revue
Le peptide 2A du virus de la fièvre aphteuse
G.A. Luke
Centre for Biomolecular Sciences,
Biomolecular Sciences Building,
University of St Andrews, North Haugh,
St Andrews, Scotland, UK, KY16 9ST
Résumé.Le contrôle traductionnel de l’expression des gènes viraux est un
processus essentiel pour la multiplication de tous les virus. La région 2A du virus
de la fièvre aphteuse code une séquence qui promeut sa propre maturation par un
effet traductionnel de skipping ribosomal plutôt que par protéolyse. Le peptide
2A agit comme une estérase à l’intérieur même des ribosomes eucaryotes en
hydrolysant la liaison entre le polypeptide naissant et l’ARNt dans le site P au
lieu de la liaison peptidique entre les résidus Gly et Pro à la jonction de 2A et 2B.
La traduction peut continuer après hydrolyse. Ainsi les séquences codantes en
amont et en aval de 2A émergent comme des polypeptides distincts avec une
stœchiométrie fixe. La possibilité pour les séquences peptidiques 2A, ou des
séquences semblables, de lier des séquences codant plusieurs protéines dans la
même phase de lecture est à l’origine de leur utilisation croissante comme outils
de biotechnologie et de biomédecine.
Mots clés :virus de la fièvre aphteuse, 2A, polyprotéine, traduction, génie
génétique
Abstract.Translational control of viral gene expression is a fundamental pro-
cess essential for the vitality of all viruses. The 2A region of the foot-and-mouth
disease virus encodes a sequence that mediates self-processing by a novel
translational effect « ribosomal skipping », rather than proteolysis. The 2A acts
as an esterase within the eukaryotic ribosome to hydrolyze the link between the
nascent polypeptide and the t-RNA in the P-site rather than form the Gly-Pro
peptide bond at the 2A/2B junction. Translation can continue after hydrolysis, so
sequences upstream and downstream of 2A emerge as distinct polypeptides in a
fixed stochiometry. Use of 2A and 2A-like peptides to link the sequences
encoding several proteins in the same open reading frame has led to their
increasing use as important tools in biotechnology and biomedicine.
Key words:foot-and-mouth disease virus, 2A, polyprotein, translation,
genetic engineering
Historique
La fièvre aphteuse est une maladie virale aiguë très conta-
gieuse des animaux à sabots fendus, sauvages ou domesti-
ques. Même si elle n’est pas mortelle pour les troupeaux de
porcs et de moutons adultes, elle provoque néanmoins des
pathologies sévères qui ont un effet direct sur le revenu des
éleveurs. À l’échelle nationale, son impact est conséquent
sur le marché et les échanges commerciaux en général.
L’épidémie européenne de 2001-2002, qui a principale-
ment atteint le Royaume-Uni, a eu un coût estimé à 6 mil-
liards d’euros environ [1, 2].
Plusieurs facteurs déterminent l’épidémiologie de la mala-
die et donc les mesures de contrôle à prendre. Les princi-
paux sont les moyens d’entrée du virus et la possibilité qu’il
a d’induire l’infection à partir de sites multiples, la dose
infectieuse faible qui est nécessaire à l’infection, une pé-
riode d’incubation courte, les quantités massives de virus
relâchées par les animaux infectés, la possibilité pour le
virus d’être transporté par l’air ambiant et, ainsi, d’être
dispersé sur de grandes distances et, enfin, sa persistance
dans l’environnement [3]. Ces caractéristiques, ajoutées à
la possibilité pour le virus d’être disséminé par les mouve-
ments des troupeaux, par leurs rejets métaboliques, par les
Virologie 2007, 11 (5) : 371-80
doi: 10.1684/vir.2007.0116
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personnes qui travaillent à leur contact et leurs équipe-
ments, rendent très difficile un contrôle de la maladie. Ce
dernier passe par une limitation des déplacements des ani-
maux et de leurs rejets mais également par l’abattage des
animaux infectés ou leur vaccination [4, 5].
