismégiste, I. L’astrologie et les sciences occultes, Paris 1989 (1944), p. 55-56. LE RETOUR DU ROI 165 fragmentaires retrouvées dans les mêmes archives du temple de Tebtynis 44. Les allusions aux mêmes personnages et lieux que ceux présents dans la suite du Songe de Nectanébo / Prophétie de Pétésis laissent penser que l’on a affaire à la suite de la même histoire : 1. ḫpr ḥsb.t 16 n pȝ hȝ n pȝ pr-ʿȝ Nḫṱ-ȝy⸗w-ḥr-ḥb 2. iw⸗f n nsw mnḫ n pȝ tȝ ḏr⸗f 3. r Kmy šnb n in-nfr [nb n pȝ]y⸗f h[ȝ] 4. ḫpr wʿ h[rw] ḏ pr-ʿȝ 5. ḥȝt⸗y tḥl ḏbȝ nȝ md.wt i.ir ḫpr n Pȝ-di-Is.t sȝ Ḥl⸗w 6. pȝ ḥm-n-sʿnḫ nfr n Pr-nb.t-ṱp-iḥ ẖn ḥw.t-ntr n ṱbn-ntr 7. ḥn[y⸗r] gm ʿȝ (n) pȝ ṱȝ nty ir⸗w nȝ md.wt (n) rn⸗w ḫpr n im⸗f 8. ḥn[y⸗r] gm ʿȝ (n) ḫȝs.wt nty iw⸗w r iy m-sꜣ⸗y 9. ḥn[y⸗r] gm nȝ šʿṱ.w mtw iw⸗w ir⸗w iw⸗w sḏr.ṱ n Kmy 10. my ir⸗w pȝy⸗y sbty r-ẖ.t pȝ šm mtw⸗y <r ir> r Wn-šm 11. mtw⸗y ir nȝy⸗y <sw>šy.w nȝy⸗y ʿby.w iwt Šm iwt Pr-šw.w 12. ir⸗w pȝ sbty n tȝ mr.t n pr-ʿꜣ 13. ʿl pȝ pr-ʿȝ r tȝ mr.t 14. bn-pw⸗f ḥll r Wn-šmy 15. šm⸗f r ḥw.t-ntr [[n Wn-šm]] iwt šm iwt Pr-šw.w 16. ir⸗f gll wtn m-bꜣḥ Ḥr-wr Cela arriva pendant la 16e année du règne du roi Nectanébo, qui était un roi bienfaiteur pour le pays tout entier, l’Égypte étant unifiée en [toutes] bonnes choses pendant son règne. Il arriva qu’un jour le pharaon dise : « Je suis triste à cause des choses qui sont arrivées à Pétésis, fils d’Hergeus, le talentueux sculpteur d’Aphroditopolis 45, dans le temple de Sébennytos. [J’]ai donné des ordres [pour] découvrir dans quelle période de temps les choses annoncées auront lieu. J’ai donné des ordres pour découvrir la puissance des (pays) étrangers qui me poursuivront / me succéderont. J’ai donné des ordres pour 44 P. Carlsberg 424, 499 et 559, auxquels il faut ajouter le PSI inv. D 60 verso (tous datés du Ier-IIe siècle apr. J.-C.). Cf. Kim RYHOLT, « Nectanebo’s Dream or the Prophecy of Petesis », dans BLASIUS & SCHIPPER (éd.), Apokalyptik und Ägypten, p. 221-241 ; Kim RYHOLT, « A Sequel to the Prophecy of Petesis », dans K. RYHOLT (éd.), The Carlsberg Papyri 10 : Narrative Literature from the Tebtunis Temple Library, Copenhague 2013, p. 157-167. 45 Littéralement : « le domaine de la déesse d’Atfih », i.e. Hathor. 166 PH. MATTHEY découvrir le dénuement qu’ils provoqueront pendant qu’ils demeureront en Égypte. Puissent mes préparatifs être accomplis pour le voyage que je <vais entreprendre> pour Wenkhem 46, afin que je puisse présenter mes fumigations et mes offrandes entre Létopolis 47 et Phersôs. » La préparation de la flotte de Pharaon fut accomplie. Pharaon embarqua à bord de sa flotte. Il se dépêcha jusqu’à Wenkhem. Il se rendit dans le temple entre Létopolis et Phersôs. Il présenta des fumigations et des libations devant Haroëris 48. La mise en relation de la version grecque du Songe, de sa version démotique fragmentaire et de la suite démotique au Songe permet de reconstruire le déroulement du récit d’origine dans son intégralité et d’établir qu’il pourrait en quelque sorte décrire la situation qui ouvrira l’intrigue du Roman d’Alexandre grec 49 : dans la version complète du Songe, on devait sans doute lire comment le pharaon, alerté par un songe du courroux des dieux, ne parvenait pas à achever un temple dédié à Onouris (Arès) à temps, et se voyait annoncer (probablement par le sculpteur Pétésis) que l’Égypte serait bientôt envahie par des étrangers. L’élément particulièrement intéressant à relever dans cette reconstruction est la présence supposée, en son centre, d’une prophétie dont le texte nous est aujourd’hui perdu. Il semble clair que ce qu’on a conservé du Songe était en fait le récit-cadre qui entourait une prophétie ex eventu annonçant probablement une grande période de malheurs pour l’Égypte, suivie éventuellement de l’avènement d’un roi sauveur capable de restaurer la Maât dans le pays et de regagner la faveur 46 Cf. Jean YOYOTTE, « La localisation de Ouenkhem », BIFAO 71 (1972), p. 110 : il s’agit probablement du chef-lieu de la partie nord du nome memphite. 47 Šm est une variante de Ḫm (« le sanctuaire » ?), autrement dit Létopolis. 48 Édition, traduction, commentaires et interprétations d’après RYHOLT, « Prophecy of Petesis », p. 229-230, et « Sequel to the Prophecy of Petesis », p. 160 (avec translittération synoptique des trois manuscrits). 49 Cette hypothèse vient renforcer la théorie de JASNOW, « Alexander Romance and Demotic Literature », selon qui l’épisode égyptien du Roman d’Alexandre aurait été basé sur un conte démotique aujourd’hui perdu : l’ensemble formé par le Songe de Nectanébo et sa suite démotique correspond parfaitement à ce texte qu’imaginait Richard Jasnow. LE RETOUR DU ROI 167 des dieux 50. Le titre grec du Songe, Πετήσιος ἱερογλύφου πρὸς Νεκτοναβὼν τὸν βασιλέα « (Défense ou lettre) de Pétésios le sculpteur de hiéroglyphe au pharaon Nectanébo », laisse à tout le moins supposer une proximité avec le genre « apocalyptique » : il fait notamment écho au titre de l’Oracle du potier, en grec Ἀπολογία κεραµέως πρὸς Ἀµενῶπιν τὸν βασιλέα « Défense du potier devant le pharaon Aménophis ». En réalité, on devrait donner au récit original transmis par le P. Leiden I 396 et le fragment du P. Carlsberg 562 le titre de la Prophétie ou l’Oracle de Pétésis plutôt que le Songe de Nectanébo 51. On devine également que le récit du Songe, ou de la Prophétie de Pétésis, devait suivre grosso modo le même schéma que celui de l’Oracle du potier : après avoir échoué dans sa tâche, Pétésis est convoqué