Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 51 Prévention Les méfaits du tabac Premier plan Sur l’écran de télévision, un ancien responsable syndical moustachu dont les médias font volontiers leur beurre, depuis trois ou quatre ans, s’occupe, la pipe à la bouche, à arracher des plants de riz ou de maïs « transgénique ». L’arracheur impavide agit au nom du « principe de précaution »… mais, le premier principe de précaution, ne serait-ce pas de cesser de donner en exemple ce fumeur de pipe et de tabac ? Ne serait-ce pas d’imposer un moratoire sur l’image du plus grand fournisseur de cancer de la planète ? Lucky Luke, depuis bien des années déjà, ne mâchouille plus qu’une herbe de la prairie. Mais José Bové – puisque c’est de lui que je parle – persiste à proposer sa lippe barbouillée de nicotine à l’admiration des jeunes – et des moins jeunes – de France et d’ailleurs. Ceux qu’en franglais on appelle aujourd’hui des « role-models » ont une obligation d’image et de cohérence. Ce que l’on montre aux jeunes ne doit pas servir à tuer des jeunes. Les icônes auxquelles ils s’identifient, consciemment ou non, ne doivent pas transmettre l’idée que l’intoxication, c’est « cool », pour parler le langage à la mode. Le meilleur moyen de combattre le cancer, c’est encore de le tenir à distance. Pour cela, il y a quatre maux fondamentaux à éviter, ou à supprimer : le tabac, l’alcool, les déséquilibres alimentaires et la sédentarité. A noter que ces quatre facteurs carcinogènes interviennent aussi de manière décisive dans les maladies cardio-vasculaires : la santé forme un tout; le cancer, c’est le petit bout de la lorgnette, le plus spectaculaire peut-être, mais qui n’est que l’écho catastrophique d’une situation globalement mauvaise. Second plan Le visage sur l’écran de télévision est harassé, épuisé. C’est celui d’un homme à la fin de sa vie, l’un des plus grands acteurs de sa génération : en 1985, quelques jours avant de mourir d’un cancer des bronches, Yul Brynner, le chauve le plus célèbre d’Hollywood, a enregistré un message à destination des jeunes, diffusé après sa disparition : « Maintenant que je suis mort, je vous dis : ne fumez pas ! » Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 51 Cinq ans auparavant, c’est Steve Mac Queen, le complice de Yul Brynner dans les Sept Mercenaires, qui avait été emporté par un cancer de même origine. Les deux héros, seuls survivants de ce western mythique, sont partis tous deux de la même manière, emportés par une sale habitude. Brynner s’était pourtant arrêté de fumer. Mais il avait consommé du tabac pendant trente ans, et il en a payé le prix. Il a créé une fondation pour inciter les jeunes à ne pas fumer. Troisième plan Connaissez-vous Wayne Mac Laren ? Non ? Allons, rappelez-vous ! Il fut le cow-boy d’une célèbre marque de cigarettes américaines. Quand on diagnostiqua chez lui un cancer des poumons, il milita, dans les derniers mois de sa vie, en 1992, contre le tabac qui l’avait nourri et qui le tuait. David Mac Lean, qui après lui prêta son image à la publicité de cette même marque, est mort, lui aussi, de la même manière, en 1995. Depuis, les affiches ne montrent plus que de grands espaces vides, pour faire croire que fumer, c’est respirer l’air du désert d’Arizona. Mais, si l’espace est vide, sur les images, c’est que les fumeurs, d’Arizona et d’ailleurs, ne sont plus là pour le peupler. Le tabac est le facteur phare du cancer des voies respiratoires – de la bouche aux poumons. Non seulement celui que l’on fume volontairement, mais aussi celui que l’on inhale involontairement. C’est le tabagisme passif qui fait des enfants de fumeurs des fumeurs « malgré eux », comme il y avait, en 1940, des « Malgré-Nous », ces Alsaciens et Mosellans incorporés dans les légions germaniques. Les adolescents français sont, en Europe, les plus nombreux à fumer et ceux qui commencent le plus tôt. Ce sont également ceux où la proportion de filles qui fument est la plus importante. Incidemment, nos adolescents sont aussi ceux