L’agent infectieux responsable de la maladie, le virus de la
fièvre aphteuse, est un virus à simple brin d’ARN membre
de la famille des Picornaviridae, du genre Aphthovirus.
Comme cela est indiqué dans le tableau 1, la famille des
Picornaviridae contient 9 genres : Aphthovirus,Cardiovi-
rus,Enterovirus,Rhinovirus,Hepatovirus,Parechovirus,
Teschovirus,Erbovirus et Kobuvirus et deux autres genres
possibles, provisoirement appelés Sapelovirus et Senecavi-
rus. De plus, les genres Enterovirus et Rhinovirus seront
bientôt fusionnés dans le seul genre Enterovirus [6]. Le
virus de la fièvre aphteuse a un génomeARN positif long de
8 500 nucléotides (nt) auquel est attachée une protéine à
l’extrémité 5’ et qui possède une queue poly(A) en 3’. La
molécule d’ARN est encapsidée dans une particule virale
icosaédrique formée de 60 molécules de chacune des pro-
téines 1A (VP4), 1B (VP2), 1C (VP3) et 1D (VP1). Le
cycle de réplication commence avec l’attachement de la
particule virale sur certaines protéines présentes à la sur-
face de la cellule hôte, suivi par la pénétration à l’intérieur
de la cellule hôte, la désintégration de la capside et la
libération de la molécule d’ARN qui va utiliser la machi-
nerie cellulaire de la cellule. La traduction protéique de
l’ARN monocystronique produit un polypeptide unique qui
est coupé par une protéase codée par le virus et qui agit à
certains sites peptidiques précis (par opposition à une pro-
téolyse non spécifique). Ces digestions enzymatiques pro-
duisent plusieurs peptides actifs [7].
Les virus ont perfectionné un certain nombre de stratégies
traductionnelles non conventionnelles pour augmenter le
potentiel codant de leur information génétique très conden-
sée et pour permettre la synthèse de polypeptides multiples
à partir d’un seulARN génomique. Les ribosomes peuvent,
et ils le font souvent, commencer à traduire un cadre de
lecture en amont (uORF pour upstream ORF) puis réin-
duire cette traduction à un autre codon AUG plus ou moins
loin en aval. Quand la reconnaissance de cette structure est
régulée par un procédé de type leaky-scanning, ils peuvent
soit ignorer le codon AUG et commencer la traduction plus
en aval, soit bien débuter la traduction au codon AUG
initial. Ce choix dépend du contexte nucléotidique dans
lequel se trouve l’ORF. Des codons stop/start qui se che-
vauchent ou qui sont très proches les uns des autres peuvent
entraîner une terminaison précoce de la traduction suivie
d’un faible taux de réinduction [8, 9]. Il existe un certain
nombre de cas où une seule molécule d’ARN est traduite en
plusieurs protéines par une opération de reprogrammation
de la séquence codante. Dans ce cas, les règles de lecture
des codons sont altérées à certains sites grâce à certains
signaux sur l’ARNm, tels que frameshift et readthrough
[10, 11]. La maturation de polypeptides représente un autre
mode de changement traductionnel utilisé par de nombreux
virus à ARN positif pour produire plusieurs polypeptides à
partir d’un nombre restreint de séquences codantes.