devant le roi pour expliquer les raisons qui l’ont empêché d’accomplir son travail et il prophétise à ce moment que, de même qu’il a négligé son travail, les dieux négligeront l’Égypte et laisseront des étrangers l’envahir, en chasser son pharaon et y semer le chaos pendant un certain temps. Du moins est-ce là ce que les éléments mentionnés au début de la suite démotique au Songe laissent supposer, puisque Nectanébo y évoque le triste sort subi par Pétésis, dont on imagine qu’il est sans doute mort. Ce destin, qui ajoute un côté dramatique à la prophétie rendue irrévocable par la mort de son médium, est celui qui frappe le potier dans l’Oracle du potier et l’agneau dans la Prophétie de l’agneau 52. Si cette reconstruction du Songe de Nectanébo/de la Prophétie de 50 Ou bien, en suivant la reconstruction proposée par RYHOLT, « Sequel to the Prophecy of Petesis », p. 165-167, le premier récit, la Prophétie de Pétésis connue par le texte grec du Songe et par le P. Carlsberg 562, aurait eu pour sujet la prédiction du futur catastrophique réservé à l’´Égypte, sans mention aucune de l’avènement d’un pharaon salvateur. Le second récit, attesté dans les P. Carlsberg 424, 499 et 559, aurait développé l’épisode de la consultation par Nectanébo du dieu Haroëris dans le temple entre Létopolis et Phersôs, avec peutêtre la révélation par le dieu qu’un nouveau pharaon (Alexandre ?) adviendrait pour chasser les ennemis et restaurer l’ordre en Égypte. 51 RYHOLT, « Prophecy of Petesis », p. 232-234. 52 Ibid., p. 233. La reconstruction imaginée par KOENEN, « Dream of Nektanebos » (1985), p. 191-193 était donc tout à fait correcte. 168 PH. MATTHEY Pétésis et de sa suite est la bonne, elle présenterait la chute de Nectanébo II comme le résultat d’une certaine impiété de sa part, en tout cas d’un manque de soin rituel accordé au dieu Onouris /Arès : une telle faute rituelle du roi s’inscrit tout à fait dans la tendance dite « deutéronomiste » qui se manifeste dans les différents textes appartenant à la littérature apocalyptique gréco-égyptienne, en particulier la Chronique démotique (voir infra). À part la Chronique démotique, les quelques « apocalypses » du corpus gréco-égyptien sont donc construites selon le même schéma : un récit-cadre présentant la situation dans laquelle une prophétie est révélée à Pharaon, soit Bocchoris dans la Prophétie de l’agneau, Nectanébo II dans le Songe de Nectanébo / Prophétie de Pétésis, ou un roi Aménophis dans l’Oracle du Potier et dans le récit de Manéthon. Le médium inspiré par les dieux — un agneau, un sculpteur de hiéroglyphes, un potier ou un sage — meurt après avoir déclamé devant le roi ce qui constitue le centre du récit : la prophétie annonçant les malheurs qui frapperont bientôt l’Égypte et la plongeront dans le chaos, une période troublée censée être suivie d’un retour à l’ordre grâce à l’avènement d’un roi capable de restaurer l’équilibre et de sauver le pays. Suite à ces terribles prédictions, le pharaon fait mettre par écrit la prophétie pour que les générations futures en soient informées. Racines de l’apocalyptique gréco-égyptienne : littérature pessimiste et prophéties royales dans l’Égypte pharaonique Si les textes de l’apocalyptique égyptienne datent tous de l’époque tardive, ils empruntent néanmoins nombre de thèmes à des genres littéraires bien antérieurs. De la littérature dite « pessimiste », l’apocalyptique reprend notamment les descriptions catastrophiques d’un monde plongé dans le chaos (Chaosbeschreibung), comme dans les Admonitions d’Ipouer, les Lamentations de Khâkheperreseneb ou LE RETOUR DU ROI 169 le Dialogue d’un désespéré avec son ba 53. On connaît d’ailleurs un exemple plus tardif de cette littérature de lamentation conservé dans un papyrus de l’époque ptolémaïque, le P. Berlin 23040, daté entre 300 et 240 av. J.-C., là encore interprété comme l’expression d’une résistance culturelle contre les envahisseurs étrangers 54. C’est dans ce type de littérature, attesté dès la Première Période Intermédiaire, que l’on trouve formulés pour la première fois une bonne partie des topoi ensuite utilisés dans les prophéties et les apocalypses pour décrire une situation de chaos général — la mort et la guerre frappent la population, plus personne n’est honnête, les temples sont désertés, le pays est infesté de brigands, les pauvres sont devenus riches, le fleuve charrie du sang, des archers étrangers ont envahi l’Égypte, le fils tue son père, etc. De telles descriptions ont alternativement été comprises par les chercheurs comme l’expression d’une résistance cléricale face aux changements de société amenés par une crise historique — ainsi qu’on a souvent interprété la Première Période Intermédiaire — ou au contraire comme une compilation de stéréotypes littéraires sans aucun rapport avec la réalité. Aujourd’hui, on a en grande partie renoncé à faire correspondre ces malheurs à des événements historiques précis ; mais il ne faut pas pour autant considérer que cette littérature, même dogmatique, était complètement imperméable au contexte historique dans lequel elle a été élaborée 55. La même remarque s’applique bien évidemment aux littératures prophétique et apocalyptique des époques plus tardives : le simple fait que de tels textes aient continué à être recopiés, adaptés et parfois même traduits en grec montre l’intérêt qui leur 53 Günter BURKARD & Heinz-Joseph THISSEN, Einführung in die altägyptische Literaturgeschichte, vol. 1 : Altes und Mittleres Reich, Münster – Hambourg – Londres 2003, p. 123-136, 136-142 et 154-160. 