LE CHEVREUIL Capreolus capreolus Linné 1758 Allemand : Reh, Italien : Capriolo, Anglais : Roedeer Toute l'Europe, de la côte de la Méditerranée à la Suède centrale. Avec des variations locales, tête et corps 0,95 à 1,35 m, hauteur au garrot 60 à 75 cm. Poids moyen 15 kg, jusqu'à 30 en Prusse orientale (39,5 Lemberg, avec bois de 570g) et 35 en Russie. Poids moyen trouvé au Jura neuchâtelois, 22 kg, max. 30. Le mâle ou brocard plus lourd que la femelle, ou, selon l'inspecteur Vouga, de Neuchâtel, de poids égal. C'est un animal fin, aux membres minces, dos arqué, front élevé et museau menu, ce qui donne, surtout au mâle et en hiver, un profil triangulaire caractéristique. Pas de queue appréciable, poil des fesses érectile, se déployant, par la frayeur surtout, en un « miroir » très blanc et très visible en hiver. Grandes oreilles, beaux grands yeux foncés, larmier peu développé. Deux livrées très différentes : en hiver, d'un gris-brun, gorge blanchâtre, souvent aussi une tache indécise plus bas ; en été d'un roux rouge vif, parfois jaune (souvent par région, val Cluozza par ex.), miroir roussâtre, tête plus grise, chez le mâle surtout, front brunâtre. Chez les gros mâles, il reste souvent un peu de gris aux flancs. Museau noir jusqu'en dessous de la commissure des lèvres, milieu de la lèvre supérieure, lèvre inférieure et menton blancs. Callosités latérales du talon (os) noirâtres. Mue (commençant par la tête) en mai et fin septembre. Le faon naît tacheté de blanc, ces taches s'effacent généralement en juin, mais dans de mauvaises conditions (portée nombreuse, etc.), persistent jusqu'en octobre. Le poids varie alors de 7 kg (rare) à 18,5 (Vouga). Les bois se composent d'abord d'une dague longue comme le doigt, puis d'une fourche, ensuite d'un troisième andouiller. Des bois plus divisés sont exceptionnels ; par contre, on voit souvent des brocards bien adultes avec des bois simples, longs, minces mais rugueux. C'est l'effet de la vieillesse mais toutes ces formations ne correspondent que vaguement aux années. Santé, conditions de vie, variations individuelles interviennent et un brocard de 12 mois peut porter six pointes. En moyenne, le plus fort développement des bois est atteint entre 4 et 6 ans. Ils portent de fortes rugosités (perlures) et pèsent au maximum 500 à 600 g. Ils tombent en novembre, ont entièrement repoussé en février et perdent leur peau en avril. En 1946, je vis un brocard le 20 mars, au Jura français, dont les bois étaient blancs et sanguinolents, tandis que leurs deux peaux pendaient de part et d'autre sur les yeux. Le lendemain, un autre brocard avait les bois tout dégagés. Brocard en bois de velours Dans nos pays civilisés, ce gracieux animal représente le gros gibier. Il est, avec le lièvre, le principal objet de la chasse au poil, de cette chasse dont l'aménagement rationalisé réduit quelque peu le gibier à l'état de bassecour. Nos prédécesseurs paléolithiques, qui avaient mieux à chasser, ont laissé peu d'ossements et de dessin du chevreuil, qui d'ailleurs n'aurait pu se plaire dans le paysage de steppes de l'Europe centrale et n'était abondant que dans le sud de la France et en Espagne. Au néolithique, il est un des gibiers les plus importants, après le cerf, puis à l'âge des métaux il diminue, jusqu'à l'époque romaine. On a attribué ce fait aux forêts très denses, qui conviendraient moins au chevreuil qu'au cerf, tandis que plus tard un certain défrichement l'aurait de nouveau avantagé. Mais actuellement, on pense que le chevreuil, de par sa constitution, échine arrondie et inclinée en avant, jambes postérieures longues et normalement fléchies, est fait pour se glisser dans les fourrés, tandis que le cerf est animal de steppe boisée (ou aussi de forêt sans sous-bois?). Au Parc national, les chevreuils, qui étaient 87 en 1910, atteignaient le nombre de 288 en 1930, pour n'être que 80 en 