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Formation et profession • Mars 2009
à tracer. Nous pourrions considérer ici que toute
discipline qui étudie des questions du monde se-
rait, par essence, une contribution à la formation
citoyenne. C’est à la fois vrai et inexact. Vrai, car
tout ce qui concerne et intéresse l’humain concerne
et intéresse potentiellement le citoyen; inexact, car
la citoyenneté appelle à étudier le monde, à y agir,
d’un certain point de vue. Il importe alors d’être au
clair avec le point de vue adopté et de l’expliciter
comme tel. Par exemple, prenons les trois objets les
plus courants de l’éducation à la santé, objets qui
se présentent aussi comme des injonctions com-
portementales : bien se nourrir pour lutter contre
l’obésité; ne pas développer des dépendances à des
produits dangereux comme les drogues, y compris
le tabac; se protéger en cas de rapport sexuel pour
éviter les maladies sexuellement transmissibles.
La conception de la formation citoyenne du type
« vivre-ensemble » se satisfait aisément de ces trois
objets et les assimile à ladite formation. Le point
de vue que je défends, celui du droit et du politique
donc, invite à rééchir sur ce que la référence à la
citoyenneté permet de dire de plus et de différent.
Par exemple, ce qui relève du droit aux soins (pas
à la santé, le droit à la santé ne veut rien dire !) et
de la dimension de solidarité que sa mise en œuvre
appelle. Moi qui ne fume pas, dois-je payer pour les
soins de ceux dont la santé est mise à mal par leur
tabagisme ? Comment articuler ce qui relève de la
liberté de chacun et ce qui relève de la solidarité ?
Etc. Ce n’est que lorsque l’on ouvre à l’étude de
telles questions que l’éducation à la santé prend une
dimension de formation citoyenne.
Ces trois piliers et la priorité donnée à la dimension
juridique et politique sont valides quel que soit l’âge des
élèves. Il m’est arrivé d’assister à un cours d’éducation à
la citoyenneté avec des élèves de grande section d’école
maternelle, âgés de 5 ans environ, sur le concept de
liberté; je peux témoigner du fait que les élèves ont déjà
beaucoup à dire sur ce concept et les signications qu’ils
lui donnent, et du sérieux du travail accompli en classe
pour le raisonner, le complexier, envisager différents
aspects, en relation notamment avec les situations pos-
sibles ou vécues, tout ceci, bien sûr, en fonction de l’âge
de ces élèves. Cette validité et l’importance accordée en
principe à l’éducation à la citoyenneté se heurtent très
souvent à la réalité. Ainsi, sauf erreur de ma part, on
constate que, dans de très nombreux systèmes éducatifs,
l’éducation citoyenne, lorsqu’elle existe, est présente
dans le primaire et dans le secondaire I, jusqu’à 15 ou
16 ans, et qu’elle disparaît par la suite ! Curieux choix,
alors que les élèves deviennent peu à peu titulaires de
la plénitude de leurs droits, plénitude qu’ils atteignent
très généralement à 18 ans, l’âge le plus fréquent de la
majorité, et qu’ils sont très nombreux à être encore sur
les bancs de l’école. Comme si l’orientation prioritaire
des autorités et de nombreux adultes était celle du
« vivre-ensemble », pour revenir à la première ques-
tion, apprentissage de quelques principes permettant
à l’espace social de ne pas être violent, trop violent,
et non celle d’une formation citoyenne rigoureuse et
ambitieuse. Régulez les comportements avec les plus
jeunes pendant que cela est possible; pour la suite, ils
apprendront la citoyenneté sur le tas en regardant tout
simplement la société où nous remarquons tous le
fonctionnement citoyen, responsable et solidaire des
adultes ! Un tel choix donne aussi la mesure de l’écart
qui existe entre les grandes proclamations générales et
généreuses, et la réalité des choix qui sont faits au nom
d’autres principes, d’autres utilités.
Dans sa récente réforme scolaire, le Québec a choisi de
confier en priorité, mais pas en exclusivité, l’éducation
citoyenne aux enseignants d’histoire et de géographie.
S’agit-il d’une bonne décision ? Dans quelle mesure ce
choix se justifie-t-il ?
Ma réponse sera ici très pragmatique avant d’être plus
critique. Tout d’abord un constat : dans un très grand
nombre de systèmes éducatifs, ce sont l’histoire et la
géographie, avec l’éducation citoyenne là où elle existe,
qui ont en charge l’étude des sociétés présentes et pas-
sées. Par là, ces disciplines construisent un ensemble de
savoirs, de références et d’outils permettant à l’élève de
comprendre le monde dans lequel il vit, comme le disent
de nombreux textes ofciels. Elles contribuent, avec ou
contre d’autres sources d’information, à construire une
conception de la vie sociale, des pouvoirs, des hiérar-
chies, des rôles, du destin commun, de la production, de
l’identité collective, etc. Toutefois, deux remarques :
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