Changement climatique et Agriculture

publicité
Changement climatique et agriculture1 Gerald C. Nelson Senior Research Fellow International Food Policy Research Institute Février 2009 Introduction Des changements climatiques non maitrisés auront, à terme, des conséquences dramatiques sur la production, la consommation et le commerce des biens agricoles. La nature de ces changements et l’étendue de leurs effets négatifs sur le bien‐être de l’homme comportent encore nombre d’incertitudes dans les modèles climatiques eux‐mêmes, dans le couronnement de nos efforts pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre (GES) et dans notre capacité commune à nous adapter au changement. Ce papier souligne les changements éventuels et les questions qui en découlent en matière de science et marché agricoles, de politiques nationale et internationale. Il aborde les possibilités d’adaptation potentiellement disponibles pour les agriculteurs et le(s) rôle(s) que l’agriculture peut jouer dans l’atténuation de ses propres contributions – significatives – au changement climatique ainsi que dans la réduction des émissions de GES émis par d’autres secteurs de l’économie. Changement climatique et Agriculture: Que savons­nous des effets? Le climat de la Terre change car les émissions anthropogéniques de GES ont crû rapidement depuis la révolution industrielle. Ces gaz bloquent les radiations solaires qui auraient autrement été réfléchies dans l’espace, accroissant la température terrestre. La Figure 1 montre les courbes désormais familières des températures mondiales de 1880 à 2008 et une croissance particulièrement rapide au cours de vingt dernières années du vingtième siècle. La Figure 2 montre des simulations de courbes de températures futures, variant selon la manière dont les émissions de GES seront contrôlées. La plupart des scenarios affichent des hausses de température d’ici la fin du 21e siècle qui éclipseront celles du vingtième. 1
Ce papier a été rédigé pour la conférence “L’agriculture européenne en 2020: Défis à long terme, nouvelles politiques publiques et privées” organisée par le Groupe d’Economie Mondiale (GEM) à Sciences Po, Paris. Je voudrais souligner les commentaires précieux des deux discutants sur le papier: Nathalie Guesdon du Ministère français de l’agriculture et de la pêche, et Stéphane de Cara de l’INRA AgroParisTech ainsi que des participants à la conférence. Toute erreur relève de mon propre fait. 1 Figure 1: Indice de température terre‐océan global, 1880‐2008 (période de référence: 1951‐1980). Figure 2: Moyennes du réchauffement de la surface du globe (période de référence : 1980‐1999) Source: Figure 10.4 in Meehl, et al. (2007). Source: http://data.giss.nasa.gov/gistemp/graphs/, Accessed January 14, 2009. L’accroissement de l’énergie dans l’atmosphère se traduit par la hausse des moyennes de températures, davantage d’évapo‐transpiration et donc davantage de précipitations en général, mais avec des changements dans les schémas de circulation atmosphérique qui impliquent une redistribution des précipitations sur la surface du globe, tant en termes d’espace que de temps. Sans réduction de l’accroissement des émissions de GES, la température moyenne globale continuera à augmenter, comme le montre la Figure 2, avec un taux et une amplitude variant, en quantité et régularité, selon ces émissions. Des événements extrêmes tels que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland ou des changements dans la circulation thermohaline (le Gulf Stream dans l’Atlantique et sa contrepartie dans d’autres océans du monde) exacerberaient les seuls effets de la température et des précipitations. Les hausses de température, les variations dans la localisation des précipitations, leur intensité et leur occurrence affectent l’agriculture, avec des effets variant significativement selon les régions. Cependant, les conséquences de ces effets sur la surface du globe restent très incertaines. Pour comprendre cette incertitude, il est nécessaire de décrire brièvement le processus par lequel les résultats présentés dans la Figure 2 sont obtenus. Ils partent de modèles de circulation globale ou générale (MCG) qui modélisent la physique et la chimie de l’atmosphère et leurs interactions avec les océans et les terres. Plusieurs MCG ont été développés indépendamment à travers le monde. Ensuite, les modèles d’évaluation intégrée (MEI) simulent les interactions entre les hommes et leur cadre, incluant les activités industrielles, les transports, l’agriculture et les autres utilisations de la terre, et estiment les émissions de différents GES (dont le dioxyde de carbone, le méthane, et le protoxyde d’azote sont les