Colloque international « Spectacle vivant et interdiscipline » Collège

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Colloque international « Spectacle vivant et interdiscipline »
Collège Belgique (Académie Royale de Belgique)
28 et 29 avril 2011
Résumé des interventions
Colloque international « Spectacle vivant et interdiscipline » - 28 et 29 avril 2011
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André Helbo (Université Libre de Bruxelles/ Académie Royale de
Belgique)
Pour une approche interstitielle du spectacle vivant
Le paysage esthétique et scientifique, dans le domaine des arts du spectacle, est aujourd’hui en
pleine recomposition :
- les objets spectaculaires ont radicalement changé,
- les instances (l’auteur, le comédien, le spectateur) se sont transformées,
- les esthétiques mais aussi les questionnements critiques (notamment vis-à-vis de l’origine du
sens, de la saisie du corps dans le discours) évoluent. On est passé d’une esthétique de la
simulation (de la mimesis, l’acteur joue à être un autre) à celle de la stimulation (la corporéité est
présentée et regardée autrement).
Désormais, les arts du spectacle vivant font appel à des formes hybrides, qui transgressent les
frontières entre danse, théâtre, opéra, cirque, sculpture, peinture, médias
Face à ces phénomènes, les grandes disciplines du savoir se croisent, elles aussi, et développent
des modes et alliances de lecture qui convoquent les sémiotiques, l’historiographie,
l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, les neurosciences, les sciences de la communication.
Certaines démarches, à vocation propédeutique, telle la sémiologie, posent ouvertement la
question de la confluence. Comment les autres disciplines prennent-elle en compte ces
problématiques ? Tour de Babel ou rencontre féconde, comment s’organise le dialogue ? Quelles
sont les conséquences institutionnelles des redécoupages ? Peut-on parler d’une nouvelle
scientificité ? Sciences humaines et sciences dures ont-elles trouvé un terrain où le
décloisonnement des modèles s’impose ? Comment appréhender la question des frontières? A
quelles conditions évitera-t-on les métaphores floues ? Faut-il rêver d’un métalangage
transdisciplinaire ?
La question de l’un et du multiple circule au cœur de la pensée contemporaine. Certains
s’efforcent de développer une nouvelle épistémologie de la diversité. Ils n’évitent pas toujours de
reproduire par inadvertance les séparations anciennes qu’ils espéraient dépasser. D’autres
aspirent à un savoir plus unitaire, construit - ou non - dans le respect des expertises singulières.
Peut être faut- il plaider pour une reformulation plus radicale. L’ethnologue Marcel Mauss
rappelle que les disciplines s’inventent à leur marge. La sémiologie, pour sa part, a pris l’habitude
d’interroger les niveaux de pertinence, de proposer des modèles explicatifs, de poser la question
des interfaces entre savoirs experts.
Certes, la circulation, la mobilité et l’irrégularité constituent de plus en plus le cadre d’analyse des
sciences humaines. L’heure est à une dynamique de dispersion et de transversalité, liée à la relative
disparition des cloisonnements entre les champs du savoir. Dynamique qui n’en appelle pas
moins de solides balises. L’idée d’une « interdiscipline », chère à la théorie de la communication,
ne peut se concevoir, au sein des recherches en spectacle vivant, que dans un espace interstitiel
qu’on s’efforcera de définir.
SESSION 1
Jacques Fontanille (Université de Limoges)
La sémiotique du spectaculaire, entre textualité et pratique
Le spectacle est réputé pour être une sémiotique syncrétique, empruntant à plusieurs systèmes
d'expression à la fois. Mais, à la différence de ce qui se passe dans des pratiques quotidiennes,
comme par exemple la conversation, dont le syncrétisme n’apparaît que pour l’analyste, et pas
pour les participants, ni même pour les spectateurs éventuels, le spectacle de donne à saisir dans
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la diversité de ses modes d’expression : en ce sens, il invite à une certaine forme de
pluridisciplinarité, si l'on suppose que l'étude de l'ensemble fait appel à une discipline différente
pour chacun des modes d'expression.
Dans ce cas de figure, la sémiotique peut certes faire figure d'inter-discipline, mais à quel prix ?
En prétendant délivrer à chacune des disciplines le "sens" de ce qu'elle découvre en cours
d'analyse ? En apprenant à chacune le sens du sens qu'elle manipule ? Ou en intervenant en aval
de ces autres disciplines, pour les aider toutes ensemble à dépasser l'hétérogénéité de leurs
résultats, pour rendre les résultats de chacune d’entre elles traductibles dans les termes de toutes
les autres, et pour dégager en quelque sorte la trame commune à toutes ces approches ? Toutes
ces positions interdisciplinaires sont, chacune à leur manière, inconfortables, faiblement légitimes,
et peu enthousiasmantes pour le sémioticien.
Il en va tout autrement si l'on parvient à définir un plan de pertinence de statut indiscutablement
sémiotique et qui soit également le lieu où s'opère, d'un point de vue phénoménologique, la
synthèse de l'ensemble des dimensions du spectacle, de tous ses modes d'expression, et,
potentiellement, de tous les points de vue qui sont exploités par les différentes disciplines.
Or il semble bien que, pour ce qui concerne la sémiotique du spectaculaire, il y ait un tel niveau
de pertinence optimal, où s'opère la synthèse en question, c'est-à-dire où, malgré la diversité ou
même la discordance entre les éléments constitutifs, nous percevons intuitivement la mise en
œuvre d'une signification globale et probablement cohérente. Et il est tout aussi évident qu'il ne
s'agit ni d'une sémiotique textuelle, ni d'une sémiotique visuelle ou spatiale, mais bien d'une
sémiotique plus englobante et plus difficile à appréhender, à savoir un certain type de pratique,
qui prend en considération le caractère « en acte » et « vivant » du spectacle. A l’inverse, si on
neutralise ce caractère de pratique « vivante », on opère la textualisation du spectacle, et sous ce
régime sémiotique, les différents modes d’expression se dissocient et se prêtent chacun à une
analyse distincte.
