La Question nationale au 21e siècle Parce que l’on a entendu, au cours de notre vie militante, tout et n’importe quoi sur la question au sein de la "gauche révolutionnaire" (aussi bien communiste ML et MLM, que trotskyste ou libertaire) ; il a semblé nécessaire à Servir Le Peuple de mener une réflexion poussée sur la question nationale et les luttes de libération. Une réflexion qui conduit à revenir aux bases du marxisme, principalement les bases léninistes (et par suite, maoïstes) ; mais aussi, dans une large mesure, à repenser la problématique au regard des développements intervenus depuis les années 1920, où est mort Vladimir Illitch. Lénine a été le premier, avec l’appui de Staline (Le marxisme et la question nationale), à mettre en avant clairement la question du droit à l’autodétermination pour les nations dominées, privées d’Etat ou en tout cas de véritable indépendance (protectorats, semi-colonies etc.). Déjà, bien que tardivement, Marx et Engels avaient évolués sur la question, après des débuts (années 1840-1850) plutôt hostiles [1] : reconnaissance par Marx (1867) de la nécessité de l’indépendance (éventuellement avec ‘fédération’ par la suite) de l’Irlande, « secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise » ; reconnaissance par Engels de la nécessité de l’indépendance de la Pologne, sans laquelle « il est impossible de parler sérieusement de la moindre question interne, tant que l’indépendance nationale fait défaut ». Mais voilà : de même qu’il ressort (déjà) des propos de Marx et Engels, la résolution des questions nationales était pour Lénine une tâche toute tactique, secondaire, une nécessité pour la classe ouvrière révolutionnaire afin de se gagner des alliés et d’affaiblir ses ennemis, les Etats impérialistes (France, Angleterre…) comme les grands Empires semi-capitalistes semiféodaux (Autriche-Hongrie, Russie, Empire ottoman). Quelque chose qu’il « faut » que les révolutionnaires marxistes fassent, mais presque à contrecœur, et toujours avec méfiance : « Le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société bourgeoise, et, compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des mouvements nationaux. Mais, pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce qu'il y a progressif dans ces mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience prolétarienne par l'idéologie bourgeoise. Le réveil des masses sortant de la torpeur féodale est progressif, de même que leur lutte contre toute oppression pour la souveraineté du peuple, pour la souveraineté de la nation. De là, le devoir absolu pour le marxiste de défendre le démocratisme le plus résolu et le plus conséquent, dans tous les aspects du problème national. C'est là une tâche surtout négative. Le prolétariat ne peut aller au-delà quant au soutien du nationalisme, car plus loin commence l'activité « positive » de la bourgeoisie qui vise à renforcer le nationalisme. Secouer tout joug féodal, toute oppression des nations, tous les privilèges pour une des nations ou pour une des langues, c'est le devoir absolu du prolétariat en tant que force démocratique, l'intérêt absolu de la lutte de classe prolétarienne, laquelle est obscurcie et retardée par les querelles nationales ». Lénine restait un révolutionnaire de formation anti-monarchique jacobine (jacobins russes), un admirateur de la Révolution bourgeoise française dans sa phase Montagnarde (1793-94), et un continuateur fidèle de Marx et Engels, qui étaient eux-mêmes des hommes des Lumières, du culte du Progrès et de la Civilisation, au matérialisme historique linéaire, qui voyaient dans les Etats bourgeois modernes un « progrès » sur le morcellement « féodal » des Peuples, un « tremplin » vers la République socialiste universelle des travailleurs… Engels pouvait écrire vers 1850 que les Basques, les Corses et autres Slaves d’Autriche-Hongrie étaient des « peuples-ruines » (Volkenruinen), entravant la marche du Progrès bourgeois, tandis que Marx pouvait (à la même époque) se réjouir de la conquête française de l’Algérie (brisant l’arriération féodale-tribale de ce pays)… [BIEN SÛR tous ces éléments sont absolument secondaires par rapport à l’apport historique de ces grands révolutionnaires à la cause du prolétariat ! Qu’on se comprenne bien…] Congrès des Peuples d'Orient, Bakou, 1920 Dans la même veine, Lénine voyait les cultures et les revendications nationales comme des vestiges du passé, avec lesquels il fallait composer, mais qui s’effaceraient devant le Progrès, qui se fondraient dans « une unité suprême qui se développe sous nos yeux avec chaque nouvelle verste (~ 1 km, Ndlr) de chemin de fer, chaque nouveau trust international, chaque association ouvrière (internationale par son activité économique et aussi par ses idées, ses aspirations) »… Mais depuis, l’Histoire a poursuivi son cours. Et que s’est-il passé depuis la maladie et la mort du grand révolutionnaire (1922-24) ? Nous n’en sommes plus aux verstes de chemin de fer, mais à l’avion qui fait Paris-Pékin en 12 heures, tandis que le train relie Paris à Madrid en une demi-journée… Les trusts internationaux sont pléthore, implantés chacun dans des dizaines de pays. La chaîne de production d’un bien comme une voiture, se déroule de l’Inde à la France en passant par le Brésil et la Roumanie… Les grands monopoles capitalistes en Europe ont mis leurs intérêts en commun dans l’UE. Les classes laborieuses d’Europe de l’Ouest sont composées de travailleurs des 5 continents. Et pourtant, les luttes et les revendications démocratiques nationales ont connu un essor sans précédent. Ces luttes et ces revendications démocratiques ont largement rejoint le camp progressiste et même, le camp de la révolution mondiale (même s’il a existé – nationalistes bretons et flamands pro-nazis, corses pro-Mussolini – et existe encore – Jeune Bretagne, Alsace d’Abord, Vlaams Belang – des courants réactionnaires). Il y a eu, bien sûr, les mouvements de décolonisation. Lénine soutenait sans réserve la libération des colonies et des semi-colonies, suivant deux idées directrices : 1. Favoriser chez ces Peuples la « marche du Progrès », par des révolutions bourgeoises balayant les arriérations féodales, tribales-patriarcales, cléricales etc. 2. Affaiblir les puissances impérialistes, en les privant de leur base d’accumulation mondiale, favorisant dans ces pays la révolution ouvrière. Son soutien était donc, là encore, largement tactique et favorable aux nationalistes bourgeois les plus progressistes, mais bourgeois. Les communistes devaient les soutenir, en défendant les intérêts spécifiques du prolétariat [assez édifiant, à ce sujet, est le discours de Zinoviev au Congrès de Halle (octobre 1920)]. MAIS, par la suite, les masses populaires des colonies et semi-colonies ont montré leur aptitude à mener des révolutions démocratiques très avancées (comme à Cuba) et même des révolutions populaires-démocratiques, de Nouvelle démocratie, sous direction communiste, en marche ininterrompue vers le socialisme : en Chine, au Vietnam, en Albanie (qui après sa séparation de l’Empire ottoman, était devenue une semicolonie italienne). Mais il y a eu aussi, et il y a encore, de grandes luttes de libération en Europe, ou encore en Amérique du Nord (Québec, Natives, minorités afro-américaine et latino), au contenu progressiste et même révolutionnaire : de James Connolly en Irlande, affirmant que sans libération sociale l’indépendance ne vaudrait