plus importants). Plusieurs MEI indépendants existent également. Les résultats des MEI sont disponibles pour les MCG en tant que facteurs altérant la chimie atmosphérique. Le résultat final est une série d’estimations de valeurs de précipitation et de température sur l’ensemble du globe à souvent 2 degrés d’intervalle (environ 200 km de l’équateur) pour la plupart des modèles (voir Table 8.1 dans Randall, et al. (2007) pour les détails concernant les modèles utilisés dans le 4ème rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)). Périodiquement, le GIEC publie des rapports sur 2 le degré de compréhension de la science climatique et des interactions entre les océans, les terres, et les activités humaines. Le quatrième rapport (AR4) est sorti en 2007 et les travaux sur le cinquième (AR5) ont commencé. Figure 3: Variations de température et précipitation, 2080‐
2090, Modèle Hadley, Scénario A1B. Figure 4: Variations de température et précipitation, 2080‐
2090,, Modèle GCM3.1 (T63), Scénario A1B. Source: http://ipcc‐wg1.ucar.edu/wg1/Report/suppl/Ch10/Ch10_indiv‐maps.html, accédé le 16 janvier 2009. La Figure 3 et la Figure 4 montrent les prévisions des variations de température et précipitation du AR4 pour la période 2080 – 2099 du scénario A1B de deux modèles largement répandus – Le modèle britannique Hadley (British Hadley Model) et le modèle canadien de 3e génération sur le climat mondial couplé (Canadian Third Generation Coupled Global Climate Model). La rangée du haut correspond aux trois mois de décembre à février ; la rangée du bas correspond à juin jusqu’à août. Il y a deux points clés à tirer de ces simulations. Le premier est la forte similitude entre les modèles concernant l’amplitude des hausses de températures, et le schéma spatial. Par exemple, les latitudes élevées, tant au nord qu’au sud, montrent de fortes hausses de température et une grande partie du territoire africain s’assèchera. Le second est que les modèles révèlent de sérieuses différences dans les lieux et les saisons. Ainsi, le modèle Hadley indique de plus hautes températures en Afrique durant la période juin‐août que le modèle GCM3. La Figure 5 apporte une vision centrée sur l’Europe du scenario A1B utilisant les résultats combinés d’une suite de modèles climatiques. Selon Meehl et al (2007: 873‐874), “le réchauffement en Europe du nord sera probablement plus important en hiver, tandis qu’en région méditerranéenne, ce sera en été”. 3 Figure 5: Variations de température et précipitation en Europe, 2080‐2090, scénario A1B. Source: Figure 11.5 in Meehl et al (2007) . La Figure 6 montre les perspectives de canicules du siècle dans les années 2020 et 2070 en Europe. Cette fois encore, les résultats des différents modèles se démarquent dans les détails, mais le sud de l’Europe subira probablemet un accroissement des occurences de canicules du siècle lors de chacune de ces périodes – lors des années 2020 en Europe centrale. 4 Figure 6: Variations de récurrence de canicules du siècle, 2020 et 2070 Source: Figure 3.6 dans Kundzewicz, Mata et al. (2007). Variation des récurrences de canicules du siècle sur la base de comparaisons entre le climat et la consommation d’eau entre 1961 et 1990 et de simulations pour les années 2020 et 2070 (fondées sur les MCG ECHAM4 et HadCM3, sur le scenario d’émissions IS92a et sur un scenario de consommation d’eau en situation d’activite normale). Les valeurs sont calculées sur un modèle WaterGAP 2.1 (Lehner, Döll et al. 2005). Changement climatique, agriculture et marchés mondiaux La recherche sur les effets du changement climatique sur les marchés agricoles mondiaux est encore relativement limitée. Les productions végétales et animales sont toutes deux affectées par les changements de température et de précipitation. Les flux commerciaux agricoles dépendent de l’interaction entre l’avantage comparatif inhérent en agriculture, qui est déterminé notamment par le climat, et une large série de politiques commerciales locales, régionales, nationales et internationales. Ne pas savoir où les changements climatiques vont intervenir implique des incertitudes quant aux conséquences sur la production agricole. Ces incertitudes, combinées à la complexité des politiques agricoles, rendent ardues toute simulation. Néanmoins, certains chercheurs l’ont tentée. Des papiers de 1992 (Tobey, Reilly et al. 1992) et 1994 (Reilly, Hohmann et al. 1994) ont conclu que les impacts du changement climatique sur l’agriculture seraient, dans certains cas, positifs et seraient gérables à l’échelle mondiale. Le réchauffement climatique ne devrait pas sérieusement perturber les 5 marchés agricoles mondiaux. Les effets d’un revenu