La communication abordera par conséquent les points suivants : l’interprétation comme pratique,
le spectacle en tant que cours d’action ouvert et partiellement indéterminé, les propriétés de la
synthèse phénoménologique, la forme syntagmatique spécifique d’une pratique spectaculaire, et
les règles du déploiement syntagmatiques et les formes de l'accommodation pratique.
Jean-Marie Pradier (Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord,
Université de Paris 8)
Ethnoscénologie, disciplines et indiscipline
Passant de l’enclos littéraire restreint à l’espace ouvert du spectacle vivant, les études théâtrales
ont rencontré de multiples modes d’approche académiques et artistiques. Nombre d’entre eux
leur étaient étrangers. Telle conjonction ne s’est pas opérée sans de multiples malentendus,
incompréhensions et conflits. La situation met aux prises deux grandes questions ancrées
chacune dans une histoire : celle de l’objet référent – le spectacle vivant européen -, celle de la
constitution du savoir dans notre aire culturelle. L’analyse du champ sémantique du lexème
discipline (disciplina, action d’apprendre, méthode, contrainte) met en évidence les caractéristiques
de la science occidentale comme voie systématique de la connaissance, par opposition à l’action
(scientia vs actio). Traits identitaires qui la distinguent de son analogon historique chinois.
L’ethnoscénologie s’est constituée initialement autour de l’intérêt commun d’un groupe
hétérogène d’amis, chacun expert en son domaine, pour ce que Victor Segalen nomme
« l’esthétique du divers » dans son Essai sur l’exotisme. Cette hétérogénéité- ou pluridisciplinarité
- a favorisé la prise de conscience du poids des ethnocentrismes dans l’étude du divers. Le
formant ethno, dans ce cas, signifie la culture des « experts » et leurs logiques propres :
philologues, anthropologues, vulgarisateurs, organisateurs de spectacles, artistes, institutionnels,
critiques, théâtrologues etc… De même, dès le colloque international de fondation en 1995, ont
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apparu les biais introduits par les cultures académiques nationales. L’ethnoscénologie en tant que
discipline temporaire dans l’attente d’une scénologie générale idéale, prend place dans le courant
des ethnosciences en considérant la nécessité d’associer les disciplines considérées comme
« scientifiques » dans le système international de la recherche universitaire, et les savoirs « locaux »
des performers et des théoriciens. Si la pluridisciplinarité protège des tentations de généralisation
et de substantialisation des expériences, l’interdisciplinarité proscrit toute prise de pouvoir par
une seule perspective. La transdisciplinarité, proposée par Besarab Nicolescu, spécialiste de
physique théorique se refuse quant à elle aussi bien au flou du holisme qu’au réductionnisme de la
monodisciplinarité en introduisant l’ethos du chercheur comme élément inhérent à la
connaissance. Il n’est pas étonnant que Peter Brook, aux côtés notamment d’Edgar Morin –
théoricien de la complexité – et de Francisco Varela, neurobiologiste – ait fait partie du comité
international du Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité qui s’est tenu au Portugal du 2
au 6 novembre 1994 dans l’ancien couvent des franciscains d’Arrábida. La Charte adoptée à
l’issue du colloque s’ouvre par un constat : « … la prolifération actuelle des disciplines
académiques et non-académiques conduit à une croissance exponentielle du savoir ce qui rend
impossible tout regard global de l’être humain, … ». Paradoxalement, la globalité peut être
également source de totalitarisme et de réductionnisme lorsqu’elle se fonde sur l’une des formes
du monisme – monoïdéisme des idéologies et des théories, monogénèse du causalisme linéaire,
présent dans l’anthropologie évolutionniste, monomanie des créateurs. Nos taxonomies et
logiques classiques sont-elles à même d’envisager la complexité du divers ?
Marco De Marinis (Université de Bologne)
Corps et corporéité au théâtre ou la relation théâtrale reconsidérée
Le corps a été très peu considéré dans les études théâtrales, surtout en tant que dimension
constitutive de la relation acteur-spectateur. A travers neuf mots-clé (ou groupes de mots-clé), la
communication tentera de montrer comment, au cours du XXe siècle, dans les sciences humaines
et sociales et dans les sciences de la nature, ont été élaborés des concepts et des paradigmes dont
la nouvelle théâtrologue peut grandement profiter, en se refondant ainsi comme une véritable
embodied theatrology.
Jean-Marc Leveratto (Université de Metz)
Anthropologie du spectacle et savoirs de la qualité
La relecture critique de l’essai de Marcel Mauss sur les « techniques du corps » nous montre la
nécessité d’analyser d’un point de vue pragmatique tant l’interaction artistique que la qualification
des objets engagés dans la production de l’événement artistique. Elle nous invite à construire une
approche anthropologique du spectacle artistique intégrant l’observation des usages artistiques de
l’anthropologie et des ses enjeux éthiques. Au delà, elle permet d’explorer les effets de la raison
graphique et l’articulation des savoirs — l’histoire de l’art, la sociologie, la philosophie,
l’ethnologie — constitutive de la culture artistique contemporaine, au sens de l’équipement
cognitif du spectateur critique.
