Classiques & Contemporains Molière Dom Juan LIVRET DU PROFESSEUR établi par P IERRE B RUNEL professeur à la Sorbonne C LAUDIA J ULLIEN professeur de lettres en classes préparatoires SOMMAIRE DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE Les décors ............................................................................................................ La modernité de Dom Juan .................................................................... Lectures complémentaires .................................................................. 3 5 14 POUR COMPRENDRE : quelques réponses, quelques commentaires Étape 1 Étape 2 Étape 3 Étape 4 Étape 5 Étape 6 Étape 7 Étape 8 Étape 9 Étape 10 Vue d’ensemble de la comédie ................................ Ouverture et exposition ................................................. Dom Juan, homme-théâtre .......................................... L’idylle troublée ............................................................... L’ombre du Quémandeur ............................................ La provocation inutile .................................................... La galerie des fâcheux .................................................. Invitation et contre-invitation ................................ Dom Juan Tartuffe ............................................................ Le triomphe du surnaturel ........................................ Conception : PAO Magnard, Barbara Tamadonpour Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq 15 16 18 20 22 23 23 25 26 27 3 DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE Les décors Au sujet du décor de l’acte I René Pintard le rapproche du Luxembourg de la Grande Mademoiselle, devenu un lieu quasi public. Il ne s’agit donc pas d’un intérieur où logerait Dom Juan nouvellement arrivé au pays, mais d’une galerie propice aux effets de perspective comme les affectionne la scénographie à l’italienne, mi-intérieur mi-extérieur, avec sa façade rejetée sur la perspective transversale. C’est un lieu naturel de rencontres. Au sujet du décor de l’acte V René Pintard a cette fois tort d’expliquer le décor d’après la version de Thomas Corneille, qui situe son dénouement dans une « campagne » proche du tombeau où Dom Juan aurait eu affaire. Le marché de peinture nous apprend sans contestation possible que la scène se situe à l’intérieur de la ville, dans une rue où Dom Juan a fait rencontre de son père, puis de Don Carlos, alors qu’il se dirige vers la « porte de ville », peut-être pour gagner le mausolée où l’attend la Statue. Objections : – Les frères d’Elvire se voient « obligés […] à tenir la campagne » sans pouvoir trop se risquer à « vouloir entrer » en ville (III, 4). – Dom Juan n’a-t-il pas occulté dans son esprit le scandale de la statue et son invitation à souper, dont il n’est pas soufflé mot ? Le décor du fond aurait une fonction moins dramatique que symbolique, comme désignant l’espace du surnaturel, à l’abri duquel, à l’acte V, Dom Juan croit s’être mis intra muros. On ne peut confondre ce fond du décor avec le décor de l’acte III : « théâtre de statues à perte de vue » qui est un lieu ouvert, alors que le décor du tombeau était un lieu fermé – lieu ouvert aux rencontres et dans lequel 4 « l’Ombre entre » seulement à la fin. La ville de Molière est une avenue en perspective. La confusion vient du fait que les comédiens, pour représenter des lieux différents, ont pu réutiliser dans l’acte III et dans l’acte V des éléments d’un même décor, le « théâtre de statues ». Des machines pour l’acte V – La métamorphose du Spectre en Temps : chute de Dom Juan en enfer pendant que la Statue prend son vol vers le Ciel. Existence d’un livret dauphinois : « Description de superbes machines et des magnifiques changements de théâtre du Festin de Pierre ou l’Athée foudroyé de M. de Molière ». – Pour une dramaturgie de « Dom Juan » : les effets spectaculaires sont susceptibles d’un enjeu sérieux, le théâtre profane est rarement coupé complètement de ses répondants religieux ; le merveilleux, mythologique ou chrétien, plonge ses racines dans la psyché profonde. Le théâtre jésuite était un théâtre des merveilles. Les procédés du théâtre à machines sont identiques chez les jésuites et au Marais, au palais Barberini et chez Molière, même si l’état de la salle du Palais-Royal en 1665 limite les possibilités de ce dernier. On trouve dans le théâtre de ce temps l’équivalent de la métamorphose, de la statue parlante, du foudroiement du rebelle abîmé dans les dessous du théâtre, tous éléments qui paraissent contraires à la règle classique de la vraisemblance. Le merveilleux mythologique ou d’apparente fantaisie comme dans Dom Juan, volontiers taxé de féerie avec sa figure plutôt païenne du Temps, consonne avec l’enseignement de l’Église dramatisé par le théâtre proprement religieux, et d’autant mieux que l’image antique du Temps, père de la Vérité, remise à l’honneur par Érasme d’après Aulu-Gelle, est après lui fréquemment allégorisée dans un sens chrétien, même parfois dans un contexte païen, pour annoncer et célébrer le triomphe de la foi. Le motif des déguisements du Démon est fréquent dans le théâtre de l’époque. Dom Juan est-il le Démon déguisé ? Tentateur et séducteur, vêtu de rouge et or, le grand seigneur méchant homme est de mieux en mieux reconnu comme un sujet du Démon, dont il tient l’ironique volonté de sacrilège en enlevant à Dieu une épouse au couvent, en dérobant un mort 5 à la paix du repos éternel et en contrefaisant les véritables dévots de la religion du Christ. La vocation du théâtre à machines est de fondre des composantes