rien [2], aux socialistes abertzale de l’Action Nationaliste Basque et au PNV (pourtant d’origine conservatrice), soutenant la République espagnole aux côtés des communistes et des anarchistes, ou encore aux autonomistes de gauche catalans de la Generalitat ; des indépendantistes socialisants qui fondèrent Euskadi ta Askatasuna (ETA) en 1959 contre le régime franquiste (adoptant officiellement le marxisme révolutionnaire en 1965), aux républicains irlandais du Provo Sinn Fein et aux républicains socialistes de l’IRSP ; et aujourd’hui, des milliers de communistes abertzale basques (comme EHAK, EHK, Kimetz et d’autres) aux républicains socialistes irlandais du Republican Sinn Fein ou du 32CSM, ou à la gauche radicale indépendantiste bretonne ou corse, catalane ou sarde. Quelle a été l’apogée de ces luttes ? Ce furent les années 1960-70 (depuis, les tendances réformistes social-démocrates, ou réactionnaires de droite ont regagné du terrain)… C'est-àdire, pas les années 1980-2000 de décomposition, de désagrégation et de recul général du mouvement révolutionnaire mondial ; mais au contraire l’époque de son apogée : une URSS déjà révisionniste mais encore prestigieuse et puissante, la Révolution chinoise à son sommet avec la Grande Révolution culturelle, la Guerre populaire au Vietnam, la révolution cubaine et ses répercussions dans les Amériques et en Afrique… « Le fond de l’air était rouge », et toutes ces luttes étaient parfaitement dans le sens de l’Histoire. Il ne s’agit donc pas de mouvements "réactionnaires" ou "décomposés petits-bourgeois", qui se seraient introduits dans la brèche laissée ouverte par un mouvement communiste flétrissant… Mais bien, au contraire, de luttes populaires, démocratiques, progressistes, anticapitalistes, antifascistes, internationalistes ; auxquelles s’ajoute souvent, aujourd’hui, l’aspect écologique. Sous les couleurs nationales (à côté du drapeau rouge ou noir) de ces « peuples-ruines » que Marx, Engels, et dans une large mesure Lénine, voyaient disparaître de l’Histoire par la marche continue du Progrès… Comment expliquer cela ? C’est simple, mais il faut d’abord tordre le cou à un mythe bourgeois, qui a largement contaminé le mouvement communiste. Les Etats modernes, avec leurs « Peuples en lutte », ne sont pas les produits des révolutions bourgeoises pour la plupart d’entre eux. Ils sont des produits des monarchies absolues, autrement dit, de la concentration ultime du pouvoir féodal entre les mains de quelques grandes familles régnantes (par les guerres, mariages, donations, ventes…). La France était pratiquement dans ses frontières actuelles au moment de la révolution bourgeoise de 1789, seuls la Savoie, Nice et le Vaucluse ont été rattachés ensuite. L’Espagne est dans ses frontières actuelles depuis le 17 e siècle. L’Angleterre dominait déjà toutes les îles britanniques (Ecosse, Irlande, Galles, Man) à cette même époque, sous les Stuart (dynastie d’origine écossaise). Sous les monarchies absolues, le capitalisme a commencé à se développer, et la bourgeoisie avec. Mais celle-ci avait souvent sa « fraction dirigeante » (la plus puissante économiquement, politiquement et culturellement) au « centre » de ces Etats royaux, le centre autour duquel ils s’étaient développés. Ce centre s’est trouvé à la direction des révolutions bourgeoises. En France, c’est la bourgeoisie de la moitié Nord, surtout de la région parisienne, qui a dirigé et ‘centralisé’ la Révolution de 1789, et celles de 1830 et 1848 encore plus. Cette bourgeoisie dirigeante a maintenu sous sa domination, et/ou dans l’arriération (déjà engendrée par la centralisation monarchique), le développement capitaliste des autres régions, au détriment de leur bourgeoisie comme des masses populaires. En Grande-Bretagne, la révolution bourgeoise s’est faite tôt (17 e siècle) et en alliance avec l’aristocratie, déjà « convertie » au capitalisme agricole. Celle-ci, fournisseuse en matières premières (laine, bois, alimentation, charbon) de la bourgeoisie dont le QG était à Londres, a maintenu les campagnes et notamment les terres celtiques (Écosse-Irlande-Galles) dans une arriération et une exploitation brutale. En Espagne, le processus révolutionnaire bourgeois s’est déroulé de 1833 à 1876, tardivement, et donc inachevé (laissant de grandes prérogatives à l’aristocratie terrienne et au clergé). Il a été largement dirigé, politiquement et culturellement, par la bourgeoisie (et l’aristocratie « libérale ») castillane de Madrid (et ses appendices de Séville, Cadix etc.), mais celle-ci s’est aussi appuyée sur les puissantes bourgeoisies basque de Bilbao (contre les carlistes), catalane de Barcelone, asturienne (Oviedo-Gijón) et cantabrique (Santander), etc. C’est le « pacte espagnol » des bourgeoisies, renouvelé pour la dernière fois en 1975-78 (en incluant les « nationalistes » basques du PNV, catalans de la CiU etc.), après la centralisation castillane autoritaire de Franco (justifiée par la lutte contre-révolutionnaire). L’Unité de l’Italie, elle, est le produit d’une révolution bourgeoise. Mais une révolution bourgeoise « incomplète », menée totalement par et pour la bourgeoisie du Nord (Turin, Milan, Gênes), en alliance avec l’aristocratie ‘libérale’ du Nord (la famille de Savoie à sa tête) et en compromis avec l’aristocratie terrienne du Sud et l’Église catholique. L’Unité s’est faite en maintenant le Sud, et les autres régions arriérées (Alpes, Sardaigne etc.) dans l’arriération et la semi-féodalité, et dans une exploitation féroce. Cependant, les questions nationales en Italie ne sont pas extrêmement conflictuelles, sauf peut-être en Sardaigne (qui est, elle, une annexion féodale du Piémont, par traité, au 18 e siècle !). Les revendications du Val d’Aoste, des Vallées occitanes ou du Sud-Tyrol restent relativement pacifiques ; la Ligue du Nord est un mouvement 100% bourgeois et fasciste, sur une revendication nationale totalement imaginaire, en réalité une simple revendication de « riches qui ne veulent plus financer les pauvres bons-à-rien du Sud (et immigrés) ». Car, d'un point de vue économique, la plaine du Pô est le centre capitaliste en Italie, même si la capitale administrative est à Rome. L’Allemagne est aussi le produit d’une révolution bourgeoise (en compromis avec les classes féodales modernistes), mais elle s’est faite sur une base strictement nationale allemande et, depuis la perte des territoires de l’Est en 1945, il n’y a plus de minorités en Allemagne (sauf quelques Sorabes, slaves, en Lusace dans l’ex-RDA, quelques Danois près de la frontière avec ce pays, quelques Frisons près des Pays-Bas, et bien sûr des Rroms sinté). La Belgique est un cas particulier. Elle est issue d’une révolution nationale bourgeoise : les « Pays-Bas autrichiens », premier pays à suivre la Révolution bourgeoise française de 1789, avaient été rattachés, par le Congrès réactionnaire de Vienne (1815), à la Hollande dans un royaume des Pays-Bas. En 1830-31, un soulèvement bourgeois et populaire imposa l’indépendance. Il y avait aussi un aspect national-religieux, catholique contre la Hollande protestante. Mais surtout, le nouvel État est né d’un Congrès des Puissances, où la France et l’Angleterre « libérales » imposèrent l’indépendance aux Hollandais et aux puissances réactionnaires (Prusse, Russie et Autriche). L’Angleterre, notamment, avait ainsi un petit État ami sur la côte en face d’elle (intérêt stratégique). La France avait un État tampon sur sa frontière Nord (la seule sans montagnes ni fleuve). Pour autant, la Belgique regroupait deux nations : les Flamands et les Wallons (Bruxelles, flamande à la base, s’est « francophonisée » par la suite, en tant que capitale). Depuis, les deux bourgeoisies s’entendent comme chien et chat, et mobilisent les masses derrière elles dans leur guerre larvée : ouvriers « de gauche » wallons, livrés à la mafia PS, contre paysans et « honnêtes travailleurs » flamands, catholiques et conservateurs. La Suisse est née d’un processus révolutionnaire paysan-libre (les cantons fondateurs), puis bourgeois (les Républiques oligarchiques de Genève, Vaud, Berne, Zürich…), contre l’Empire germanique ; processus débouchant dans la révolution libérale de 1830-48. 