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Fernando De Toro (Université de Manitoba)
Transdisciplinarité,
sémiologie,
nouvelles technologies au
Canada. Le théâtre multimédial de Robert Lepage et Alberto
Kurapel
Le but de cet étude consiste à explorer le rapport entre la transdisciplinarité et la sémiologie,
comme deux pratiques épistémiques et opératoires complémentaires. Or, le théâtre multimédial
qui se sert de plusieurs nouvelles technologies, est devenu, à partir de les années 1990,
particulièrement transdisciplinaire dans la production de signes produits par une manipulation
radicale de l’image, une image qui peut être complètement fabriquée ou une qui entre dans un
rapport créatif avec des performers. Donc, nous pouvons penser que, pour arriver à saisir ce type
de création théâtrale multimédiale et transdisciplinaire, il faut mettre en place une approche
analogue à la création théâtrale multimédiale. Cette approche peut se dégager dans le dialogue
entre transdisciplinarité et sémiologie.
Eero Tarasti (Université d’Helsinki)
Entre Moi et Soi – une proposition pour une théorie des arts
exécutifs
Essentiellement ‘exécuter’ un texte – théâtral, musical, filmique, littéraire, gestuel – signifie le
rendre linéaire, syntagmatique, temporel. Autrement dit, il s’agit de le faire ‘paraitre’
horizontalement, de le fournir avec une ‘apparence’, Schein. Mais d’autres choses ont également
lieu en même temps : tout d’abord découvrir ce qui est pertinent et doit être mis à l’avant-plan
de l’événement exécutif, fait marqué, dirait-on. Artur Rubinstein ne joua pas toutes les notes
d’une partition si compliquée qu’Iberia de Albeniz, mais y souligna les notes structurelles et, dans
certains autres cas, ‘existentielles’, chargées par une signification particulière. Mais pour en
découvrir les niveaux de pertinence, il faut comprendre ses isotopies. Ceci nous amène au fait
que le texte, une fois rendu linéaire dans l’exécution, doit - deuxièmement - être hiérarchisé. Par
exemple, on peut y trouver une alternance des sections régulières et irrégulières à partir de choix
de ses isotopies fondamentales. Pourtant, ce procès n’est pas mécanique, dans une interprétation
créatrice (voir Gisèle Brelet) on peut varier ces éléments programmés, on peut les changer durant
le processus. Jamais Chopin ne joua ses pièces de la même manière. D’après les témoignages,
jamais Richard Wagner ne suivit les mêmes idées lorsqu’il dirigea ses opéras à Bayreuth (voir
Porges et Fricke).
Dans la théorie de la sémiotique existentielle, j’ai abouti à un modèle qui articule quatre moments
ou ‘modes’ de l’être d’un sujet, à partir des catégories de Hegel de an sich sein et für sich sein ,
enrichies par les notions de Moi et Soi de Paul Ricoeur et Jacques Fontanille, et aboutissant à
une espèce de carré sémiotique par quatre termes de ‘l’être-en-moi’, ‘l’être-pour-moi’, ‘l’être-poursoi’ ,’l’être-en-soi’. Pour faciliter leur traitement je les ai nommés M1, M2, M3, M4 et S1,S2,S3 et
S4 òu M= Moi, S=Soi. Ainsi, concrètement, M1 signifie notre être corporel, énergie kinésique,
désir, gestualité, essence physique brute et chaotique ; M2 : tout cela rendu dans une certaine
permanence par identité, personnalité adoptée par habitude et éducation ; M3 (=S2) vise les rôles,
instituts, pratiques d’une société, et M4 (=S1) nous évoque des normes, règles, valeurs abstraites
d’une société, autrement dit l’intelligible de Lévi-Strauss.
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Or, en réalité ces quatre instances manifestent deux mouvements dans notre univers sémiotique
(Dasein), l’un de Moi vers Soi, de l’état corporel, jusqu’aux normes abstraites, et l’autre de Soi
vers l’être non verbal, kinésique dans Moi :
M1 (=S4)
M2 (=S3)
Z
S2 (=M3)
S1 (=M4)
Tel modèle ne fonctionne plus comme un carré sémiotique mais plutôt comme le modèle de ‘Z’
qui aspire à montrer le fonctionnement dynamique de la production de sens.
D’ou on peut inférer que chaque énoncé et énonciation contient aussi simultanément ces quatre
‘modes’ dans différents ‘dosages’, ils sont en même temps corporels, actoriels, institutionnels et
normatifs. En musique, par exemple, il n’y a aucun énoncé musical sans aspects de gestes
musicaux (M1), thèmes (M2), topiques ou genres (S2) et esthétiques (S1). De même, dans
l’exécution, si l’on étudie le travail d’un musicien, acteur, étoile de films, récitant, on peut y
distinguer ces quatre points de vue de son profil comme interprète. Dans les études des arts
exécutifs, deux alternatives existent: soit on étudie le même texte interprété par un corpus des
interprètes, par exemple 27 différentes interprétations de la mélodie Après un rêve de Gabriel
Fauré et Romain Bussine (voir Tarasti 1996: 271-291). Soit on étudie le même artiste à travers ses
différentes époques et périodes avec une variété des différents textes à interpréter, par exemple
tous les films de Greta Garbo en vue de son Moi/Soi, tous les chants du ténor allemand Max
Lorenz en 1926-1953, tous les films de l’acteur finlandais Olavi Reimas en 1939-1947, tous les
enregistrements du pianiste Charles Rosen 1960-2010, toutes les exécutions de Leonard
Bernstein, Herbert von Karajan ou Serciu Celibidache, tous les ballets du danseur Irek
Mouhamedov, etc.
