38 OTX World | N° 56 | Septembre 2013
SCIENCE ET SAVOIR
Si l’on en sait toujours plus sur le système immunitaire, cette profusion d’informations ne
facilite pas forcément sa compréhension: la vue d’ensemble est noyée sous les détails. Ce qui
explique peut-être en partie que toutes les découvertes révolutionnaires de la recherche en
immunologie ne soient pas connues du public. rg Lendenmann
«Le sang est avant tout un miroir, malheureuse-
ment très rudimentaire, de notre système im-
munitaire», explique l’immunologiste Dr méd.
Stefan Kuchen, qui a entre autres travaillé pen-
dant six ans et demi aux National Institutes of
Health, à Bethesda, Etats-Unis. Il nen reste pas
moins que les connaissances en immunologie
ont énormément progressé ces dernières années.
«Mais en savoir long sur le système immunitaire
ne veut pas forcément dire le comprendre»,
rappelle l’expert. Par ailleurs, beaucoup de ces
découvertes ne sont toujours pas connues en
dehors des milieux spécialisés.
Identier les dangers – exogènes
et endogènes
«Au départ, on supposait que la mission du sys-
tème immunitaire était de distinguer le soi (ce
qui fait partie du corps) du non-soi (le reste)»,
explique Kuchen. Cette conception a été large-
ment revue ces dernières années. Conformément
à lhypothèse émise par la chercheuse Polly Mat-
zinger dans ses travaux intitulés «Danger Model»
et publiés en 1994, il s’agit davantage de savoir
si quelque chose présente un risque pour lor-
ganisme. «Lorigine du risque est secondaire.»
Comment le corps parvient-il à reconnaître
ce qui menace son équilibre (homéostasie)? «Il
utilise pour cela les motifs moléculaires as-
sociés aux pathogènes (pathogen-associated
mole cular patterns, PAMP), situés à la surface
des pathogènes. Les cellules dotées de récep-
teurs à ces PAMP sont en mesure de les dé-
celer.» Fait intéressant, les cellules du tissu
conjonctif (broblastes), entre autres, posséde-
raient également cette capacité.
«Outre les PAMP, on a désormais identié des
motifs moléculaires associés au danger (da-
mage-associated molecular patterns, DAMP)
– des substances libérées par les cellules de
l’organisme lorsquelles sont endommagées ou
détruites», indique Kuchen, qui ajoute: «Ces
substances provoquent une stimulation du sys-
tème immunitaire déterminante pour les pro-
cessus de remise en ordre, la cicatrisation et la
régénération.»
La réaction inammatoire non spécique dé-
clenchée en réponse à l’identication stéréo-
typée de ces motifs (PAMP, DAMP) est attribuée
au système immunitaire inné.
Molécules CMH et immunoglobulines
Les cellules dendritiques appartiennent elles
aussi au système immunitaire inné. Elles consti-
tuent un lien important avec le système immu-
nitaire adaptatif et jouent un rôle clé dans la cas-
cade dactivation classique: «Elles sont souvent
les premières à détecter les intrus tels que bacté-
ries, virus et parasites. Ces sentinelles possèdent
diérents récepteurs capables de reconnaître de
manière non spécique des motifs à la surface de
la bactérie. Lorsque les cellules dendritiques sont
activées par la stimulation de ces récepteurs, elles
suivent les vaisseaux lymphatiques et migrent
dans les ganglions lymphatiques. Là, elles sti-
mulent d’autres cellules du système immunitaire
en exprimant à leur surface des fragments anti-
gènes du pathogène, associés à des molécules du
complexe majeur d’histocompatibilité (CMH).
La cellule présentatrice de l’antigène active les
lymphocytes (ou cellules) T, qui appartiennent à
l’immunité adaptative et présentent à leur sur-
face des récepteurs d’un antigène spécique.
Mais les lymphocytes T ne reconnaissent que les
antigènes apprêtés et présentés sous forme de
complexe fragment dantigène – molécule CMH.»
Par ailleurs, les lymphocytes T ne sont activés
que s’ils reçoivent en parallèle d’autres signaux
de co-activation. «Cela empêche une activation
excessive du système immunitaire adaptatif au
moindre stimulus. Cette régulation est essen-
tielle, comme le montrent les maladies auto-
immunes qui surviennent lorsquelle est pertur-
bée.» Létape suivante de la cascade consiste en
lactivation par les lymphocytes T des lympho-
cytes (ou cellules) B qui se diérencient ensuite
en cellules-mémoire et en plasmocytes produc-
teurs danticorps.
«Les récepteurs antigéniques spéciques des
lymphocytes B sont appelés immunoglobulines.
On parle danticorps lorsqu’elles sont libérées et
de récepteurs des lymphocytes B lorsquelles sont
ancrées à la surface de ceux-ci. Contrairement
aux récepteurs des lymphocytes T, qui ne
peuvent identier que les complexes antigène
apprêté – molécules CMH, les immunoglobu-
lines sont capables de se lier directement aux
antigènes et jouent donc un rôle essentiel dans
la phase précoce de la réaction immunitaire.»