1958, alors que les cerfs étaient passés de 16 à 750. Une étude en cours semble montrer qu'il n'y a pas concurrence alimentaire entre les deux espèces pendant la période critique, l'hiver, le chevreuil consommant 50 % d'herbe. Chevreuil, avec « les velours » des bois rabattus sur les yeux, qui sont petits et clignotants. Sentier des gardes sur Sergy. Jeune chevreuil courant A la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, le chevreuil était rare en Suisse, sauf en quelques chasses bien gardées de l'Argovie. Si, dans le Jura vaudois, les chasseurs en avaient ramené un, disait le célèbre chirurgien et chasseur Dr Roux, on aurait sonné les cloches. Maintenant, grâce à une meilleure réglementation de la chasse, pour d'autres causes aussi, peut-être, dont les changements intervenus dans l'exploitation forestière, le chevreuil est commun partout en Suisse. Seul notre canton de Genève est encore en retard, le chevreuil y est encore peu abondant. Aux Grisons, où il était inconnu, selon les chroniques, au XVIe siècle déjà, il est apparu subitement, vers 1890, près de SaintMoritz et de Zernez. En France, l'effectif des chevreuils dépassait apparemment 310 000 individus (O.N.C., Office national de la Chasse n°87, janvier 1985). En Suisse, de 109 000 en 1984 (Office fédéral des Forêts). En Suède, le chevreuil, réduit en 1830 à un tout petit reste en Scanie dans une réserve privée, avait regagné en 1920 son extension de 1750. Depuis, il a gagné 4° de latitude vers le nord. Quoique très timide, le chevreuil s'accommode bien de la culture et du voisinage humain, pourvu qu'il trouve quelque bois où s'abriter. Certains d'entre eux, même vivent en pleins champs sans arbres (Feldreh) ; ils ont le plus souvent les bois clairs et médiocres. Leur vrai habitat, c'est les bois. Ils y demeurent couchés une partie du jour dans un fourré, un buisson, dans les roseaux, une jeune sapinière. Ils s'y font une couchette débarrassée de feuilles, un peu creusée. Les champs de graminées et les roseaux leur servent aussi de refuge. Ils sortent des bois à la fin de l'après-midi, dans les prés et les cultures et y rentrent après le lever du soleil, mais on en trouve aussi en pleine nuit dans la forêt. Petit chevreuil Le chevreuil a un flair excellent et l'ouïe si fine qu'il est difficile de le surprendre. Sa vue est bonne et il voit venir un homme de très loin, mais il lui arrive de s'approcher de l'observateur immobile, à bon vent et peu caché. Il vit en petites troupes, les mâles le plus souvent seuls, parfois un vieux est accompagné d'un jeune d'un an. En hiver, les bandes sont souvent plus nombreuses et plus mélangées. Jeune chevreuil, cambré au sommet d'un bond On considère que le chevreuil vit en société patriarcale, à l'inverse du cerf. Ce n'est toutefois pas l'opinion de Kl. Zimmermann et, si l'on s'en réfère à l'observation dans la nature, cela ne paraît pas absolument convaincant, car si on voit souvent chevreuil et chevrette ou des troupes de formation diverse, il me semble avoir bien rarement vu une famille. Le mâle, défendant le territoire, serait plus constamment agressif que le cerf, et en fait, il attaque plus souvent l'homme. Au canton de Neuchâtel, une telle attaque s'est soldée par 10 jours d'hôpital et il y en eut récemment une ou deux moins graves. On a vu un brocard tenir un chien en respect, en se jetant sur lui tête baissée chaque fois qu'il approchait trop. Le territoire est marqué par les traces odorantes des glandes interdigitales, de la glande du tarse (os). Le brocard « touche au bois » non seulement au printemps pour débarrasser ses bois du velours mais au temps du rut pour laisser sur les branches l'odeur de la glande frontale. Chevreuil en arrêt A.B. Bubenik, qui a surveillé de jour et de nuit (aux infra-rouges) pendant plus d'un an deux chevreuils en large captivité, a trouvé des durées de sommeil très courtes (max. 236 minutes par jour, minimum 87 et moins encore pour la femelle en lactation). Ils tombent, rarement, dans un état de torpeur de plus de 10 minutes, si profond qu'ils ne réagissent pas aux bruits et odeurs modérés, ni même si on leur jette de petites pierres. En hiver, le sommeil a lieu surtout de nuit. Brocard touchant au bois (à cette saison il s'agit de marquage du territoire) Par antithèse avec le cerf, on a fait du chevreuil un animal monogame, vivant en famille. Au temps du rut, en effet, le brocard ne réunit pas une harde de chevrettes. Il en poursuit une, inlassablement, au trot, en trajet sinueux, à travers prairies, forêts et buissons, soir et matin, de nuit aussi, en poussant une sorte de halètement : he-he, he-he. Je ne crois pas que cela soit le fait de l'essoufflement : le mâle seul le pousse, et seul aussi le poursuivant jaloux d'un autre mâle. Les deux conjoints paraissent parfois exténués, je les ai vus le matin couchés à une cinquantaine de mètres l'un de l'autre. Brocard poursuivant une chevrette en été Lorsque la femelle repartait, le mâle se levait pour la suivre et bientôt tous deux se recouchaient. Enfin le mâle la serre de près, le nez tendu, elle se laisse rejoindre et l'accouplement a lieu, très bref et parfois réitéré 3 ou 4 fois. Mais où les animaux sont nombreux, le brocard abandonne souvent la chevrette qu'il suit pour une autre qui croise sa route. Il poursuit même les chevrettes de l'année. Luisier m'a décrit le mâle tournant autour de la femelle, formant un vrai sentier circulaire, restant un instant couché à son côté après l'accouplement puis reprenant sa ronde. Ces « ronds de sorcières » sont bien connus. Ils sont formés autour d'arbres, de rochers, de touffes d'herbe et sont parfois doubles (en 8). Trois chevreuils dans le brouillard Jacques Burnier en a trouvé un le 8 août 1937, près de Morgins, d'un diamètre de 2 m, dans de grandes plantes. Un autre le 16 octobre 1949 à la Baragne (Jura vaudois) de 3 m extérieurement, autour d'un genévrier de 1,70 m. D'ordinaire, le mâle y poursuit la femelle ou parfois on y voit trois bêtes. Ils seraient aussi utilisés hors du temps du rut. Au temps du rut, la chevrette attire le brocard par un petit cri plaintif : fiep fiep. Tous les livres en parlent et les chasseurs imitent ce cri avec un appeau fait parfois d'une feuille : c'est le « blatten » des Allemands. Bien que j'aie passé quelques soirs, matins et nuits avec les chevreuils en rut, je ne l'ai jamais entendu et de bons connaisseurs non plus. Par contre, je l'ai entendu chez les jeunes, qui sont à cette époque abandonnés et assez désemparés, s'approchant même d'un homme marchant doucement comme cela m'est encore arrivé le 25 août 1960 à Monbas, Derborence. Brocard poursuivant une chevrette Deux jeunes mâles que j'approchais vinrent vers moi, s'éloignèrent après m'avoir identifié, mais l'un revint encore à 3 ou 4 m (ils ne criaient pas). Ce cri est un petit piaulement qu'on attribuerait plutôt à un poussin d'épervier qu'à un mammifère. Je l'ai entendu aussi d'une jeune chevrette marchant péniblement dans la neige et semblant appeler le jeune mâle qui la précédait. Enfin, le 5 décembre 1946, dans le Jura, au-dessus de Sergy, le même cri, un peu moins aigu, était poussé par un mâle, plutôt jeune, mais aux pivots bien apparents, suivant une femelle à quelque cent mètres, et aussi, en hiver, par l'une des deux chevrettes poursuivies par un chien. Il est donc probable que ce cri est un simple appel, sans signification sexuelle particulière. Chevreuil en bois de velours Les mâles combattent, dit-on, pour les femelles mais avec moins d'acharnement que les cerfs, bien que Luisier m'ait dit en avoir trouvé le crâne perforé par le bois d'un adversaire et le garde Alph. Wigny (Ardennes belges) m'a montré les bois, très beaux, d'un brocard qu'il trouva tué par un autre, le corps couvert