négatif dans les régions céréalières tempérées seraient compensés par des ajustements interrégionaux dans la production et la consommation. Un premier postulat clé stipule qu’une partie des pertes de production dues aux températures et précipitations serait compensée par l’effet fertilisant du CO2. Un second postulat clé mentionne qu’une libéralisation des échanges commerciaux agricoles engendrerait un système agricole plus résistant face aux incertitudes climatiques. Une publication de 2004, largement citée, (Parry, Rosenzweig et al. 2004: 66), basée sur une modélisation plus complexe du climat et de l’agriculture utilisant les résultats du 3e rapport (AR3) a été encore relativement optimiste concernant la production mondiale de biens alimentaires mais avec davantage d’avertissements que dans les précédentes publications. “… Les expériences combinées du modèle et du scenario démontrent que le monde semble en grande partie capable de subvenir à ses besoins selon les scenarios SRES jusqu’à la fin de ce siècle. Ceci s’explique car la production des pays développés profite généralement du changement climatique, compensant les baisses prévisionnelles des pays en développement. Alors que la production mondiale paraît stable, des variations régionales dans le rendement des récoltes s’annoncent de plus en plus marquées avec le temps, jusqu’à en polariser de manière significative les effets, avec des hausses substantielles du risque de famine dans les pays les plus pauvres, et cela particulièrement dans le cas de scenarios à fortes inégalités (A1FI et A2)”. Ces résultats sont fortement influencés par les conséquences présumées de la fertilisation au CO2 de plus de 10 pour cent pour le blé, le riz, et le germe de soja, et de 5 pour cent pour le maïs. Sans effet fertilisant du CO2, le pronostic est plus réservé. Une étude de 2007 (Reilly, Paltsev et al. 2007), qui simule la réponse agricole au changement climatique et intègre des effets économiques d’équilibre général, trouve que les rendements augmenteraient probablement dans toutes les régions, avec des profits moins importants dans les régions tempérées que dans les modèles précédents, mais des rendements positifs au niveau des tropiques. Comme dans les études précédentes, ces résultats sont fortement conditionnés par l’effet fertilisant du CO2. De plus, les hypothèses concernant le comportement biologique des récoltes face aux changements climatiques et autres modifications sont assez importantes. On note deux interrogations majeures en évaluant ces études. La première porte sur l’importance capitale des bienfaits de la fertilisation au CO2 dans l’atténuation des effets de la température et des précipitations liées au changement climatique. Néanmoins, un rapport récent basé sur des expériences de fertilisation au CO2 menées en plein champs (Long, Ainsworth et al. 2006) révèle que les effets en plein air sont environ 50% inférieurs aux expériences menées en milieu clos. Un autre rapport (Zavala, Casteel et al. 2008) démontre qu’un niveau plus élevé de CO2 dans l’atmosphère diminue la résistance des plants de soja aux scarabées japonais et des racines du maïs à la Chrysomèle. Ainsi, les bienfaits actuels sur les champs de la fertilisation au CO2 restent incertains. En second lieu, ces résultats dépendent tous d’un système de commerce de plus en plus ouvert, où les déficits liés au climat dans certaines régions peuvent être compensés par des importations. Le récent échec du cycle de Doha soulève des doutes quant à l’éventuelle mise en place de ces flux commerciaux. Ainsi, si l’environnement commercial s’ouvre autant que les modélisations le prévoient, il restera à déterminer si 6 les baisses de la production agricole liées au climat et les baisses des exportations de certaines régions peuvent être compensées par les hausses de productions dans d’autres régions. Enfin, l’histoire récente du commerce de produits agricoles est tributaire de la croissance rapide de la production et de l’exportation de récoltes à forte valeur en provenance des pays en développement, souvent produites dans des zones de niche agro climatique. Fondamentalement, aucune recherche n’a été menée sur la manière dont ces produits seraient affectés, négativement ou positivement, par le changement climatique. Adaptation de l’agriculture au changement climatique En dépit des efforts des négociateurs internationaux en faveur du climat, il est peu probable que les conséquences du changement climatique puissent être contrées. La question qui se pose alors est de déterminer les moyens les plus efficaces de s’adapter au changement. Le défi est particulièrement décourageant à la fois à cause de l’imprévisibilité