éditorial
Virologie 2011, 15 (2) : 83-6
La peste bovine : première virose animale
éradiquée au niveau mondial
Pierre-Charles Lefèvre
Inspecteur général de la santé publique
vétérinaire honoraire
<pocolo@wanadoo.fr> Introduction
Au cours de l’année 2011, l’Organisation mondiale de la santé animale (aupa-
ravant dénommée Office international des épizooties = OIE) et l’Organisation
des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) devraient annoncer
que la peste bovine a définitivement disparu au niveau mondial. Il s’agit là de
la première maladie animale dont l’éradication aura été réalisée après plus de
50 ans d’efforts, alors que la variole humaine a été éradiquée dès 1980, il y a
plus de 30 ans.
Rappelons que la peste bovine est l’une des maladies les plus meurtrières des
bovins et de plusieurs autres espèces de ruminants domestiques ou sauvages
[1]. La forte mortalité qu’elle entraînait quand elle survenait dans des troupeaux
indemnes explique qu’elle ait marqué les esprits depuis l’Antiquité, puisque
certains auteurs croient la reconnaître dans un papyrus égyptien âgé de plus de
3 000 ans, le papyrus de « Kahun » [2] ou dans une description faite au ivesiècle
de notre ère par le rhéteur romain Severus Sanctus Endelechius, d’une épizootie
qui aurait eu lieu en Italie de 376 à 386.
Au cours des siècles, à partir de son berceau d’origine, les grandes steppes
d’Asie centrale, elle a envahi de nombreux continents : l’Asie et le sous-continent
indien, puis le Moyen-Orient, l’Europe et plus récemment au cours du xixesiècle
seulement, l’Afrique tropicale.
La peste bovine vue sous l’angle de son éradication
Les principales caractéristiques épidémiologiques de la peste bovine laissent à
penser que son éradication aurait pu être facile [1, 3]. En effet, la peste bovine
est une maladie virale (famille des Paramyxoviridae, genre Morbillivirus avec
la rougeole, la maladie de Carré du chien et la peste des petits ruminants) pour
laquelle :
la transmission est directe, par contact étroit ou à courte distance, une sépa-
ration de quelques mètres entre les animaux étant suffisante pour empêcher la
contamination (de rares exemples de transmission à distance par le vent ont été
rapportés, mais sans garantie) ;
le virus n’est excrété que pendant 15 jours au maximum, mais souvent moins,
notamment dans les cas aigus ou suraigus où les animaux atteints meurent en
quelques jours ;
il n’existe pas de porteurs chroniques ou latents, les animaux survivants
présentant une immunité solide à vie.
doi:10.1684/vir.2011.0398
Virologie, Vol 15, n2, mars-avril 2011 83
Pour citer cet article : Lefèvre PC. La peste bovine : première virose animale éradiquée au niveau mondial. Virologie 2011; 15(2) : 83-6 doi:10.1684/vir.2011.0398
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Toutefois, certains éléments compliquent la donne :
la peste bovine affecte plusieurs espèces de ruminants
domestiques (buffles domestiques, petits ruminants) et de
très nombreuses espèces de ruminants sauvages (buffles
d’Afrique, impalas, élands, koudous, girafe, cobs, gnous,
etc.) et même les phacochères ; le rôle de la faune sauvage
dans le maintien de l’infection a, du reste, été longtemps
discuté : était-elle victime ou réservoir ?
comme c’est le cas pour de nombreuses autres mala-
dies, l’extension (et parfois la pérennisation) de la peste
bovine est intimement liée aux mouvements d’animaux et
aux échanges : cas de la Grande-Bretagne en 1865 après
importation de bovins en provenance de Revel (actuelle-
ment Tallyn en Estonie), de la Belgique en 1920 lors du
transit vers le Brésil de bovins provenant d’Inde ou du jar-
din zoologique de Rome en 1949 après qu’il ait rec¸u des
ruminants sauvages en provenance de Somalie. On peut
rappeler que le foyer belge de 1920 a été à l’origine de la
création de l’OIE en 1924 ;
enfin, la peste bovine connaît en général des flambées ou
des réémergences lors de guerres et de désordres politiques
ou sociaux. Ainsi à titre d’exemples, la dernière flambée en
France remonte-t-elle à 1871 conséquence de la guerre avec
la Prusse, ou la dernière épizootie en Russie et en Europe
centrale a-t-elle suivi de près la révolution d’Octobre de
1917.
