SCIE NCE E T SAVOIR Comprendre le système immunitaire Photo: Jürg Lendenmann Si l’on en sait toujours plus sur le système immunitaire, cette profusion d’informations ne facilite pas forcément sa compréhension: la vue d’ensemble est noyée sous les détails. Ce qui explique peut-être en partie que toutes les découvertes révolutionnaires de la recherche en ­immunologie ne soient pas connues du public. Jürg Lendenmann «En biologie, tout n’est pas noir ou blanc», explique l’immunologiste Dr méd. Stefan Kuchen, chef de clinique et responsable de groupe de recherche à ­l’Hôpital de l’Ile à Berne. «Le sang est avant tout un miroir, malheureusement très rudimentaire, de notre système immunitaire», explique l’immunologiste Dr méd. Stefan Kuchen, qui a entre autres travaillé pendant six ans et demi aux National Institutes of Health, à Bethesda, Etats-Unis. Il n’en reste pas moins que les connaissances en immunologie ont énormément progressé ces dernières années. «Mais en savoir long sur le système immunitaire ne veut pas forcément dire le comprendre», ­rappelle l’expert. Par ailleurs, beaucoup de ces découvertes ne sont toujours pas connues en ­dehors des milieux spécialisés. Identifier les dangers – exogènes et endogènes «Au départ, on supposait que la mission du système immunitaire était de distinguer le soi (ce qui fait partie du corps) du non-soi (le reste)», 38 OTX World | N° 56 | Septembre 2013 explique Kuchen. Cette conception a été largement revue ces dernières années. Conformément à l’hypothèse émise par la chercheuse Polly Matzinger dans ses travaux intitulés «Danger Model» et publiés en 1994, il s’agit davantage de savoir­ si quelque chose présente un risque pour l’organisme. «L’origine du risque est secondaire.» Comment le corps parvient-il à reconnaître ce qui menace son équilibre (homéostasie)? «Il utilise pour cela les motifs moléculaires as­ sociés aux pathogènes (pathogen-associated mole­cular patterns, PAMP), situés à la surface des pathogènes. Les cellules dotées de récepteurs à ces PAMP sont en mesure de les dé­ celer.» Fait intéressant, les cellules du tissu conjonctif (fibroblastes), entre autres, posséderaient également cette capacité. «Outre les PAMP, on a désormais identifié des motifs moléculaires associés au danger (damage-associated molecular patterns, DAMP) – des substances libérées par les cellules de ­l’organisme lorsqu’elles sont endommagées ou ­détruites», indique Kuchen, qui ajoute: «Ces substances provoquent une stimulation du système immunitaire déterminante pour les processus de remise en ordre, la cicatrisation et la régénération.» La réaction inflammatoire non spécifique déclenchée en réponse à l’identification stéréotypée de ces motifs (PAMP, DAMP) est attribuée au système immunitaire inné. complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). La cellule présentatrice de l’antigène active les lymphocytes (ou cellules) T, qui appartiennent à l’immunité adaptative et présentent à leur surface des récepteurs d’un antigène spécifique. Mais les lymphocytes T ne reconnaissent que les antigènes apprêtés et présentés sous forme de complexe fragment d’antigène – molécule CMH.» Par ailleurs, les lymphocytes T ne sont activés que s’ils reçoivent en parallèle d’autres signaux de co-activation. «Cela empêche une activation excessive du système immunitaire adaptatif au moindre stimulus. Cette régulation est essentielle, comme le montrent les maladies auto-­ immunes qui surviennent lorsqu’elle est perturbée.» L’étape suivante de la cascade consiste en l’activation par les lymphocytes T des lymphocytes (ou cellules) B qui se différencient ensuite en cellules-mémoire et en plasmocytes producteurs d’anticorps. «Les récepteurs antigéniques spécifiques des lymphocytes B sont appelés immunoglobulines. On parle d’anticorps lorsqu’elles sont libérées et de récepteurs des lymphocytes B lorsqu’elles sont ancrées à la surface de ceux-ci. Contrairement aux récepteurs des lymphocytes T, qui ne peuvent identifier que les complexes antigène apprêté – molécules CMH, les immunoglobulines sont capables de se lier directement aux ­antigènes et jouent donc un rôle essentiel dans la phase précoce de la réaction immunitaire.» Molécules CMH et immunoglobulines Le hasard, principe fondamental Les cellules dendritiques appartiennent elles aussi au système immunitaire inné. Elles constituent un lien important avec le système immunitaire adaptatif et jouent un rôle clé dans la cascade d’activation classique: «Elles sont souvent les premières à détecter les intrus tels que bactéries, virus et parasites. Ces sentinelles possèdent différents récepteurs capables de reconnaître de manière non spécifique des motifs à la surface de la