de la nature et de la répartition géographique des changements éventuels et à cause des longs délais nécessaires à la mise en œuvre de certaines adaptations proposées. Le point clé est qu’un agenda centré sur la croissance (pro‐growth) et la pauvreté (pro‐poor) en faveur de la durabilité agricole contribue également à l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement. Il est plus facile de s’adapter à un type de changement lorsque les individus en ont les moyens et évoluent dans un environnement économique dont la souplesse permet de répondre rapidement aux changements. Si, comme cela parait probable, les effets du changement climatique frappent les pauvres de manière disproportionnée, une politique environnementale encourageant les opportunités pour les défavorisés sera également bénéfique en matière d’adaptation aux changements climatiques. La série de politiques et de programmes pro‐croissance nécessaires dépassent la limite des frontières de chaque pays. Les études mentionnées ci dessus et d’autres ont en commun le besoin de flexibilité et d’ouverture de l’environnement économique international. Pour les pays développés, cela consiste à réduire, voire éliminer les barrières commerciales agricoles, et réduire les subventions agricoles qui faussent indirectement les marchés mondiaux. Cela implique de mettre l’accent sur l’aide étrangère encourageant les éléments productifs des bénéficiaires des aides, notamment l’agriculture et les ressources naturelles. En ce qui concerne les pays en développement, les politiques de lutte contre la pauvreté et en faveur de la croissance incluent un plus grand investissement dans l’agriculture, les infrastructures rurales, et l’accession aux marchés pour les agriculteurs avec des investissements ciblés vers les plus pauvres. Au delà du besoin de bonnes politiques de développement, quatre sortes de politiques et programmes sont nécessaires dans les pays en développement – en agronomie et technologies agricoles, stockage et gestion de l’eau, investissement dans les infrastructures rurales et en internalisation des externalités positives et négatives associées aux services environnementaux. 7 Agronomie et technologie Même s’il n’y avait pas de changement climatique, de plus grands investissements seraient nécessaires en agronomie et technologie pour répondre aux demandes d’une population mondiale approchant les 9 milliards d’ici 2050 et dont la majeure partie, vivant dans des pays en développement, aura des revenus supérieurs et exigera un régime alimentaire plus diversifié. Les solutions basées sur l’agronomie – et la technologie‐ sont essentielles pour répondre à ces demandes. Au delà des besoins généraux, il est urgent d’insister sur les techniques de cultures, y compris la biotechnologie, qui ciblent les agressions biotiques et abiotiques afin de parer aux conséquences du changement climatique. Dans l’essence, nous devons cultiver des plantes qui répondent relativement bien à plusieurs types de milieux plutôt que des plantes qui poussent extrêmement bien dans des conditions climatiques très particulières. Le projet financé par la Fondation Gates, ayant pour objet un “riz résistant aux agressions pour les agriculteurs pauvres d’Afrique et d’Asie du Sud” (STRASA) constitue un exemple de ces efforts, réalisé en collaboration entre le Indian Council of Agricultural Research et le International Rice Research Institute. Une des grandes leçons de la révolution verte est que les bénéfices indirects d’une productivité agricole améliorée par la création d’emplois et les bas prix des produits alimentaires peuvent constituer une approche extrêmement puissante de la lutte contre la pauvreté. Un accroissement de la productivité qui augmenterait la résistance face aux pressions du changement climatique contribuerait probablement de la même façon à réduire la pauvreté. Stockage et gestion de l’eau Même sans tenir compte du changement climatique, l’accroissement de la demande mondiale en eau douce excède l’offre dans plusieurs régions du monde (Rosegrant, Cai et al. 2002). Les améliorations de la productivité de l’eau sont cruciales et les changements climatiques, avec leurs variations plus importantes des précipitations et de leur répartition géographique, vont exacerber le besoin d’amélioration dans le domaine de la récupération de l’eau, de son stockage et de sa gestion. Il faut investir dans les infrastructures physiques dans certaines parties du monde, y compris les retenues d’eau, grandes et petites. Il est tout aussi important de faire de l’eau douce mondiale non plus une ressource libre d’accès, mais une ressource commerciale, avec des droits de propriété