En Europe, dans des pays où les élevages sédentaires sont la
règle et où les ruminants sauvages sont peu nombreux, les
données épidémiologiques expliquent pourquoi la maladie
a pu être éradiquée au xviiiesiècle (puis au xixeaprès ses
diverses réintroductions) sur la seule base de règlements de
police sanitaire (abattage des animaux malades, interdiction
des déplacements et des foires, contrôle aux frontières, etc.).
Ce fut aussi le cas sur les continents restés indemnes (Amé-
riques, Australie) lors d’introductions accidentelles où des
mesures drastiques d’abattage interdirent sa pérennisation :
Brésil en 1920 et Australie en 1923.
En revanche dans d’autres régions du monde – Afrique,
Moyen-Orient, péninsule Arabique, sous-continent indien,
Asie centrale – les conditions d’élevage sont particuliè-
rement favorables au maintien de l’infection : systèmes
d’élevages transhumants ou nomades, faune sauvage par-
ticulièrement dense, notamment en Afrique de l’Est, etc.,
sans parler des nombreux conflits que tentent de fuir les
populations d’éleveurs. Cela est d’autant plus vrai que dans
ces régions se rencontrent de nombreux pays en développe-
ment dans lesquels l’application de mesures sanitaires est
difficile voire totalement impossible.
Dans ces régions la peste bovine constituait un véritable
fléau pour les éleveurs : ainsi sur le continent africain
pendant la grande épizootie de la fin du xixesiècle (vers
1987-1905) a-t-elle tué plus de cinq millions de têtes de
bovins et un pourcentage élevé (entre 20 et 60 % selon les
estimations) des espèces les plus sensibles de ruminants
sauvages [4].
Premières campagnes de vaccination
(1925-1975)
Pour surmonter les difficultés rencontrées dans ces régions,
différents vaccins ont été mis au point dès le début du
xxesiècle, mais c’est à Plowright et Ferris que l’on doit
le vaccin actuellement utilisé. Ce vaccin, développé en
1960 au Kenya, est constitué d’une souche sauvage (souche
Kabete O) atténuée par passages successifs sur cultures cel-
lulaires (cellules rénales embryonnaires de bovin) [5]. Il
confère après une seule injection une immunité solide qui
dure au moins trois ans et vraisemblablement toute la vie
économique de l’animal [6]. Il est facile à produire, peu
coûteux et peut être lyophilisé ce qui constitue un avantage
évident pour le transport dans les régions chaudes.
Dès la mise au point de vaccins, l’idée est née que l’on
pourrait parvenir à contrôler voire éliminer la peste bovine
dans un pays ou un ensemble de pays.
Ainsi en Inde, le vaccin mis au point par Edwards et produit
sur chèvres (rates de chèvres infectées formolées) permit-il
d’organiser au cours des années 1920 de grandes campagnes
de vaccination avec un certain succès. Toutefois, le nombre
gigantesque de petits ruminants et les nombreuses réintro-
ductions à partir des pays voisins ne permirent pas une réelle
éradication.
En Afrique, il fallut attendre le vaccin de Plowright et Ferris
pour que soit mise en place sous l’égide du Bureau interafri-
cain des productions animales (IBAR) de l’Organisation de
l’unité africaine et sur financement de l’Union Européenne
(UE) une politique visant à l’éradication de la peste bovine
sur le continent africain : le Programme commun 15 (PC 15
ou Joint programme 15 = JP 15) qui fut mené de 1960 à 1976
[7]. Le principe était de mener des campagnes de vaccina-
tion annuelles en commenc¸ant par le centre de l’Afrique
(Tchad, République centrafricaine, Cameroun) et de pro-
gresser vers l’est et vers l’ouest pour, selon l’expression,
« balayer le virus dans l’océan ».
Le vaccin anti-bovipestique produit dans des laboratoires
africains (Sénégal, Mali, Tchad, Éthiopie, Kenya, Bots-
wana, etc.) était délivré lyophilisé en flacons de 50 ou
100 doses pour être reconstitué au plus près des trou-
peaux. En Afrique de l’ouest, un vaccin mixte peste
bovine-péripneumonie bovine (maladie due à Mycoplasma
mycoides mycoides SC) a été utilisé pendant plus de 20 ans
[8]. Bien qu’une seule injection ait été suffisante pour garan-
tir une bonne protection, les campagnes de vaccination
étaient organisées tous les ans, le but étant d’obtenir un taux
de vaccination proche de 70 %, et si possible supérieur.