54 Günter BURKARD, Das Klagelied des Papyrus Berlin P. 23040 a-c. Ein Dokument des priesterlichen Widerstandes gegen Fremdherrschaft, Mainz 2003. 55 Cf. les réflexions de Jan ASSMANN, « Königsdogma und Heilserwartung. Politische und kultische Chaosbeschreibungen in ägyptischen Texten », dans HELLHOLM (éd.), Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East, p. 345-377 : p. 346-357) et l’état de la question par BURKARD & THISSEN, Litteraturgeschichte, vol. 1, p. 131-136. 170 PH. MATTHEY était porté, peut-être parce qu’ils étaient perçus comme faisant allusion à des réalités contemporaines. Dès le Moyen Empire, les thèmes de certaines de ces « lamentations » et descriptions chaotiques sont intégrés et amplifiés dans un autre genre littéraire, celui des prophéties royales. Ces prophéties suivent plus ou moins le même schéma narratif, ensuite repris par l’apocalyptique gréco-romaine : elles mettent en scène un pharaon du temps jadis auquel un prophète révèle le déroulement des événements futurs. Dans le cas de la plus célèbre d’entre elles, la Prophétie de Néferti 56, le sage éponyme se rend auprès du roi Snéfrou, souverain de la IVe dynastie, qui souhaite écouter quelques belles paroles pour se divertir. Néferti lui propose de choisir entre de belles histoires du passé et des paroles concernant le futur : Snéfrou choisit d’en apprendre plus sur l’avenir. À ce point du récit, le lecteur se rend compte qu’il a affaire à un nouveau genre de littérature : on pouvait déjà lire une prophétie faite à Chéops par le magicien Djédi à propos de la naissance des trois premiers pharaons de la Ve dynastie dans le P. Westcar, mais elle était dépourvue de toute notion de bouleversement ou de crise. Néferti, en revanche, commence à dépeindre une situation très noire : les cours d’eau seront à sec, des ennemis asiatiques envahiront l’Égypte depuis l’est, le monde sera sans dessus dessous, les hommes tueront leurs pères, leurs frères et leurs fils, Rê ne brillera plus dans le ciel et les ténèbres s’abattront sur le pays, etc. À cette longue énumération des malheurs appelés à frapper l’Égypte, très proche des lamentation de la littérature pessimiste, la Prophétie de Néferti ajoute toutefois l’annonce de l’avènement d’un pharaon supposé rétablir l’ordre perturbé, en l’occurrence un certain Amény, autrement dit le fondateur de la XIIe dynastie Amenemhat Ier. Il est assez évident que cette pseudo-prophétie — qualifiée d’ex eventu ou post eventum, 56 P. Ermitage 1116b (= P. Saint-Petersbourg 1116b), daté de la XVIIIe dynastie ; le texte est également connu par quelques autres copies sur bois ou sur ostraca. Cf. ASSMANN, « Königsdogma und Heilserwartung », p. 357-361 ; BURKARD & THISSEN, Litteraturgeschichte, vol. 1, p. 142-147 ; une traduction française est proposée par DEVAUCHELLE, « Prophéties », p. 10-13. LE RETOUR DU ROI 171 c’est-à-dire fabriquée à partir de ou après un événement inscrit dans l’histoire — est un texte de glorification composé sur commande royale pour présenter l’accession au trône d’Amenemhat Ier comme l’événement qui empêche l’Égypte de plonger dans le chaos 57. Signalons également que de nombreuses inscriptions royales du Nouvel Empire utilisent le même type de formulation stéréotypique insistant sur le rétablissement de la Maât par un pharaon qui avait trouvé le pays — surtout les temples — plongé dans la ruine et le chaos à cause de l’impiété du souverain précédent 58. Comme dans le cas des Lamentations, on peut supposer que les descriptions chaotiques de ce genre de pseudo-prophétie sont basées en partie sur des motifs purement littéraires caractérisant un monde en proie au chaos. Pour autant, ces descriptions font parfois allusion à des événements bien réels qui ont marqué la mémoire des Égyptiens en tant que drames particulièrement catastrophiques. Parmi ces faits historiques, les invasions par des peuples étrangers semblent constituer un traumatisme particulièrement grave pour les Égyptiens, invasions dont la plus importante est sans conteste celle des Hyksos, peuplades proche-orientales installées dans le Delta oriental qui en viennent à gouverner l’Égypte au début de la Seconde Période Intermédiaire (entre le XVIIe et le XVIe siècle av. J.C.), avant d’être chassés par les souverains de la XVIIIe dynastie. Ces « souverains des pays étrangers » — sens de l’égyptien ḥqȝ.wḫȝs.wt, que Manéthon transcrit par Hyksos — sont restés dans l’imaginaire égyptien comme l’archétype des envahisseurs impies, pillant les temples et s’attirant la colère de Rê 59. Quoi qu’il en soit, il n’est pas surprenant que la littérature prophétique égyptienne se soit 57 Cf. George POSENER, Littérature et politique dans l’Égypte de la XIIe dynastie, Paris 1956. 58 Les principaux documents sont rassemblés par ASSMANN, « Königsdogma und Heilserwartung », p. 364-368. 59 Cf. la présentation de l’ensemble du dossier par Youri VOLOKHINE, « Le Seth des Hyksos et le thème de l’impiété cultuelle », dans T. RÖMER (éd.), La construction de la figure de Moïse, Paris 2007, p. 101-119, et ID., « Des Séthiens aux Impurs ». 