définis. De nouvelles technologies de gestion des récoltes, telles que la conservation et les pratiques de gestion intégrées de fertilité du sol, seront nécessaires pour conserver l’eau dans plusieurs endroits, avec le bénéfice supplémentaire d’une meilleure productivité et des hausses probables de piégeage du carbone. Investissement dans les infrastructures rurales Les programmes et politiques de développement agricole efficaces comprennent des investissements dans les infrastructures rurales, tant physiques, comme les routes, installations pour les marchés, bâtiments de stockage, qu’institutionnelles, comme des programmes d’extensions, des marchés d’intrants et de crédits, et des barrières réduites du commerce intérieur. Tout ceci est nécessaire pour palier aux incertitudes du changement climatique. 8 Internalisation des externalités négatives et positives associées aux services environnementaux Alors que l’influence humaine et la dépendance aux écosystèmes grandissent, les coûts économiques d’usages autrefois inoffensifs de l’environnement tels que l’élimination du CO2 dans l’atmosphère et le rejet de déchets dans les lacs et rivières deviennent non viables. La meilleure réponse des économistes à une externalité négative consiste à accorder des droits de propriété à des ressources jusqu’ici accessibles librement. C’est ce qui est notamment en train de se passer avec l’atmosphère, utilisée comme décharge à GES. Mais il existe d’autres ressources environnementales, telles que la capacité de la nature à générer de l’eau douce, pour lesquelles la demande de la population humaine en perpétuelle augmentation a largement dépassé la capacité d’offre. Qu’il s’agisse de droits de propriété classiques, comme ceux associés à la propriété foncière, ou de droits nouveaux tels qu’un système de contrôle du plafonnement et d’échanges, les externalités doivent être introduites sur les marchés. Comprendre le contexte géographique La question de l’emplacement géographique est un caractère essentiel en agriculture, et l’impact du changement climatique est essentiellement géographique. L’un des besoins clés de la recherche en matière d’adaptation aux changements climatiques est la compréhension des effets sur le plan local, à l’échelle des décisionnaires et des agriculteurs. Les analyses apportant des résultats au niveau régional sont utiles pour l’établissement de tendances générales, mais les récoltes sont semées dans des champs, et les systèmes d’irrigation sont conçus pour des vallées, pas des zones couvrant un demi‐continent. La fFigure 7 illustre l’importance des informations géographiques. Elle souligne les zones où les changements de gestion de l’irrigation sont susceptibles de réduire les émissions de méthane. Ce type d’analyse peut donner des idées précieuses aux agences gouvernementales régionales et locales sur les zones où les paiements pour atténuation seraient les plus efficaces. 9 Figure 7: Localisation des changements dans les émissions de GES et sécheresses de mi‐saison, 2000 (variation en mt CO2e/ha/an) Source: Estimations personnelles. Les coûts de l’adaptation Nous n’en sommes qu’aux prémices de nos tentatives pour comprendre la nature des besoins d’adaptation et les coûts qui y sont associés. Une étude récente de l’ IFPRI (Fan and Rosegrant 2008) chiffre approximativement les besoins en investissements dans la recherche agricole, les infrastructures routières et l’irrigation pour atteindre significativement le premier des objectifs du Millénaire pour le développement (MDG1) visant à réduire de moitié la proportion des gens pauvres et souffrant de la faim d’ici 2015 (voir Tableau 1). Le rapport établit que 14 milliards de dollars supplémentaires par an seraient nécessaires pour atteindre le MDG1 par rapport aux dépenses en investissement de la période de référence. Pour l’ensemble des pays en développement, cette analyse requière un triplement des dépenses de recherche, un accroissement moindre des dépenses d’infrastructure routière rurale et seulement le doublement des dépenses consacrées à l’irrigation. Néanmoins, les résultats à l’échelle régionale diffèrent. Ainsi, dans l’Afrique sub‐saharienne, il faudrait tripler les investissements et en ce qui concerne les infrastructures routières rurales, les multiplier quasiment par quatre. Bien que ces résultats ne suffisent qu’à atteindre le MDG1, ils donnent une indication de l’ampleur des montants nécessaires pour s’adapter au changement climatique. Il faut s’attendre à ce que les coûts nécessaires à l’adaptation au changement climatique soient supérieurs à ceux liés au MDG1. Il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que ces coûts s’élèvent plus vraisemblablement au double des dépenses prévues, à savoir 28 milliards de dollars supplémentaires par an. 10 Tableau 1: Investissement agricole annuel total (milliards de US$ en 2008) nécessaire pour l’accomplissement de progrès significatifs dans le cadre du MDG1 (Coût unitaire/Méthode IMPACT) d’ici 2015 Afrique Sub Saharienne Asie Asie de du l’Est et Sud Pacifique