qui se soûlent le plus souvent, qui consomment le plus de produits stupéfiants, et qui se suicident le plus : tout est lié. Que sait-on du cancer du poumon ? Les premières études épidémiologiques remontent aux années 50, en Angleterre et aux Etats-Unis : on a constaté une augmentation massive de ces cancers. On a suspecté, un temps, les relents de bitume et les gaz d’échappement. La découverte de la responsabilité du tabac est arrivée comme une surprise absolue, et les intérêts en jeu sont si colossaux que les études ont été vivement critiquées par les multinationales de l’industrie tabagique, bien qu’elles fussent incontestables. Qu’est-ce que le tabac ? C’est la substance qui, durant la Seconde Guerre mondiale, a fait bien plus de morts dans l’armée américaine que l’ensemble des combats. Un million deux cent mille (1 200 000) soldats de l’Oncle Sam sont décédés des suites de maladies pulmonaires contractées par les distributions massives de cigarettes gratuites. Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 51 À présent que les Américains eux-mêmes attaquent les multinationales du tabac en dommages et intérêts, que l’Occident ne peut plus prétendre ignorer les dégâts colossaux causés par l’« herbe à Nicot », c’est sur les marchés exotiques, Asie et Afrique, que les marchands de mort programmée vont répandre leur poison. Les prévisions les plus probables : un milliard de morts imputables au tabac au XXIe siècle. Que disent les chercheurs et les statisticiens ? Une série d’études, conduites en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, offrent une concordance significative. Entre 87 et 91 % des cancers du poumon chez l’homme, entre 57 et 86 % chez la femme, sont dus au tabac. La différence s’explique par un manque de recul, les femmes fumant depuis moins longtemps de manière massive que les hommes. Mais le désastre ne s’arrête pas là. Pour l’un et l’autre sexe, la responsabilité du tabac, seul ou associé à l’alcool, dans les cancers de la zone ORL (bouche, larynx, pharynx et œsophage) représente un risque évalué entre 43 et 60 % des cas, selon le type de cancer. Une part importante des cancers de la rate et du pancréas (ce dernier est un cancer mortel à 100 %) est imputable au tabac – et une part moins importante, mais significative tout de même, des cancers du foie, de l’estomac, du cerveau et du nez – et de certaines leucémies aussi. Entre 1349 et 1351, la grande Peste noire a éradiqué un tiers de la population européenne. Les cancers dus à la cigarette sont d’une échelle comparable. Le tabac est le plus grand des tueurs en série toujours en activité. De quoi rassurer les malthusiens, qui s’effarent quotidiennement de l’accroissement des populations ! Jeter son dernier mégot et ne plus jamais fumer, c’est déjà réduire de moitié cette hécatombe. C’est surtout chez les femmes que les chiffres sont le plus alarmants. Pour elles, le cancer du poumon est devenu la troisième cause de décès après le cancer du sein et celui du tube digestif. Quelle que soit l’attitude des adolescentes d’aujourd’hui, quelles que soient les bonnes résolutions des fumeuses actuelles, ce chiffre augmentera au moins jusqu’en 2020. On sait que le délai entre la première cigarette et les premiers troubles sérieux est en moyenne de vingt à vingt-cinq ans. C’est ce qui explique l’augmentation du nombre de cancers des voies respiratoires malgré la diminution constante du nombre de fumeurs depuis dix ans. Nous payons aujourd’hui le tabagisme des années 60-70 – et nous paierons dans dix ans l’augmentation du tabagisme féminin au cours des années 80. SI TOUS LES JEUNES DE MOINS DE 20 ANS JETAIENT LEURS CIGARETTES DÉFINITIVEMENT, LA MORTALITÉ PAR CANCER DIMINUERAIT DE 40 % DANS LES 50 ANS QUI VIENNENT. Extrait d’article de la revue Mutuelle et Santé n° 51 Pr Thierry Philip, directeur général du Centre Léon-Bérard (Lyon), vice-président à la Région Rhône-Alpes chargé de la Santé Thierry Philip Vaincre son cancer Les bonnes questions, les vraies réponses Milan éditeur, 2004.