de coups et tout le sang entre cuir et chair. Je les ai vus s'approcher à une quarantaine de mètres, baisser la tête, gratter le sol, après quoi le moins costaud s'éloignait. Parfois aussi, ils s'abordent à la même distance avec de grands sauts, le corps presque vertical, puis s'en vont. Le rut a lieu fin juillet et en août, même septembre, mais les embryons, après quelques divisions, restent stationnaires jusqu'en novembre, pour se développer normalement ensuite et voir le jour en avril, plutôt mai et juin. Exceptionnellement, d'ailleurs, il peut naître des petits chevreuils dans tous les mois de l'année. Le brocard peut poursuivre la chevrette de ses assiduités au moins dès que ses bois sont développés. Le 23 mai 1946, une chevrette et un brocard ont traversé devant moi un sentier du Jura, se poursuivant au galop. La femelle poussait un gémissement angoissé. Le 20 avril 1950, je voyais la même scène à Erstavik (Stockholm), les animaux étant en pelage d'hiver. La première mise bas d'une chevrette est d'un chevrillard, la seconde peut déjà en compter deux. Ils seraient alors toujours de sexe différent. Le simple jeu des probabilités indique qu'il doit en être souvent ainsi. Si c'était constant, ce serait inexplicable dans l'état actuel de nos connaissances. Bien adulte, elle en a souvent trois (autopsie Vouga). La parturition dure 2 à 3, parfois 5 à 6 heures. Jeune chevreuil dans les molinies Chevrette à la tombée de la nuit La première heure de vie du petit se passe en léchages et nettoyages ; elle ne s'est pas écoulée qu'il cherche avec ténacité à se mettre sur ses jambes, y parvient après une heure et demie, vacillant, et après 2 heures quitte la couche ; sa mère le suit. Poids à la naissance 1 kg, à 8 jours 3,250 kg, à 14 jours 6 kg. A deux jours, il mange de la terre, à 8 jours sa première feuille, à 3 semaines rumine. La mère avait été saillie le 15 septembre 1937 à 4 mois, mit bas le 1 er juillet 1938 (obs. Kate Hecht, en semi-captivité). Brocard dans la brume Les renards et les chiens, les chats sauvages ou errants, l'hermine même, tuent encore les chevrillards bien que la mère les défende à coups de pieds. M. Victor Faye, de Strasbourg, a vu au Sulberg un renard jouant avec un faon, il se roulait devant lui, batifolait, tout à coup essaya de lui sauter à la gorge. M. Faye l'effraya. Le lendemain, à la même place, il vit une chevrette tambourinant des antérieurs, devant un renard qui essayait de la tourner pour prendre son faon réfugié entre ses postérieurs. Le 20 avril 1950, à Erstavik, un renard passait entre un brocard et une chevrette, à quelques mètres, les chevreuils étaient très attentifs et tendus. Zollinger cite même un cas où un mâle intervint contre un renard. La mère cache ses petits dans un buisson, dans les céréales, les hautes herbes où la faucheuse en détruit beaucoup. Elle ne reste pas avec eux et les place même à quelque distance l'un de l'autre. Chevrette, neige fraîche et brouillard C'est ainsi que le 1er juillet 1943, j'observai dès 13 heures un jeune chevreuil, déjà grand, couché sur une grosse pierre dans la forêt, au-dessus de la Fouly, (Val Ferret). Il avait l'air de s'ennuyer beaucoup, se levait, s'étirait, se tournait, se recouchait. Enfin, à 19h20, il s'élança. La mère était à 50m de là dans la haute végétation. Je crois qu'il tèta et je ne pus voir s'il y avait un autre petit, puis ils s'en allèrent. Le 10 juin 1958, à Široko Bilo, près de Vršac, Banat, je trouvai devant mes pieds un jeune chevreuil sur les feuilles de hêtres. Le garde et le chien, qui marchaient immédiatement à ma droite, ne l'avaient pas remarqué. Le garde maintint le chien et pendant plus d'une heure que je la dessinai, la petite bête, malgré les mouches, ne fit pas d'autre mouvement que d'incliner un peu une oreille. Je cherchai s'il y en avait un autre à quelques dizaines de mètres. On doit se garder de