Amérique latine et Caraïbes
Moyen Tous les pays Orient et en Afrique du développement
Nord
Scenario de référence Recherche Agricole 0.65 0.71 0.21
1.93
0.42
3.92
Routes rurales 0.74 0.13 0.51
1.27
0.09
2.74
Irrigation 0.56 3.84 1.8
0.72
0.74
7.66
TOTAL 1.95 4.68 2.52
3.92
1.25
14.32
Scenario à très fort investissement Recherche Agricole 1.83 1.54 3.18
4.06
0.99
11.6
Routes rurales 2.90 0.49 0.43
3.26
0.32
7.40
Irrigation 1.02 5.47 0.81
1.13
1.03
9.46
TOTAL 5.75 7.50 4.42
8.45
2.34
28.46
Source: Tableau 1 de Fan et Rosegrant (2008). Atténuation du changement climatique dans l’agriculture En 2000, l’agriculture a contribué dans son ensemble à hauteur de 14 pour cent des émissions de GES et de 19 pour cent des changements d'affectation des terres et foresterie (Tableau 2). Cependant, les contributions relatives diffèrent radicalement selon les régions. Par exemple, en Europe, la part de l’agriculture s’élève à seulement 9 pour cent des émissions totales européennes, mais en Afrique sub‐
saharienne, la part de l’agriculture est de 13 pour cent et celle des changements d'affectation des terres et foresterie plus de 60 pour cent. 11 Tableau 2: Emissions de GES par secteur et région en 2000 Emissions totales de GES (Mt CO2e)
Part provenant de l’ agriculture
Part provenant du changement d'affectation des terres et foresterie Europe 7,600
9.1
0.4 Amérique du Nord 7,208
7.1
‐4.7 Amérique du Sud 3,979
23.6
51.6 543
12.7
60.4 Asie 14,754
14.4
26.8 Monde 40,809
14
18.7 Afrique Sub‐
saharienne Source: cait.wri.org, accédée le 22 janvier 2009 La connaissance assez récente de l’ampleur des émissions de GES liées à l’agriculture et à la sylviculture ainsi que les estimations initiales du coût d’opportunité relativement bas associé à l’arrêt de la déforestation laisse espérer qu’un allègement rapide dans l’agriculture (définie au sens large) pourrait offrir un moment de répit, tandis que les négociateurs s’occuperont du défi ardu qui consiste à réduire les émissions provenant de la production d’électricité et des transports. Inclure la REDD (réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts) dans les négociations en cours sur le climat est déjà reconnaître leur rôle potentiel. Cependant, des études poussées de mécanismes de mise en œuvre possibles indiquent que la voie vers une diminution du déboisement n’est pas aussi évidente. C’est une chose de mettre en œuvre un système de plafonnement et d'échange des droits d'émission pour 1 500 centrales au charbon aux Etats Unis. C’est un défi d’une tout autre envergure de trouver des mécanismes dissuadant les pauvres des pays en développement de cesser d’abattre des arbres. Néanmoins, il existe un certain nombre de changements de technologies et de gestion dans l’agriculture qui pourraient se révéler des sources de diminution des GES extrêmement rentables, dont le piégeage du carbone souterrain ou non et la réduction des émissions de méthane et de N2O. J’aborde certains de ces points brièvement ci‐dessous. Les options basées sur l’agriculture visant à diminuer les émissions d’autres secteurs Les plantes contribuent au piégeage en stockant le carbone non enterré dans le bois, et le carbone souterrain dans les racines vivantes et les matériaux organiques tels que les vieilles racines et l’humus. Alterner les cultures pour inclure des plantes vivaces et /ou à racines profondes accroit la quantité de 12 carbone stockée dans les sols. Les cultures laissant des résidus et ne nécessitant pas de travail du sol en profondeur encouragent l’accumulation du carbone dans les sols (ex., Batjes 2004; Dumanski 2004). Passer des cultures annuelles aux cultures permanentes, au pâturage, et à l’agroforesterie, accroit le stockage de carbone souterrain et celui non enterré. Et quelques études montrent que l’utilisation d’engrais, particulièrement sous la forme de lisier, augmente le carbone organique contenu dans le sol (voir par exemple, Fellman, Franz et al.; Ogle, Breidt et al. 2003), bien que cela risque également d’augmenter les émissions de N2O. Les biocarburants sont parfois présentés comme des réducteurs d’émissions provenant des carburants fossiles et sont considérés dans certains MEI comme la clé de la réduction des émissions de GES. Ainsi, une étude récente (Gurgel, Reilly et al. 2007) montre un scénario de politique d’atténuation du changement climatique où la production de biomasse est nécessaire sur environ 25 pour cent des terres où les plantes peuvent survivre (c.