172 PH. MATTHEY peu à peu développée en une véritable littérature apocalyptique avec les invasions à répétition du pays par des envahisseurs étrangers. Pertinence du concept de littérature « apocalyptique » en Égypte ? Afin de mieux comprendre la manière dont la littérature « apocalyptique » s’est constituée en Égypte, il faut en premier lieu admettre que ce terme est en réalité peu adapté au domaine égyptien, étant donné qu’il ne correspond à aucune catégorie émique : dans la Prophétie de l’Agneau, le colophon désigne le texte comme une « malédiction » ou une « exécration » (sḥwy) de Rê contre l’humanité, tandis que l’Oracle du Potier (et le Songe de Nectanébo) sont chacun qualifiés en grec de « défense » (ἀπολογία) du personnage prophétique devant le pharaon 60. Contrairement aux apocalypses juives et chrétiennes, nos textes ne sont pas toujours focalisés autour de la révélation transmise à un prophète par le biais d’un agent surnaturel, le plus souvent un ange, et n’ont pas de visée strictement eschatologique, dans le sens qu’ils ne décrivent ni fin du monde, ni jugement des morts, ni avènement d’un âge d’or éternel. Le pharaon sauveur n’est jamais que le premier souverain d’une nouvelle dynastie et son rôle n’est pas d’annoncer quelque Jugement Dernier, mais d’initier le début d’un nouvel âge de stabilité politique. Le thème de la destruction de l’Égypte ne sera réellement exploré que dans les textes tardifs dérivés de l’apocalyptique grécoégyptienne, par exemple dans le traité hermétique en latin de l’Asclépius au IIIe-IVe siècle apr. J.-C., où l’on peut lire la prédiction de la destruction complète et définitive de l’Égypte et de sa civilisation, abandonnée par ses propres dieux et transformée en désert 61. À cause de ces différences essentielles entre traditions 60 Joachim F. QUACK, Einführung in die altägyptische Literaturgeschichte III : die demotische und gräko-ägyptische Literatur, Berlin – Hambourg – Münster 2005, p. 148. 61 HERMÈS TRISMÉGISTE, Asclépius 24-25 NOCK & FESTUGIÈRE. LE RETOUR DU ROI 173 prophétiques gréco-égyptiennes et judéo-chrétiennes, Jonathan Z. Smith avait proposé d’en rester, dans le domaine égyptien, à l’appellation de littérature « proto-apocalyptique » 62. Jan Assmann 63 et plus récemment Robert Gozzoli 64 estiment de leur côté que les textes de la littérature apocalyptique sont en réalité plus caractérisés par leur « messianisme politique » que par la structure formelle de « révélation » surnaturelle qui donne son nom aux apocalypses mais qui ne s’applique pas systématiquement aux textes du corpus grécoégyptien. L’anticipation de l’avènement du roi sauveur envoyé par les dieux pour chasser les envahisseurs et rétablir la Maât est effectivement un motif très important dans tous ces documents, de la Chronique démotique à la Prophétie de l’agneau et surtout dans le Roman d’Alexandre, récit qui s’offre le luxe d’être le seul de nos textes à mettre en scène l’avènement historique d’un roi sauveur dont la venue avait été prophétisée. De même que pour la catégorie de littérature « apocalyptique », parler d’une tendance « messianique » en Égypte pourrait laisser penser que ce phénomène est directement hérité de la littérature de l’Israël ancien : en réalité, même si les influences et les interférences entre les deux cultures sont avérées, il ne faut pas perdre de vue que le topos de l’avènement du roi sauveur envoyé par les dieux pour réparer les erreurs de ses prédécesseurs — si bien illustré par l’exemple d’Alexandre dans le Roman — est également construit en partie sur les concepts égyptiens de la théogamie et de la filiation divine du pharaon 65, en partie sur le concept d’histoire cyclique 62 Jonathan Z. SMITH, « Wisdom and Apocalyptic », dans Map is not Territory. Studies in History of Religions, Leyde 1978, p. 66-87. 63 Jan ASSMANN, The Mind of Egypt. History and Meaning in the time of the Pharaohs, New York 2002 (1re éd. allemande : Ägypten. Eine Sinngeschichte, Munich 1996), p. 377-388. 64 Roberto GOZZOLI, The Writing of History in Ancient Egypt During the First Millenium BC (ca. 1070-180 BC) : Trends and Perspectives, Londres 2006, p. 302-304. 65 Sur l’évolution de ces concepts, voir Jan ASSMANN, « Die Zeugung des Sohnes. Bild, Spiel, Erzählung und das Problem des ägyptischen Mythos », dans J. ASSMANN, W. BURKERT & Fr. GRAF (éd.), Funktionen und Leistungen des 174 PH. MATTHEY inhérent à l’idéologie royale égyptienne, avec sa notion de « première fois » (sp tpy) systématiquement répétée, de retour à l’ordre toujours réinitialisé par chaque nouveau souverain 66. Il convient donc de garder à l’esprit qu’en ce qui concerne le corpus gréco-égyptien que nous avons étudié, tant la qualification de littérature « apocalyptique » que celle de production teintée d’un certain « messianisme politique » pose problème et pourrait conduire à une mauvaise évaluation de leur constitution et de leur nature 67. Histoire « deutéronomiste » et théodicée historique : mutation idéologique en Égypte Un autre motif littéraire important dans le corpus des littératures prophétique et « apocalyptique » en Égypte fournit un parallèle intéressant avec le développement du courant apocalyptique dans l’Israël ancien : il s’agit de ce que Jan Assmann qualifie d’aspect « deutéronomiste » de ces textes 68, en allusion à l’historiographie inventée après la destruction du premier Temple et l’Exode à Babylone en 587 av. J.