MIEUX-ÊTRE Troubles TENNIS-MAG PAR GUILLAUME THÉROUX Journaliste sportif à TVA Sports ALIMENTAIRES Les médias ont grossi l’affaire. Les « troubles alimentaires » d’Eugenie Bouchard ont nourri la machine médiatique alors qu’en réalité, aucune conclusion claire ne peut-être tirée de la situation, outre que la coqueluche québécoise a vraisemblablement subi les contrecoups d’un haut niveau de stress. Par contre, n’allez pas croire que le problème n’existe pas dans les hautes sphères du tennis… ON L’A VUE À LA FED CUP À MONTRÉAL, ÇA NOUS AVAIT FRAPPÉS. ET S’ÉTAIT UN PEU INQUIÉTÉ. NOUS, CHEZ TENNIS CANADA, QUAND L’AN DERNIER AVAIT REMARQUÉ QU’ELLE AVAIT PERDU DU POIDS TOUT LE MONDE DANS SON [ E UGENIE BOUCHARD ] ENTOURAGE Trop de pression sur les épaules des athlètes? Eugenie au podium devant une horde de médias après une victoire au premier tour à Roland-Garros. Casquette Nike vissée sur sa longue chevelure blonde. Un non verbal un peu désinvolte qui lui est si caractéristique. Et quelques mots qu’elle jugeait probablement innocents. « Avant les matchs, j’étais nerveuse et j’avais du mal à manger. Ce n’était pas juste avant les matchs, ça m’arrivait aussi lors d’autres repas. […] La nourriture remontait. » Ce fut assez pour faire les manchettes dans les bulletins et sur les sites sportifs. Impossible de savoir si Eugenie Bouchard a réellement été victime de très graves problèmes alimentaires en 2015. Quelle qu’ait été leur gravité, toutefois, la Québécoise a su surmonter les obstacles qui se sont dressés devant elle, explique Valérie Tétreault au Tennis-mag. « Quand on repense à ses réponses, on se rend compte qu’elle n’a pas nécessairement parlé d’anorexie, de boulimie… souligne la responsable des communications chez Tennis Canada et analyste pour TVA Sports. Elle ne mangeait pas assez, elle avait de la difficulté à ingérer ses calories à un certain moment parce qu’elle était stressée, elle avait donc moins faim. » « Tout le monde dans son entourage l’an dernier avait remarqué qu’elle avait perdu du poids et s’était un peu inquiété. Nous, chez Tennis Canada, quand on l’a vue à la Fed Cup à Montréal, ça nous avait frappés. Je pense que, depuis, elle a fait un bon travail pour récupérer de la masse musculaire. » Mais oui, « Genie » a été exposée à une problématique qui a déjà fait d’autres victimes au sein du tennis professionnel féminin par le passé, qu’on pense à Daniela Hantuchová, ouvertement heureuse d’avoir pu laisser derrière elle le temps où on la surnommait la « Squelette slovaque », ou encore à Maria Sharapova, qui a déjà déclaré : « Je voudrais toujours être plus mince et avoir moins de cellulite. Je pense que c’est le rêve de toute fille. » « Je pense que la pression de l’image avait beaucoup d’impact sur elle [Eugenie], énonce Tétreault. Elle n’en parlait pas beaucoup l’an passé, mais, heureusement pour elle, elle a été capable de prendre du recul et d’analyser la situation. » « Elle est populaire pour ses performances sur le terrain, mais aussi pour tout ce qui entoure sa carrière. Elle a une conscience très importante de son image et se le fait rappeler constamment. Au final, son ascension très rapide ne lui a probablement pas servie. Ça aurait peut-être été mieux pour elle, plus facile en tout cas, si son ascension s’était produite sur une plus longue période. » Tétreault estime par exemple que, si une « Sharapova avait été une fille complètement moche », elle ne serait peut-être pas aussi populaire même si elle a décroché autant de titres importants. Chez les hommes, Tétreault n’est « pas prête à dire que le lien se fait aussi facilement. » Pourtant, Alexia De Macar, nutritionniste pour l’équipe de Tennis Québec et reconnue pour son travail auprès >> (La suite en page 79) No 104 - Juillet 2016 - Par Tennis Québec 23 © François Mori-AP /La Presse Canadienne MIEUX-ÊTRE HARD C U O B E OUBLE UGENI E R ’ T U N Q U T ’ L E FA I NON D U O ON NE