‐à‐d., déserts et régions polaires exclus). Figure 8: Changement d’affectation des terres Source: Gurgel, Reilly et al. (2007), Figure 5c. De récentes études ont néanmoins laissé entendre que la réduction des GES engendrée par les biocarburants pourrait être inférieure à ce que les estimations prévoyaient initialement en raison d’effets secondaires sur l’utilisation des sols. Un article de 2008 paru dans Science (Searchinger, Heimlich et al. 2008) montre que l’éthanol de maïs double quasiment les émissions de GES sur 30 ans. Un article paru un peu plus tard en 2008 (Nelson et Robertson 2008) estime que les changements d’affectation des terres au Brésil, provoqués par la hausse des prix du sucre et du maïs pour biocarburants, rejetteraient finalement une quantité de CO2 égale à près de 3 pour cent à celle présente aujourd’hui dans l’atmosphère. 13 Solutions pour réduire les émissions de l’agriculture Les pratiques agricoles qui émettent des GES incluent les pratiques culturales transformant le carbone des sols en CO2, l’irrigation permettant la décomposition inorganique et le rejet de méthane, et l’utilisation d’engrais azotés, tant organiques qu’inorganiques, qui ne sont que partiellement absorbés par la plante et l’azote transformé en N2O. La réduction d’émissions de méthane de la culture du riz par irrigation peut être obtenue par l’assèchement, à mi saison, ce qui permet à la décomposition de s’opérer (voir Figure 7). L’épandage d’engrais azotés peut être programmé pour limiter le rejet de N2O dans l’atmosphère et des préparations utilisées pour permettre une mise à jour plus complète. De nouvelles variétés de cultures utilisant plus efficacement l’azote sont développées. Combiner adaptation et atténuation Une touche d’optimisme dans un constat globalement pessimiste sur le changement climatique et l’agriculture: nombre de pratiques d’adaptation réduisent aussi les émissions de GES et, dans certains cas, accroissent la productivité agricole. Par exemple, les pratiques de gestion des cultures augmentant les matières organiques du sol, et donc séquestrant le carbone, accroissent la capacité de rétention d’eau des sols et en augmentent les rendements. Trouver et soutenir de telles pratiques et faire circuler l’information les concernant, soutenir la recherche agricole, les investissements en infrastructure, et les politiques de réformes est source de nombreux bénéfices.
Conclusion Il est évident que le changement climatique affectera le type d’agriculture que nous lèguerons à nos enfants. Sans contrôle immédiat des émissions de GES, ils peuvent s’attendre à davantage de précipitations à la variabilité et l’intensité accrues, et à des températures moyennes supérieures, tandis que la localisation de ces températures extrêmes changera. Pour beaucoup, les conséquences seront certainement négatives. Des événements dramatiques, tels que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, sont peu probables mais engendreraient des changements encore plus graves dans l’agriculture et d’autres secteurs, généralement pour le pire. L’agriculture pourrait jouer un rôle potentiellement important dans l’atténuation, tant en réduisant ses propres émissions qu’en piégeant le carbone rejeté par d’autres secteurs. Cependant, l’étendue d’un tel potentiel est incertaine et il est urgent d’effectuer des recherches supplémentaires sur les techniques de piégeage et les instruments de régulation destinés à encourager une réduction rentable financièrement. Les bénéfices éventuels du piégeage du carbone dans le sol sont nombreux et méritent une recherche plus poussée au niveau mondial. De plus, compte tenu de la durée des recherches, de la technologie et des essais des instruments de régulation, il est de notre devoir de commencer immédiatement. Des solutions technologiques comme des cultures plus résistantes à la sécheresse, des variétés au rendement élevé indépendamment des conditions climatiques, des cultures génétiquement modifiées qui utilisent plus efficacement l’azote, et des changements dans les pratiques de gestion seront capitaux pour nous aider à nous adapter aux changements probables. 