Les recherches sur la fièvre aphteuse et sur le virus qui en
est la cause ont débuté ilyadenombreuses années, en
raison de l’importance de cette maladie sur l’évolution du
marché et sur l’élevage intensif. Si ce virus est un orga-
nisme relativement simple, en comparaison d’autres virus,
son génome court réserve de nombreuses surprises. Nous
Tableau 1.Membres des Picornaviridae et maladies associées
Genre Espèce type Manifestations pathologiques
Aphthovirus Foot-and-mouth disease virus Fièvre aphteuse du bétail
Equine rhinitis A virus Infection des voies respiratoires
supérieures
Cardiovirus Encephalomyocarditis virus
Theilovirus
Encéphalite de la souris
Enterovirus Poliovirus 1 Poliomyélite
Rhinovirus Human rhinovirus Rhume
Hepatovirus Hepatitis A virus Hépatite A
Parechovirus Human parechovirus 1 Méningite chronique
Teschovirus Porcine teschovirus 1 Maladie neurologique de Teschen-Talfan
Erbovirus Equine rhinitis B virus Maladie respiratoire fébrile
Kobuvirus Aichi virus Gastroentérite aiguë humaine
Sapelovirus Simian sapelovirus A
Senecavirus Seneca valley virus
Les différents genres à l’intérieur de la famille des Picornaviridae et l’espèce type de chacun d’entre eux sont
listés. Plusieurs maladies humaines et animales causées par le genre de virus considéré sont indiquées. La
classification utilisée pour les virus est celle proposée par le groupe d’étude des Picornaviridae de l’International
Committee on Taxonomy of Viruses (www.picornastudygroup.com/).
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décrivons ici un nouveau mécanisme de « recodage » du-
rant l’élongation traductionnelle, que nous appelons skip-
ping ribosomal. Ce mécanisme consiste en une activité
enzymatique d’une séquence d’environ 18 acides aminés à
l’intérieur de la région 2A, qui conduit à l’expression de
deux protéines à partir d’une seule séquence nucléotidique.
Dans cette revue, nous proposons un résumé des stratégies
utilisées par le virus pour coordonner l’expression de pro-
téines multiples à l’aide du peptide 2A ainsi que les poten-
tiels biotechnologiques qu’implique ce mécanisme.
Le génome du virus
de la fièvre aphteuse
L’organisation du génome du virus de la fièvre aphteuse est
similaire à celle d’autres picornavirus et comprend un
grand cadre de lecture entouré en 3’ et en 5’ de structures
nucléotidiques non traduites mais très organisées (UTR)
(figure 1). La région non codante en 5’, d’environ 1 300 nt,
contient des éléments contrôlant la réplication de l’ARN
viral, l’empaquetage de l’ARN dans une capside et la
traduction des polyprotéines virales. En amont du cadre de
lecture se trouve un site d’entrée interne du ribosome de
type II (IRES), crucial pour l’induction cap-indépendante
de la traduction [12]. La région non codante 3’ comprend
environ 90 nt et les éléments en cis requis pour une répli-
cation efficace du génome [13]. De plus, l’extrémité 3’ de
l’ARNm joue un rôle très important dans la régulation de la
traduction [14]. L’unique cadre de lecture code un long
polypeptide précurseur (polyprotéine) qui peut être divisé
en trois régions désignées P1, P2 et P3 (figure 1). P1 est le
précurseur des quatre protéines capsidiques 1A à 1D tandis
que P2 est celui des trois protéines non structurales 2A à 2C
et P3 celui des quatre protéines non structurales 3A à 3D
[15].
La maturation de la polyprotéine du virus est enclenchée
par les protéines L
pro
,2Aet3C
pro
[7, 16] (figure 1).Au
contraire de la plupart des picornavirus, la partie
N-terminale de la polyprotéine du virus de la fièvre aph-
teuse n’est pas le précurseur de la capside (P1) mais une
protéase (L
pro
) qui se sépare de P1 par autoprotéolyse [17].