-C., cherchant à présenter les événements désastreux comme la conséquence de transgressions morales et à attribuer les vicissitudes de l’Histoire au non-respect de la loi divine par les dirigeants, comme on peut le lire dans le deuxième Livre des Rois ou surtout dans le Deutéronome 69. Dans son commentaire 66 67 68 69 Mythos. Drei altorientalische Beispiele (OBO 48), Fribourg – Göttingen 1982, p. 13-61. Cf. les remarques de Ivan A. LADYNIN, « Review of “The Writing of History in Ancient Egypt during the First Millenium BC (ca. 1070-180 BC) : Trends and Perspectives.” By Roberto B. Gozzoli. GH Egyptology 5. London, Golden House Publications, 2006 », JEA 94 (2008), p. 329-332 : p. 332. Voir notamment DUNAND, « Oracle du Potier », et SMITH, « Wisdom and Apocalyptic », p. 66-87. ASSMANN, Mind of Egypt, p. 377-388. Le texte en Dt 17, 17-20 précise que le roi d’Israël aura de longs jours sur le trône, ainsi que ses fils, à la condition explicite qu’il respecte très rigoureusement la loi. En 2 R 17 : 1-20, il est dit que l’invasion d’Israël de Samarie par les LE RETOUR DU ROI 175 historique à la Chronique démotique, Eduard Meyer avait été le premier à faire remarquer la similarité dans la formulation de ces thèmes entre le Deutéronome et la littérature égyptienne 70. On retrouve effectivement l’expression d’une semblable théodicée dans le chapitre 10 de la Chronique démotique 71, où le pharaon Amyrtée se voit destitué de son vivant parce qu’il avait « ordonné de bafouer la loi-hep » 72 et où il est dit d’un autre roi chassé de son trône qu’il « n’est pas advenu sur le chemin (du) dieu » 73, tandis qu’Achôris voit son règne prolongé parce qu’il était « généreux pour les temples » 74. La même tendance est également perceptible dans de nombreux passages de la Prophétie de l’agneau, de l’Oracle du potier et même du Songe de Nectanébo, où le pharaon est probablement puni par les dieux parce qu’il n’a pas su prendre soin d’un de leurs temples. En dehors du corpus strictement « apocalyptique », on en lit également une belle formulation dans l’« Arétalogie » d’Imouthès / Asclépios, le récit de la prétendue découverte et traduction d’un manuscrit sacré sous le règne du roi « Nectaneibis », manuscrit dont l’introduction décrit comment un pharaon des temps reculés bénéficia des faveurs divines parce qu’il s’était bien comporté envers les dieux : (Le roi Ménéchérès, i.e. Mykérinos) combla de présents magnifiques la tombe d’Asclépios fils d’Héphaïstos, celle d’Horus fils d’Hermès, celle aussi de Kaléoibis fils d’Apollon, et reçut en récompense une abondance de bonheur. C’est à cause de cela, en effet, que l’Égypte fut alors sans guerre et copieusement pourvue des dons de la terre. Car 70 71 72 73 74 Assyriens et la déportation des Israélites a pour cause la colère de Yahvé, parce que son peuple s’était détourné de lui et avait adoré d’autres divinités. Eduard MEYER, « Ägyptische Dokumente aus der Perserzeit », SPAW 16 (1915), p. 287-311. Cf. toute l’analyse en ce sens de JOHNSON, « The Demotic Chronicle as a Statement of a Theory of Kingship ». Chronique démotique, chap. 10, col. IV, 1-2. Ibid., chap. 10, col. IV, 7-8 Ibid., chap. 10, col. IV, 9-10. 176 PH. MATTHEY les pays sont florissants que gouvernent des rois pieux, et, au contraire, les pays dont le roi est impie périssent dans le malheur 75. On retrouve effectivement dans la majorité des textes apocalyptiques égyptiens de l’époque gréco-romaine une philosophie similaire à celle exprimée dans le Deutéronome. Mais de même que pour l’emploi du terme « messianique », qualifier le corpus apocalyptique égyptien de « deutéronomiste » semble impliquer une dépendance envers la pensée judaïque quelque peu surestimée, alors qu’en réalité la notion de justice divine est, comme celle du roi « sauveur », également présente dans la pensée égyptienne depuis un certain temps, en particulier dans la littérature sapientiale. On peut par exemple en lire une expression dans l’Enseignement à Mérykaré, un traité de la monarchie conservé sur des manuscrits datés de la XVIIIe dynastie où un roi prodigue des conseils moraux sur la fonction royale à son fils Mérykaré, pharaon ayant probablement régné pendant la seconde moitié de la Xe dynastie (env. 2130-2022 av. J.-C.) : « mets en œuvre la Maât et tu dureras sur terre » ou « fais des monuments … pour la divinité » sont deux exemples des recommandations adressés à Mérykaré 76. Dans une sagesse démotique plus tardive, l’Enseignement de Chasheshonqy, on retrouve également cette théorie des malheurs historiques interprétés comme autant de manifestations de la punition divine : Lorsque Phrê est en colère contre un nome, il fait en sorte […] et il n’a pas coutume de […] lui. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, son prince délaisse la loi. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il y fait disparaître (toute) loi. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il fait disparaître (toute) pureté. 75 P. Oxy. 1381, col. XI, l. 228-244 (IIe siècle apr. J.-C.) ; trad. modifiée d’après FESTUGIÈRE, La révélation d’Hermès Trismégiste I. L’astrologie et les sciences occultes, p. 55. 76 Enseignement à Mérykaré P47 et P61, dans Pascal VERNUS (éd.), Sagesses de l’Égypte pharaonique, Arles 2010, p. 186 et p. 188. LE RETOUR DU ROI 177 Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il fait disparaître (toute) vérité. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il y fait baisser (les) prix. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il ne permet pas qu’on y trouve (de) crédit. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il ne permet pas qu’on y trouve la fête et la joie. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il élève les gens du commun et il abaisse les puissants. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il met les sots au-dessus des savants. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il ordonne à son prince de maltraiter le peuple. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il fait de son scribe un gouverneur. Lorsque Phrê est en colère contre un pays, il fait de son lessiveur un vizir77. Pascal Vernus a par ailleurs démontré de manière fort convaincante que ce qu’Assmann appelle « deutéronomisme » est une tendance qui s’inscrit dans le cadre d’une importante mutation idéologique dont on peut suivre le développement en Égypte dès le Nouvel Empire. Il s’agit du développement, entre autres, de la notion que le démiurge peut intervenir directement non seulement sur le destin individuel d’une personne, mais aussi sur les événements collectifs, sur la société égyptienne en général 78. Cette mutation se caractérise entre autres par l’élaboration d’une véritable théorie religieuse de l’histoire tout à fait semblable à celle qui apparaîtra dans la Judée du VIe siècle av. J.-C. : la succession des événements 77 Enseignement de Chasheshonqy V, 1-13 (P. BM 10508, fin de la période ptolémaïque). Traduction d’après Damien AGUT-LABORDÈRE & Michel CHAUVEAU (éd.), Héros, magiciens et sages oubliés de l’Egypte ancienne : une anthologie de la littérature en égyptien démotique, Paris 2011, p. 279-280. 78 Pascal VERNUS, « La grande mutation idéologique du Nouvel Empire : une nouvelle théorie du pouvoir politique. Du démiurge face à sa création », BSEG 19 (1995), p. 69-95 : p. 88-95. 178 PH. MATTHEY historiques heureux ou malheureux en vient à ne plus être perçue comme le fruit du hasard, mais comme le résultat direct de la volonté divine. Vernus interprète ce changement dans l’idéologie royale — affirmé officiellement sous le règne de Ramsès XI — comme la principale étape sur le chemin de l’avènement de la théocratie thébaine sous la XXe dynastie 79. Les premières manifestations de cette théorie égyptienne de la théodicée apparaissent assez logiquement en même temps que grandit l’emprise du clergé égyptien sur le pouvoir royal. Les troubles politiques et les invasions étrangères apparaissent comme des sanctions divines punissant les actions d’un souverain impie, tandis qu’un règne prospère récompense un pharaon qui a su rester fidèle aux dieux, en suivant bien sûr un code du comportement religieux idéal dont la composition est entre les mains des milieux sacerdotaux. Ces changements, observe Vernus, impliquent un réajustement de l’image du pharaon, dont le statut se trouve rabaissé et semble de plus en plus soumis à l’approbation divine exprimée notamment lors de consultations oraculaires, là encore contrôlées par le clergé. Selon lui, en ce qui concerne l’Égypte, la tendance « deutéronomiste » si importante dans l’apocalyptique gréco-égyptienne serait une héritière directe des changements survenus dans le paradigme religieux dès le Nouvel Empire, et pourrait être comprise comme un signal de la mainmise du clergé sur l’idéologie royale. Contextes de production des discours apocalyptique dans le Proche-Orient Ancien : conclusion et ouvertures La Chronique Démotique, la Prophétie de l’Agneau, l’Oracle du Potier, ainsi que le Songe de Nectanébo et le début du Roman d’Alexandre sont des textes complexes, qui font en partie allusion à des événements historiques tout en soutenant une double idéologie 79 VERNUS, « La grande mutation idéologique », p. 91. LE RETOUR DU ROI 179 royale et sacerdotale proche d’une forme de propagande, le tout entouré d’un récit-cadre mettant en scène le pharaon en tant que protagoniste. L’étude de ce corpus illustre parfaitement les difficultés rencontrées par la tendance à analyser les textes de ce corpus « apocalyptique » uniquement en tant que littérature de propagande ou de résistance culturelle : s’il est évident que ces textes sont en partie construits ou modifiés pour servir à des fins politiques, il ne s’agit là que d’un élément parmi d’autres au sein du large catalogue des influences et des emprunts littéraires à l’origine de leur composition. Pour en revenir au lien entre propagande et littérature apocalyptique, on conclura cette enquête par un rappel des réflexions proposées par Jonathan Z. Smith et Bruce Lincoln pour mieux comprendre la manière dont les rapports de force entre pouvoir royal et élite intellectuelle influencent la production littéraire sapientiale et apocalyptique dans le Proche-Orient ancien. Les deux spécialistes entendent, par littérature pseudo-prophétique ou proto-apocalyptique, toute réécriture a posteriori de l’histoire, que ce soit à l’avantage d’un roi ou au bénéfice d’un groupe social, politique, religieux, etc., souhaitant présenter sa propre version des événements survenus dans le passé, ou son idée de ce qui devrait advenir dans le futur 80. Pour Lincoln, les liens étroits entretenus par les genres littéraires de la propagande royale et de l’apocalyptique ne sont pas accidentels. Les textes apocalyptiques ont pour point de départ un des tenants centraux de la propagande impériale, à savoir l’équation d’un ordre impérial avec l’ordre du cosmos lui-même. Mais au lieu de suivre l’idéologie de propagande selon laquelle l’empire, par identification avec le cosmos, doit être éternel et immuable, la littérature apocalyptique renverse cette vision pour avancer que l’univers, par analogie avec les empires, se fragilise et risque d’approcher de sa fin 80 SMITH, « Wisdom and Apocalyptic », p. 66-87 ; Bruce LINCOLN, « Apocalyptic Temporality and Politics in the Ancient World », dans COLLINS, MCGINN & STEIN (éd.), The Encyclopedia of Apocalypticism, vol. 1, p. 457-475. Cf. aussi SMITH, « A Pearl of Great Price and a Cargo of Yams », p. 90-101, centré sur une étude plus approfondie de la documentation babylonienne. 