26 cantons extrêmement autonomes et 4 langues y cohabitent dans une relative harmonie, et un certain chacun pour soi… La seule lutte nationale ayant eu lieu, a été celle des francophones du Jura, pour la séparation du canton de Berne alémanique. Cette lutte se poursuit, pour le rattachement de quelques communes restées bernoises ; mais jamais il n’a été question d’indépendance. La Ligue des Tessinois, sur le modèle de la Ligue du Nord italienne, est un mouvement fascisant qui ne vise qu’à défendre les intérêts de la petite et moyenne bourgeoisie italophone au niveau fédéral. Elle sert de force d’appoint à l’extrême-droite panhelvétique (UDC etc.). Les Etats-Unis mériteraient une dissertation à eux tous seuls : on dira simplement qu’ils se sont créés par une révolution bourgeoise ‘séparatiste’ (d’avec l’Angleterre) mais surtout, par la conquête (de l’Ouest ‘sauvage’, d’une grande partie du Mexique), le génocide massif des Peuples originaires et l’esclavage agricole des Africains déportés dans le Sud. C’est un État bourgeois moderne né dans une colonie, comme projet colonial. L’impérialisme US s’exerce non seulement à travers le monde, mais aussi sur son propre territoire « national ». Le même constat peut s’appliquer au Canada ou à l’Australie. Tous les autres pays d’Europe sont des « États nations » au sens strict, correspondant à une nationalité : Pays-Bas, Portugal, pays scandinaves (avec la minorité lapone, tout de même), le petit Luxembourg bien sûr, etc. Les révolutions bourgeoises, donc, ont été dirigées par la bourgeoisie la plus avancée (économiquement, politiquement, culturellement) de chaque pays à l’époque, généralement celle du « centre » politique-économique de l’État monarchique. En France, le bassin parisien et globalement le tiers Nord. En Grande-Bretagne, la région de Londres et le Sud de l’Angleterre. En Espagne, Madrid, alliée à Bilbao et Barcelone (les contradictions éclatèrent rapidement entre ces centres). En Allemagne, c’étaient la Rhénanie et la Westphalie, alors prussiennes : ce fut donc la Prusse qui guida le processus unitaire. En Italie, ce fut l’État le plus avancé dans le développement capitaliste : le Piémont, avec également une forte agitation unitaire en Lombardie (Milan). Cette bourgeoisie « centrale » a ensuite « plié » le développement capitaliste de ces pays à ses intérêts, laissant de grands territoires dans l’arriération, la misère et l’exploitation sans pitié… Les Etats capitalistes reposent fondamentalement sur une contradiction centre-périphérie. Un centre où se concentrent le pouvoir économique, politique, et la culture de la classe dominante ; et une périphérie « de relégation », où se concentrent la force de travail exploitée et la culture populaire : campagnes déshéritées, bassins ouvriers, banlieues prolétaires. Et parfois, cette contradiction se double d’une question nationale, car la culture populaire présente à tel endroit des caractères nationaux : une langue particulière, un sentiment d’appartenance à une communauté historique distincte, un mode de vie et une conception des choses liés à une réalité économique propre. Ce sont les Peuples qui ont été annexés lors de la constitution des grands États monarchiques (Basques, Corses, Bretons, Irlandais, Écossais etc.) ; ou encore les minorités « importées » pour leur force de travail (dont les zones de relégation sont essentiellement urbaines) : les Noirs aux USA (17 e-19e siècle), comme plus près de nous les immigrés Turcs et Kurdes en Allemagne, les immigrés Maghrébins, OuestAfricains ou Antillais en France, les Antillais ou les Indo-pakistanais en Grande-Bretagne. Et ensuite ? Et bien, le capitalisme est entré dans sa phase impérialiste, « 1ère période » (1870-1940) puis « 2e période » (depuis 1945). Pendant cette phase impérialiste, le capitalisme a poursuivi son développement, il a pénétré et englobé toute la « société civile », y compris les zones laissées dans l’arriération, et à vrai dire toute l’humanité, sauf quelques peuples restés communistesprimitifs ou patriarcaux, dans d’épaisses forêts équatoriales ou nordiques, ou des vallées reculées de l’Himalaya. Il a englobé la « périphérie » au sein des États capitalistes européens. En France, tout lycéen connaît les fameuses « métropoles régionales » et « métropoles d’équilibre » dont le maillage recouvre maintenant tout le territoire. Cela s’est surtout déroulé dans la « 2e période » de l’époque impérialiste, entre 1945 et les années 80. La Corse, la Bretagne et tout l’Ouest Atlantique, le Pays Basque et tout le Grand Sud-Ouest ont connu un développement capitaliste très important, une immersion spectaculaire dans les rapports sociaux capitalistes (à commencer par le salariat). On imagine difficilement, aujourd’hui, le « tiers-monde » qu’étaient encore ces territoires en 1940. Et que s’est-il alors passé ? Et bien, tous ces Peuples englobés dans les grands États modernes, lors de leur construction absolutiste, ont commencé à exiger pour eux l’achèvement de la révolution démocratique bourgeoise ; à rejeter l’oppression politique, culturelle et économique du Centre sur leurs Peuples périphériques, en mettant en avant leurs caractères nationaux (langue, culture, histoire etc.). Or, le marxisme-léninisme (Lénine) nous enseigne qu’à notre époque, l’achèvement des tâches démocratiques de la révolution bourgeoise appartient à la révolution prolétarienne, à l’avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière et des travailleurs exploités. Donc, c’est tout naturellement que les masses travailleuses de ces Peuples, pour parachever la conquête de leurs droits démocratiques nationaux sans perdre de vue leur intérêt de classe (ouvrier, prolétaire, paysan etc.), ont rejoint et rejoignent encore le camp de la révolution prolétarienne mondiale. Dans ces luttes nationales, il faut absolument le souligner, il existe une tendance bourgeoise, réactionnaire voire fasciste, ou au mieux « centriste » (démocratique-bourgeoise) : la moyenne voire grande bourgeoisie qui se considère entravée dans son développement par l’Etat central ; ou qui est plus tournée, par son activité économique, vers les États bourgeois voisins que vers le Centre. Mais il y a aussi, systématiquement, une lutte populaire, où s’affrontent deux tendances : la ligne petite-bourgeoise (écolo-social-démocrate, démocrate-humaniste…) et la ligne prolétarienne : anticapitaliste, antifasciste, antisexiste, internationaliste (consciente d’être une petite parcelle du mouvement révolutionnaire mondial), écologiste radicale, démocratiquepopulaire… La ligne populaire prolétarienne, dans les luttes nationales, a beaucoup reculé depuis les années 70 (son apogée), mais elle reprend de la vigueur depuis la fin des années 90. Plus un territoire est « pauvre », populaire, ouvrier et paysan, plus la ligne populaire (petitebourgeoise et/ou prolétarienne) est forte (Corse, Bretagne, Euskal Herria, Irlande, Ecosse) ; plus un territoire est « riche », plus la ligne bourgeoise, conservatrice ou réactionnairefascisante, domine : Flandre, Alsace, Savoie, Vénétie… Elle consiste souvent en un sécessionnisme réactionnaire, de « riches » qui ne veulent pas payer pour les « pauvres d’ailleurs », un sécessionnisme « de chantage », pour mener le bras de fer avec la bourgeoisie centrale, mais qui ne débouche pour ainsi dire jamais : le chantage sécessionniste de la bourgeoisie flamande dure depuis près d’un siècle, la Ligue du Nord d’Italie a abandonné l’idée d’indépendance pour le fédéralisme fiscal, etc. Dans les territoires « pauvres », la ligne bourgeoise est le plus souvent autonomiste et "culturaliste". Au contraire, la ligne prolétarienne envisage clairement, à moins d’un changement révolutionnaire au « Centre », la rupture, l’indépendance (la ligne petitebourgeoise oscillant, comme d'habitude, et se scindant en permanence entre les deux). Ainsi donc, les évènements depuis les années 1920 semblent avoir grandement contredit les prévisions de Lénine - et de tous les marxistes révolutionnaires de son époque - qui voyaient, en Europe, se poursuivre les processus d’unification "nationale" (des grands Etats bourgeois) des siècles précédents, et la revendication nationale se diluer dans la lutte populaire démocratique et ouvrière socialiste (à chaque nouvelle verste de chemin de fer). Lénine voyait la revendication nationale comme une survivance du passé, avec laquelle il fallait composer, sous le commandement vigilant de la classe ouvrière "centrale" ; mais au contraire, la voix des populi nigati (peuples niés, en corse) a résonné comme jamais auparavant dans les années 60-70, à l’apogée de la première vague de la révolution mondiale (quand le fond de l’air était rouge), et résonne à nouveau avec l’émergence de la deuxième vague. L’immersion grandissante de ces Peuples dans l’économie capitaliste, dans les rapports capitalistes de production (salariat, chômage-précarité, sous-traitance, franchise), a eu l’effet inverse de celui prévu. De la même façon, se pose la question dans les pays dominés : semi-colonies (domination économique), colonies (administration politique directe, comme les DOM-TOM) ou néo-colonies (anciennes colonies devenues « indépendantes » sur le papier, mais en réalité toujours sous domination économique et tutelle politique, comme en Afrique). Au début de l’époque impérialiste, ces pays consistaient essentiellement en des réservoirs de matières premières et de produits agricoles (activité donc essentiellement primaire), ainsi qu’en réservoirs de main d’œuvre et, aussi, de soldats (les troupes coloniales participèrent massivement aux deux guerres mondiales). Mais depuis, et très clairement à partir des années 1960-70, ces pays ont été massivement absorbés dans le système capitaliste mondial. L’agriculture encore largement semi-féodale a évolué massivement vers l’agro-capitalisme ; les monopoles sur les matières premières ont développé leur concentration, leur exploitation sans scrupules pour les personnes et l’environnement, et leur concurrence acharnée. Mais surtout, s’est développée une importante industrie de transformation (secondaire), avec la délocalisation de celle-ci depuis les pays « industrialisés » ; et même (dans les grandes villes en tout cas) une économie de consommation et de services (tertiaire). Tout cela sous la conduite des grands monopoles impérialistes et de leurs filiales sous-traitantes, bien sûr, mais aussi, en « satellite » de ces monopoles, sous la conduite d’un capitalisme national qui s’est énormément développé depuis 50 ans. Le point culminant de ce processus est ce que l’on appelle (dans les Amériques surtout) le « néolibéralisme » des années 80-90. Tout ceci a conduit à une très importante urbanisation, dé-féodalisation et détribalisation de la société. La part de la population urbaine a explosé (et la population tout court aussi, d’ailleurs), rompant avec le rythme de vie immuable des campagnes arriérées, et avec cette résignation au destin typique des sociétés rythmées par les saisons, où rien n’a changé depuis des siècles (cette société que l’on trouvait encore, dans la campagne française, au 18e siècle). On a alors vu émerger des aspirations démocratiques bourgeoises, à cette révolution démocratique bourgeoise que la domination impérialiste a (en quelque sorte) « confisquée » en s’alliant avec les forces féodales réactionnaires, en imposant son ordre colonial meurtrier ou ses (non moins meurtriers) gardes-chiourme « indépendants ». Au cours du 20e siècle, les aspirations démocratiques-bourgeoises à la libération nationale, à la modernisation et à la dé-féodalisation se sont exprimées sous la direction de Partis communistes ou de mouvements « marxisants » liés au mouvement communiste international (et entraînés dans sa chute, avec la faillite du révisionnisme soviétique – années 70-80 – et la contre-révolution en Chine – 1975-80). Les nationalismes bourgeois, pour un « capitalisme national indépendant », privés d’une base bourgeoise-nationale suffisante, se sont tous terminés par l’échec et le renversement militaire (exemples types : le péronisme, ou le "progressisme" brésilien Kubitschek-Goulart des années 1956-64), ou par le compromis avec l’impérialisme et le féodalisme (exemples types : kémalisme, nationalisme arabe avec Sadate, Saddam Hussein ou Kadhafi, national-islamisme iranien). Mais depuis la fin du siècle dernier, on assiste à un renouveau de ces nationalismes bourgeois : Chavez en Amérique du Sud, Gbagbo en Afrique, Ahmadinejad (soutenu par le puissant bazâr, la bourgeoisie urbaine) en Iran (réactionnaire religieux, mais plus que ses rivaux ? pas sûr…), avec ses alliés Hezbollah et Hamas, ne sont rien d’autre. Ils prônent un puissant nationalisme, autrement dit un capitalisme national indépendant, avec des accents social-populistes. Ils jouent sur les contradictions entre les puissances impérialistes rivales (Anglo-saxons, couple franco-allemand, Japon, Russie, Chine) qui s’aiguisent à mesure que le capitalisme impérialiste mondial s’enfonce dans la crise. On pourrait aussi citer en exemple l’AKP, les « démocrates-musulmans » de l’Etat turc, expression politique d’une nouvelle bourgeoisie turque, qui s’est développée à l’intérieur du pays comme dans la diaspora (en Allemagne, etc.). Les différences idéologiques peuvent paraître considérables (et du coup les rapprochements, comme entre l’Iran et Chavez, incompréhensibles), mais tous sont le produit d’une même réalité : l’immersion de plus en plus profonde du « Sud » dominé dans le capitalisme, avec l’émergence de nouvelles bourgeoisies et d’aspirations « radicales » bourgeoises. Il en va de même pour Al-Qaïda : bien qu’inféodés à l’Occident, les pays de la péninsule arabique ont accumulé (sur la base du pétrole) tellement de Capital qu’il était prévisible qu’à un moment donné, une fraction minoritaire de celui-ci entre en rébellion, contre les Occidentaux, pour son émancipation. Le khalifat prôné par les djihadistes n’est autre que la base d’accumulation et le champ d’investissement nécessaires à ce Capital arabe du Golfe. Bien sûr, un tel projet