hétérogènes. Différents registres sont présents dans Dom Juan. On peut parler de « structure ironique » à propos d’une pièce déconsidérant l’un par l’autre. La modernité de Dom Juan Nous proposons un corrigé de dissertation sur le sujet suivant : « Dom Juan est-il moderne, comme l’a suggéré Théophile Gautier ? » Introduction La redécouverte du Dom Juan de Molière est l’un des moments les plus saisissants de l’évolution du théâtre moderne et peut-être du goût moderne. On sait que c’est le 15 janvier 1847 que la Comédie-Française redonna enfin la version originale de la pièce, abâtardie et affadie pendant près de deux siècles par la version en vers de Thomas Corneille. Ce fut une révélation : on découvrait qu’une pièce du XVIIe siècle pouvait être « moderne ». Aussi ne faut-il pas s’étonner de trouver l’épithète sous la plume de Théophile Gautier. L’ancien « Jeune France » de 1830, celui qui arborait le fameux « gilet rouge » lors de la bataille d’Hernani, reste fidèle à l’enthousiasme de sa jeunesse. Mais enthousiasme pour quoi ? – Pour le personnage de Dom Juan ? pour le fantastique répandu dans la pièce ? ou pour une forme de théâtre plus libre que celle à laquelle les classiques nous avaient accoutumés ? On ne saurait répondre à ces questions sans tenir compte du fait que Molière a eu au moins un prédécesseur en la personne de Tirso de Molina dont L’Abuseur de Séville, antérieur de trente-cinq ans à Dom Juan, inaugurait brillamment le mythe littéraire. I. Le personnage de Dom Juan Il a de quoi séduire un romantique. Mais il restait fruste chez Tirso de Molina. Et peut-être est-il d’une manière générale encore trop tributaire d’un ordre. 6 1. Il a de quoi séduire un romantique « Je suis une force qui va » : le cri du héros romantique vaudrait pour Dom Juan. Il y a en lui quelque chose d’irrépressible. a. Cette force, c’est celle de la jeunesse. C’est le grand argument que le Don Juan de Tirso de Molina emploie pour se justifier auprès de son oncle, Don Pèdre, dans la première scène : « Oncle et seigneur, je suis jeune et tu le fus aussi, et puisque tu connais l’amour, que mon amour trouve grâce à tes yeux. » L’argument porte, et pas seulement sur le personnage de la pièce. Il a de quoi arracher des larmes à tous les romantiques vieillissants qui se rappellent ce que fut leur jeunesse. b. Cette force, c’est celle de la vie. La vie est quelque chose de mouvant. Elle est entraînée par le temps. Donc la fidélité est impossible. C’est le raisonnement du Dom Juan de Molière devant Sganarelle dans la scène 2 de l’acte I. « Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne » (l. 48-50, p. 23). L’oxymore n’atténue même pas la puissance de cette violence que subit le séducteur avant de la faire subir à ses victimes. c. Peut-être même y a-t-il quelque chose de diabolique dans cette force – et en cela elle ne peut que plaire aux romantiques, qui ont été sensibles au mythe de Faust comme ils ont été sensibles au mythe de Don Juan. C’est pourquoi Sganarelle présente son maître à Gusman comme un « grand seigneur méchant homme ». Mais cette interprétation diabolique pourrait avoir quelque chose d’archaïque. 2. Ce qui reste fruste dans le personnage Archaïque, le burlador de Séville l’était à certains égards, et cela parce qu’avant la séduction, il y a la burla. Facétieux comme Till l’Espiègle, Dom Juan veut multiplier les tromperies, les farces. Molière, en atténuant ce trait du personnage, en a quand même conservé quelque chose. 7 a. La fausse promesse de mariage C’est la forme de burla dont le Don Juan de Tirso use à l’égard des roturières, Thisbé et Aminte. Thisbé s’y laisse prendre, malgré son incrédulité première. Aminte est lente à se laisser convaincre, mais elle ne laisse pas d’être éblouie par les promesses du burlador. Le Dom Juan de Molière use encore du procédé (on le voit dans la scène avec Charlotte), mais il l’étend aux aristocrates. C’est ainsi qu’Elvire a été prise au piège, comme une vulgaire paysanne. Il y a, à cet égard, chez le personnage de Molière, une certaine indistinction, bien mise en valeur par Sganarelle dans la scène première : « Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains » (l. 6466, p. 18). b. La substitution Le procédé consiste cette fois à se glisser à la place d’un autre homme, de l’amant. C’est ce qui se passe, chez Tirso, dans l’épisode d’Isabella (où le burlador parvient à ses fins) et dans l’épisode d’Anna (où il échoue). Il y a quelque chose d’élémentaire, et par là de choquant, dans ce procédé grossier auquel Molière a renoncé comme si la finesse de son goût reculait devant quelque chose qu’on pourrait trouver dans les fabliaux du Moyen-Âge. c. La burla généralisée Le Don Juan de Tirso ne trompe pas seulement les femmes, il trompe aussi les hommes. Il suffit de voir comment il en use avec son ancien compagnon de débauches, le marquis de La Mota. Quand il lui emprunte sa cape, ce n’est pas seulement pour tromper Anna, mais c’est pour le plaisir de le tromper, lui, et de lui faire leçon : a-t-on idée, quand on est débauché, de tomber amoureux et de vouloir se ranger ? Avec des procédés moins rudimentaires, le Dom Juan de Molière a encore quelque chose du trompeur universel. C’est bien une manière de burla qu’il exerce sur son père Dom Louis quand, à l’acte V, il prend le masque du nouveau converti. 