vouloir « sauver » de tels petits « abandonnés ». C'est tout à fait normal pendant la première quinzaine de leur vie. Ensuite, les petits ne se quittent plus. Abandonnés quelques jours lors du rut, les jeunes rejoignent ensuite la femelle. Ce n'est que par ouï-dire que je parlerai de leurs jeux, n'ayant assisté qu'à quelques sauts et gambades. On les dit très vifs et se poursuivant beaucoup. Les mâles adultes font aussi d'étranges cabrioles. J'en ai vu (c'était en mai, dans les montagnes de Bulgarie et à l'orée d'un bois) sauter à plus d'un mètre, cabrés, couchés sur le flanc et arqués de côté puis retomber d'aplomb ; ou, le dos et la nuque arc-boutés, ficher leurs bois en terre. Petit chevreuil complètement inhibé devant deux hommes et un chien Le chevreuil se nourrit d'herbe, de feuilles, bourgeons et pousses d'arbres à feuilles et à aiguilles, glands, champignons. Ce n'est pas un animal qui « paît ». Il choisit sa nourriture, il la lui faut très variée. Ainsi un chevreuil est passé à 3 mètres devant moi, qui étais debout avec ma femme sur un sentier. Il cueillait en marchant, les fleurs d'épervière de-ci, de-là, son œil foncé nous regardait sans nous voir; brusquement il fit un bond, mais revint deux fois nous regarder de plus loin avant de fuir et d'aboyer. Selon Kl. Zimmermann, il ne mange que trois à quatre heures par jour. Brocard broutant G. Olivier confirme les histoires de chevreuils enivrés par la fermentation dans leur estomac de bourgeons de bourdaine et de bouleau, au printemps (sans d'ailleurs se prononcer sur le mécanisme exact de cette excitation). Ils se mêlent aux vaches, l'un d'eux alla se coucher, à Bourgtheroulde (Eure) sous la table de la cuisine d'un hôtel, d'où l'on eut de la peine à le déloger. Les dégâts aux cultures ne sont pas très grands, sauf parfois dans les potagers. J'ai vu des chevreuils dédaigner avec constance des choux pour manger des feuilles de betteraves. Ils mangent du raisin. Ils font plus de mal aux forêts, le brocard, en particulier, abîme beaucoup de jeunes arbres en frayant, pour débarrasser ses bois de leur velours. Il suffit, disent les forestiers, qu'il se trouve un arbre singulier pour qu'il s'en serve et il détruit ainsi les plantations d'exotiques. Le chevreuil aurait donc pour rôle de sauvegarder le caractère de nos forêts ! Un bon moyen de lutter contre la frayure du chevreuil est de laisser quelques pieds de noisetier et autres bois blancs, qu'il préfère aux jeunes arbres. En hiver, il gratte la neige pour manger les feuilles sèches de hêtre (Vouga), les faînes, glands. J'en ai vu ainsi une troupe, près de Berne, dont tout l'avant-corps, épaules comprises, disparaissait dans la neige pour atteindre l'herbe au fond de véritables puits. Lorsque la neige est trop épaisse ou trop dure, il mange la mousse et le lierre contre les arbres et, selon Vouga, montre une prédilection pour les feuilles de ronces ; il préfère les aiguilles du sapin blanc à celles de l'épicéa, absorbe aussi celles de l'if qui empoisonnent les chevaux. La belladone non plus ne lui nuit pas. Il semble aimer beaucoup le gui. Au Jura français, lorsque les grands sapins blancs sont abattus par le vent, les chevreuils mangent avec beaucoup de soin les touffes de gui. En Tchécoslovaquie, on abat les sapins le soir pour que les chevreuils mangent le gui pendant la nuit. En hiver, on trouve surtout les chevreuils sur les versants ensoleillés et vite débarrassés de neige. Il m'a semblé qu'ils ne mangent pas volontiers aux heures où l'herbe est givrée. Il supporte mal les grosses neiges de la montagne. Croûtées, elles le blessent. Poudreuses, il y enfonce, nage péniblement en sortant juste la tête et s'épuise rapidement. Les braconniers en skis l'assomment, renards et chiens le dévorent tout vif par l'arrièretrain. Chevreuil et chevrette Forêt givrée et chevrette Trois chevreuils fuyant dans le givre