En plus de se libérer de la polyprotéine, L
pro
, tout comme le
peptide 2A
pro
des Enterovirus et des Rhinovirus, hydrolyse
également le facteur d’induction de la traduction eIF4G
[18]. Cela résulte en l’inactivation de la traduction cap-
indépendante et conduit à l’arrêt de la synthèse protéique
cellulaire. L’oligopeptide 2A (18 aa) est capable de s’auto-
digérer au site correspondant à la jonction 2A-2B, la sé-
quence 2A restant comme une extension C-terminale du
peptide en amont [19, 20]. La digestion est conduite par un
nouveau mécanisme qui s’appuie sur la séquence peptidi-
que plutôt que sur l’ARNm. Les peptides 2A C-terminaux
d’une longueur similaire dérivés des Cardio-,Erbo- et
Teschovirus possèdent une activité catalytique semblable
[21]. 3C
pro
, un membre de la famille trypsine des protéases
à sérine, est responsable de toutes les digestions (à
l’exception de trois d’entre elles) nécessaires à la matura-
tion des protéines virales. Cette enzyme est donc une cible
idéale pour les drogues antivirales. Tous les picornavirus
codent une protéine 3C
pro
qui est responsable de la diges-
tion initiale entre 2C et 3A et de la maturation secondaire
des précurseurs [P1-2A], [2BC] et P3. Chez le virus de la
fièvre aphteuse, 3C
pro
coupe également entre 2B et 2C [22].
ARN génomique
CTGTTGAATTTTGACCTTCTCAAGTTGGCGGGAGACGTCGAGTCCAACCCTGGG
5’ 3’
Vpg Région codante 2A
Traduction/maturation primaire
IRES
LP1 P2 P3
LPRO 3CPRO
2A
AUG
AUG Stop
CnAn
LLNFDLLKLAGDVESNPG P
CCC
Figure 1. ARN génomique du virus de la fièvre aphteuse et maturation primaire de la polyprotéine. L’ARN simple brin positif est indiqué
avec la protéine terminale Vpg en 5et la séquence UTR en 3avec la queue poly(A). La région codante pour 2A est indiquée. La
polyprotéine contient la protéine structurale (P1) et les protéines non structurales (P2, P3). Les flèches indiquent les sites de coupures
primaires de la polyprotéine et les protéines virales responsables de ces coupures.
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À côté de la maturation interne à la polyprotéine, l’enzyme
modifie également certaines protéines de la cellule hôte
[23, 24].
La protéine 2A du virus
de la fièvre aphteuse
Cartographie du site primaire de coupure
Des travaux antérieurs ont montré que la polyprotéine cor-
respondant à la région 2A du virus n’est pas digérée direc-
tement par la protéase codée par le virus [25, 19]. La
séquence en C-terminal de 2A, ainsi que la proline en
N-terminal de 2B, est très conservée et contient le motif
canonique DxExNPGP. Après protéolyse (coupure), le der-
nier résidu proline (-NPG
P-) forme l’extrémité
N-terminale de la protéine 2B. Ces observations ont été
établies par analyse de l’autodigestion de polyprotéines
artificielles qui comportaient des marqueurs protéiques en-
tourant le peptide 2A [20, 21, 26, 27]. Les protéines rappor-
teurs utilisées étaient la protéine verte fluorescente (GFP) et
la b-glucuronidase (GUS). La séquence 2A présente dans
un tel contexte est très active dans la promotion de l’auto-
digestion et cette construction a été utilisée récemment
pour étudier le mécanisme de la réaction (figure 2). Des
expériences de traduction in vitro ont montré que toutes les
mutations introduites dans la séquence conservée de 2A
diminuent sévèrement l’efficacité de coupure primaire.
Cela indique le caractère essentiel de cette séquence dans
les processus de protéolyse [21, 28] (figure 3A). Immédia-
tement en amont de ce motif, les séquences ne sont pas
conservées même s’il avait pourtant été démontré qu’elles
étaient essentielles pour l’activité [21]. Le segment 2A du
virus naturel de la fièvre aphteuse contient seulement
18 acides aminés et le produit de protéolyse initial en
contient 13 (12 N-terminaux et 1 C-terminal au site G
P) et
GFP2AGUS
GUS
GFPGUS
pGFPGUS
pGFP2AGUS
–LLNFDLLKLAGDVESNPG P–
Polyprotéines artificielles contenant les marqueurs protéiques
GFP2A
2A
GFP
GFP
GUS
GUS
Figure 2. Analyse traductionnelle. Les polyprotéines artificielles (rectangles pleins) contenant les marqueurs protéiques utilisés pour
étudier les systèmes de traduction in vitro sont indiquées ainsi que les profils de traduction obtenus en utilisant un système de réticulocytes
de lapin (à droite).