T . R T E N F E F I T U AIT SO A P PA R I U IT À LA L O E S R I E A C NT OI QUE U ALIME Q E R S. ONCLU AT I O N L É V É PEUT C R DE CES E R È I LUM LA DIFFÉRENCE entre TROUBLES, DÉRÈGLEMENTS et DIFFICULTÉS alimentaires Plusieurs observateurs s’étaient inquiété de la perte de poids importante, en 2003, de la joueuse de tennis Daniela Hantuchová. Alexia De Macar, nutritionniste du sport et de la performance reconnue pour son travail auprès d’athlètes olympiques et paralympiques ainsi que pour son travail avec Tennis Québec, tient à éduquer la population quant à la réelle différence entre un trouble alimentaire clinique, une alimentation déréglée et de simples difficultés alimentaires (mais tout de même fort importantes) que certains athlètes de haut niveau peuvent rencontrer au cours de leur carrière. fréquents chez les athlètes de haut niveau. En revanche, on peut observer plus fréquemment la présence de comportements alimentaires déséquilibrés chez certains athlètes survenant sur une base occasionnelle, comme un athlète qui réduirait son apport alimentaire de façon radicale quelques jours avant une compétition importante pour perdre du poids ou encore qui sentirait le besoin de s’entraîner davantage ou de sauter un repas pour se permettre son dessert préféré. « Le fait qu’Eugenie Bouchard ait souffert ou non d’un trouble alimentaire lui appartient. On ne peut conclure quoi que ce soit à la lumière de ces révélations », avertit la nutritionniste. À QUEL POINT EST-IL DIFFICILE POUR UN JOUEUR DE TENNIS PROFESSIONNEL DE SUIVRE UN PROGRAMME DE NUTRITION? LES PROGRAMMES SONT-ILS PARTICULIÈREMENT ASTREIGNANTS? DES DIFFICULTÉS LIÉES À LA PRESSION DE LA PERFORMANCE SE PRODUISENT-ELLES SOUVENT CHEZ LES JOUEURS PROFESSIONNELS DE TENNIS? Les troubles alimentaires cliniques réels, tels que définis par le DSM-5, soit la bible des troubles mentaux (anorexie nerveuse, boulimie nerveuse, etc.), sont relativement peu 24 Un programme de nutrition devrait être bâti en fonction des habitudes alimentaires actuelles de l’athlète. Il faut le faire progresser tranquillement vers des habitudes optimales, qui peuvent différer pour chacune des phases de son entraînement. Si on s’éloigne trop rapidement de ce que l’athlète a l’habitude No 104 - Juillet 2016 - Par Tennis Québec de faire, l’adhésion au programme peut être plus complexe. QUELS SONT LES RECOURS D’UN ATHLÈTE POUR RÉGLER UN TROUBLE ALIMENTAIRE? QUELLES SONT LES SOLUTIONS? Les proches d’un athlète souffrant de difficultés alimentaires sont souvent pris au dépourvu. Confronter l’athlète? Ignorer le problème? L’âge de l’athlète dictera un peu l’approche à préconiser, mais, dans tous les cas, il faut agir, car la personne souffre, même si elle semble montrer que tout est sous contrôle. La première chose est de trouver des personnes-ressources qualifiées pour les aider à se faire soigner. La nutrition et la psychologie doivent être privilégiées de concert pour des résultats plus optimaux. Les problèmes d’alimentation sont généralement le symptôme d’un problème psychologique plus profond. Pour trouver des nutritionnistes et psychologues ayant une expertise avec les athlètes, référerez-vous aux listes du site Internet de l’Institut national du sport du Québec (www.insquebec.org). SUITE DE LA PAGE 23 TROUBLES ALIMENTAIRES d’athlètes olympiques et paralympiques, prévient qu’il ne faut pas nécessairement négliger les problèmes auxquels peuvent faire face les hommes. « Les études actuelles montrent que les athlètes féminines souffriraient davantage de problèmes alimentaires que les hommes, concède De Macar. Toutefois, ce nombre pourrait être sous-estimé. La prévalence chez les hommes serait plus élevée que ce que laissent entendre les études faites ces dernières années. » L’expérience personnelle de Tétreault Tétreault avoue elle-même avoir déjà connu le même type de problème que Bouchard pendant sa carrière qui s’est étalée