180 PH. MATTHEY si un personnage extraordinaire — roi ou divinité messianique — n’advient pas pour renouveler l’ordre divin et restaurer le cosmos dans son état premier. Le cœur de l’opposition entre propagande impériale et apocalypse se trouve là : la première construit une histoire sacrée officielle réécrivant le passé afin de stabiliser l’avenir et prévenir toute possibilité de changement à une situation présentée comme idéale ; la deuxième construit un énoncé prophétique traitant du futur afin de renverser un statu quo perçu comme intolérable 81. De fait, Lincoln observe que la production apocalyptique est le plus souvent issue d’un milieu qui a récemment perdu, ou qui se sent menacé de perdre son pouvoir, son prestige ou sa sécurité. Dans l’Antiquité, remarque-t-il, la production de littérature apocalyptique est la majeure partie du temps associée à l’expression de tendances « nationalistes », à la volonté de libérer un pays conquis par un ennemi étranger et de restaurer une gouvernance royale indigène. Lincoln se base ici sur l’interprétation du phénomène qu’avait déjà élaborée J. Z. Smith 82 : dans l’ensemble du Proche-Orient, les courants apocalyptiques auraient tendance à naître dans les situations où la caste locale de scribes, d’habitude inféodée au pouvoir politique, se retrouve soudain privée de la tutelle royale indigène. C’est surtout dans ces conditions que la production littéraire sapientiale ou de propagande royale prendrait des accents apocalyptiques : le trône est occupé par un mauvais roi (étranger), le cosmos va par conséquent être détruit, il faut qu’un dieu confie le pouvoir à un nouveau roi local ou assume la royauté lui-même. Prenant toutefois le contre-pied de la théorie de Smith qui voit l’apocalyptique comme une forme de propagande dépourvue de 81 LINCOLN, « Apocalyptic Temporality », p. 466. À propos du rapport entre écriture de l’histoire et littérature pseudo-prophétique, on renverra aussi aux articles de Mireille HADAS-LEBEL, « Prophétie et histoire chez Flavius Josèphe », dans N. GRIMAL & M. BAUD (éd.), Événement, récit, histoire officielle. L’écriture de l’histoire dans les monarchies antiques, Paris 2003, p. 115-128, et François HARTOG, « Polybe et Daniel : deux histoires universelles ou qu’est-ce qu’être contemporain ? », Asdiwal 6 (2011), p. 81-90. 82 SMITH, « Wisdom and Apocalyptic », p. 86, et « A Pearl of Great Price and a Cargo of Yams », p. 94. LE RETOUR DU ROI 181 tutelle royale, Lincoln préfère considérer la propagande impériale comme une forme de littérature apocalyptique qui a « réussi ». Quand un mouvement contestataire ne parvient pas à concrétiser ses ambitions révolutionnaires, en revanche, Lincoln relève que cette production littéraire peut survivre à la disparition de son milieu de production pour être utilisée et réactualisée par d’autres mouvements d’opposition. Ce processus de mise à jour (updating) des apocalypses, également analysé par Smith 83, entraîne parfois la perte de spécificité de leur contexte historique original et ouvre la voie aux myriades d’interprétations tortueuses auxquelles les soumettent ensuite les savants anciens et modernes, un phénomène d’autant plus évident pour les textes conservés par plusieurs manuscrits tels que l’Oracle du Potier. Si les théories de Smith et de Lincoln concernent le monde proche-oriental dans son ensemble et s’avèrent peut-être trop générales pour correspondre parfaitement à toutes les nuances des différents contextes socio-culturels, il faut reconnaître qu’elles s’appliquent relativement bien au domaine égyptien. On observe effectivement au sein de la tradition sacerdotale égyptienne la production d’une littérature qualifiée de prophétique tant qu’elle sert des fins de propagande royale, entre le Moyen Empire et la fin Nouvel Empire. Mais on désigne une littérature très similaire par le terme « apocalyptique » dès la fin de la Basse Époque, quand elle se met à servir les intérêts des oppositions régionales au pouvoir royal en place. Pour autant, il peut sembler exagéré de comprendre ce mécontentement uniquement comme l’expression d’une résistance nationaliste de toute l’Égypte face aux souverains étrangers. Les prêtres qui composent les différents textes de notre corpus expriment un avis le plus souvent limité à leur propre communauté et qui ne trouve un écho transrégional voire transnational que dans certains cas exceptionnels, dont la révolte des pharaons Haronnophris et Chaonnophris serait un exemple, et l’intégration du motif apocalyptique de la fin du règne de Nectanébo II dans le Roman 83 SMITH, « Wisdom and Apocalyptic », 1978, p. 77-78. 