A. Séquences mutantes créées par
mutagenèse dirigée B. Extensions/délétions successives
Active
GFP GUS
2A
Inactive
Coupure %
GFP GUS
2A
100
100
100
> 99
~ 90
~ 75
~ 70
~ 65
0
P
P
P
P
P
P
P
P
P
–LLNFDLLKLAGDVESNPGP
–LLNFDLLKLAGDVESNPGP
–LLNFDLLKLAGDVESNPGP
–LLNFDLLKLAGDVESNPGP
–LLNFDLLKLAGDVESNPGP
–NFDLLKLAGDVESNPGP
–DLLKLAGDVESNPGP
–LKLAGDVESNPGP
–LAGDVESNPGP
– (39aa 1D)
– (21aa 1D)
– (14aa 1D)
– (5aa 1D)
FQ
QIE
–LLNFDLLKLAGDVESNPG P–
E D AA S
Q TV L
Figure 3. (A) Plusieurs mutants de la séquence 2A ont été produits par mutagenèse dirigée et les activités de coupure ont été étudiées
dans un système de traduction in vitro. (B) La région 2A du virus de la fièvre aphteuse a été soit étendue en N-terminal par incorporation
de séquences 1D, soit réduite par délétions successives. Les activités de coupure sont indiquées (%).
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inclut le motif canonique. La délétion des séquences situées
en amont ou en aval de 2A n’abolit pas l’activité protéoly-
tique, même si ces séquences immédiatement en amont
sont critiques pour l’activité. Des versions plus longues de
2A avec des séquences additionnelles (~ 30 aa) dérivées de
la protéine de capside (1D) produisent même des activités
de clivage supérieures à celles de la séquence 2A naturelle
(> 99 % d’activité si l’on considère un taux d’activité de
90 % pour la séquence 2A naturelle) [19, 21, 29, 30] (figure
3B). L’extension pourrait avoir pour effet de dégager la
séquence 2A des séquences en amont, réduisant de fait un
effet conformationnel défavorable qui peut normalement
gêner la protéolyse. Un certain nombre d’études suggèrent
que ce problème peut être surmonté par l’utilisation d’une
séquence flexible Gly-Ser-Gly qui sépare les séquences en
amont de la séquence 2A [31-33]. Des plasmides multigé-
niques la contenant ont montré que la séquence 2A fonc-
tionne correctement à l’intérieur de différents contextes
séquentiels, mais que l’efficacité de la protéolyse varie en
fonction de ce contexte. En changeant l’ordre des séquen-
ces protéiques dans plusieurs polyprotéines artificielles, la
stœchiométrie est affectée par la séquence protéique en
amont [34-36].
Modèle traductionnel de la coupure par 2A
Chez les Aphtovirus et les Cardiovirus, la réaction de
protéolyse initiale est contemporaine de la traduction et
autocatalytique. Elle n’est pas réalisée par une protéase
exogène ou par une autre protéase virale, comme les pro-
téases L et 3C [25, 37]. Des résultats appuyant cette hypo-
thèse ont été rapportés lorsque nous avons examiné les
produits de protéolyse de la polyprotéine GFP-2A-GUS.