Cependant, en l’appliquant, une deuxième syntagmatisation doit avoir lieu (après le premier,
c’est-à-dire l’exécution elle-même d’un texte quelconque). Les modes de M1...S1 deviennent
maintenant quatre couches superposées qui sont en interaction, en dialogue l’une avec l’autre.
Ainsi un événement gestuel fort, par exemple au niveau M1, peut interrompre et perturber la
chaine discursive et ‘normale’ de niveau S2 des topiques, genres etc. De plus, certains éléments
esthétiques S1 peuvent être déterminants de façon soudaine au niveau ‘primitif’ de M1 de la
corporalité. Par conséquent, ces quatre modes ‘existentiels’ sont 1) temporalisés et 2) décrits
dans leurs interactions, dialogues et même conflits mutuels.
SESSION 2
François Jost (Université de Paris 3)
La performance télévisuelle comme défi théorique
Alors que la sémiologie du cinéma fondée par Christian Metz était avant tout une analyse du
langage audiovisuel, la télévision requiert de prendre en compte non pas l’image, mais
l’interprétant des programmes, que j’ai appelé un « monde ». En d’autres termes, elle nécessite
une approche d’obédience pragmatique.
La télé-réalité met en crise la croyance et toute idée de « contrat » de communication, parce que la
performance télévisuelle des candidats peut être diversement interprétée : est-elle authentique ?
relève-t-elle du jeu (dans tous les sens du mot) ? Ou, même, de la prestation de candidats dirigés
par une instance de mise en scène ? Face à cet objet insaisissable comment la sémiologie se
redéfinit-elle dans le paysage scientifique contemporain ?
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Jose Maria Paz Gago (Université de La Coruna)
L’écran en scène. Arts du spectacle et arts visuels
Dans son spectacle Alexis, une tragédie grecque, la troupe italienne Motus accomplit un véritable
croisement de langages scéniques, audiovisuels et numériques. Un dispositif roulant portant un
projecteur vidéo branché à un ordinateur portable constitue le moyen technique d'incorporer les
images, visuelles ou virtuelles, comme noyau essentiel du spectacle. Les acteurs manipulent le
dispositif en prenant des photos d'eux-mêmes en train de jouer, en les projetant sur le fond de la
scène et sur les spectateurs eux-mêmes.
Il ne s'agit pas d'un usage conventionnel des images en tant que décor ou en tant que
représentation des espaces extérieurs. Les signes audiovisuels et virtuels deviennent ici des
ingrédients essentiels au spectacle théâtral, basé sur une supposée répétition de la tragédie
ancienne Antigona.
Ces phénomènes si fréquents dans le théâtre actuel, exigent une interdisciplinarité indispensable
pour analyser la présence des langages apportés par le cinéma, le documentaire ou la réalité
virtuelle. Dans ce sens, la sémiotique du théâtre et la sémiologie de la représentation doivent avoir
recours aux outils conceptuels et analytiques apportés par la sémiotique visuelle.
Catherine Bouko (Université Libre de Bruxelles)
La corporéité des spectacles immersifs et les neurosciences
Depuis son apparition, au-delà des diverses formes qu’elle a pu prendre au fil des siècles, la
représentation théâtrale se déploie dans le processus d’articulation de la présence et de l’absence.
Tant les créations proprement théâtrales que les formes interactives étudiées ici invitent le
spectateur à explorer les rapports entre l’identification et la dénégation. Au sein des arts
interactifs immersifs, l’articulation du couple identification-dénégation se loge au cœur même du
corps sensible du sujet. Ce dernier est plongé dans un dispositif qui brouille les frontières entre
les signes médiatisés (enregistrés et retransmis devant les yeux du participant) et les signes
immédiats. Face à des perceptions contradictoires, nous allons voir que c’est avant tout par sa
chair que celui-ci articule constamment ces deux versants de la réception.
Il est frappant de constater que les questions esthétiques traitées au sein des spectacles immersifs
rejoignent pleinement les études en neuroscience cognitive. La technique HMD est d’ailleurs
fréquemment utilisée dans les deux cas. Par exemple, le spectacle Eux de la compagnie Crew et
les expériences du Laboratoire de neuroscience cognitive de l’Ecole Polytechnique Fédérale de
Lausanne interrogent toutes deux comment les processus de construction de l’identité corporelle
sont remis en cause lorsque l’immersant est confronté à l’image de son propre corps. La présence
de ce double perturbe en effet le caractère unitaire et localisé du soi. Des neuroscientifiques tels
que Bigna Lenggenhager et al. (2009) ont démontré comment la construction d’un soi unifié peut
être séparée de l’origine de la perspective visuelle et de la localisation du corps.
L’autoreprésentation peut être altérée par la modification de ces deux paramètres ; le corps virtuel
intervient alors dans la perception du corps propre.
La question des conflits multisensoriels, lors desquels les stimuli visuels et haptiques ne
correspondent pas par exemple (Ernst et Banks 2002, Maravita et al. 2003, etc.), se situe au cœur
de la recherche théâtrale sur l’immersion sensorielle. L’analyse esthétique de la réception du
théâtre immersif se couple ainsi à certains modèles issus des neurosciences cognitives.