182 PH. MATTHEY d’Alexandre serait un autre. Par ailleurs, il est peut-être abusif de discerner dans l’apocalyptique gréco-romaine l’expression d’un réel désespoir des Égyptiens face à l’irrémédiable déchéance de leur culture, alors que les auteurs de ces textes se contentent finalement de réutiliser les motifs littéraires séculaires que la tradition sacerdotale met à leur disposition, motifs qu’il serait simpliste d’interpréter unilatéralement comme le fidèle miroir des traumatismes subis par l’Égypte. Université de Genève Unité d’histoire des religions 2, rue de-Candolle CH-1211 Genève 4. Sources anciennes, traductions et littérature secondaire 1. Sources anciennes et traductions HISTOIRE D’ALEXANDRE A Historia Alexandri Magni. Recensio vetusta. Édition par Wilhelm KROLL, Berlin 1926. TALLET-BONVALOT, Aline (trad.), Le Roman d’Alexandre : Vie d’Alexandre De Macédoine, Paris 1994. TEXTE TEXTE L Der griechische Alexanderroman. Rezension β. Édition par Leif BERGSON (AUStock, Studia Graeca 3), Stockholm – Göteborg – Uppsala 1965. 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Ainsi que l’ont fait remarquer divers spécialistes, de nombreuses influences égyptiennes peuvent être décelées dans tout le Roman d’Alexandre ; notamment la présence d’un motif récurrent dans la pensée égyptienne, celui de l’avènement d’un roi juste, en l’occurrence Alexandre le Grand, chassant les étrangers impies hors du pays et rétablissant l’équilibre social et cosmique de la Maât. Il est intéressant de relever que la figure du roi Nectanébo, le père caché d’Alexandre selon le Roman, joue un rôle de premier plan dans un autre texte littéraire connu sous le nom du Songe de Nectanébo, un récit fragmentaire connu par un papyrus grec du IIe siècle av. J.- C. (P. Leiden I 396) dont on a récemment pu compléter le déroulement grâce à la LE RETOUR DU ROI 189 découverte de quelques papyrus démotiques (notamment les P. Carlsberg 424, 499 et 559). L’histoire, ainsi que l’on peut la reconstituer grâce à ces documents démotiques, appartient au courant littéraire égyptien qu’il est convenu d’appeler apocalyptique ou pseudo-prophétique. Les textes appartenant à ce type de littérature, par exemple la « Chronique » démotique, la Prophétie de l’Agneau ou (traduit en grec) l’Oracle du Potier, suivent toujours la même structure narrative : un roi au comportement impie se voit révéler dans une prophétie les malheurs que son comportement attirera sur l’Égypte, comprenant des événements catastrophiques et l’invasion de son pays par des armées étrangères (Perses, Grecs, Romains, etc.). Ces prophéties prédisent également que l’ordre et la stabilité reviendront en Égypte grâce à l’avènement d’une figure salvatrice, incarnée par un nouveau roi ou par un prêtre. La présence de ces éléments égyptiens dans le Roman d’Alexandre, ainsi que la production des autres textes pseudo-prophétiques, a souvent été interprétée comme le produit de réactions indigènes et « nationalistes » face aux invasions étrangères, comme une forme de « propagande » égyptienne. Je propose d’aller au-delà de ces notions potentiellement anachroniques de « nationalisme » et de « propagande » et de se demander si les récits reliant Alexandre à Nectanébo ne sont pas plutôt le résultat d’interactions entre récits et contre-récits composés pendant la Basse Époque dans le cadre d’une théologie historique trouvant ces racines dans la littérature d’époque pharaonique des Sagesses et des prophéties insistant sur la piété dont les pharaons sont censés faire preuve et sur leur adhésion aux préceptes de la loi divine (Maât ou loi-Hep). Summary The Return of the King. “Apocalyptic” Egyptian Literature and Construction of Alexander Romance This paper proposes a reflection on the construction of the Alexander Romance and its Egyptian “apocalyptic” literary roots. As pointed out by various scholars, many different Egyptian influences can be felt throughout the Alexander Romance; for instance, the presence of a recurrent Egyptian motive, the advent of a just king chasing the impious foreigners and establishing once again the Ma’at. Interestingly enough, the figure of king Nectanebo played a prominent role in another literary text known as Nectanebo’s Dream, a fragmentary narrative conserved on a Greek papyrus from the second century B.C. (P. Leiden I 396), which can be completed by a handful of Demotic papyri (especially P. Carlsberg 424, 499 and 559). The story, as it can be reconstructed from these documents, belongs to the so-called apocalyptic or pseudo-prophetic Egyptian literature. Texts belonging to this kind of literature, for example the “Demotic” Chronicle, the Prophecy of the Lamb or (translated in Greek) the Potter’s Oracle, always follow the same narrative structure: a king who doesn’t pay the proper respect to the gods is delivered a prophecy about future catastrophic events and the invasion of Egypt by foreigners (Persians, Greeks, Romans, etc.). These prophecies then advertise the return to stability through the advent of a saviour figure incarnated by a new king or priest. The Egyptian elements in the Alexander Romance, together with the Egyptian pseudo-prophetic texts, have 190 PH. MATTHEY often been interpreted as the result of native, “nationalist” reactions against foreign invasions, a form of Egyptian “propaganda”. I propose to go beyond the potentially anachronistic categories of “nationalism” and “propaganda”, and to ask whether the legend connecting Alexander to Nectanebo might the result of the cross-cultural interactions of narratives and counter-narratives within the frame of a Late Egyptian historical theology demanding piety of pharaohs and adherence to the precepts of divine law (Ma’at or Hep), itself inherited from the pharaonic Wisdom and Prophetic literatures. Mots-clés / Keywords Apocalyptique – Propagande – Nectanébo II – Roman d’Alexandre – Prophétie Apocalyptic – Propaganda – Nectanebo II – Alexander Romance – Prophecy