8 3. Il reste tributaire d’un ordre C’est que Dom Juan, tout désinvolte, tout libertaire qu’il est, reste tributaire d’un ordre. Il est un aristocrate, et fier de l’être. D’où les traits suivants, qui obligent à nuancer le modernisme du personnage. a. Il compte sur son rang pour séduire. C’est surtout vrai pour la séduction des paysannes, qui, comme Charlotte, sont sensibles à son habit chamarré d’or. Mais imaginerait-on qu’Elvire eût quitté aussi facilement pour lui la clôture du couvent s’il n’eût été un aristocrate ? b. Il use de ses privilèges pour agir impunément. Dans la pièce de Tirso, il sait que son père Don Diègue est le grand Chambrier, le juge de Sa Majesté, et qu’il est protégé par lui. Dans la pièce de Molière, Don Louis est le premier à mettre l’accent sur ces facilités que son rang donne à Dom Juan. Son hypocrisie ne sera pas seulement de la fausse dévotion ; elle consistera aussi à s’abriter derrière les conventions aristocratiques. c. Le héros conserve le sens de l’honneur. On le voit quand il vole au secours de Don Carlos attaqué par les brigands. Cet éclat de courage fascine dans un personnage qu’on pourrait considérer comme abâtardi. Et Tirso, allant ici plus loin que Molière, a fait briller cet éclat de courage au moment où Don Juan se rend à la contre-invitation de la Mort. II. Le fantastique Depuis la fin du XVIIIe siècle, le goût du fantastique s’est répandu en Europe. Théophile Gautier écrit lui-même des contes fantastiques. Il a donc été certainement sensible aux apparitions du mort dans Dom Juan, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il juge la pièce « moderne ». L’effet de surprise, le frisson nouveau ne doivent pourtant pas faire oublier que c’est du fond d’un lointain passé que viennent cette croyance et cette peur. Mais c’est aussi l’élément proprement mythique, donc le plus éternel. 1. Un effet de surprise a. Quand Dom Juan invite la statue du Commandeur à dîner, dans cette 9 église sévillane où il s’est réfugié par hasard, il n’y a chez Tirso de Molina aucun effet fantastique, aucune réaction du mort. La seule menace qui reste suspendue est celle de l’inscription qui a été gravée sur le tombeau par l’ordre du roi : « C’est ici qu’attend du Seigneur le chevalier le plus loyal l’instant de se venger d’un traître ». Au contraire, dès cette première rencontre, Molière a ménagé l’effet fantastique : à deux reprises la Statue baisse la tête quand Sganarelle puis Dom Juan lancent l’invitation. Il n’y manque même pas ce doute qui, selon Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique (éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1971), est essentiel au fantastique : le spectateur l’éprouve en même temps que Dom Juan. b. Pour la scène de l’invitation, les deux auteurs ont ménagé le même effet de surprise. Et le spectateur ne peut plus douter. En effet, la Statue de pierre pénètre dans le lieu où Dom Juan est en train de souper. Les coups annonciateurs de son entrée font déjà passer le frisson de la crainte. Le valet apporte un premier témoignage. Puis la Statue paraît. Elle ne fait que passer, ne pouvant s’attarder dans un lieu trop humain, trop frivole, qui ne lui convient pas. c. La scène de la contre-invitation est assez différente dans les deux pièces. Chez Tirso, Don Juan se rend volontairement à l’invitation du mort : il sait donc à quoi il doit s’attendre même si ce qu’il découvre et ce qui l’atteint est de plus en plus surprenant. Chez Molière, la main du mort vient saisir par surprise un Dom Juan qui avait oublié. Mais le spectateur sait bien que c’est le destin qui vient le rechercher, comme le vieillard vient rechercher Hernani à la fin du drame de Victor Hugo. 2. Une croyance ancestrale Paradoxalement, cet effet fantastique moderne repose sur une croyance ancienne, on serait même tenté de dire « archaïque ». Le mort saisit le vif. Or, cette peur des morts que Dom Juan, héros moderne, n’éprouve pas, le valet, lui, l’éprouve parce qu’il est beaucoup plus tributaire des terreurs traditionnelles de l’homme du peuple. On pourrait même être tenté de mettre la Statue de pierre sur le même plan que les superstitions les plus ridicules de Sganarelle : le loup-garou ou le Moine bourru. 10 À décomposer cette crainte traditionnelle, on s’aperçoit qu’elle réunit différents éléments : – la peur de la mort, – la peur de la pierre, – la peur de l’âme qui erre en peine parce qu’elle n’a pas atteint le paradis des bienheureux. Ce dernier point est beaucoup plus explicite dans la pièce de Tirso que dans celle de Molière. La Statue a même une véritable conversation avec Don Juan à ce sujet. 3. Un élément mythique À l’égard du mort, Dom Juan a commis une faute : il s’est moqué de lui. C’est la limite du rire donjuanesque, comme le montrera très bien l’opéra de Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte, Don Giovanni (1787). Cette moquerie est particulièrement sensible dans la pièce de Tirso, où le burlador prend la statue par la barbe et feint de menacer de débattre le cartel avec elle. Chez Molière, la plaisanterie est moins grossière mais il s’y ajoute un froid mépris qui est une faute supplémentaire : Dom Juan délègue Sganarelle vers la Statue pour lui lancer l’invitation qu’il croit plaisante, comme il a délégué Sganarelle vers Elvire dans la scène 3 de l’acte I. À l’acte IV, il essaie d’en user avec le mort comme avec les précédents fâcheux qui se sont présentés sur son chemin, en particulier M. Dimanche. Ce qui est essentiel dans le mythe de Don Juan, et ce qui conserve une force éternelle, c’est ce tabou du mort. Or le dernier geste de Don Juan est de donner la main à la Statue de pierre. Le Don Juan de Tirso le fait par crânerie (« Que dis-tu ? Moi ! Peur ? »). Celui de Molière le fait pour éprouver le surnaturel qui vient le relancer : il veut toucher la Statue comme il a voulu atteindre l’allégorie du Temps avec son épée pour vérifier, dans les deux cas, l’inexistence du surnaturel. C’est en cela sans doute que le Dom Juan de Molière est plus « moderne » que celui de Tirso de Molina. Le Don Juan de Tirso avait les réflexes élémentaires de l’homme d’honneur. Celui de Molière a les réactions d’un intellectuel qui se veut libre penseur. 