bactérie. Lorsque les cellules dendritiques sont activées par la stimulation de ces récepteurs, elles suivent les vaisseaux lymphatiques et migrent dans les ganglions lymphatiques. Là, elles stimulent d’autres cellules du système immunitaire en exprimant à leur surface des fragments antigènes du pathogène, associés à des molécules du La manière dont les récepteurs antigéniques spécifiques des lymphocytes T et B sont produits et, dans le cas des cellules B, modifiés, est très particulière. «L’altération du patrimoine génétique, normalement empêchée à toute force, est ici ­délibérée», explique Kuchen. «La diversité est obtenue grâce à une recombinaison aléatoire de segments génétiques intervenant dans le thymus pour les lymphocytes T et dans la moelle osseuse pour les lymphocytes B. Les lymphocytes nouvellement formés sont d’abord soumis à une sélection positive: seuls survivent ceux qui ont pu produire un récepteur spécifique à un moment déterminé. Ils subissent ensuite une sélection négative, sorte de contrôle de qualité: ceux qui présentent Cascade d’activation du système immunitaire (très simplifié) Système immunitaire adaptatif Illustration: Manfred Walker Système immunitaire inné une trop forte liaison à des structures du soi meurent. Les lymphocytes dotés d’un récepteur et susceptibles de devenir dangereux sont ainsi éliminés.» Si le thymus involue après la puberté et si la pro­ duction des lymphocytes T s’arrête à l’adoles­ cence, la moelle osseuse produit quotidienne­ ment des millions de lymphocytes B tout au long de la vie. Lymphocytes B: très étudiés D’autres particularités remarquables distin­ guent les lymphocytes B des lymphocytes T: «Ils sont capables de perfectionner leur récepteur. Lorsqu’un pathogène est identifié, les cellules B se multiplient, tout en modifiant les sites de liai­ son de l’immunoglobuline. Cette hypermuta­ tion somatique permet d’obtenir des récepteurs qui se lient encore plus fortement à l’antigène.» Le récepteur du lymphocyte T est en outre ­capable de changer d’isotype, d’IgM en IgG, par exemple. «Le même anticorps peut donc être présent sous forme d’IgM et d’IgG. Les deux ­immunoglobulines se lient au même antigène, mais ont une autre fonction effectrice. Cela fait des lymphocytes B et des anticorps un domaine de recherche passionnant en biologie et en ­immunologie.» L’auto-immunité, revers de la médaille Malgré des mécanismes de contrôle variés, la ­réponse immunitaire peut se diriger contre des structures endogènes. «En cas d’auto-immunité, les lymphocytes T et/ou B identifient des struc­ tures du soi comme faisant partie du non-soi et provoquent des réactions inflammatoires/im­ munitaires», indique le chercheur. Dans le cadre du lupus érythémateux, une maladie auto-­ immune de forme rhumatismale, les lympho­ cytes B qui réagissent aux structures du soi se perfectionnent encore pour former un «anti­ corps parfait». Il en résulte une réponse immu­ nitaire optimale à quelque chose qui n’est nor­ malement pas identifié ou du moins attaqué par le système immunitaire. Redondance et pléiotropie L’arsenal thérapeutique contre les réponses im­ munitaires excessives ne se limiterait pas aux médicaments immunosuppresseurs/immuno­ modulateurs classiques. Kuchen: «Nos possibi­ lités sont aujourd’hui bien plus variées. Avec les biomédicaments – en majorité des anticorps monoclonaux – nous disposons d’une toute nouvelle classe de molécules.» En rhumatologie, il s’agit par exemple d’inhibi­ teurs spécifiques du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α). Mais leur utilisation est délicate. Comme d’autres cytokines, le TNF-α a de nom­ breux effets, explique Kuchen, qui renvoie ainsi à une spécificité majeure du système immuni­ taire: «Il est caractérisé par sa redondance – de nombreux facteurs agissent sur la même chose – et sa pléiotropie – un même facteur a de mul­ tiples effets. Quand on bloque le TNF-α, on l’in­ hibe certes spécifiquement, mais avec lui aussi, de manière non spécifique, tous les processus qui y sont liés.» La biologie est retorse Il existe dans chaque corps des cellules qui inter­ agissent avec des structures du soi. Et il est pro­ bable que ces cellules autoréactives soient à ­l’origine des maladies auto-immunes. Kuchen: «Mais certains mécanismes périphériques de ­tolérance sont tout à fait en mesure de contenir ces ‹mutins›. C’est là que la notion de redon­ dance intervient à nouveau: il existe une multi­ tude de mécanismes de contrôle. La biologie se définit par sa stabilité, tout n’est pas noir ou blanc. Elle tolère beaucoup de variabilité et d’écarts à la norme. C’est d’ailleurs ce qui rend sa compréhension si difficile.» OTX World | N° 56 | Septembre 2013 39