de 2006 à 2010. « Au moment de ma transition des juniors vers les professionnelles, comme n’importe quelle fille, j’étais en pleine croissance, ça allait, je mangeais n’importe quoi. Puis, vient un temps dans ta vie où la situation change. Oui, j’ai eu certains problèmes. J’ai perdu beaucoup de poids très rapidement, ce qui n’était pas bon pour mon tennis et inquiétait mon entourage. Je me sentais prise dans cet engrenage. J’ai pu bien m’en sortir, mais ça a quand même duré un bon moment. » « Des fois, ça ne prend pas grand-chose, un commentaire par-ci, par-là lancé par quelqu’un autour de toi, puis ça fait son chemin dans ta tête et c’est assez pour te perturber et t’amener sur cette voie… » confie-t-elle à Tennis-mag. C’est vrai pour Tétreault, c’est vrai pour monsieur et madame Tout-le-monde, alors imaginez pour une supervedette féminine surexposée 24 heures sur 24 à des commentaires d’inconnus sur le Web et à de l’attention médiatique… Heureusement, encore une fois comme Bouchard, l’ex-athlète de la WTA est parvenue à chasser ses démons. « Quand tu es capable d’en parler, c’est la première étape. Tu l’admets. Après, il y a les psychologues autour de nous. Personnellement, j’avais travaillé avec le nutritionniste qui avait été mis à ma disposition par Tennis Canada. Les ressources sont là. » Retour au début de l’article, page 23 SUITE DE LA PAGE 29 JEU, MANCHE ET MATCH… DE LA VIE! S’en sortir C’est pendant son arrêt de travail à l’hôpital où il travaillait en tant qu’infirmier qu’il a renoué avec le tennis. Son médecin lui avait conseillé de faire du sport et c’est là que JeanMichel Guimond a eu l’idée de retourner à ses anciennes amours. « J’ai toujours dit que le tennis m’a amené dans les pires bas-fonds qu’on puisse imaginer, mais que c’est grâce au tennis si je m’en suis sorti, déclare-t-il. Il m’a appris à être fort dans les épreuves. La discipline que j’ai eue toute ma vie et que mon père m’a transmise, c’est ce qui m’a sauvé la vie. » tournoi de tennis amateur, Le Challenge de tennis Bistro La Cohue qui offre une bourse de 11 000 $. Père depuis peu de temps, il s’est juré de laisser son enfant faire ses propres choix et de l’appuyer, peu importe ce qui arrivera. Désormais, il dirige l’Académie JMG, la boutique Prosport, et organise chaque année le Retour au début de l’article, page 29 SUITE DE LA PAGE 37 CAS MARIA SHARAPOVA : CE QUE SES COLLÈGUES EN PENSENT Grigor Dimitrov – 37e au classement ATP et ex-compagnon de Maria Sharapova « Je ne connais pas tous les détails, mais je sais que Maria a la tête sur les épaules. Ce n’est pas facile pour elle de rester à l’écart aussi longtemps. La seule chose que je puisse faire, c’est de lui souhaiter la meilleure des chances. » Andy Murray – 2 au classement ATP et tenant de deux titres du Grand Chelem e « Je ne pense pas que ce soit des excuses valables. Si vous prenez un médicament, c’est votre responsabilité. Vous devez vous assurer que la prise du médicament est légale. Il peut y avoir certains médicaments que les médecins ne connaissent pas, ce n’est pas pareil. Mais vous devez savoir s’il est sur la liste des indésirables avant de le prendre. » Marion Bartoli – Ancienne joueuse, tenante d’un titre du Grand chelem « Si j’avais pris un produit pendant dix ans pour ma santé, tous les jours je vérifierais si ce produit est banni des listes. Nous savons que le dopage est quelque chose de pris au sérieux au tennis. Vous n’avez pas envie de mettre en danger toute votre carrière. » James Blake – Ancien joueur, classé 4e en 2006 « Je pense que les [autres joueuses de la WTA] ne verront pas d’un bon œil son retour sur le circuit. » Patrick Mouratoglou – Entraîneur de Serena Williams « Je n’ai pas de pitié pour les gens qui ne respectent pas les règles. C’est une erreur professionnelle et on doit payer pour nos erreurs. » Retour au début de l’article, page 37 No 104 - Juillet 2016 - Par Tennis Québec 79