capitaliste-national indépendant est totalement impossible à l’époque impérialiste : sur ce point, rien n’a changé depuis Lénine. Jouant sur les contradictions inter- impérialistes, les nationalistes social-populistes en deviennent finalement prisonniers. En Iran, ils sont même clairement réactionnaires, s’appuyant sur la féodalité (mollah) des campagnes, et sur l’impérialisme (en tout cas le projet impérialiste) chinois, à travers l’énorme entreprise que sont les Gardiens de la Révolution islamique… Il en va de même pour le projet khalifal djihadiste. Mais il n’empêche : en l’absence d’un mouvement communiste fort et implanté dans ces pays, ces courants sont AUSSI l’expression des aspirations des masses populaires à l’indépendance nationale, à la souveraineté, à l'équité sociale et à la « même règle pour tous » ; aspirations qui poussent comme une dent de sagesse, sans parvenir à percer, mais qui poussent quand même… Parallèlement et, parfois, en lien étroit avec ces nouveaux nationalismes bourgeois (en Amérique du Sud notamment), il faut noter l’émergence d’un autre phénomène : avec l’irruption croissante de la production et de l’exploitation capitaliste dans des territoires auparavant reculés et "hors-la-civilisation", se sont développées des résistances indigènes, résistances de Peuples "premiers", tribaux ou communautaires-primitifs, contre cette irruption. C’est réellement un phénomène marquant, dans le mouvement mondial des luttes, depuis les années 1970. On trouve principalement ces mouvements indigènes en Amérique latine (les plus puissants sont en Equateur, où ils jouent un rôle politique crucial depuis la fin des années 1990) ; mais aussi en Inde, avec les populations "tribales" adivasis ; au Nigéria avec les populations du delta du Niger contre l’exploitation pétrolière (passées à la lutte armée) ; ailleurs en Afrique équatoriale contre la déforestation ; au Sahara (Touareg) contre l’exploitation croissante des minerais (en particulier l’uranium au Niger !) ; dans le Nord canadien etc. On peut schématiser ces revendications autour de 3 grands axes : - Dans le cas d’une production agricole importante, revendication de la propriété populaire, paysanne, de la terre cultivable ; - Sanctuarisation de l’écosystème et des ressources naturelles : eau, forêts, sous-sols ; - Une économie productive et marchande "libre" "juste","équitable" pour les humains et l’écosystème. (non-collectiviste), mais "morale", Dernièrement, en juin 2009, ont fait date les violents affrontements en Amazonie péruvienne. En Inde, la résistance des Adivasis est étroitement liée à la guérilla maoïste, ainsi que la résistance des populations forestières aux Philippines ; tandis qu’au Pérou, il est difficile de dissocier la guérilla populaire du PCP "Sentier Lumineux" (années 80-90) de la résistance à la pression capitaliste constante sur les populations de l’Altiplano… En Colombie, en revanche, les guérillas marxistes sont liées aux luttes paysannes (souvent des populations métissées), mais semblent relativement coupées des résistances indigènes proprement dites. Mais les liens, on l’a dit, sont également nombreux avec les nouveaux nationalismes bourgeois (Bolivie, Equateur). Là aussi, l’évolution du réel est donc assez inattendue. Entre les années 20 et la chute du Mur de Berlin, les nationalistes bourgeois (kémalisme, Kuomintang…) avaient tous fini (après quelques années) par rejoindre le camp de l’impérialisme, y compris, à partir des années 60, du social-impérialisme soviétique ; tandis que les masses populaires, luttant pour la libération nationale et sociale véritable, ralliaient le camp de la révolution prolétarienne, sous la direction d’intellectuels marxistes issus des masses. Cette configuration n’avait a priori pas de raisons de changer : la bourgeoisie nationale semblait vouée, comme la petite-bourgeoisie des pays impérialistes et avancés, à toujours plus se scinder entre camp de l’impérialisme et camp du Peuple et de la révolution mondiale. Mais voilà que, depuis les années 90, on voit surgir une nouvelle bourgeoisie nationale avec des aspirations typiquement révolutionnaires bourgeoises. Prenons l’exemple, typique, de Laurent Gbagbo : nulle remise en cause du mode de production capitaliste, bien au contraire, ni des « investissements étrangers » (donc, de l’impérialisme), mais une volonté d’imposer aux groupes impérialistes une domination collective en concurrence "équitable" et "loyale", et le respect des intérêts du pays, de sa bourgeoisie nationale et de sa population en général. Une vision typiquement révolutionnaire bourgeoise. TOUS les autres exemples précités sont dans la même optique, si l’on fait abstraction de leur multitude de cocktails idéologiques différents. Et là aussi, une seule explication au phénomène : l’immersion grandissante des pays semi-coloniaux semi-féodaux dans l’économie capitaliste et le salariat, notamment à l’époque dite du "néolibéralisme", dans le dernier quart du XXe siècle. Cette immersion a amené, de même, le capitalisme à s’étendre à des territoires auparavant "vierges" et à se heurter à la résistance des populations originelles qui y vivent. Ces résistances ont, là aussi, des revendications "petites-bourgeoises" qui ne se placent pas dans le strict cadre du marxisme… On pourra bien sûr dire, du point de vue de la science marxiste, que ces mouvements vont dans le mur, et c’est très certainement le cas à moyen terme. Mais, pour autant, ils existent, ils sont une réalité de notre époque, et les marxistes ne peuvent ignorer la réalité : ils doivent en tenir compte pour la transformer, y adapter leur stratégie, pour pouvoir faire triompher l’inévitable et indispensable (pour l’humanité) révolution prolétarienne, dans ce cas précis sous la forme de la Nouvelle démocratie, la révolution populaire-démocratique et anti-impérialiste. Ceci amène à une autre question, posée par le développement du salariat des pays dominés : celle de la "désoccidentalisation" du marxisme. Le principe que la science marxiste n’est pas un dogme mais un guide pour l’action, et qu’elle doit s’adapter à la réalité concrète, notamment du pays concerné, a été posé par Lénine, qui le mît en pratique en Russie. Mais par la suite, par exemple, Staline s’opposa au développement d’un marxisme adapté aux nationalités (de culture centre-asiatique) du Turkestan et du Caucase (avec Sultan-Galiev)… On peut considérer que ce sont Mao et Hô Chi Minh (ou encore, moins connu, l'indonésien Tan Malakka) qui mirent ce principe en pratique pour la première fois hors d’Europe, pour l’Asie de l’Est de culture extrême-orientale (sans remettre en cause l’universalité des apports de Mao !). On peut considérer le tandem CastroGuevara comme une tentative latino-américaine, la pensée Gonzalo (Abimaël Guzman) comme une tentative plus spécifiquement andine ; Pierre Mulele, Ange Diawara et Amilcar Cabral comme des tentatives africaines ; sans oublier Kaypakkaya en Anatolie (État turc), Mazumdar et bien d'autres encore en Asie du Sud, etc. Mais, d’une manière générale, les intellectuels marxistes qui ont dirigé les luttes populaires dans les Trois Continents n’ont pas réellement adapté le marxisme (dans une véritable ligne de masse) aux conditions concrètes et en particulier, aux conditions culturelles de leurs pays. Une adaptation qui n’implique bien sûr pas la liquidation des lois scientifiques fondamentales, ce qui fut généralement l’autre écueil