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Elodie Verlinden (Université Libre de Bruxelles)
Le corps du spectateur : approche pluridisciplinaire
Le public de spectacles chorégraphiques danse-t-il dans son fauteuil ? Certains spectateurs
déclarent ressentir ce plaisir de danser par procuration lorsqu’ils observent les danseurs évoluer
sur scène. Les recherches en neurosciences et plus particulièrement la découverte des « neurones
miroirs » confirme cette « compréhension motorique » que l’on retrouve dans l’analyse des
discours de certains spectateurs et dans de nombreux textes de phénoménologie. Mais cette
compréhension motorique est-elle accessible à tous ? Les expériences sur les neurones miroirs
prouvent que leur activation présuppose un « patrimoine moteur commun ». Cette
compréhension motorique serait alors le privilège de danseurs, or certains spectateurs n’ayant
aucune formation pratique, et ne disposant donc pas du patrimoine moteur commun, déclarent
ressentir une certaine empathie corporelle avec les danseurs. Il s’agira dans un premier temps
d’approfondir les modalités de cette réponse kinesthésique et ses conditions d’émergence au delà
du patrimoine moteur commun. Dans un second temps, nous tenterons de vérifier si cette forme
particulière de compréhension corporelle peut constituer une forme alternative d’appréciation, un
mode de réception parallèle à celui généralement privilégié par le spectateur occidental qui
envisage sa relation à l’art majoritairement par la compréhension d’un point de vue intellectuel
(comprendre l’histoire, identifier les métaphores, déceler les intentions de l’auteur, …).
Rocco Mangieri (ULA, Merida)
Corps extraordinaire, corps vivant
Il est nécessaire de cerner théoriquement une théorie du corps, une théorie du personnage et une
théorie de l'action. Ces trois champs peuvent recommencer à être articulés depuis un regard
distinct, divers. Le sujet de l'émotion, de l'expression de l'acteur doivent être repris depuis une
physique organique du corps dans une action. À partir des propositions de Barba et Savarese
s'exposent les trainings et les résultats du Laboratoire d'anthropologie théâtrale où la différence entre le
théâtre, la danse, la performance et des techniques du corps n'est pas projetée ou établie.
Ici, l´important c'est la possibilité de produire un événement et une rencontre inespérée avec les
possibilités expressives et communicatives du corps. L'extraordinaire réside dans l'apparemment
petit, limitrophe, périphérique, presque insignifiant, le contrôle et la génération d'une énergie et un
bios, une présence du corps vivant.
SESSION 3
Paul Bouissac (Université de Toronto)
Théorie des jeux, spectacle et émotion: la réinvention du cirque au
Canada
L’émergence du Cirque du Soleil au cours des années 80 marque le début de la résurgence
culturelle mondiale du cirque parmi les spectacles vivants. D’un art populaire dont les stéréotypes
paraissaient épuisés et qui ne semblait pas parvenir à se renouveler, soudain apparaît un cirque
jeune et inventif qui crée l’éblouissement et, en l’espace d’une décennie, devient un phénomène
global qui fait école et revivifie le cirque même. Cette intervention se penchera sur l’exemple du
premier spectacle du Cirque du Soleil, observé à Toronto en 1988 pour proposer, à partir de cette
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expérience locale, une perspective théorique fondée les recherches contemporaines concernant la
théorie des jeux telle qu’elle peut être appliquée au spectacle vivant.
L’analyse de la mise en scène acrobatique des corps dont la sexualité est fortement soulignée, non
seulement par la mise en valeur des morphologies naturelles mais aussi par le recours à des codes
culturels marqués, révèle une étroite symbiose entre biologie et spectacle. C’est cette interface qui
permet le passage du spectaculaire sémiotique de la représentation au rituel transformateur et
séducteur du cirque dont la théorie des jeux permet de comprendre l’impact émotionnel sur les
spectateurs. Cette intervention procèdera d’une description précise de trois numéros qui mettent
en piste chacun un homme et une femme, couples dont les interactions acrobatiques relèvent
d’un érotisme à peine voilé, à une réflexion sur la pertinence biologique du spectacle vivant grâce
à la médiation du rituel ludique. En conclusion, sera présentée l’hypothèse que la présence
biologique du corps et sa mise en jeu réel (par opposition à sa simple représentation socialisée,
médiatisée et médiatique) est le dénominateur commun qui fonde la nature rituelle des spectacles
vivants, le cirque n’étant qu’un point extrême sur un continuum multimodal et multi-sensoriel
qui démontre, avec toute la violence propre à la vie, l’arbitraire et la fragilité des codes culturels
qui s’y trouvent mis à l’épreuve d’un jeu dont l’issue est incertaine.
Richard Schechner (Université de New-York)
Performed imaginaries: The Ramlila of Ramnagar and the MayaLila Cosmos
The Ramlila is an annual cycle play performed across the Hindi-speaking regions of north India.
The Ramlila enacts the life of Rama, his wife Sita, and his brothers Bharat, Lakshman, and
Shatrughna. The narrative is based on Tulsidas’s Ramcharitmanas, the 16th century Hindi version of
the Valmiki’s ancient Sanskrit Ramayana depicting Rama’s birth, education, marriage, exile, war
against Ravana the demon-king of Lanka, and restoration to the throne. The pre-eminent Ramlila
of India is at Ramnagar, a mid-sized community across the holy Ganga (Ganges) River from
Banaras (Varanasi). At Ramnagar, the Ramlila is performed in 31 daily episodes staged in
different locations in and around the town before audiences ranging from several thousand to
more than fifty-thousand, depending on the episode. Directly supervising the Ramlila is the
Maharaja of Banaras. During the Ramlila, five pre-teen-aged boys incarnate the gods Rama, his
brothers, and Sita. They are worshipped as “swarups,” the shape of the gods themselves. The
Ramnagar Ramlila is a performance of great magnitude combining theatre, ritual, literature,
politics, festivity, and worship.