Mon ami le Dr Jacques Burnier trouva ainsi, dans le Jura vaudois, un brocard nageant dans la neige. Il l'attrapa mais l'animal se retourna sur le dos et ruant des quatre pieds, lui contusionna le poignet. L'ayant caressé, photographié, il alla se reposer sous un sapin, le chevreuil sous un autre, pendant des heures, sans que les skieurs ne remarquent rien. Vers le soir, deux gardes-frontière virent les traces et en compagnie de mon ami, attrapèrent la bête, la lièrent sur leur sac et l'installèrent dans une étable jusqu'à ce que la neige fût plus tassée. Luisier m'affirme avoir vu deux fois en hiver des chevreuils tués par des aigles et leur squelette complètement nettoyé. Un de ces derniers hivers, il y eut au canton de Neuchâtel 35 chevreuils mangés par des chiens, pour la plupart ceux des skieurs de fond. Le chevreuil est sujet à plus de maladies que le cerf. Des vers parasitent son foie, ses intestins, ses poumons, des larves de mouches habitent sous sa peau. En 1984, 18 425 chevreuils ont été tirés en Suisse, et environ 7 539 tués par les autos. Sa course est très rapide, par grands bonds, au sommet desquels il se cabre (surtout dans la grande végétation), dos creux, tête en arrière, pattes ramenées vers la poitrine et la croupe. Lorsqu'il court sur l'herbe, dans le silence de la nuit, on entend ses pinces s'entrechoquer. Lorsqu'il est fatigué, il ne bondit plus, paraît-il. Mais il peut fuir très longtemps et emploie toutes sortes de ruses, bat les ruisseaux, s'y cache, etc. « Et s'il était aussi belle bête et si royale que le cerf, dit Gaston Phoebus, je tiens que ce serait plus belle chasse que celle du cerf. » Effrayé, le chevreuil pousse, en bondissant, un aboiement rauque, à répétition, s'accélérant souvent, qu'on n'attendrait guère d'un animal si délicat : baö baö. D'un peu plus loin, il est parfois difficile de le distinguer du glapissement du renard. Deux chevrillards dans la brume Les deux sexes l'émettent, mais la voix du brocard me semble plus basse. Il ne doit pas toujours être signe d'effroi. Selon Kl. Zimmermann, c'est aussi le cri de combat du brocard en rut. Le chevreuil nage bien et volontiers, le mâle plus que la femelle. En Hollande, il se rend à des îles à 7-8 km de la côte, en Ecosse, il traverse des bras de mer et estuaires. Paul Géroudet l'a vu, le 16 octobre 1960, traverser le Rhône au Fort de l'Ecluse. Petit chevreuil curieux Bien que les chevreuils soient très sédentaires, qu'on voie toujours les mêmes animaux aux mêmes lisières (sur 1 000 chevreuils marqués, deux tiers restent dans un rayon de 1 km depuis leur naissance, dont deux de 10 ans et un de 16 ans) et que leur territoire ne dépasse guère 1 km², il est certain qu'ils se déplacent, changent de vallées en passant des cols assez élevés alors qu'ils ne font d'ordinaire que de brèves excursions au-dessus de la forêt. Fellay en a vu cependant, en 1945, sous la cabane de Panossière (Valais, 2 173 m). ainsi, le 17 juin 1930, au lever du jour j'aperçus un brocard suivi d'une chevrette passant sur les taches de neige du pâturage d'Anzeindaz en direction du Pas de Cheville (2 049 m). Le 25 juillet 1944, nous trouvions, sur la Gemmi ( 329 m), au haut des grandes parois mais un peu à l'ouest du col, le cadavre desséché d'un jeune de l'année précédente. Sans doute venait-il du versant bernois, probablement par la neige encore et avait-il péri épuisé sans trouver le passage vers le Valais (où son sort n'eût, bien sûr, pas été meilleur) Chevreuil Chevreuil sous l'orage Texte et images de Robert Hainard, Mammifères sauvages d'Europe (en un volume, 1987), pp 386-396 Ongulés artiodactyles, Cervidés Vous aimeriez connaître le lieu d'observation ou le nombre de planches utilisées pour les gravures présentées dans ce texte ? Allez sur notre site internet, rubrique : Oeuvres plastiques-→ Gravures → Mammifères Marie Madeleine Defago Paroz |151209