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Ce programme financé essentiellement par l’UE mais avec
la participation d’autres organismes internationaux (Pro-
gramme des Nations unies pour le développement, FAO) ou
de la coopération bilatérale (Allemagne, Belgique, France,
Grande-Bretagne, Italie) fut couronné de succès au moins
dans un premier temps puisqu’en 1976 aucun cas de peste
bovine ne fut signalé dans la plupart des pays africains.
Néanmoins, deux foyers résiduels subsistèrent (plus ou
moins méconnus) dans des régions difficiles d’accès : d’une
part, dans le delta interne du Niger à la frontière entre le Mali
et la Mauritanie et, d’autre part, à la frontière entre le Sou-
dan et l’Éthiopie. À partir de ces foyers et dès l’arrêt des
vaccinations, la peste bovine reconquit pratiquement toute
l’Afrique sahélienne de 1979 à 1984
Les causes du succès puis de l’échec du PC15 ont été lon-
guement analysées et relèvent de deux types :
l’absence d’outils de diagnostic rapides et simples, tant
sérologiques pour évaluer le taux de couverture vacci-
nale que virologique pour la détection précoce d’éventuels
foyers (à l’époque n’existaient que des techniques longues
et fastidieuses : la séroneutralisation et l’isolement du virus
sur cultures cellulaires) ;
l’absence de mesures conservatoires après la disparition
des foyers : arrêt soudain des vaccinations dans les zones à
risque, insuffisance de la surveillance épidémiologique des
espèces sensibles (y compris la faune sauvage) ;
l’absence de stratégie de contrôle d’éventuels foyers (vac-
cination en anneau par exemple).
On peut remarquer au demeurant que l’absence de suivi
après le PC15 coïncide avec la première crise pétrolière qui
a entraîné un coût élevé des transports et détourné l’argent
vers d’autres priorités. Malgré son échec relatif, le PC15 a
eu au moins le mérite de servir de cas d’étude pour tous les
programmes qui ont été développés ultérieurement.
Les programmes et campagnes décisifs
Au cours des années 1980, plusieurs programmes ont été
élaborés à différents niveaux (national, régional et même
continental) sur la base des lec¸ons tirées du PC15 : outre
l’éradication de la peste bovine par des campagnes de vac-
cination, ces programmes avaient d’autres objectifs comme
le renforcement des structures ou des moyens dans les dif-
férents pays concernés.
Parmi les actions menées, on peut mentionner [9] :
–leMiddle and Near Regional Animal Production and
Health Project (MINEADEP) avec deux phases de 1975 à
1980 puis de 1980 à 1986, qui regroupait, sous l’égide de
la FAO, 21 pays du Proche et Moyen-Orient ;
–oulaWest Asia Rinderpest Eradication Campaign
(WAREC) qui avait pour but de 1989 à 1994, toujours dans
la même région (plus la péninsule Arabique), de mettre en
place les outils pour évaluer la couverture vaccinale ;
mais l’exemple le plus illustratif est celui de la Pan
African Rinderpest Campaign (PARC) de 1986 à 1999 sui-
vie par le Programme africain de contrôle des épizooties
(PACE) de 2000 à 2007 qui ont été deux programmes soute-
nus financièrement et politiquement sur une longue période.
La PARC avait pour but la coordination des campagnes de
vaccination dans les pays sahéliens, le renforcement des
structures de diagnostic et de l’expertise par des formations
ainsi que la privatisation des services vétérinaires, la mise
en place d’un cadre institutionnel et réglementaire, et la
rationalisation des services publics de l’élevage. Comme le
PC15, elle a été financée en grande partie par l’Union euro-
péenne, en collaboration avec d’autres bailleurs de fonds et
la coordination en est revenue au Bureau interafricain des
ressources animales (IBAR) de l’Organisation de l’union
africaine basé à Nairobi.
Le PACE dans la foulée avait pour but de confirmer les
progrès réalisés, estimer les taux de vaccination, mettre en
place les suivis épidémiologiques en vue d’obtenir le statut
de pays indemne d’infection.
L’OIE pathway
Parallèlement aux actions de terrain, l’OIE a élaboré dans
les années 1980, une procédure de reconnaissance des pays
selon leur statut vis-à-vis de la peste bovine (connue sous le
nom anglais de « OIE pathway ») [10]. Cette reconnaissance
se fait en trois temps :
déclaration par le pays lui-même du statut de pays provi-
soirement indemne avec arrêt obligatoire de la vaccination ;
puis obtention du statut de pays indemne de peste bovine-
maladie lorsque aucun foyer de peste bovine n’a été décelé
sur une population de plus en plus sensible en l’absence de
vaccination pendant plusieurs années et la mise en place
de suivis épidémiologiques visant à confirmer l’absence de
foyer ;
enfin obtention du statut de pays indemne de peste
bovine-infection après que des enquêtes sérologiques aient
démontré l’absence de circulation du virus chez les bovins,
les petits ruminants et la faune sauvage.