11 III. Esthétique poétique et dramatique Théophile Gautier appartient à la génération qui a vécu sur la « Préface » de Cromwell (1827), véritable credo artistique des Modernes. Hugo a prôné la libération à l’égard des règles. Il a parlé de « disloquer ce grand niais d’alexandrin ». Il a recommandé le mélange du sublime et du grotesque. 1. La libération à l’égard des règles Le modèle, pour les Modernes, – et jusqu’à aujourd’hui –, c’est Shakespeare. Les dramaturges espagnols du Siècle d’or ont été moins connus d’eux, et il est plus rare qu’on les ait donnés en leçons. Un Lope de Vega n’ignorait pas les règles dites « d’Aristote ». Pourtant la comedia espagnole du Siècle d’or est beaucoup plus libre, plus « baroque » (au sens d’irrégulier) que le théâtre français à l’époque de Louis XIV. L’Abuseur de Séville est divisé en trois « journées ». Le mot n’a aucune valeur temporelle. C’est une certaine succession d’épisodes qui ne correspond même pas à un acte puisqu’on change constamment de lieu à l’intérieur d’une « journée » (un acte qui n’a pas de limite temporelle, et peut même durer bien plus de vingt-quatre heures). Molière connaît, lui, un tout autre état du théâtre. Même dans Dom Juan, il utilise la scène dite « à l’italienne ». Du moins ne s’interdit-il pas de changer de décor pour chaque acte. Il semble même que, pour l’acte III, il ait utilisé deux décors successifs : une forêt à proximité du mausolée où se trouve le tombeau du Commandeur et l’intérieur de ce mausolée. Davantage resserrée dans le temps, l’action excède pourtant les vingt-quatre heures traditionnelles. La véritable unité est, là encore, l’unité d’action ou plutôt ce qu’on pourrait appeler l’unité du personnage : Dom Juan est présent dans vingt-cinq scènes sur vingt-sept. Il est vrai que Sganarelle est plus présent encore, puisqu’on le trouve dans toutes les scènes, sauf la première de l’acte II (ce qui accentue le fait que l’épisode paysan crée une manière de diversion). Le Dom Juan de Molière marque donc, indiscutablement, une victoire sur les conventions. 2. La libération à l’égard du vers Hugo a écrit ses premiers drames en vers, mais en maniant l’alexandrin 12 avec une liberté toute nouvelle. Pourtant, le drame romantique a évolué vers la prose, le plus bel exemple étant sans doute le Lorenzaccio de Musset. a. La comedia espagnole était en vers, mais en vers courts. Sur ce point, Tirso de Molina n’a nullement innové. Il a coulé L’Abuseur de Séville dans un moule parfaitement traditionnel, qui correspond à une autre tradition que la nôtre. b. Ce qui est surprenant, ce n’est pas qu’une comédie de Molière puisse être en prose – il y en a d’autres exemples –, c’est qu’elle soit, comme Dom Juan, en cinq actes et en prose : une comédie noble, en quelque sorte, ambitieuse en tout cas, qui se contente d’une forme vulgaire. La prose confère pourtant à la pièce une vigueur et une liberté qui ont bien de quoi séduire les Modernes : qu’on songe au portrait de Dom Juan par Sganarelle, dans l’exposition (I, 1), ou aux grandes scènes de débat entre maître et serviteur. C’est une autre forme de rhétorique qui est à l’œuvre jusqu’au moment où cette rhétorique se casse le nez (III, 1) et où elle entre en délire (la « fatrasie » de Sganarelle, V, 2). c. Molière n’aurait-il pas eu le temps de mettre sa pièce en vers, comme on l’a parfois prétendu ? Il y a parfois comme une nostalgie du vers (les alexandrins blancs dans les remontrances de Don Louis, à l’acte IV). Mais une mise en vers comme celle de Thomas Corneille s’est révélée une véritable trahison. C’est en retrouvant l’original en prose que Gautier et ses contemporains ont eu l’impression d’être en face d’une œuvre moderne. 3. Le mélange des tons a. On a pu être étonné du langage « cultiste » (orné, précieux) de Thisbé dans la comedia de Tirso de Molina. Théophile Gautier aurait pu y être sensible en tant que théoricien de l’art pour l’art. Mais c’est un effet de théâtre qu’a recherché avant tout le dramaturge espagnol en plaçant dans la bouche d’une simple pêcheuse un langage emprunté qui ne lui convient pas. La chose est d’autant plus piquante que, lorsque les seigneurs se trouvent entre eux (Don Juan Tenorio et le marquis de La Mota), ils usent d’un langage beaucoup plus cru, qui ne va pourtant pas sans quelques détours. 13 b. Molière a au contraire choisi de faire parler les paysans en paysans. D’où, là encore, la division de l’acte II, qui a été pour lui aussi un exercice de style. Sganarelle, quoique sans doute campagnard d’origine, ne parle pas ce langage. Il s’est policé au contact du maître. c. Inversement, les dramaturges n’ont pas hésité à placer des grands morceaux, en haut style : le récit de l’ambassade à Lisbonne dans L’Abuseur de Séville, les scènes avec Don Carlos dans le Dom Juan de Molière. Le comique naîtra précisément de ce contraste où un Moderne comme Gautier trouvera l’alliance du sublime et du grotesque prônée par Hugo. Conclusion Le sujet de Dom Juan était moderne : il ne remonterait pas plus loin que 1630 et la pièce de Tirso de Molina. Si le dramaturge espagnol avait représenté un personnage d’un siècle antérieur comme un jeune noble dépravé de son temps, Molière a coupé court avec toute référence historique, et il a mis en scène le seigneur libertin tel qu’il pouvait le connaître. Moderne de son temps, ce