Traduction en français
Imaginaires performés : Le Ramlila de Ramnagar et le Cosmos Maya-Lila
Le Ramlila est un cycle annuel de spectacles produit dans les régions du nord de l’Inde où l’on
parle l’Hindi. Le Ramlila raconte la vie de Rama, de son épouse Sita et de ses frères Bharat,
Lakshman et Shatrughna. Le récit est basé sur le Ramcharitmanas de Tulsidas, la version hindi
datant du 16e siècle du Ramayana Valmiki, l'ancien sanskrit, décrivant la naissance de Rama, son
éducation, son mariage, son exil, de même que la guerre contre Ravana, le roi-démon du Lanka,
ainsi que la restauration du trône. Le majestueux Ramlila d’Inde se tient à Ramnagar, une
collectivité de taille moyenne situé le long du Gange, le fleuve sacré, à partir de Bénarès
(Varanasi). Pendant 31 jours, un épisode différent du Ramlila est joué quotidiennement dans
différents lieux de la ville et des environs, devant un public allant de quelques milliers à plus de
cinquante milles spectateurs selon l'épisode. Le Maharaja de Bénarès supervise directement le
Ramlila. Au cours du Ramlila, cinq pré-adolescents incarnent les dieux Rama, ses frères et Sita. Ils
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sont adorés comme des «Swarup», l’incarnation même des dieux. Le Ramlila de Ramnagar est un
spectacle de grande ampleur combinant théâtre, rituel, littérature, politique, festivités et culte.
Catherine Naugrette (Université de Paris 3)
Interdisciplinarité des arts et déplacements de la perception
Que ce soit dans le domaine du théâtre ou dans ceux du cirque et de la danse, on assiste
aujourd’hui à une généralisation de pratiques artistiques interdisciplinaires. De nombreux
spectacles croisent aujourd’hui les genres artistiques, sur la base de langages et de supports qui
jusqu’ici leur étaient propres. Entre chorégraphie et installations plastiques, technologie de l’image
et création de nouveaux espaces sonores, une telle interdisciplinarité des arts met en jeu et en
question non seulement la place mais la perception du spectateur, induisant de nouveaux modes
de l’écoute et du voir, d’autres modalités du sensible. Ce sont ces déplacements de la perception,
dont il s’agira dans cette intervention d’esquisser les contours, de suivre le cheminement et
d’imaginer le devenir.
Judith Lynne Hanna (Université du Maryland)
Striptease Spectators: Live and Imaginary
In the United States, adult entertainment striptease (also called exotic dance, nude dancing, and
topless dancing) has both live and imaginary spectators. The real audience consists of those who
actually enter a club (cabaret, theatre), such as patrons and club personnel. However, there are
people -- including absent objectors from the fundamentalist Christian Right -- who only imagine
what exotic dance is. I will comment on real and imaginary exotic dance spectators, the values
they have, the actions they take that impact exotic dance, and the implications of these actions. A
mosaic of contested meanings of exotic dance affects its existence or modification as well as
American civil liberties. An absent, imaginary audience of a segment of the politically active
Christian Right adheres to its interpretation of Scripture and is blind and deaf to the actual
language of a dance form they believe to be sinful and to cause crime, property depreciation, and
disease. These spectators’ actions in many places have destroyed the contemporary genre of
exotic dance, hurt the industry economically, and caused the loss of jobs. Actual spectators,
patrons who expect to see the same full nudity that is seen in “high” (“elite”) forms of art such as
ballet, opera, modern dance, and theatre believe in free expression and unfettered enterprise, join
the defense of exotic dance.
Traduction en français
Le spectateur de strip-tease. L'expérience du direct et l'imaginaire
Aux Etats-Unis, le strip-tease destiné aux adultes (également appelé « danse exotique », danse nue
et danse « topless ») comprend à la fois des spectateurs vivants et imaginaires. Le véritable public
consiste dans ceux qui fréquentent les clubs (cabaret, théâtre), tels que les clients et les membres
du personnel. Cependant, il existe également des personnes, incluant les opposants appartenant à
la Droite chrétienne fondamentaliste, qui imaginent seulement en quoi consiste la danse exotique.
Je propose d’aborder les spectateurs de danse exotique réels et imaginaires, leurs valeurs, leurs
actions qui ont un impact sur la danse exotique, et les implications de ces actions. Une mosaïque
de significations contestées de la danse exotique affecte son existence, aussi bien que les droits
civils américains. Un public absent, imaginaire, lié à une branche de la Droite chrétienne active
politiquement, adhère à une approche par les Saintes Ecritures et demeure aveugle et sourd au
véritable langage d’une danse qu’ils imaginent immorale et poussant au crime, à l’avilissement et
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aux maladies. Les actions de ces spectateurs dans de nombreux lieux ont détruit le genre
contemporain de la danse exotique, ont causé du tort à l’industrie d’un point de vue économique,
et ont causé la perte d’emplois. Les véritables spectateurs-clients qui s’attendent à voir la même
nudité totale que celle intégrées aux formes artistiques « de haut rang » (destinées à un public
« d’élite ») telles que le ballet, l’opéra, la danse moderne et le théâtre, croient en la liberté
d’expression et l’initiative sans entraves et rejoignent les défenseurs de la danse exotique.
Michèle Gellereau (Université de Lille3)
Visites-spectacles des lieux patrimoniaux :
renouvellement des publics
esthétique
et
Les sites et lieux patrimoniaux s’animent fréquemment de reconstitutions historiques
théâtralisées, de visites guidées accompagnées de spectacle vivant ou de scénarios virtuels
multimedia remémorant le passé. La communication étudie plusieurs exemples de mises en scène
destinées à faire « entrer » les spectateurs dans l’histoire grâce à des dispositifs d’immersion. Ces
interprétations spectaculaires visent à renouveler les publics et engagent la participation
d’amateurs et de passionnés dans une esthétisation souvent consensuelle du patrimoine et de la
mémoire. Ces productions événementielles sont un creuset où s’articulent travail des artistes,
expertise des historiens, des animateurs du patrimoine, des urbanistes, des collectionneurs et
engagement des publics amateurs…Elles s’appuient également sur des liens associatifs et des
activités via le web. L’analyse des enjeux de ces formes d’appropriation culturelles des espaces
patrimoniaux ne peut que bénéficier d’approches croisées et transdisciplinaires.
