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p a g e 6 P a u l S a b a t i e r — L e m a g a z i n e s c i e n t i f i q u e — n u m é r o 1 6
Les nano-machines
de la recombinaison génétique
Au cours de la vie d’une cellule, l’ADN, support de notre patrimoine héréditaire,
est régulièrement recombiné de manière spontanée ou en réponse à des
dommages (agressions chimiques, rayonnements). La recombinaison consiste
en une succession de réactions de coupure et de ligature assurées par des
complexes protéiques, véritables nano-machines du vivant. En permettant des
échanges entre brins d’ADN, ces machines sont les moteurs de la diversité
génétique, premier pas de l’évolution.
Sur le campus de l’université Paul Sabatier, trois
équipes de recherche étudient différents types de
recombinaisons génétiques à l’échelle de la molécule
unique : la transposition, la recombinaison spécifique de
site et la recombinaison homologue, chacun catalysé par
une machinerie enzymatique propre (suffixe -ase).
Les transposases catalysent le déplacement de
séquences d’ADN d’une position à une autre d’un
génome (transposition). Ces séquences colonisant tous
les génomes (40% du génome humain), la
compréhension du fonctionnement de ces machines,
objectif des travaux d’une équipe du Laboratoire de
microbiologie et génétique moléculaires (LMGM), est un
enjeu majeur. En outre, la maîtrise in vitro du processus
de transposition ouvre actuellement des applications
importantes dans le domaine de la santé (thérapie
génique).
Les recombinases réalisent, quant à elles, des
recombinaisons entre chromosomes au niveau de
séquences bien identifiées. Par
exemple, les recombinases XerC et
XerD, étudiées dans une autre équipe
du LMGM, séparent les chromosomes
dans les dimères formés
accidentellement lors de la réplication
chez E. coli. Cette machine en
rétablissant l’intégrité du génome
assure la survie des bactéries affectées
par cette anomalie génétique. Les
propriétés et les performances des
recombinases sont à la base des
techniques actuelles de transgénèse.
Les hélicases étudiées dans une
équipe du Laboratoire de Biologie
Moléculaire Eucaryote (LBME)
s’assemblent pour former des moteurs
de l’échange de brins entre deux
molécules d’ADN similaires. Ce
processus de recombinaison
homologue, mis en place en réponse à
des cassures de la double hélice
d’ADN, joue un rôle prépondérant
dans la réparation de l’ADN et le
maintien de l’intégrité des génomes.
Observer les machines de recombinaison
au travail
La caractérisation de ces machines biologiques a
commencé à l’aide de méthodes biochimiques classiques.
Elles ont montré que les recombinaisons mettent en jeu
différentes étapes savamment orchestrées et que l’auto-
assemblage de leurs machineries est déterminant pour
leur efficacité et leur régulation. Pour élucider le détail
structurel et dynamique des processus, nos équipes se
sont récemment tournées vers des techniques de mesure
à l’échelle de la molécule individuelle.
La technique de Tethered Particle Motion, développée
à l’IPBS, consiste à détecter le déplacement d’une nano-
particule fixée à l’extrémité d’une molécule d’ADN
ancrée sur une lamelle de verre. Elle permet de suivre
la dynamique de l’ADN et donc des changements de
longueur, de rigidité ou de courbure. Très sensible,
la technique peut détecter la liaison d’une protéine
à l’ADN. Ces expériences ont conduit à des résultats
importants comme la démonstration de la formation
d’une boucle dans la molécule d’ADN par la transposase
comme première étape de la transposition et la mesure
de la vitesse de migration d’une jonction de Holliday
(point d’échange des brins des ADN). Avec une
particule micrométrique magnétique, une force
(<10 pN ou 10-11Newton) peut être appliquée à l’ADN.
Cette méthode dite « pince magnétique » est utilisée
par l’équipe du LBME pour mieux comprendre l’hélicase
mais aussi d’autres enzymes introduisant une torsion
de l’ADN.
Les chercheurs des équipes du LMGM et de l’IPBS
complètent l’étude des recombinases et transposases
par une visualisation directe de leur action sur des
molécules d’ADN au moyen des microscopes à force
atomique de la plateforme ITAV (Institut des
Technologies Avancées en sciences du Vivant).
Contact : laurence.salome@ipbs.fr
>>> de gauche à droite : Philippe ROUSSEAU
Maître de conférences à l’UPS, au LMGM,
Mikhail GRIGORIEV, Chargé de recherche
Inserm au LBME, Catherine Tardin, Maître de
conférences à l‘UPS à l’IPBS, François CORNET
Directeur de recherche CNRS au LMGM,
Michael CHANDLER, Directeur de recherche
CNRS au LMGM et Laurence SALOMÉ,
Directeur de recherche CNRS à l’IPBS.
Les
nano-machines
>>> Le mouvement d’une bille attachée à l’extrémité libre d’une
molécule d’ADN permet de suivre l’action de nano-machines du
vivant. Haut : une transposase ou une recombinase en rassemblant
deux sites spécifiques d’une même molécule y forment une boucle
accompagnée par une amplitude de mouvement plus faible. Bas :
une hélicase catalyse la migration de la jonction entre deux molécu-
les d’ADN échangeant leurs brins, révélée par une diminution conti-
nue de l’amplitude du mouvement.