Les expériences de traduction in vitro et les quantifications
précises des produits de protéolyse ont montré la présence
d’un excédent important de la protéine en amont de 2A
[GFP2A]. Une observation qui ne peut pas être expliquée
par un processus simple de protéolyse [25, 38]. Des études
exhaustives ont également apporté la preuve que cet excé-
dent d’une des protéines n’était pas la conséquence d’une
dégradation protéique ou d’une terminaison prématurée de
la transcription ou de la traduction [27]. Nous avons sug-
géré que le peptide 2A naissant à l’intérieur du tunnel de
sortie du ribosome adopte une conformation hélicoïdale
avec un angle aigu (-NPG
P-) d’acides aminés précédant
immédiatement le site de coupure. Cette conformation de
2A entraîne une pause dans l’élongation du polypeptide et
empêche l’attaque, par le groupe aminé de l’ARNt
pro
-
prolyl du site A, du groupe carboxyle de l’ARNt
gly
-
peptidyle dans le site P. Ainsi, au lieu de la formation d’une
liaison peptidique, le produit N-terminal est relâché hors du
ribosome par hydrolyse de la liaison ester du peptide (2A)-
ARNt. À ce stade, la traduction se termine à un codon sens
ou bien repart par translocation de l’ARNt-prolyl sur le site
P. Nous avons nommé cet effet traductionnel le skipping
ribosomal pour illustrer le phénomène central de notre
modèle, à savoir que la liaison peptidique entre la glycine
C-terminale du peptide 2A et la partie N-terminale de la
protéine 2B n’est pas synthétisée mais court-circuitée ou
non passée (skipped) [27, 38, 39]. Il en résulte deux possi-
bilités : 1) soit la traduction se termine en C-terminal de 2A
en l’absence de codon stop, 2) soit la traduction se produit
en aval. De cette façon, de multiples produits de traduction
peuvent être synthétisés à partir d’un unique ORF. Des
résultats récents suggèrent que notre modèle a cependant
besoin de révisions parce que les facteurs eRF1 et eRF3
sont connus pour contribuer à l’arrêt de la traduction de 2A
[40]. Chez les eucaryotes, ces deux facteurs sont associés
dans un complexe qui se fixe au ribosome quand un codon
stop entre dans le site A [41]. Comme cela est montré dans
le modèle révisé (figure 4), le ribosome s’arrête à la fin de
2A là où les facteurs d’arrêt eRF « reconnaissent » le codon
proline dans le site A comme un signal stop, ce qui conduit
à l’hydrolyse de la liaison ester de l’ARNt-glycyl et permet
la libération du peptide. La dissociation des eRF du com-
plexe de terminaison facilite l’entrée de l’ARNt-prolyl dans
le site A du ribosome. L’ARNt-prolyl est alors transporté
du site A vers le site P pour devenir l’ARNt-aminoacyl
inducteur de la protéine en aval. C’est probablement la
concentration cellulaire des facteurs d’élongation qui déter-
mine si le ribosome se dissocie ou continue la traduction en
aval après l’hydrolyse.
Lorsque les virus infectent les cellules, ils synthétisent
d’abord les protéines impliquées dans la réplication de leur
génome (protéines « précoces ») puis les protéines impli-
quées dans la synthèse de la capside (protéines « tardi-
ves »). Tous nos résultats suggèrent que chez les picornavi-
rus, dont l’ARNm est monocistronique, toutes les protéines
sont tout d’abord synthétisées de façon stœchiométrique
(étapes précoces de l’infection). Puis, graduellement, les
protéines dont le gène est situé en amont de la séquence 2A
sont synthétisées en excès (étapes tardives de l’infection)
Pour expliquer le déséquilibre observé lors de la synthèse
des produits de clivage, nous suggérons que les systèmes de
traduction in vitro que nous avons utilisés miment les
conditions cellulaires durant la phase tardive de l’infection,
lorsque les ressources cellulaires deviennent limitantes
pour la traduction [M. Ryan, communication personnelle].
Séquences naturelles similaires à 2A
L’examen du génome d’autres picornavirus a montré que le
motif DxExNPGP est présent dans plusieurs genres de
Picornaviridae : Cardio-, Tescho-,Erbo- et certains Pare-
chovirus. Bien que les Cardiovirus aient un segment 2A
bien plus long (133 à 143 aa) que les Aphtovirus, des
travaux sur le virus de l’encéphalomyocardite (EMCV) et
le virus de Theiler (TMEV) ont montré que la plupart de ces
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