fatal ("maos de l'islam" au Liban). De son côté, le nationalisme bourgeois a également été, très largement, d’inspiration culturelle occidentale (exemple absolu : le kémalisme ; mais aussi Bourguiba, Nehru, Sukarno etc.). Cependant, dans le cas particulier de l’aire culturelle orientale-musulmane, il a connu, aussi bien avec le nationalisme laïc du Baas ou de Nasser qu’avec l’islamo-nationalisme des Frères Musulmans et d’Ali Shariati (le "père" de la révolution islamique iranienne), une véritable (et assez fructueuse !) tentative de désoccidentalisation. Aujourd’hui, le jaillissement de la nouvelle vague révolutionnaire mondiale, et les questions nouvelles posées par le nouveau nationalisme bourgeois dont on a parlé ci-dessus (et qui va imposer, aux marxistes, une rude concurrence idéologique dans les masses !), remettent puissamment cette nécessité à l’ordre du jour. Il ne sera tout simplement pas possible, avec les tâches qu’exigent notre époque, de mettre éternellement sur le compte de l’arriération des masses le fait qu’elles ne se jettent pas dans les bras des communistes… Cela entrerait d’ailleurs en contradiction avec le constat fait plus haut, de l’immersion grandissante des Peuples dans l’économie capitaliste : comment, avec cette immersion grandissante, les manifestations de révolte des Peuples ne pourraient être, encore et toujours, que pure arriération féodale, cléricale ou tribale ? Telle est la réalité à notre époque, en ce début de 21e siècle. Quelle conclusion faut-il en tirer ? S’il y a une leçon centrale à retenir de l’expérience révolutionnaire du mouvement communiste au 20e siècle, c’est que la révolution prolétarienne ne consiste pas en un « prolongement », en un « dépassement » de l’Etat issu de la monarchie absolue et de la révolution bourgeoise : elle consiste en sa DESTRUCTION. Il faut détruire l’Etat de la bourgeoisie dans ses fondements les plus profonds. La révolution prolétarienne en France n’est pas « l’accomplissement » de la révolution bourgeoise de 1789 (comme le pensait Jaurès, non-marxiste, mais aussi la plupart des marxistes sous l’influence de ce « socialisme républicain français ») ; elle est la destruction de l’Etat et de toute l'organisation sociale construite par l’Ancien Régime et 1789 (et Napoléon etc.). De même, lorsqu'un Etat bourgeois est impérialiste et a un Empire, un ensemble de colonies et de semi-/néo-colonies sous sa tutelle exclusive (comme la France en Afrique, les Etats-Unis en Amérique latine, l’un et l’autre dans les Caraïbes et le Pacifique), la priorité absolue est de détruire l’Empire. Sans cela (Engels fut le premier à le noter), le prolétariat de la métropole impérialiste ne peut pas se libérer. Ce principe a été posé, il y a plus de 90 ans, par Lénine dans L’Etat et la Révolution ; même si sa compréhension, on le sait, fut et (dans une large mesure) reste difficile pour les communistes se réclamant de la Révolution russe. Pourquoi, dès lors, ce principe ne s’appliquerait-il pas à la configuration territoriale de cet Etat de la bourgeoisie, aux relations sociales instituées par la bourgeoisie entre les différents territoires, entre le Centre et la périphérie, relations économiques mais aussi (ou plutôt, faudrait-il dire, DONC) politiques et culturelles, etc. ? Après tout, c’est dans une large mesure ce que les bolchéviks firent en URSS… Mais cela paraît inconcevable à bien des grrrrrrands marxistes-léninistes de notre époque ! Il en va de même pour la périphérie au sens large : possessions d’outre-mer, néo-colonies, néo-protectorats (comme la Tunisie). C’est toute une configuration, héritée du 19 e voire des 17e-18e siècles, qu’il faut détruire. L’Histoire a avancé, comme toujours, à la manière d’une roue qui avance en tournant, et non en ligne droite. Ce qui pouvait être considéré comme conservateur, entravant la marche du Progrès, dans les années 1850 de Marx et Engels, à savoir les sentiments nationaux et les résistances nationales tant en Europe qu’outre-mer (voir ce que Engels écrivait sur l’Algérie), est devenu, avec l’immersion croissante dans les rapports de production capitalistes, progressiste et même révolutionnaire, exigeant l’achèvement d’une révolution démocratique qui jusqu’à présent, n’a profité qu’à des classes favorisées (d’un point de vue social) mais aussi qu’aux Centres des Etats capitaliste, d’un point de vue géographique - et, au niveau mondial, à une poignée de centres impérialistes : Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, etc. Ces luttes nationales, dans leur aspect populaire et prolétarien, loin d’être une remorque encombrante, sont même devenues un élément moteur pour la révolution prolétarienne dans les pays impérialistes : où la conscience révolutionnaire est-elle plus avancée en Europe qu’au Pays Basque et dans les multiples Peuples en lutte de l’Etat espagnol, qu’en Irlande et dans les multiples nations opprimées du RoyaumeUni britannique, qu’en Occitanie et dans les multiples Peuples en lutte de l’Etat français, et bien sûr dans les minorités immigrées de tous les pays ? Où est-elle plus avancée, en Amérique du Nord, qu’au Québec, chez les Noirs, les Latinos et les Natifs ? Les luttes de libération nationales sont la poudre à canon pour faire exploser les Etats et les Empires capitalistes, une poudre qui n’attend que l’étincelle d’une direction authentiquement révolutionnaire… FAISONS SAUTER L’ETAT DE LA BOURGEOISIE, BRISONS LES MURS DE LA PRISON QUI NOUS ENFERME ! [1] Engels (mais Marx n'avait sans doute pas une opinion différente) pouvait ainsi se féliciter, en 1848, de la victoire des troupes françaises sur Abd-el-Kader en Algérie, ce dont se gargarisent bien sûr aujourd'hui les fascistes. L'année suivante, dans l'opuscule Le Panslavisme, il pouvait de la même manière se féliciter de l'invasion US du Mexique... Paradoxalement, dans la guerre américanomexicaine en question, un bataillon d'Irlandais (nation opprimée) ayant fui la famine, et enrôlés dans l'armée dès leur arrivée aux EtatsUnis, put, par solidarité d'opprimés devant les exactions US, déserter et combattre aux côtés du Mexique, offrant là un des premiers exemples historiques (non-conscientisé) d'internationalisme -disons- populaire ! (ils firent le lien entre les mauvais traitements qu'ils subissaient dans l'armée, en tant que "papistes", et les crimes perpétrés contre la population mexicaine également catholique) [2] "si demain on retirerait l'armée britannique et si l'on hissait le drapeau vert sur le Château de Dublin, sauf si vous créeriez la république socialiste, vos efforts seraient en vain. L'Angleterre continuerait à vous dominer. Elle vous dominerait à travers ses capitalistes, ses propriétaires, ses financiers, à travers toute la gamme d'instituts commerciaux et individualistes qu'elle a plantés dans ce pays et qu'elle a arrosés avec les larmes de nos mères et le sang de nos martyrs" ANNEXE 1 : Repères historiques et petites "réflexions" sur quelques idées reçues de l'historiographie officielle bourgeoise - Morcellement féodal de la France au 10e siècle : encore une vision bourgeoise et parisianocentriste. C'est seulement le Bassin parisien, la moitié nord de l'Hexagone actuel, qui avait sombré dans la décomposition et l'"anarchie" féodale, sous l'effet de la décadence carolingienne. Mais au sud de la Loire (et du plateau de Langres) existaient de larges et stables unité politique : duché d'Aquitaine (au sud-ouest de