Le hasard, principe fondamental
La manière dont les récepteurs antigéniques spé-
ciques des lymphocytes T et B sont produits et,
dans le cas des cellules B, modiés, est très par-
ticulière. «Laltération du patrimoine génétique,
normalement empêchée à toute force, est ici
délibérée», explique Kuchen. «La diversité est
obtenue grâce à une recombinaison aléatoire de
segments génétiques intervenant dans le thymus
pour les lymphocytes T et dans la moelle osseuse
pour les lymphocytes B.
Les lymphocytes nouvellement formés sont
dabord soumis à une sélection positive: seuls
survivent ceux qui ont pu produire un récepteur
spécique à un moment déterminé.
Ils subissent ensuite une sélection négative,
sorte de contrôle de qualité: ceux qui présentent
Comprendre le système immunitaire
Photo: Jürg Lendenmann
«En biologie, tout nest pas noir ou blanc», explique
l’immunologiste Dr méd. Stefan Kuchen, chef de
clinique et responsable de groupe de recherche à
l’Hôpital de l’Ile à Berne.
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une trop forte liaison à des structures du soi
meurent. Les lymphocytes dotés d’un récepteur
et susceptibles de devenir dangereux sont ainsi
éliminés.»
Si le thymus involue après la puberté et si la pro-
duction des lymphocytes T sarrête à ladoles-
cence, la moelle osseuse produit quotidienne-
ment des millions de lymphocytes B tout au
long de la vie.
Lymphocytes B: très étudiés
Dautres particularités remarquables distin-
guent les lymphocytes B des lymphocytes T: «Ils
sont capables de perfectionner leur récepteur.
Lorsqu’un pathogène est identié, les cellules B
se multiplient, tout en modiant les sites de liai-
son de l’immunoglobuline. Cette hypermuta-
tion somatique permet d’obtenir des récepteurs
qui se lient encore plus fortement à l’antigène.»
Le récepteur du lymphocyte T est en outre
capable de changer d’isotype, d’IgM en IgG, par
exemple. «Le même anticorps peut donc être
présent sous forme d’IgM et d’IgG. Les deux
immunoglobulines se lient au même antigène,
mais ont une autre fonction eectrice. Cela fait
des lymphocytes B et des anticorps un domaine
de recherche passionnant en biologie et en
immunologie.»
L’auto-immunité, revers de la médaille
Malgré des mécanismes de contrôle variés, la
réponse immunitaire peut se diriger contre des
structures endogènes. «En cas d’auto-immunité,
les lymphocytes T et/ou B identient des struc-
tures du soi comme faisant partie du non-soi et
provoquent des réactions inammatoires/im-
munitaires», indique le chercheur. Dans le cadre
du lupus érythémateux, une maladie auto-
immune de forme rhumatismale, les lympho-
cytes B qui réagissent aux structures du soi se
perfectionnent encore pour former un «anti-
corps parfait». Il en résulte une réponse immu-
nitaire optimale à quelque chose qui nest nor-
malement pas identié ou du moins attaqué par
le système immunitaire.
Redondance et pléiotropie
Larsenal thérapeutique contre les réponses im-
munitaires excessives ne se limiterait pas aux
médicaments immunosuppresseurs/immuno-
modulateurs classiques. Kuchen: «Nos possibi-
lités sont aujourd’hui bien plus variées. Avec les
biomédicaments – en majorité des anticorps
monoclonaux – nous disposons d’une toute
nouvelle classe de molécules.»
En rhumatologie, il sagit par exemple d’inhibi-
teurs spéciques du facteur de nécrose tumorale
alpha (TNF-α). Mais leur utilisation est délicate.
Comme dautres cytokines, le TNF-α a de nom-
breux eets, explique Kuchen, qui renvoie ainsi
à une spécicité majeure du système immuni-
taire: «Il est caractérisé par sa redondance – de
nombreux facteurs agissent sur la même chose
– et sa pléiotropie – un même facteur a de mul-
tiples eets. Quand on bloque le TNF-α, on l’in-
hibe certes spéciquement, mais avec lui aussi,
de manière non spécique, tous les processus
qui y sont liés.»
La biologie est retorse
Il existe dans chaque corps des cellules qui inter-
agissent avec des structures du soi. Et il est pro-
bable que ces cellules autoréactives soient à
lorigine des maladies auto-immunes. Kuchen:
«Mais certains mécanismes périphériques de
tolérance sont tout à fait en mesure de contenir
ces ‹mutins›. C’est là que la notion de redon-
dance intervient à nouveau: il existe une multi-
tude de mécanismes de contrôle. La biologie se
dénit par sa stabilité, tout nest pas noir ou
blanc. Elle tolère beaucoup de variabilité et
décarts à la norme. C’est d’ailleurs ce qui rend sa
compréhension si dicile.»
Cascade d’activation du système immunitaire (très simplié)
Système immunitaire inné Système immunitaire adaptatif
Illustration: Manfred Walker
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