14 Il sera tout aussi important de permettre et d’encourager les ajustements aux changements liés au changement climatique en terme d’avantages comparatifs par le biais d’un système commercial plus ouvert et flexible. Une mondialisation de plus en plus transparente sera au cœur de l’adaptation, avec des bénéfices nombreux. Acronymes et significations MCG – Modèle de circulation globale (ou générale) MEI – Modèle d’évaluation intégrée GIEC – Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat CO2 – dioxyde de carbone CO2e – une mesure permettant d’additionner l’effet de serre de différents GES N2O –oxyde azoteux. Une unité de N2O a 298 fois l’effet de GES du CO2. Sous‐produit créé en agriculture, résultat de l’utilisation d’engrais azoté organique et inorganique CH4 – méthane. Une unité de CH4 a 25 fois l’effet de GES du CO2. Issu de la décomposition anaérobique (sans oxygène) des matières organiques. Les principales sources agricoles incluent les champs irrigués et les flatulences animales. ECHAM4 – un MCG. “Le modèle climatique ECHAM a été développé à partir du modèle atmosphérique ECMWF (d’où le début de son nom : EC) et d’un dispositif de paramétrisation complet développé à Hambourg d’où l’abréviation HAM) qui permet d’utiliser le modèle pour des simulations climatiques.” http://www.ipcc‐data.org/is92/echam4_info.html HadCM3 – GCM développé par le centre britannique Hadley Centre for Climate Prediction and Research. 15 Références Batjes, N. (2004). "Estimation of Soil Carbon Gains Upon Improved Management within Croplands and Grasslands of Africa." Environment, Development and Sustainability 6(1): 133‐143. Dumanski, J. (2004). "Carbon sequestration, soil conservation, and the Kyoto Protocol: summary of implications." Climatic Change 65: 255‐261. Fan, S. and M. W. Rosegrant (2008). Investing in Agriculture to Overcome the World Food Crisis and Reduce Poverty and Hunger, International Food Policy Research Institute: 4. Fellman, J., E. Franz, et al. "Global estimates of soil carbon sequestration via livestock waste: a STELLA simulation." Environment, Development and Sustainability. Gurgel, A., J. M. Reilly, et al. (2007). "Potential Land Use Implications of a Global Biofuels Industry." Journal of Agricultural & Food Industrial Organization 5(2). Kundzewicz, Z. W., L. J. Mata, et al. (2007). Freshwater resources and their management. Climate Change 2007: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. M. L. Parry, O. F. Canziani, J. P. P. P. J. v. d. Linden and C. E. Hanson. Cambridge, UK,, Cambridge University Press: 173‐210. Lehner, B., P. Döll, et al. (2005). "Estimating the impact of global change on flood and drought risks in Europe: a continental, integrated assessment." Climatic Change 75: 273‐299. Long, S. P., E. A. Ainsworth, et al. (2006). "Food for Thought: Lower‐Than‐Expected Crop Yield Stimulation with Rising CO2 Concentrations." Science 312(5782): 1918‐1921. Meehl, G.A., et al. (2007). Global Climate Projections. Climate Change 2007: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. S. Solomon, D. Qin, M. Manninget al. Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, Cambridge University Press. Nelson, G. C. and R. Robertson (2008). "Green Gold or Green Wash: Environmental Consequences of Biofuels in the Developing World." Review of Agricultural Economics 30(3). Ogle, S. M., F. J. Breidt, et al. (2003). "Uncertainty in estimating land use and management impacts on soil organic carbon storage for US agricultural lands between 1982 and 1997." Global Change Biology 9: 1521‐1542. Parry, M. L., C. Rosenzweig, et al. (2004). "Effects of climate change on global food production under SRES emissions and socio‐economic scenarios." Global Environmental Change 14(1): 53‐67. Randall, D. A., R. A. Wood, et al. (2007). Climate Models and Their Evaluation. Climate Change 2007: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. S. Solomon, D. Qin, M. Manninget al. Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, Cambridge University Press. Reilly, J., N. Hohmann, et al. (1994). "Climate change and agricultural trade : Who benefits, who loses?" Global Environmental Change 4(1): 24‐36. Reilly, J., S. Paltsev, et al. (2007). "Global economic effects of changes in crops, pasture, and forests due to changing climate, carbon dioxide, and ozone." Energy Policy 35(11): 5370‐5383. Rosegrant, M. W., X. Cai, et al. (2002). World Water and Food to 2025: Dealing with Scarcity, International Food Policy Research Institute. Searchinger, T., R. Heimlich, et al. (2008). "Use of U.S. Croplands for Biofuels Increases Greenhouse Gases Through Emissions from Land Use Change." Science: 1151861. 16 Tobey, J., J. Reilly, et al. (1992). "Economic Implications of Global Climate Change for World Agriculture." Journal of Agricultural and Resource Economics 17(1): 195‐204. Zavala, J. A., C. L. Casteel, et al. (2008). "Anthropogenic increase in carbon dioxide compromises plant defense against invasive insects." Proceedings of the National Academy of Sciences 105(13): 5129‐5133. 17 
Téléchargement