la Loire et à l'ouest du Rhône), royaume d'Arles (BourgogneProvence) à l'est du "Massif central", etc. ; de même que pour les terres germaniques, unifiées sous l'autorité des Othoniens (Saint-Empire), le Nord et le Centre de l'Italie actuelle (royaume d'Italie), ou encore l'Espagne sous le califat omeyyade (héritier, lui-même, du royaume wisigoth) : la fragmentation politique des ces contrées sera plus tardive, à partir des 11e-12e siècles. Ces grandes unités politiques (et, dans une large mesure, nationales !) sont les berceaux de la Renaissance médiévale qui s'épanouira aux siècles suivants (1000-1300). - Qu'est ce que "la France" à cette époque ? Au partage de Verdun (843), sont désignés comme Francie occidentale les territoires situés à l'ouest des "4 fleuves" : Escaut, Meuse, Saône et Rhône (incluant le nord de la Catalogne actuelle...). Le mot France lui-même apparaît avec les premiers Mérovingiens, au Ve siècle. Il désigne au VIe siècle l'ensemble des territoires qui leur sont soumis, entre le Rhin et la Loire. Néanmoins, au temps des Carolingiens, cet espace se réduit et ne désigne plus qu'un territoire situé entre l'Austrasie et la Neustrie. Au cours des Xe siècle et XIe siècle, ce territoire se réduit encore pour ne désigner plus que le nord-est de Paris. Il a sans doute existé une subdivision du diocèse de Paris correspondant à ce territoire, l'archidiaconé de France. Voilà, globalement, à quoi ressemble politiquement la "France" (ou plutôt, la Francie occidentale de 843) au milieu du 11e siècle : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bb/Map_France_1030-fr.svg - C'est une réalité que, face à la décadence de la monarchie carolingienne, les seigneurs féodaux du Bassin parisien ont élu ROI DES FRANCS (et non de France) le plus faible d'entre eux, afin que la monarchie reste toute honorifique. L'aïeul d'Hugues Capet, le comte Eudes, s'était illustré par une vaillante défense de Paris face aux Scandinaves, ce qui lui donnait un certain prestige symbolique, mais guère plus. Paris était d'ailleurs, à l'époque, une ville d'importance mineure ; les Capétiens eux-mêmes résidaient plutôt à Orléans, jusqu'à la fin du 11e siècle en tout cas. Cependant, dès l'An 1000, "le cave se rebiffe" et va tenter d'affermir son domaine et son autorité face aux grands féodaux du Nord (les Blois, Anjou, Champagne, Vermandois etc., sans oublier les ducs de Normandie, rois d'Angleterre à partir de 1066). Le ressort de cette campagne d'expansion de son domaine, la maison capétienne va le trouver dans l'ALLIANCE AVEC LA BOURGEOISIE du Bassin parisien, le soutien à l'affirmation de celle-ci face aux grands féodaux. C'est le début d'un partenariat qui se poursuivra jusqu'au 18e siècle. Dans l'historiographie bourgeoise enseignée à l'école de Jules Ferry, les "grands rois" (Henri IV, Louis XIV etc.) sont ceux qui ont correctement servi les intérêts de la bourgeoisie. Les années 1180-1220 sont celles de la "conquête de l'Ouest" sur l'Empire Plantagenêt * : en 1223, celui-ci ne contrôle plus qu'un petit réduit aquitain. Il reprendra du "poil de la bête" au Traité de Brétigny (1360) mais pour une courte période (20 ans), et à la fin de la Guerre de Cent Ans (1453), la maison d'Angleterre est totalement évincée du continent. Les années 1208-1271 (croisade des Albigeois et ses suites) sont celles de la conquête du Languedoc (au sud du "Massif central", entre la Garonne et le Rhône). Le royaume capétien s'étend aux siècles suivants à l'Est du Rhône, sur des terres anciennement au Saint-Empire : Lyonnais et Dauphiné au 14e siècle, Bourgogne et Provence au 15e. La Bretagne est unie à la couronne en 1532. Les siècle suivants voient enfin la "conquête de l'Est et du Nord" : au 17e siècle sont contrôlés le Nord-Pas-de-Calais actuel et l'Alsace, la Franche- Comté et le département actuel de l'Ain, ainsi que le Roussillon (Catalogne du Nord) ; au 18e siècle la Lorraine et la Corse. Le règne d'Henri IV achève d'affermir l'autorité royale sur la Gascogne et l'Ipar Euskal Herria. Les derniers territoires annexés sont le Comtat venaissin (Vaucluse) en 1791, la Savoie et le Pays niçois de 1793 à 1815 puis définitivement en 1860. - Nations : elles se forment (cf. par exemple Kaypakkaya dans "La Question nationale en Turquie") non pas à l'apogée du capitalisme, dans la révolution bourgeoise ou la révolution industrielle, mais à l'AUBE de celui-ci, c'est à dire dans l'APOGÉE de la féodalité. Cette période, en Europe, se situe globalement entre l'an 1000 et 1300. C'est à cette période que le mot nation lui-même fait son apparition, dans les foires (de Champagne, du Languedoc etc.) et les universités : il désignait les marchands et les étudiants d'un même lieu de naissance (natio), parlant la même langue et partageant les mêmes "us et coutumes". La notion avait encore des contours imprécis ; ainsi, les Italiens pouvaient-ils être désignés par leur région d'origine précise ("Siennois" etc.) ou sous l’appellation générique de "Lombards" (le royaume lombard, conquis par Charlemagne en 774, couvrait tout le Nord et le Centre de l'Italie actuelle). Néanmoins, l'idée y est : celle d'une communauté stable sur un territoire donné, partageant une même langue, une même culture et un sentiment de commune appartenance. Il faut noter que, à travers l'histoire, la coïncidence de la nation et de l’État est bien plus l'exception que la règle, de même que pour les notions précédentes d'ethnos (communauté de langue et de culture) et de demos (communauté politique) dans l'Antiquité. L'Empire perse, l'Empire grec d'Alexandre, l'Empire romain recouvraient des peuples très différents, tandis que la Grèce classique ou la Gaule pré-romaine, formant un même peuple, étaient divisées en cités politiquement indépendantes. De la même manière, du Moyen Âge à nos jours, des États comme la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, la Turquie, la Russie etc., ou hier l'Empire ottoman ou l'Empire austro-hongrois, dominent ou dominaient différents peuples ; tandis que l'Italie et l'Allemagne n'étaient pas unifiées politiquement jusqu'en 1870 (la multiplicité des dialectes, au niveau populaire, peut d'ailleurs faire se demander si l'on a là des nations, ou des ensembles de nations "soeurs"). Aujourd'hui encore, la nation arabe (ou les nations si l'on distingue Maghreb et Machrek), ou encore la nation latino-américaine, sont divisées en différents États. Pour autant, dès l'unification politique de l'actuelle France par les "grands rois" des 13e-14e siècles, la nation occitane se voit reconnue par la monarchie capétienne elle-même** : ainsi, en 1308 lors du "consistoire de Poitiers", il ressort que le roi de France règne sur deux nations : l'une de lingua gallica et l'autre de lingua occitana. En 1381, le roi Charles VI considère que son royaume comprend deux parties, les pays de langue d'oc ou Occitanie et les pays de langue d'oil ou Ouytanie : « Quas in nostro Regno occupare solebar tam in linguae Occitanae quam Ouytanae » (André Dupuy, Marcel Carrières et André Nouvel, Histoire de l'Occitanie, Éd. Connaissance de l'Occitanie, Montpellier, 1976 p. 58.). - Négation de la négation : le "morcellement féodal" du 10e siècle est le résultat de l'effondrement, de la négation de l'Empire romain ; d'abord par l'"anarchie militaire" et les révoltes populaires (bagaudes) du Bas-Empire, puis par les invasions germaniques. Décadence administrative (plus de grandes unités