personnage pouvait paraître encore moderne à Théophile Gautier, au XIXe siècle, comme s’il y avait en lui du romantisme avant la lettre. Le surnaturel, issu lui aussi du fond des âges, prenait des allures de fantastique moderne. Libérée du vers, la comédie de Molière évoluait vers le drame tel que le voudra Hugo. On comprend donc que Gautier ait jugé Dom Juan « moderne ». À certains égards, L’Abuseur de Séville l’était déjà, mais d’un modernisme paradoxal qui prenait sa source dans un certain archaïsme. Molière est allé audelà de cet archaïsme. Pour cette raison, Dom Juan est une pièce ouverte, qui a pu être adaptée au gré du temps, et qui peut paraître encore aujourd’hui actuelle. Elle doit une partie de cette actualité au mythe de Don Juan, qu’elle a contribué à créer au même titre que l’œuvre fondatrice, mais encore plus pour des Français. 14 Lectures complémentaires Le livre de Jacques Guicharnaud restant la référence majeure, nous indiquons ici d’autres livres importants qui seront sollicités au cours des présentations suivantes : – Paul Bénichou, Morales du Grand Siècle, Gallimard, 1948, rééd. Idées Gallimard, 1970. – René Bray, La Formation de la doctrine classique, Nizet, 1951. – Michel Serres, Hermès I. – La Communication, éd. de Minuit, coll. « Critique », 1968 (p. 233 et suivantes : « Apparitions d’Hermès : Dom Juan »). – Giovanni Dotoli, Le Jeu de Dom Juan, Schena/PUPS, 2004. Il sera utile de consulter une grande histoire de la littérature française au XVIIe siècle, à commencer par l’importante série de volumes d’Antoine Adam, Domat, 1948-1956 ; excellente synthèse dans le Précis de littérature française du XVIIe siècle dirigé par Jean Mesnard, Presses universitaires de France, 1990. Pour d’autres lectures, nous conseillons l’anthologie qui suit l’étude dans le livre de Jean Rousset (Le Mythe de Don Juan, Armand Colin, 1978). Plus que l’adaptation en vers de Thomas Corneille, qui reste une curiosité, certains textes parfois brefs alimenteront utilement la réflexion : Alfred de Musset, Namouna ; Charles Baudelaire, « Don Juan aux Enfers », dans Les Fleurs du mal ; les pages d’Albert Camus sur le donjuanisme dans Le Mythe de Sisyphe et, trop peu connu, l’admirable poème d’André Frédérique (1915-1957), intitulé « Don Juan », catalogue de conquêtes qui s’achève par : « Mais c’est toi que j’aime, ô la suivante. » On trouvera ce texte d’un écrivain trop rare dans le dossier spécial « André Frédérique » de Poésie I, Le magazine de la poésie, éd. du ChercheMidi, n° 32, décembre 2002, p. 62-64. 15 POUR COMPRENDRE : quelques réponses, quelques commentaires Étape 1 [Vue d’ensemble de la comédie, p. 140-141] 1 La pratique du double titre est fréquente au XVIIe siècle. Le Don Juan espagnol ne déroge pas à la règle, puisque dans le recueil de 1630, la comedia de Tirso de Molina était intitulée El Burlador de Sevilla, y combidado de pietra (ce qu’on peut traduire par : « L’Abuseur de Séville et le Convive de pierre »). Le mot final étant écrit ici avec une minuscule, il s’agit bien du matériau, et le convive de pierre est la statue. Mais la tradition italienne, mieux connue de Molière que la tradition espagnole, a donné le nom de Pierre (Pietro) au Commandeur. Molière la suit dans le second titre, orthographié Le Festin de Pierre. Rien pourtant dans le texte de la comédie de 1665 ne vient confirmer qu’il donne le nom de Don Pierre au Commandeur défunt. Il n’est même pas nécessaire de supposer une charge symbolique quelconque (Don Pierre et saint Pierre). On sait en outre que Molière n’a pu publier lui-même le texte de sa comédie. 11 La comparaison entre Dom Juan et Valmont est complexe. On renverra ici à l’entrée « Valmont » dans le Dictionnaire de Don Juan (Robert Laffont, Bouquins, 1999, p. 986-990). Comme l’explique Marie-Luce Colatrella, auteur de cet article, Laclos n’a connu que l’adaptation de Thomas Corneille et ne s’y réfère jamais explicitement. Et Jean Rousset, dans son livre sur Le Mythe de Don Juan, a insisté sur le fait qu’il n’y a pas, dans Les Liaisons dangereuses, de rencontre avec la statue de pierre. Si Valmont multiplie les conquêtes féminines, s’il tire du plaisir de l’infidélité, s’il met en place une stratégie de la conquête comme Dom Juan, le nouvel Alexandre, il fait preuve de plus de prudence. Il compte sur la lenteur, comme Dom Juan (acte I, scène 2), mais il n’use pas des fausses promesses de mariage et il n’est pas, comme son prédécesseur, un être de fuite. Libertin, il use comme Dom Juan de la conversion comme dernier recours 16 (lettre CXX dans Les Liaisons dangereuses). Valmont est tué en duel par le jeune chevalier Danceny, qui n’est ni un envoyé du Ciel ni un émissaire de l’enfer. Comme l’écrit encore Marie-Luce Colatrella, « l’univers de Valmont n’a pas de profondeur infernale ou céleste, et la scène où il évolue se limite au monde ». Étape 2 [Ouverture et exposition, p. 142-143] 6 Non seulement l’entrée en scène de Dom Juan est retardée, mais encore son nom n’est introduit qu’après un certain temps. Sganarelle a commencé par parler du tabac au lieu de parler explicitement de lui. Puis il l’a désigné comme « mon maître », appellation reprise par Gusman dans sa réplique. C’est pourtant Gusman qui est le premier à prononcer le nom redoutable. Deux questions successives mettent en valeur à la fin « Dom Juan » et « Done Elvire », les deux « époux » unis hier, aujourd’hui distants : « Quoi ! ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ? » (l. 29-31, p. 16). Le conditionnel exprime une vérité longtemps refusée qu’il faut enfin se résigner à admettre, si scandaleuse soit-elle. – Le séducteur La première antithèse est celle du froid et du chaud : si Elvire a été touchée « trop fortement » (c’est-à-dire très fortement) par la « passion », Dom Juan semble avoir manifesté « quelque froideur » en la fuyant. La métaphore n’appartient pas au vocabulaire fruste de Sganarelle, mais au langage de Gusman qui, comme l’a fait observer Jacques Guicharnaud, « parle comme un héros de roman précieux », étant « le reflet inconscient de ses maîtres, sans coïncider avec eux ». En réalité, Dom Juan passe d’un brusque embrasement à une froideur qui n’est pas moins brutale. La séduction donjuanesque est dans cette mobilité, dans ce passage très rapide du chaud au froid. – Homme de qualité ou homme sans qualités ? Le rang de Dom Juan, sa naissance devraient le tenir au-dessus de toute bassesse. À l’idéal de l’« honnête homme » succède celui de l’« homme de 17 qualité », et on pourrait penser que l’une (la qualité, c’est-à-dire la naissance) ne va pas sans l’autre (l’honnêteté, c’est-à-dire l’élégance de la conduite). C’est sur cette adéquation que Sganarelle semble avoir les plus grands doutes. La notion de qualité, devenue ambiguë, se trouve mise en question. Il faut suivre ici l’enchaînement du dialogue, qui est remarquable (p. 16-17) : SGANARELLE. – Non, c’est qu’il est jeune encore, et qu’il n’a pas le courage… GUSMAN. – Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ? SGANARELLE. – Eh oui, sa qualité ! la raison en est belle, et c’est par là qu’il s’empêcherait des choses. Sganarelle est interrompu sur le mot « courage », qui est lui-même ambigu (bravoure/cœur). Gusman, qui prend les mots au pied de la lettre au lieu de raffiner sur leur signification, établit immédiatement l’équation « qualité = courage », et fonde sur elle son étonnement. Sganarelle, au contraire, ne considère pas cette qualité comme une garantie suffisante. Qualité, pour lui, n’égale rien, et surtout pas cette honnêteté au nom de laquelle il parlait si volontiers dans son éloge du tabac. – L’épouseur Autre garantie, pour le bon Gusman : « les saints nœuds du mariage ». Donc, ni une qualité native, ni une assurance donnée par la société, mais une institution religieuse qui associe l’échange des consentements et le sacrement. Or, Dom Juan n’est ni l’homme de l’échange, ni celui du respect du sacré (ce que montrera par la suite sa conduite à l’égard du mort). Cette définition négative de Dom Juan n’est pas encore explicite, elle se laisse deviner. Dom Juan laisse croire à chacune de ses victimes qu’il l’épouse. Elvire l’a cru, comme les autres, mais elle n’est pas plus l’épouse que les autres (Don Carlos s’en rendra compte puisqu’il demandera à Dom Juan dans la scène 3 de l’acte V de le « voir publiquement confirmer à (sa) sœur le nom de (sa) femme » (p. 130). Le dialogue s’arrête sur une pause, il est suspendu sur un mystère : « Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan ». Il y a quelque condescendance dans cette réplique. Comme le note Jacques Guicharnaud, 18 « emporté contre son gré dans l’aventure donjuanesque, Sganarelle s’en nourrit pour se gonfler, pour se bâtir une supériorité ». Il n’est plus question d’« honnête homme », ni d’« homme de qualité », mais d’« homme », tout simplement, un homme qui est un sujet d’étonnement et de scandale comme l’est l’homme pour Pascal, qui devrait être ange par sa qualité et qui est peut-être plutôt bête par sa conduite. Ou l’homme sans qualités – dans un autre sens que celui du grand roman de Robert Musil. 10 Le livre de Michel Serres, philosophe contemporain, membre de l’Académie française, s’intitule Hermès I. – La Communication. Il a paru aux éditions de Minuit en 1968. Il s’achève sur une conclusion « Apparition d’Hermès : Dom Juan », qui est une remarquable analyse de la comédie de Molière à partir de l’éloge du tabac fait par Sganarelle dans la première scène. Michel Serres (p. 234-235) montre la symétrie entre la vaine demande finale de Sganarelle « Mes gages ! mes gages ! » et l’éloge du tabac au lever de rideau. « Dès l’ouverture, écrit-il, la loi qui va dominer la comédie, loi transgressée pour partie au bilan final, loi bafouée en toute péripétie, est prescrite sur un modèle réduit. Comment devenir vertueux, honnête homme ? Par l’offrande avant le souhait, par le don qui anticipe la demande, par l’acceptation et le retour. » Celui qui méprise le tabac, comme Dom Juan, n’a pas le sens de l’échange, de la réciprocité. C’est une sorte de tare, de vice fondamental, dont Michel Serres étudie les conséquences en analysant « les trois conduites de Dom Juan, vis-à-vis des femmes, du discours, de l’argent ». Sa conduite à l’égard des femmes prouve qu’il n’a pas le sens de l’autre. Le discours, pour lui, tourne au monologue ou à la parade. Il élude ses dettes, tant à l’égard de son créancier, M. Dimanche, qu’à l’égard de son employé, Sganarelle. Étape 3 [Dom Juan, homme-théâtre, p. 144-145] 2 Il sera intéressant d’étudier dans l’ensemble de l’acte I, et particulièrement dans les scènes 2 et 3, l’alternance des répliques plus ou moins serrées dans le dialogue et l’insertion de tirades avantageuses pour Dom Juan, et 19 qu’il arrive même à Sganarelle de croire avantageuses pour lui-même. On trouvera une bonne analyse à ce sujet dans le livre de Jacques Schérer (Sur le Dom Juan de Molière, SEDES, 1967, p. 65-67). Il note que « la première scène de la pièce commence par une tirade de Sganarelle sur le tabac et se termine par une tirade du même Sganarelle sur son maître. La deuxième scène compte une longue tirade de Dom Juan sur les plaisirs des changements amoureux, une tirade de Sganarelle (le bien-pensant !) contre les libertins, une tirade de Dom Juan sur la fiancée qu’il convoite (annonce de ce qui se passera entre l’acte I et l’acte II et que Molière nous donne pour une grande part à imaginer). À la scène 3, nous écoutons deux tirades d’Elvire ; Dom Juan lui répond sous la même forme ». Les schémas sont les suivants : – acte I, scène 1 : tirade 1/dialogue/tirade 2 (avec un effet de contraste entre les deux tirades) ; – acte I, scène 2 : dialogue/tirade de Dom Juan (le conquérant)/dialogue/tirade de Sganarelle contre les libertins (jeu de la simulation) dialogue/tirade de Dom Juan (célébration des charmes de la jeune fiancée)/dialogue ; – acte I, scène 3 : dialogue/tirade d’Elvire (les soupçons)/dialogue/ tirade 2 d’Elvire (comment Dom Juan devrait répondre)/tirade en réponse de Dom Juan (jeu de la simulation, tout en se présentant comme incapable de dissimuler)/dialogue/brève tirade d’Elvire (le courroux éclate)/fin du dialogue. 10 Il s’agit ici d’un exercice d’imagination, non d’une question à laquelle on puisse répondre. Voici du moins quelques pistes : – La stupéfaction d’un naïf : car ce dernier mot traduit assez bien l’expression utilisée par Dom Juan dès le début de la scène 2, le « bon Gusman de Done Elvire ». Cette stupéfaction exclut-elle une certaine admiration devant le panache de Dom Juan (la tirade du conquérant) ? Une telle question a sa place dans le débat. – La dénonciation d’un scandale : le monde des valeurs morales et sociales dans lequel se place Gusman n’a rien à voir avec le monde bouleversé par le défi permanent de Dom Juan. Mais en même temps le défi de Dom Juan 20 n’a peut-être de sens que dans un tel monde : nouvelle question à introduire dans le débat. – La volonté de voler au secours d’une grande dame bafouée : Gusman n’est pas un valet comme Sganarelle, il est un « écuyer ». On peut donc imaginer que, dans la scène 3 (s’il y assistait), non content de se ranger du côté de sa maîtresse, il serait déjà prêt à assumer la vengeance dont elle menace Dom Juan (on peut penser au rôle de Don Ottavio, le cavalier servant de Donna Anna dans le Don Giovanni de Mozart). Étape 4 [L’idylle troublée, p. 146-147] 1 La densité de l’acte II pourrait amener à mettre en valeur la virtuosité de Molière dans l’agencement de sa comédie. Ce que René Bray a appelé une « série de sketches » se trouve uni par un système habile de correspondances, permettant donc que tout soit lié à un ensemble. Sketch, par exemple, la description de l’habit de Dom Juan. Ce vêtement somptueux est soumis à trois regards : celui de Pierrot (l’étonnement), celui de Charlotte (l’envie, et déjà le désir), celui de l’auteur (la satire). Comme l’a fait observer J. Guicharnaud, « l’auteur se sert de la naïveté de son personnage (Pierrot ou Charlotte) pour présenter chaque pièce du vêtement sous un jour insolite et ridicule ». C’est la technique qu’utilisera Montesquieu pour décrire les habits des Persans dans les Lettres persanes. Le système des correspondances est déjà engagé : sous couvert des paysans, Molière dénonce l’excès de complication de l’habit du seigneur comme Dom Juan lui-même dénoncera l’excès d’emphase dans le mausolée du Commandeur (acte III, scène 4). Autres correspondances : le couple Pierrot/Charlotte et le couple des fiancés (voir la question 4), ou encore Charlotte/Pierrot comme couple inversé du couple Dom Juan/Elvire (le plaignant est ici l’homme). L’ensemble : comme l’a fait observer J. Guicharnaud, « une des fonctions de ce deuxième acte est de dégonfler, au moins partiellement, un personnage dont la grande allure, la séduction et les victoires au cours du premier acte risquaient de le faire échapper au jugement comique ». Il y a aussi continuité dans l’agencement dramatique : J. Guicharnaud fait observer très justement (p. 238) que Mathurine est l’obstacle qui naît du 21 donjuanisme même, ou de la conduite donjuanesque avec ses effets d’accumulation. 11 – Artifices du langage dramatique : Molière crée une langue paysanne de composition, fondée sur le principe de la déformation (il sera facile de le montrer en prélevant quelques exemples comme « éplinque » (épingle), « pisque » (puisque), « s’esquiant » (s’étaient). Savoureux, ce « patois » peut gêner le lecteur ou le spectateur moderne. Sur cette question, voir le développement sur « La langue du peuple » (p. 178-183) dans l’ouvrage cité de Giovanni Dotoli, Le Jeu de Dom Juan. – Artifices de la composition dramatique : le « ballet » CharlotteMathurine autour de Dom Juan aboutit à des effets de symétrie qui auraient quelque chose de raide si Sganarelle ne venait troubler le jeu (scène 4). – Artifices des péripéties : la barque renversée au début de l’acte, la poursuite des hommes à cheval dont La Ramée avertit Dom Juan à la fin de l’acte. C’est l’intrusion du romanesque dans l’action dramatique et, à cet égard, le deuxième acte est le moins sobre de la pièce. 13 Une précaution tout d’abord : la cruauté, au sens qu’Antonin Artaud donne à ce terme (les « lettres sur la cruauté » dans Le Théâtre et son Double, Gallimard, 1938), ne peut trouver ici qu’un équivalent approché : les forces secrètes qui sont à l’œuvre dans le monde et qui pèsent sur l’homme se réduisent à des circonstances extérieures (la secousse qui a renversé la barque, la troupe d’hommes à cheval). Mais on se rend bien compte que, déjà, Dom Juan est un homme menacé, traqué, soumis à un destin qu’il nie obstinément. Dom Juan s’amuse avec les deux paysannes comme un chat avec des souris. Avant de les dévorer (du moins le désire-t-il, mais il ne pourra aller jusqu’au bout de son entreprise), il joue de leur naïveté, de leur coquetterie, de leur vanité, de leur jalousie. Mais cette jalousie même est l’indice d’une possible cruauté en Charlotte et en Mathurine. Chacune est prête à dévorer l’autre : reproche de Mathurine à Charlotte, sens de la priorité chez celle-ci, pugilat verbal (scène 4). 