Séance 1_Introduction.2012

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ETH F02
anthropologie politique
Séances 1
Objectifs de connaissance
1
•
préciser le flou sémantique qui règne autour des notions de pouvoir et de politique ;
•
distinguer les dimensions du politique : les institutions et les processus, les modes d’accès
au pouvoir, la manière de l’exercer et de le conserver;
•
différencier la part formelle (son organisation institutionnelle avec procédures de
contrainte et de sanction) et la part informelle (ses rapports de force effectifs : soumission
et autorité) du lien politique ;
•
comprendre la logique normative du pouvoir (valeurs, normes, règles, idéologie)
•
établir à partir de quels critères se nouent et se dénouent les liens politiques : loyalisme,
dépendance, négociation, intégration, désaffiliation, etc.
•
analyse d’objets contemporains : citoyenneté, société civile, espace public, mondialisation,
radicalisation culturelle
J. Bouju / Eth.F12 Anthropologie politique :
séances 1
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Toutes les sociétés sont de nature politique car l’ordre, le maintien de l’ordre social et le règlement des
conflits sont consubstantiels à toute vie collective, à toute société.
« En bref pas de société sans pouvoir politique, pas de pouvoir sans hiérarchie et sans
rapports inégaux instaurés entre les individus et les groupes sociaux. » Balandier,
1967, Anthropologie Politique.
I Historique
Du point de vue académique, l’anthropologie politique est un champ de l’anthropologie sociale qui traite de
manière comparative des processus de formation et de transformation des systèmes politiques et de
l’exercice du pouvoir :
1. Les processus de formation et de transformation des systèmes politiques ;
2. L’exercice du pouvoir.
Historiquement, l’AP s’est intéressée dans une perspective évolutionniste au problème de l’origine de
l’Etat. Le débat est aujourd’hui dépassé, retenons seulement que deux thèses se sont longtemps affrontées :
1. Celle pour qui la formation de l’Etat résulte des guerres que se livrent des sociétés rivales ;
2. Celle qui en font le produit d’une dynamique interne (complexification croissante de la société : la
division du travail, la production de surplus, le commerce à longue distance, l’esclavage ont entraîné des
contradictions et des conflits ainsi que la formation de classes sociales antagonistes. L’État apparaît
comme l’instance répressive chargée de maintenir le statu quo (F. Engels, 1972) ; White L. idem : les
classes de rois, nobles, prêtres et guerriers règnent contre celles des travailleurs ruraux et urbains,
libres, serfs ou esclaves)
Les modalités de l’exercice du pouvoir ont d’emblée fait partie des critères utilisés par les évolutionnistes
pour définir les principales étapes du devenir des sociétés :
Tradition & modernité : sang & sol
Pour Henry Maine (1861) : l’événement majeur de l’histoire de l’humanité est le passage « du sang au sol » à
savoir le passage d’une société où toutes les relations sociales sont déterminées par le rang de
naissance (statut assigné à la naissance) des partenaires sociaux, à une société dans laquelle, les relations
deviennent contractuelles (le statut est acquis).
3. traditionnelles : Les société où toutes les relations sociales sont déterminées par le
rang de naissance : le statut assigné à la naissance;
4. modernes : Les société où les relations sont contractuelles : le statut y est acquis.
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Pour l’époque moderne, le renouvellement viendra de l’anthropologie britanique : Meyer-Fortes et E.
Evans-Pritchard (les Nuer: décrits comme un système politique segmentaire et acéphale). Ailleurs :E. Leach
(1972, sur l’instabilité du système Katchin « highland Burma »),
Un des fondements universels de toute forme de pouvoir : la générosité du puissant-riche
M. Sahlins (1963) qui oppose le modèle politique des chefferies aristocratiques polynésiennes à celui du
« grand homme » big man en Mélanésie. Le big man s’élève au-dessus des autres grâce à sa capacité à
produire et à faire produire une richesse, dont il calcule la sphère de redistribution, qui garantit en
retour la reproduction de ses privilèges.