Hyunsook Shin (Université de Duksung, Corée du Sud)
Une lecture de la représentation rituelle et confucéenne : le
Jongmyo Jeryeak
Le Sanctuaire de Jongmyo, construit en 1394 au centre de Séoul, est un sanctuaire confucéen
dédié aux rois et reines de la dynastie Chosôn. Le Jongmyo Jerye, rite national confucéen, s’y
effectue encore aujourd’hui selon la tradition établie au XIVe siècle. Il est sur la liste des chefsd’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'UNESCO depuis 2001.
Le Jongmyo Jerye est une représentation complexe qui combine le culte rendu aux ancêtres
avec la musique classique confucéenne et les danses de l'ancienne cour de Corée. Le Jongmyo
Jerye se compose de huit procédures. La première, « Yeonsinrye », consiste à accueillir les esprits
des défunts rois ; la deuxième « Cheonjorye » pour leur offrir des tributs et de la nourriture; Dans
les trois « Heonrye », le roi (maître de la cérémonie des offrandes) offre du vin aux ancêtres ;
Dans « Embokrye », on bénit le dieu ancestral. Et après, le roi boit le vin offert aux ancêtres ;
« Songsinrye », c’est un salut d'adieu aux esprits des ancêtres. Dans « Mangryorye » qui clôt la
cérémonie, on brûle les papiers et une pièce de ramie fine blanche utilisés. Tous les éléments
constitutifs du rituel Jongmyo Jerye sont codifiés par la cosmologie et la morale confucéennes :
trois éléments du cosmos(ciel-terre-homme), forces cosmiques doubles ("Yang" et
"Yin"/élément positif et élément négatif/lumière et ombre, etc), nombre de la perfection
intégrée(5couleurs, 5 orientations, 5 éléments, 5 principes de relation), et deux principes
moraux(Li(禮) : bienséance et devoirs, Ak(樂) : musique, synonyme d’ordre et d’harmonie).
Le Jongmyo Jerye a lieu cinq fois par an : au premier mois de chaque saison et au dernier jour de
l'année, moments de changement périodique de la nature. Et le lieu de la performance rituelle est
divisé en trois parties : terrasse (ciel), cour (terre) et entre-deux (homme). Dans ce cadre spatiotemporel, la chorégraphie, les gestes et le fonctionnement symbolique des éléments rituels sont
aussi basés sur les pensées confucéennes. Et chaque composante ne prend sens que par son
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rapport avec les autres signes-composantes. Prenons un exemple : Dans la première « Heonrye »,
les orchestres et les chanteurs situés sur la terrasse (ciel) et sur la cour(terre) jouent et chantent un
morceau de ‘Deungga’(Ciel) et de ‘Heonga’(terre) et les danseurs dans la cour(homme) exécutent
9 changements de mouvement dans la danse civile(danse de Yang) parce que 1, 3, 5, 7 et 9 sont
les chiffres du Yang. Dans ette scene, on dresse un drapeau jaune dessiné d’un grand dragon
jaune. Comme le jaune représente le Centre et le dragon, la divinité, ce drapeau symbolise la
puissance céleste qui garantit l’ordre et la prospérité. Pour offrir du vin aux ancêtres, on utilise le
‘Jak’ , tasse de laiton à trois pieds qui est le symbole du cosmos. Ainsi, la performance rituelle
dans cette scène peut rendre gloire cosmique aux défunts rois. En effet, le Jongmyo Jerye atteste
l'harmonie entre les diverses composantes : architecture, musique, danse, nourriture et objets
ainsi qu’entre les formalités et les pensées.
En tant qu’un héritage authentique de la culture confucéenne, Jongmyo Jerye délivre un message
à la fois morale et politique : la piété filiale, la loyauté, une hiérarchie des liens politiques ainsi que
l'harmonie entre l'homme et l'ordre général du monde dans tous les aspects de la vie. A notre
époque pluriculturelle, le Jonmyo Jerye peut exercer une médiation entre les communautés
confucianistes. Il leur permet d'appartenir à l'aire de la civilisation confucéenne par son efficacité
symbolique et par un certain sentiment d’être-ensemble dans la même tradition.
SESSION 4
Jean-Pierre Triffaux (Université de Nice)
Le spectacle vivant : de sa pratique à sa théorie
La recherche en arts du spectacle sur la période contemporaine et actuelle semble attentive aux
pratiques artistiques et aux discours des artistes sur leurs oeuvres. C’est le cas en particulier des
études théâtrales. Toutefois, aucune discipline ni aucune méthode ne peuvent prétendre
embrasser la complexité du phénomène spectaculaire, de sa production à sa réception. En
s’intéressant de plus près aux processus de la création, à la genèse de la représentation, aux détails
matériels et substantiels des pratiques et des réalisations, la notion d’épistémologie appliquée au
spectacle vivant comme objet de recherche peut aider à saisir l’art en tant que fait expérimental
où la théorie et la pratique se conjuguent. Il peut être alors intéressant de se demander : comment
les arts de la scène (leurs composantes, leurs propriétés, leurs singularités) éclairent-ils le cadre
scientifique et disciplinaire (objets, théories, méthodes) qui est censé les étudier ? Quels sont les
rapports entre le spectacle et sa poïétique ? Quel est ou quel serait l’intérêt d’une « théorie
pratique » ou d’une « science » du spectacle ? Ainsi, l’objectif de mon intervention pourra
consister à essayer d’observer et d’interroger ce qu’engendre et ce que signifie cette relation
étroite entre théorie et pratique, dans le domaine des études du spectacle vivant.