Le Global Rinderpest Eradication
Programme (GREP)
Devant la multiplicité des projets et les avancées de la
science (amélioration des techniques de diagnostic, vac-
cin thermostable pour les zones d’accès difficile...), l’idée
que l’éradication de la peste bovine était possible au niveau
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mondial s’est peu à peu imposée et, en 1994, la FAO a lancé
une ambitieuse initiative ayant cet objectif : le programme
d’éradication totale de la peste bovine. L’objectif de cette
initiative était de renforcer la coordination internationale
des différents programmes et de mettre en place avec l’OIE
les mécanismes de vérification des résultats et du succès
des campagnes.
Dès lors, les reconnaissances par l’OIE du statut de pays
indemne d’infection se sont multipliées au début des
années 2000 [10] : Inde, 2004 – Turquie, 2005 – Pakis-
tan, 2007 – Chine et Iran 2008. Le cas de l’Afrique est un
peu plus compliqué. Si les pays d’Afrique de l’Ouest ont
rapidement été reconnus comme indemnes de maladie puis
d’infection (Sénégal, Mali, Niger, Nigéria, Côte d’Ivoire,
etc.), le problème en Afrique orientale était plus préoccu-
pant : d’une part, l’abondance et le brassage de la faune
sauvage dans les parcs et réserves du Kenya ont permis
(bien que la faune sauvage ne soit pas sensu stricto réser-
voir) le maintien du virus chez des animaux sauvages non
vaccinés et, d’autre part, les actions de vaccination et de
contrôle en Somalie et dans les régions limitrophes se sont
révélées difficiles à mettre en œuvre. Une unité spéciale a
été créée, la Somali ecosystem rinderpest eradication coor-
dinaton unit (SERECU) qui a, entre 2006 et 2010, analysé
la situation de cette sous-région du continent pour conclure
en fin de compte à l’absence du virus. Cela explique que le
Kenya n’ait obtenu le statut de pays indemne qu’en 2009 et
la Somalie que cette année.
Coût de l’éradication
Il est encore trop tôt pour avoir une estimation du coût
de l’éradication de la peste bovine, d’autant que les pro-
grammes de lutte ont aussi permis la modernisation des
services vétérinaires et la mise au niveau international
des laboratoires nationaux. Il sera difficile de distinguer
les coûts relevant de la lutte anti-bovipestique des coûts
de l’amélioration des services de l’état, amélioration qui
a fortement contribué à l’objectif final et sans laquelle
l’éradication aurait vraisemblablement été plus aléatoire.
À titre d’exemple, l’UE qui a été le principal contributeur
de la PARC a déboursé pour l’ensemble de ses actions
114 millions d’euros de 1986 à 1994 (50 millions en
1986 – 7,5 en 1990 – 11,2 en 1993 et 25 millions en
1994) [11].
Les raisons du succès
Outre le vaccin d’excellente qualité mis au point ilya50
ans, quatre raisons peuvent être avancées pour expliquer le
succès des programmes de lutte à la fin du xxesiècle :
une approche globale qui ne visait pas seulement
l’éradication de la peste bovine mais aussi le renforcement
des structures et des moyens dans les pays concernés. Cette
amélioration des structures nationales, notamment les ser-
vices et les laboratoires vétérinaires permet d’espérer qu’à
l’avenir d’autres grands maladies animales pourront être
mieux contrôlées voire éliminées ;
la mobilisation sans défection de la communauté inter-
nationale qui a maintenu la volonté politique et les
financements nécessaires en dépit des crises ;
la coordination mise en place par les organismes interna-
tionaux ou régionaux qui a permis une bonne collaboration
entre pays, collaboration d’autant plus nécessaire que dans
certaines régions du monde la notion de frontière est étran-
gère aux éleveurs nomades ou transhumants ;
enfin il ne faut pas oublier les progrès dus la recherche
qui en améliorant considérablement les outils de diagnostic
sérologiques ou virologiques ont permis les suivis qui ont
tant fait défaut lors des premières tentatives notamment avec
le PC15 [12].
Conflits d’intérêts : aucun.
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