5. La capacité de l’homme de pouvoir à produire et à faire produire une richesse, dont il
calcule la sphère de redistribution, qui garantit en retour la reproduction de ses
privilèges et de son autorité
Mais de tout ces travaux et études anciens, il ressort qu’aucun paramètre ne peut être strictement corrélé
à l’apparition de l’Etat et entre les formes non étatiques et étatiques du pouvoir politique, on observe
d’innombrables formes intermédiaires qui ne peuvent être considérées que comme des singularités.
I.1 Les fondateurs
I.1.1 Max Gluckman et le caractère conflictuel des sociétés traditionnelles
Annoncée par les travaux de nombreux essayistes et philosophes (Machiavel, Marx), l’étude du pouvoir en
action n’a vraiment pris place qu’avec l’œuvre de Max Gluckman (1963, 1965). Il fut l’un des premiers à
insister sur le caractère conflictuel des sociétés traditionnelles et à y décrire des équilibres fluctuants ;
révélateurs de contradictions structurelles.
Les rituels et les cérémonies mettent en scène les conflits qui menacent l’ordre social et contribuent, par
leur effet cathartique, à rétablir la cohésion du groupe : les institutions elles-mêmes finiraient toujours par
se reproduire !
I.1.2 Georges Balandier & l’anthropologie dynamiste
Véritable fondateur de l’anthropologie politique en France, il aborde les problèmes de la modernité liés à la
situation coloniale, urbaine ou industrielle.
L’approche dynamiste se veut une saisie du contradictoire et de l’approximatif dans des relations sociales
que les fonctionnalistes et les structuralistes avaient tendance à analyser sous l’angle du fonctionnement
régulier des institutions et selon des modèles d’équilibre.
L’A.P. doit s’appuyer sur le réel vécu et pensé par les acteurs sociaux. La méthode, habituelle de
l’anthropologie, est celle de l’ethnographie (J. Copans, 1998, L’enquête ethnologique de terrain). On
réexplore des terrains autrefois revendiqués par les sociologues à l’aide de méthodes qualitatives de
micro-observations accordant un privilège au témoignage direct et vécu. Ainsi se construisent des
objets neufs sur des territoires limitrophes.
Le champ à déjà été pâturé par d’autres disciplines : Des superpositions de champs sont en cours : après
les années 60 (indépendances), les sociologues, historiens et les politistes investissent le champ
exotique du tiers-monde que les anthropologues avaient l’habitude de se partager. Inversement, l’État
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moderne et les changements politiques se laissent analyser sous l’angle d’approche anthropologique
sans revendication de monopole territorial.
Les continuateurs de Balandier travaillent sur la relation de l’Etat aux confréries religieuses ou
messianiques : Copans (1980), Dozon (1995), le clientélisme politique en Afrique, Bayart (1989), ou la
corruption (Olivier de Sardan, 1996 ) ; Le rôle politique de la sorcellerie (Geschiere, 1995) ou le
caractère contraignant de la solidarité (A. Marie, 1997).
I.2 L’anthropologie politique et les sciences sociales
I.2.1 Les années 60 : critique radicale du pouvoir
La question du pouvoir était dominée par une entreprise critique des rapports de pouvoir et des formes
d’organisation de son exercice. Les sociétés étudiées par les ethnologues montraient comment d’autres
organisations politiques étaient possibles : elles nous ont servi parfois de modèle alternatif pour des utopies.
-
l’utopie de la fin de l’Etat ;
-
le rêve d’un pouvoir politique idéal ;
-
le triomphe de la société civile contre l’Etat ;
-
la croyance en une véritable démocratie universelle ;
Tous ces espoirs, naïfs et illusoires (?) animaient les recherches (Michel Foucault). Cette perspective
critique n’avait aucun souci d’amélioration de la gestion du pouvoir politique : à la limite l’aide à la décision
passait pour une trahison !!!