Katia Légeret (Université de Paris 8)
Enjeux épistémologiques du "savoir faire" dans l'approche
transculturelle du spectacle vivant : le cas du langage non-verbal
de l'acteur-danseur
Notre réflexion se fonde sur l'influence des théâtres d'Asie, principalement indiens, dans la
formation de l'acteur-danseur contemporain en Europe ainsi que dans les créations récentes
d'artistes tels Luc Petton, Pina Bausch, Akram Khan, Ea Sola, Padmini Chettur, Peter Brook,
Robert Wilson ; Quels sont actuellement les savoirs revendiqués par les performers, dont la
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formation préalable en Asie s'est d'abord fondée sur une codification corporelle et culturelle très
spécifique ? Pourquoi les divers procédés et pratiques théâtrales, par lesquels le langage gestuel et
les déplacements de ces artistes « traduisent» certaines formes d'altérité, se rassemblent-ils autour
d'une esthétique de la résistance, concernant des courants artistiques minoritaires ou centrés sur
le handicap (notamment les malentendants et leur LSF) ? En tant que science de l'art, quels
critères l'esthétique peut-elle apporter sur les enjeux des savoirs experts proposés entre plusieurs
cultures par ces acteurs-danseurs, dont les techniques organiquement incorporées, ne séparent
jamais la théorie de la pratique ? Est-ce par de nouveaux déplacements du discours à la fois entre
les catégories artistiques et entre les langues ? Lorsque les questions de traduction et de
transmission de tels savoirs passent par des mouvements corporels codifiés volontairement de
manière excessive, pouvons-nous le définir comme un métalangage ?
Serge Nail (Université de Caen)
Le métier d'acteur est-il encore un art?
Le métier d'acteur est-il encore un art? C'est une question, un peu provocatrice? Sans doute! Mais
je me permets cette question depuis l'endroit qui est le mien, celui de comédien d'un théâtre «
hybride ». Elle vous attrape, à certains moments, quand vous êtes au travail sur un plateau. Vous
êtes là, le comédien, face à un metteur en scène: il vous demande, par exemple, d'entrer à cour, de «
dansouiller » à jardin, et vous êtes là, sorte de « corps- matériau » au service d'une écriture dite «
scénique », dans l'agencement d'éléments tels que du son fabriqué en direct avec le frottement
d'une guitare électrifiée sur un néon, des éclairs de lumière, des projections d'images vidéo... Je
vous laisse imaginer... la sensation de vertige et les interrogations qui peuvent surgir autour des
notions d'autonomie et de responsabilité...
Cette question peut surgir également, lorsque, installé dans votre fauteuil, vous assistez
aujourd'hui à certains spectacles, là où vous pouvez constater une sorte de porosité entre théâtre,
danse, musique, arts plastiques. Alors, dans ces formes dites « post dramatiques », c'est quoi être
acteur? Emprunter des outils à ces autres disciplines? Renoncer à ses instruments? Le travail de
répétition chez Pippo Delbono n'emprunte-t-il pas plus à la danse qu'à l'art du comédien? Les
danseurs de Maguy Marin (pour Turba par exemple) ne sont-ils pas plus des acteurs que des
danseurs, acteurs à la manière du Théâtre du Radeau de François Tanguy? Jouer dans les mises en
scène de Philippe Quesnes ou de Pascal Rambert ne relève-t-il pas de la performance? Pourquoi
ai-je la sensation de continuer à faire mon métier de comédien quand je suis sur le plateau pour
les formes créées avec Thomas Ferrand (Compagnie Projet Libéral) alors que ces « paysages
sonores » sont diffusés ou accueillis par des centres chorégraphiques?
C'est à partir de ces questions que je tenterai une réflexion nourrie de mon expérience de
comédien et de pédagogue. Témoignage plutôt qu'exposé théorique. Interrogation également
lexicale. Le travail de l'acteur n'est plus celui de l'interprétation, d'autres missions lui sont
confiées. La philosophie du comédien de Georg Simmel au début du 20ème était essentiellement
une théorie de l'interprétation, elle traitait de la rencontre entre une pièce – œuvre littéraire – avec
un matériau sensible – le comédien.
Aujourd'hui, dans ces formes « hybrides », les notions d'imitation et de transposition semblent
bien avoir disparu puisque le texte n'existe pas préalablement à la création; l'acteur peut même
prendre sa part de responsabilité dans le processus de l'écriture et dans l'élaboration de l'objet. La
terminologie actuelle traduit bien cette interrogation : on parle d'acteur ou de performer plutôt
que de comédien ou d'interprète. La référence à la performance met en question la notion même
de jeu, le performer n'est pas supposé jouer d'autres rôles que le sien, il est même censé être dans
le « non jeu » (Mickael Kirby). Si Lehmann définit le postdramatique à partir de la forme ou du
texte, il reste bien un lexique à inventer pour l'acteur. Le « postdramatique » de Lehmann ne
serait-il pas le post représentatif pour l'acteur?
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Entre rupture et continuité, nous proposons d'identifier quelques-uns des outils nécessaires à
l'acteur, aujourd'hui confronté à une réalité qui l’oblige à répondre à des esthétiques très
diversifiées et transversales.
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