politiques centralisées) et recul civilisationnel en apparence (à relativiser, car l'Espagne, l'Italie, l'Orient et l'Afrique du Nord gardent un haut niveau de civilisation), c'est aussi un grand développement des forces productives et donc de l'économie, car un homme libre ou semilibre (serf) est beaucoup plus productif qu'un esclave***. Là est le ressort de la "Renaissance médiévale" des 11e-12e-13e siècles. Au sein de cet apogée de la féodalité, va surgir l'AUBE du capitalisme (avec les foires de Champagne et du Languedoc, les grandes cités marchandes italiennes, rhénanes et flamandes, etc.). La dynastie capétienne va ensuite (en confrontation, jusqu'au 15e siècle, avec les rois d'Angleterre et les ducs de Bourgogne) nier ce morcellement féodal relatif, et constituer l’État moderne "France" (établi dans son principe à la fin du 15e siècle, bien qu'il n'atteigne ses frontières actuelles qu'en 1860). Cette négation de la négation va permettre l'essor du capitalisme, qui se développera encore plus fortement à partir du 16e siècle pour aboutir dans la Révolution bourgeoise (1789-1815) et la révolution industrielle du 19e siècle. A présent, une nouvelle négation de la négation est en œuvre. Les masses populaires veulent le socialisme, elle veulent la fin de l'exploitation capitaliste et de tous les rapports sociaux inégalitaires et oppressifs, notamment les rapports "territoriaux" établis par l'alliance capitaliste de la bourgeoisie et des rois (jusqu'en 1789) puis par les régimes de la bourgeoisie elle-même, rapports totalement basés sur Paris et sur une "dorsale" Marseille-Lyon-Paris-Le Havre. Les masses veulent la COMMUNE POPULAIRE révolutionnaire, se fédérant sur une vaste échelle, jusqu'au communisme universel. Il est probable que, dans une large mesure, les premiers échelons de cette fédération ressuscitent les nations constituées à l'aube du capitalisme, aux premiers siècles du dernier millénaire, et niées par l’État moderne capétien-bourgeois pour permettre l'expansion du capitalisme. [* Celui-ci s'appuyait sur les bourgeoisies portuaires de la "façade atlantique", qui profitaient du commerce maritime avec l'Angleterre] [** Reconnaissance de la nation occitane par la royauté française elle-même : http://fr.wikipedia.org/wiki/Occitanie#Diff.C3.A9rents_noms_de_l.27Occitanie_ou_de_ses_r.C3.A 9gions] [*** Les communistes de l’État français, particulièrement ceux de la métropole parisienne, ont la caractéristique d'être très souvent totalement prisonniers de la vision BOURGEOISE de l'Antiquité et du Moyen Âge : celle d'une Antiquité "brillante", "rayonnante", et d'un Moyen Âge "gothique", sombre, frappé par un effondrement total de la civilisation. C'est la vision mise en avant à partir du 18e siècle par les historiens bourgeois (tels Jules Michelet), la bourgeoisie se voulant l'héritière des gréco-romains face à l'aristocratie héritière des "barbares", et à son alliée l’Église. C'est encore la vision défendue, aujourd'hui, dans les ouvrages d'un "philosophe" social-républicain bobo comme Michel Onfray. C'est une vision totalement contraire au matérialisme historique. Elle oublie complètement que l'héritage antique s'est très bien conservé, non seulement dans les pays musulmans à partir du 7e siècle, mais dès avant, dans l'Espagne wisigothique, dans les pays sous autorité byzantine (Orient et presque toute la Méditerranée entre le 6e et le 8e siècle), en Afrique du Nord (vandale puis byzantine et enfin arabe), etc. Les régions qui ont connu un grand "recul de civilisation" sont les régions non-méditerranéennes, qui n'étaient que superficiellement "civilisées" sous l'Empire romain. La cité romaine y avait un rôle essentiellement politique, administratif, si bien que la décadence politique de Rome, le retrait des armées (qui avaient une grande importance dans la vie économique), etc., ont entraîné sa quasi disparition. Les villae (domaines agricoles) étaient largement autosuffisantes et la vie sociale a tendu à s'y replier, préfigurant le domaine féodal. Une telle vision oublie les "renaissances médiévales" qui ont fleuri à partir de l'an 800, conséquences du développement des forces productives ("renaissance carolingienne" en Gaule, "renaissance othonienne" en Germanie, puis la renaissance des 11e-13e siècle). Elle oublie que l'Empire romain s'est effondré, d'abord, sous le poids de ses propres contradictions (le mode de production esclavagiste, déniant toute dignité humaine à la force de travail, est sans doute celui qui limite le plus les forces productives), et de l'oppression qu'il était condamné à faire subir aux peuples conquis... Ce que rappelait très justement Engels dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : "A la fin du Ve siècle, l'Empire romain affaibli, exsangue et impuissant était grand ouvert aux envahisseurs germains. Nous étions précédemment au berceau de l'antique civilisation grecque et romaine. Nous voici maintenant auprès de son cercueil. Sur tous les pays du bassin méditerranéen, le rabot niveleur de l'hégémonie mondiale romaine avait passé, et cela pendant des siècles. Partout où le grec n'opposait point de résistance, toutes les langues nationales avaient dû céder la place à un latin corrompu; il n'y avait plus de différences nationales, plus de Gaulois, d'Ibères, de Ligures, de Noriques ; ils étaient tous devenus Romains. L'administration romaine et le droit romain avaient partout détruit les anciens liens consanguins et, du même coup, les derniers vestiges d'activité locale et nationale autonome. L'appartenance au monde romain, qualité de fraîche date, n'offrait point de compensation: elle n'exprimait pas une nationalité, mais seulement l'absence de nationalité. Les éléments de nations nouvelles existaient partout; les dialectes latins des différentes provinces se différenciaient de plus en plus; les frontières naturelles, qui avaient fait autrefois de l'Italie, de la Gaule, de l'Espagne et de l'Afrique des territoires autonomes, existaient encore et se faisaient toujours sentir. Mais nulle part n'existait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations. Nulle part il ne restait trace d'une capacité de développement, d'une force de résistance et, moins encore, d'un pouvoir créateur. L'énorme masse humaine de l'énorme territoire n'avait qu'un seul lien qui l'unît: l'État romain, et celuici, avec le temps, était devenu son pire ennemi, son pire oppresseur. Les provinces avaient anéanti Rome; Rome même était devenue une ville de province comme les autres, - privilégiée, mais non plus souveraine, - non plus centre de l'Empire universel, non plus même siège des empereurs et sous-empereurs qui résidaient à Constantinople, à Trèves, à Milan. L’État romain était devenu une machine gigantesque, compliquée, exclusivement destinée à pressurer les sujets. Impôts, corvées, prestations de toutes sortes enfonçaient la masse de la population dans une misère toujours plus profonde; l'oppression était poussée jusqu'à l'intolérable par les exactions des gouverneurs, des collecteurs d'impôts, des soldats. Voilà où avaient abouti l'État romain et son hégémonie mondiale: celui-ci fondait son droit à l'existence sur le maintien de l'ordre à l'intérieur, et sur la protection contre les Barbares à l'extérieur. Mais son ordre était pire que le pire des désordres, et les Barbares, contre lesquels il prétendait protéger les citoyens, étaient attendus par ceux-ci comme des sauveurs."]