I.2.2 Les années 80 : aide à la décision et neutralité scientifique
Avec la gauche au pouvoir, la démarche critique a peu à peu disparue au profit d’un engagement politique
pour la restructuration de la société.
Les recherches en sciences sociales ne s’opposaient plus au pouvoir politique, elles sont devenues plus
pragmatiques et de plus en plus opérationnelles.
L’enjeu est de démontrer, par la description analytique, les modes de fonctionnement du pouvoir politique
en occultant tout point de vue qui trahirait un engagement politique.
I.2.3 Aujourd’hui
L’anthropologie politique qui s’est tenue à l’écart de ces tendances se situe aujourd’hui dans une
perspective « d’analyse de la complexité des structures de pouvoir dans la mondialisation qui
caractérise notre modernité ».
C’est l’hétérogénéité des formes de pouvoir qui demeure l’objet premier des investigations de
l’anthropologie politique face à la suprématie d’une homogénéisation des modèles de gestion politique que
provoque la domination du néo-libéralisme.
Les anthropologues n’ont pas besoin d’énoncer un « état » de la société (tel la « complexité » chère aux
sociologues) : ils travaillent dans l’hétérogénéité comme reflet de la diversité des cultures et des modes
de fonctionnement des sociétés contemporaines.
Les perspectives de l’anthropologie politique :
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Ø explorer les formes de légitimité du pouvoir (le système électoral généralisé n’appartient
qu’aux démocraties occidentales contemporaines !) et
Ø les représentations du politique, au travers des symboliques, des rituels, des conflits, des
systèmes organisationnels, des sanctions, éclairant les moyens dont l’exécutif dispose pour
forger les coutumes, les lois qu’il a pour charge de faire appliquer.
II L’enchâssement du politique : pouvoir & société
L’anthropologie s’est longtemps limitée à l’étude des sociétés où le politique est enchâssé dans les autres
dimensions du social.
II.1
Pouvoir & religion : Le régicide rituel
Ainsi, dès la fin du XIXème siècle, J. Frazer souligne la nature religieuse du pouvoir à travers sa fameuse
analyse de la royauté divine : l’autorité du souverain repose sur sa capacité à assurer la fertilité des
champs et la fécondité des femmes en contrôlant les forces cosmiques, celui-ci est mis à mort dès que ses
forces l’abandonnent (Frazer, 1890 ; Adler, 1982 ; Muller, 1980).
II.1.1 Le consentement
Tout ceci témoigne de « l’essentielle précarité du pouvoir » (Abélès & Jeudy, 1997 :13) dans les sociétés où
l’Etat n’est pas centralisé ; le groupe « exerce un véritable contrôle sur celui qui exerce le pouvoir » de sorte
que l’autorité ne saurait s’y fonder que sur un « consentement » (Lévi-Strauss, 1944).
Cette notion fondamentale, a été reprise par M. Godelier (1982,1984) qui considère qu’à l’origine de l’Etat
(du politique ?) se trouve l’acceptation par les dominés d’une situation de sujétion en échange de la
protection de ceux qui contrôlent la surnature. » (Anthropologie politique, in Les notions clés de
l’ethnologie, 1998 : 213).
II.2
Pouvoir & échange
Le pouvoir apparaît donc comme une des formes de l’échange social généralisé. D’un côté, celui du
pouvoir, on montre une capacité (puissance) de redistribution de ressource : offre de protection,
d’entretien et de nourrissement. De l’autre, l’acceptation par les dominés d’une situation de sujétion en
échange de la protection de ceux qui contrôlent la surnature.
•
Le donateur montre une capacité (puissance) de captation de ressources [ostentation] qui repose sur un
pouvoir (magique, technique) de contrôle de la surnature [source du pouvoir].
•
Il propose/impose (don) cette ressource en contrepartie de la soumission du récipiendaire [don inaugural]
•
Le récipiendaire reconnaît la puissance du donateur [reconnaissance]
•
il accepte le don (protection-entretien) [acceptation du don]
•
il consent à se soumettre à la puissance [consentement = contrepartie]
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