La Question nationale au 21e siècle
Parce que l’on a entendu, au cours de notre vie militante, tout et n’importe
quoi sur la question au sein de la "gauche révolutionnaire" (aussi bien
communiste ML et MLM, que trotskyste ou libertaire) ; il a semblé nécessaire
à Servir Le Peuple de mener une réflexion poussée sur la question nationale
et les luttes de libération. Une réflexion qui conduit à revenir aux bases du
marxisme, principalement les bases léninistes (et par suite, maoïstes) ; mais
aussi, dans une large mesure, à repenser la problématique au regard des
développements intervenus depuis les années 1920, est mort Vladimir
Illitch.
Lénine a été le premier, avec l’appui de Staline (Le marxisme et la question nationale), à
mettre en avant clairement la question du droit à l’autodétermination pour les nations
dominées, privées d’Etat ou en tout cas de véritable indépendance (protectorats, semi-colonies
etc.). jà, bien que tardivement, Marx et Engels avaient évolués sur la question, après des
débuts (années 1840-1850) plutôt hostiles [1] : reconnaissance par Marx (1867) de la
nécessité de l’indépendance (éventuellement avec ‘fédération’ par la suite) de l’Irlande,
« secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise » ; reconnaissance par Engels de la
nécessité de l’indépendance de la Pologne, sans laquelle « il est impossible de parler
sérieusement de la moindre question interne, tant que l’indépendance nationale fait défaut ».
Mais voilà : de même qu’il ressort (déjà) des propos de Marx et Engels, la résolution des
questions nationales était pour Lénine une tâche toute tactique, secondaire, une nécessité pour
la classe ouvrière révolutionnaire afin de se gagner des alliés et d’affaiblir ses ennemis, les
Etats impérialistes (France, Angleterre…) comme les grands Empires semi-capitalistes semi-
féodaux (Autriche-Hongrie, Russie, Empire ottoman). Quelque chose qu’il « faut » que les
révolutionnaires marxistes fassent, mais presque à contrecœur, et toujours avec méfiance :
« Le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société bourgeoise, et,
compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la légitimité historique des
mouvements nationaux. Mais, pour que cette reconnaissance ne tourne pas à l'apologie du
nationalisme, elle doit se borner très strictement à ce qu'il y a progressif dans ces
mouvements, afin que cette reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience
prolétarienne par l'idéologie bourgeoise.
Le réveil des masses sortant de la torpeur féodale est progressif, de même que leur lutte
contre toute oppression pour la souveraineté du peuple, pour la souveraineté de la nation. De
là, le devoir absolu pour le marxiste de défendre le démocratisme le plus résolu et le plus
conséquent, dans tous les aspects du problème national. C'est une tâche surtout négative.
Le prolétariat ne peut aller au-delà quant au soutien du nationalisme, car plus loin commence
l'activité « positive » de la bourgeoisie qui vise à renforcer le nationalisme.
Secouer tout joug féodal, toute oppression des nations, tous les privilèges pour une des
nations ou pour une des langues, c'est le devoir absolu du prolétariat en tant que force
démocratique, l'intérêt absolu de la lutte de classe prolétarienne, laquelle est obscurcie et
retardée par les querelles nationales ».
Lénine restait un révolutionnaire de formation anti-monarchique jacobine (jacobins russes), un
admirateur de la Révolution bourgeoise française dans sa phase Montagnarde (1793-94), et un
continuateur fidèle de Marx et Engels, qui étaient eux-mêmes des hommes des Lumières, du
culte du Progrès et de la Civilisation, au matérialisme historique linéaire, qui voyaient dans les
Etats bourgeois modernes un « progrès » sur le morcellement « féodal » des Peuples, un
« tremplin » vers la République socialiste universelle des travailleurs… Engels pouvait écrire
vers 1850 que les Basques, les Corses et autres Slaves d’Autriche-Hongrie étaient des
« peuples-ruines » (Volkenruinen), entravant la marche du Progrès bourgeois, tandis que Marx
pouvait la même époque) se réjouir de la conquête française de l’Algérie (brisant
l’arriération féodale-tribale de ce pays)… [BIEN SÛR tous ces éléments sont absolument
secondaires par rapport à l’apport historique de ces grands révolutionnaires à la cause du
prolétariat ! Qu’on se comprenne bien…]
Congrès des Peuples d'Orient, Bakou, 1920
Dans la même veine, Lénine voyait les cultures et les revendications nationales comme des
vestiges du passé, avec lesquels il fallait composer, mais qui s’effaceraient devant le Progrès,
qui se fondraient dans « une unité suprême qui se développe sous nos yeux avec chaque
nouvelle verste (~ 1 km, Ndlr) de chemin de fer, chaque nouveau trust international, chaque
association ouvrière (internationale par son activité économique et aussi par ses idées, ses
aspirations) »…
Mais depuis, l’Histoire a poursuivi son cours. Et que s’est-il passé depuis la maladie et la mort
du grand révolutionnaire (1922-24) ?
