éditorial
Toutefois, certains éléments compliquent la donne :
– la peste bovine affecte plusieurs espèces de ruminants
domestiques (buffles domestiques, petits ruminants) et de
très nombreuses espèces de ruminants sauvages (buffles
d’Afrique, impalas, élands, koudous, girafe, cobs, gnous,
etc.) et même les phacochères ; le rôle de la faune sauvage
dans le maintien de l’infection a, du reste, été longtemps
discuté : était-elle victime ou réservoir ?
– comme c’est le cas pour de nombreuses autres mala-
dies, l’extension (et parfois la pérennisation) de la peste
bovine est intimement liée aux mouvements d’animaux et
aux échanges : cas de la Grande-Bretagne en 1865 après
importation de bovins en provenance de Revel (actuelle-
ment Tallyn en Estonie), de la Belgique en 1920 lors du
transit vers le Brésil de bovins provenant d’Inde ou du jar-
din zoologique de Rome en 1949 après qu’il ait rec¸u des
ruminants sauvages en provenance de Somalie. On peut
rappeler que le foyer belge de 1920 a été à l’origine de la
création de l’OIE en 1924 ;
– enfin, la peste bovine connaît en général des flambées ou
des réémergences lors de guerres et de désordres politiques
ou sociaux. Ainsi à titre d’exemples, la dernière flambée en
France remonte-t-elle à 1871 conséquence de la guerre avec
la Prusse, ou la dernière épizootie en Russie et en Europe
centrale a-t-elle suivi de près la révolution d’Octobre de
1917.
En Europe, dans des pays où les élevages sédentaires sont la
règle et où les ruminants sauvages sont peu nombreux, les
données épidémiologiques expliquent pourquoi la maladie
a pu être éradiquée au xviiiesiècle (puis au xixeaprès ses
diverses réintroductions) sur la seule base de règlements de
police sanitaire (abattage des animaux malades, interdiction
des déplacements et des foires, contrôle aux frontières, etc.).
Ce fut aussi le cas sur les continents restés indemnes (Amé-
riques, Australie) lors d’introductions accidentelles où des
mesures drastiques d’abattage interdirent sa pérennisation :
Brésil en 1920 et Australie en 1923.
En revanche dans d’autres régions du monde – Afrique,
Moyen-Orient, péninsule Arabique, sous-continent indien,
Asie centrale – les conditions d’élevage sont particuliè-
rement favorables au maintien de l’infection : systèmes
d’élevages transhumants ou nomades, faune sauvage par-
ticulièrement dense, notamment en Afrique de l’Est, etc.,
sans parler des nombreux conflits que tentent de fuir les
populations d’éleveurs. Cela est d’autant plus vrai que dans
ces régions se rencontrent de nombreux pays en développe-
ment dans lesquels l’application de mesures sanitaires est
difficile voire totalement impossible.
Dans ces régions la peste bovine constituait un véritable
fléau pour les éleveurs : ainsi sur le continent africain
pendant la grande épizootie de la fin du xixesiècle (vers
1987-1905) a-t-elle tué plus de cinq millions de têtes de
bovins et un pourcentage élevé (entre 20 et 60 % selon les
estimations) des espèces les plus sensibles de ruminants
sauvages [4].
Premières campagnes de vaccination
(1925-1975)
Pour surmonter les difficultés rencontrées dans ces régions,
différents vaccins ont été mis au point dès le début du
xxesiècle, mais c’est à Plowright et Ferris que l’on doit
le vaccin actuellement utilisé. Ce vaccin, développé en
1960 au Kenya, est constitué d’une souche sauvage (souche
Kabete O) atténuée par passages successifs sur cultures cel-
lulaires (cellules rénales embryonnaires de bovin) [5]. Il
confère après une seule injection une immunité solide qui
dure au moins trois ans et vraisemblablement toute la vie
économique de l’animal [6]. Il est facile à produire, peu
coûteux et peut être lyophilisé ce qui constitue un avantage
évident pour le transport dans les régions chaudes.
Dès la mise au point de vaccins, l’idée est née que l’on
pourrait parvenir à contrôler voire éliminer la peste bovine
dans un pays ou un ensemble de pays.
Ainsi en Inde, le vaccin mis au point par Edwards et produit
sur chèvres (rates de chèvres infectées formolées) permit-il
d’organiser au cours des années 1920 de grandes campagnes
de vaccination avec un certain succès. Toutefois, le nombre
gigantesque de petits ruminants et les nombreuses réintro-
ductions à partir des pays voisins ne permirent pas une réelle
éradication.
En Afrique, il fallut attendre le vaccin de Plowright et Ferris
pour que soit mise en place sous l’égide du Bureau interafri-
cain des productions animales (IBAR) de l’Organisation de
l’unité africaine et sur financement de l’Union Européenne
(UE) une politique visant à l’éradication de la peste bovine
sur le continent africain : le Programme commun 15 (PC 15
ou Joint programme 15 = JP 15) qui fut mené de 1960 à 1976
[7]. Le principe était de mener des campagnes de vaccina-
tion annuelles en commenc¸ant par le centre de l’Afrique
(Tchad, République centrafricaine, Cameroun) et de pro-
gresser vers l’est et vers l’ouest pour, selon l’expression,
« balayer le virus dans l’océan ».
Le vaccin anti-bovipestique produit dans des laboratoires
africains (Sénégal, Mali, Tchad, Éthiopie, Kenya, Bots-
wana, etc.) était délivré lyophilisé en flacons de 50 ou
100 doses pour être reconstitué au plus près des trou-
peaux. En Afrique de l’ouest, un vaccin mixte peste
bovine-péripneumonie bovine (maladie due à Mycoplasma
mycoides mycoides SC) a été utilisé pendant plus de 20 ans
[8]. Bien qu’une seule injection ait été suffisante pour garan-
tir une bonne protection, les campagnes de vaccination
étaient organisées tous les ans, le but étant d’obtenir un taux
de vaccination proche de 70 %, et si possible supérieur.
84 Virologie, Vol 15, n◦2, mars-avril 2011
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.