Nous n’en sommes plus aux verstes de chemin de fer, mais à l’avion qui fait Paris-Pékin en 12
heures, tandis que le train relie Paris à Madrid en une demi-journée… Les trusts internationaux
sont pléthore, implantés chacun dans des dizaines de pays. La chaîne de production d’un bien
comme une voiture, se déroule de l’Inde à la France en passant par le Brésil et la Roumanie…
Les grands monopoles capitalistes en Europe ont mis leurs intérêts en commun dans l’UE. Les
classes laborieuses d’Europe de l’Ouest sont composées de travailleurs des 5 continents.
Et pourtant, les luttes et les revendications démocratiques nationales ont connu un
essor sans précédent. Ces luttes et ces revendications démocratiques ont largement rejoint
le camp progressiste et même, le camp de la révolution mondiale (même s’il a existé
nationalistes bretons et flamands pro-nazis, corses pro-Mussolini et existe encore Jeune
Bretagne, Alsace d’Abord, Vlaams Belang – des courants réactionnaires).
Il y a eu, bien sûr, les mouvements de décolonisation. Lénine soutenait sans réserve la
libération des colonies et des semi-colonies, suivant deux idées directrices :
1. Favoriser chez ces Peuples la « marche du Progrès », par des révolutions bourgeoises
balayant les arriérations féodales, tribales-patriarcales, cléricales etc.
2. Affaiblir les puissances impérialistes, en les privant de leur base d’accumulation mondiale,
favorisant dans ces pays la révolution ouvrière.
Son soutien était donc, encore, largement tactique et favorable aux nationalistes bourgeois
les plus progressistes, mais bourgeois. Les communistes devaient les soutenir, en défendant
les intérêts spécifiques du prolétariat [assez édifiant, à ce sujet, est le discours de Zinoviev au
Congrès de Halle (octobre 1920)]. MAIS, par la suite, les masses populaires des colonies et
semi-colonies ont montré leur aptitude à mener des révolutions démocratiques très avancées
(comme à Cuba) et même desvolutions populaires-démocratiques, de Nouvelle démocratie,
sous direction communiste, en marche ininterrompue vers le socialisme : en Chine, au
Vietnam, en Albanie (qui après sa séparation de l’Empire ottoman, était devenue une semi-
colonie italienne).
Mais il y a eu aussi, et il y a encore, de grandes luttes de libération en
Europe, ou encore en Amérique du Nord (Québec, Natives, minorités afro-américaine et
latino), au contenu progressiste et même révolutionnaire : de James Connolly en Irlande,
affirmant que sans libération sociale l’indépendance ne vaudrait rien [2], aux socialistes
abertzale de l’Action Nationaliste Basque et au PNV (pourtant d’origine conservatrice),
soutenant la République espagnole aux côtés des communistes et des anarchistes, ou encore
aux autonomistes de gauche catalans de la Generalitat ; des indépendantistes socialisants qui
fondèrent Euskadi ta Askatasuna (ETA) en 1959 contre le régime franquiste (adoptant
officiellement le marxisme volutionnaire en 1965), aux républicains irlandais du Provo Sinn
Fein et aux républicains socialistes de l’IRSP ; et aujourd’hui, des milliers de communistes
abertzale basques (comme EHAK, EHK, Kimetz et d’autres) aux républicains socialistes
irlandais du Republican Sinn Fein ou du 32CSM, ou à la gauche radicale indépendantiste
bretonne ou corse, catalane ou sarde.
Quelle a été l’apogée de ces luttes ? Ce furent les années 1960-70 (depuis, les tendances
réformistes social-démocrates, ou réactionnaires de droite ont regagné du terrain)… C'est-à-
dire, pas les années 1980-2000 de décomposition, de désagrégation et de recul général du
mouvement révolutionnaire mondial ; mais au contraire l’époque de son apogée : une URSS
déjà révisionniste mais encore prestigieuse et puissante, la Révolution chinoise à son sommet
avec la Grande Révolution culturelle, la Guerre populaire au Vietnam, la révolution cubaine et
ses répercussions dans les Amériques et en Afrique… « Le fond de l’air était rouge », et toutes
ces luttes étaient parfaitement dans le sens de l’Histoire. Il ne s’agit donc pas de
mouvements "réactionnaires" ou "décomposés petits-bourgeois", qui se seraient
introduits dans la brèche laissée ouverte par un mouvement communiste
flétrissant
Mais bien, au contraire, de luttes populaires, démocratiques, progressistes, anticapitalistes,
antifascistes, internationalistes ; auxquelles s’ajoute souvent, aujourd’hui, l’aspect écologique.
Sous les couleurs nationales côté du drapeau rouge ou noir) de ces « peuples-ruines » que
Marx, Engels, et dans une large mesure Lénine, voyaient disparaître de l’Histoire par la marche
continue du Progrès…
Comment expliquer cela ?
C’est simple, mais il faut d’abord tordre le cou à un mythe bourgeois, qui a largement
contaminé le mouvement communiste. Les Etats modernes, avec leurs « Peuples en
lutte », ne sont pas les produits des révolutions bourgeoises pour la plupart d’entre
eux.
Ils sont des produits des monarchies absolues, autrement dit, de la concentration ultime du
pouvoir féodal entre les mains de quelques grandes familles régnantes (par les guerres,
mariages, donations, ventes…).
La France était pratiquement dans ses frontières actuelles au moment de la volution
bourgeoise de 1789, seuls la Savoie, Nice et le Vaucluse ont été rattachés ensuite. L’Espagne
est dans ses frontières actuelles depuis le 17e siècle. LAngleterre dominait déjà toutes les îles
britanniques (Ecosse, Irlande, Galles, Man) à cette même époque, sous les Stuart (dynastie
d’origine écossaise).
Sous les monarchies absolues, le capitalisme a commencé à se développer, et la bourgeoisie
avec. Mais celle-ci avait souvent sa « fraction dirigeante » (la plus puissante économiquement,
politiquement et culturellement) au « centre » de ces Etats royaux, le centre autour duquel ils
s’étaient développés. Ce centre s’est trouvé à la direction des révolutions bourgeoises.
En France, c’est la bourgeoisie de la moitié Nord, surtout de la région parisienne, qui a dirigé
et ‘centralisé’ la Révolution de 1789, et celles de 1830 et 1848 encore plus. Cette bourgeoisie
dirigeante a maintenu sous sa domination, et/ou dans l’arriération (déjà engendrée par la
centralisation monarchique), le développement capitaliste des autres régions, au détriment de
leur bourgeoisie comme des masses populaires.
En Grande-Bretagne, la volution bourgeoise s’est faite tôt (17e siècle) et en alliance avec
l’aristocratie, déjà « convertie » au capitalisme agricole. Celle-ci, fournisseuse en matières
premières (laine, bois, alimentation, charbon) de la bourgeoisie dont le QG était à Londres, a
maintenu les campagnes et notamment les terres celtiques (Écosse-Irlande-Galles) dans une
arriération et une exploitation brutale. En Espagne, le processus révolutionnaire bourgeois
s’est déroulé de 1833 à 1876, tardivement, et donc inachevé (laissant de grandes prérogatives
à l’aristocratie terrienne et au clergé). Il a été largement dirigé, politiquement et
culturellement, par la bourgeoisie (et l’aristocratie « libérale ») castillane de Madrid (et ses
appendices de Séville, Cadix etc.), mais celle-ci s’est aussi
appuyée sur les puissantes bourgeoisies basque de Bilbao (contre les carlistes), catalane de
Barcelone, asturienne (Oviedo-Gijón) et cantabrique (Santander), etc. C’est le « pacte
espagnol » des bourgeoisies, renouvelé pour la dernière fois en 1975-78 (en incluant les
« nationalistes » basques du PNV, catalans de la CiU etc.), après la centralisation castillane
autoritaire de Franco (justifiée par la lutte contre-révolutionnaire).
L’Unité de l’Italie, elle, est le produit d’une révolution bourgeoise. Mais une révolution
bourgeoise « incomplète », menée totalement par et pour la bourgeoisie du Nord (Turin, Milan,
Gênes), en alliance avec l’aristocratie ‘libérale’ du Nord (la famille de Savoie à sa tête) et en
compromis avec l’aristocratie terrienne du Sud et l’Église catholique. L’Unité s’est faite en
maintenant le Sud, et les autres régions arriérées (Alpes, Sardaigne etc.) dans l’arriération et
la semi-féodalité, et dans une exploitation féroce. Cependant, les questions nationales en Italie
ne sont pas extrêmement conflictuelles, sauf peut-être en Sardaigne (qui est, elle, une
annexion féodale du Piémont, par traité, au 18e siècle !). Les revendications du Val d’Aoste,
des Vallées occitanes ou du Sud-Tyrol restent relativement pacifiques ; la Ligue du Nord est un
mouvement 100% bourgeois et fasciste, sur une revendication nationale totalement
imaginaire, en réalité une simple revendication de « riches qui ne veulent plus financer les
pauvres bons-à-rien du Sud (et immigrés) ». Car, d'un point de vue économique, la plaine du
Pô est le centre capitaliste en Italie, même si la capitale administrative est à Rome.
1 / 18 100%