22 Étape 5 [L’ombre du Quémandeur, p. 148-149] 1 La clef d’interprétation de Dom Juan fournie par Michel Serres peut orienter un commentaire de cette scène brève, mais essentielle. 1) Cette scène du Pauvre est bien fondée sur la loi de l’échange : – Le Pauvre donne quelque chose : le renseignement sur le chemin, assorti de l’avertissement : « Je vous donne avis ». Cela semble appeler une contrepartie : une aumône, un louis d’or, que Dom Juan tarde à donner, parce que cet avis du Pauvre lui semble intéressé. – Selon le Pauvre, cette aumône aura elle-même une contrepartie : « toute sorte de biens » que le Ciel donnera en retour au généreux donateur. – Puisque le Pauvre donne sa prière au Ciel, il devrait recevoir quelque chose. Or, Dom Juan démontre que le Ciel ne donne rien à celui qui prie, ni habit, ni argent, pas même un morceau de pain. – Dom Juan finit par donner un louis d’or. Mais il ne voudrait pas que ce don fût considéré comme un don du Ciel. C’est pourquoi il impose d’abord une contrepartie – un juron, c’est-à-dire un blasphème, un reniement du Ciel –, ensuite une interprétation : « pour l’amour de l’humanité », et non pour l’amour de Dieu. 2) Michel Serres ne fournit pas tous les points du schéma précédent, mais il insiste sur les points suivants : – L’aumône, c’est en principe le don sans contrepartie (de même offret-on du tabac à celui qui en est démuni, sans exigence de retour). Le donateur donne l’aumône sans avoir l’assurance de recevoir en retour toute sorte de biens, comme le laisse ici espérer le Pauvre. – Ou plutôt, s’il y a contrepartie de l’aumône, elle rompt avec la loi du don : ce n’est pas bien matériel contre bien matériel, mais bien spirituel contre bien matériel, ou, mieux, c’est prière, et par là espoir d’un bien spirituel. – Dom Juan demeure au croisement : il demande une contrepartie, mais elle n’est pas du même ordre : « Voici un louis, donne-moi un mot (le juron), et tout à l’heure, voici un louis pour l’amour de l’humanité. » 23 Étape 6 [La provocation inutile, p. 150-151] Le développement ci-dessous répond à l’ensemble des questions de la rubrique « Lire ». Dom Juan est l’homme de la négation plus que l’homme de l’affirmation. Sa conduite devant la statue du Commandeur en témoigne. Elle est dans le droit fil de celle qui a été la sienne depuis le début de la comédie et singulièrement depuis le début de cet acte. Sganarelle pressent que la Statue a quelque chose d’inquiétant, qu’elle l’est comme le Moine bourru. C’est la statue d’un homme mort, et même d’un homme tué par Dom Juan (mais, contrairement à la comedia de Tirso, contrairement à l’opéra de Mozart, le Commandeur n’a de lien de parenté avec aucun des personnages de la pièce ; il n’y a pas ici l’équivalent d’Anna). Dom Juan s’amuse à penser que cette statue puisse avoir les réactions d’un être vivant (« c’est une visite dont je veux lui faire civilité, et qu’il doit recevoir de bonne grâce, s’il est galant homme »). En fait, bien sûr, il n’en croit rien : d’où l’invitation à souper, dont il charge Sganarelle, puis dont il se charge lui-même. Elle est moquerie à l’égard du mort, elle veut aussi être la preuve de l’inexistence de toute vie, de toute survie dans cette effigie du mort. Économe de ses paroles, Dom Juan veut en quelque sorte prouver cette inexistence par de l’action. A-t-il été ébranlé par les signes de la tête ? La première fois, il n’a peutêtre rien vu, et il s’emporte contre son superstitieux, son couard de valet. La seconde fois, il a sans doute vu, mais il s’entête à ne rien voir. Dom Juan est de ceux qui sont capables de regarder sans vouloir voir. Son silence est plus remarquable que jamais à la fin de cet acte. Ce n’est pas un silence d’indifférence. C’est l’obstination du libertin actif dans la négation. Étape 7 [La galerie des fâcheux, p. 152-153] 1 L’acte IV correspond à un nouveau départ dans Dom Juan. La « série » est redévidée, et elle devient « galerie des fâcheux ». C’était, on le sait, le titre d’une comédie de Molière. Comme l’a fait observer Jacques Guicharnaud (p. 279), « la structure de l’acte, sous forme de sketches séparés, inattendus, correspond au surgissement inattendu d’un passé oublié 24 par Dom Juan ». À partir de là, la tactique de Dom Juan « consiste purement à effacer délibérément ce qui se présente ». Il faut ajouter : mais il est loin d’être sûr qu’il y parvienne ! 2 Scène 1 : le passé est ici le passé immédiat, les deux signes de tête faits par la Statue de pierre. Le fâcheux, c’est alors le souvenir du surnaturel, souvenir que Sganarelle, autre fâcheux, veut rappeler, et qu’au contraire Dom Juan veut abolir ou même nier. 3 Scène 2 : M. Dimanche (on observera qu’il porte un nom à connotation religieuse) représente l’obligation de Dom Juan à l’égard de la société marchande. Mais le héros ne veut pas plus se soucier de ses dettes que des gages de son valet : il les efface de ses préoccupations, même s’il dit le contraire pour garder les formes, et par habileté. 5 Scène 4 : Don Louis représente non seulement l’autorité paternelle (ici bafouée), mais l’obligation de Dom Juan envers l’aristocratie. Comme l’observe J. Guicharnaud (p. 283), Don Louis « dégage le sens de la vie de Dom Juan, sur le plan humain, en insistant sur ce qu’elle n’est pas. Sur ce fond de très haute obligation se détache la silhouette noire de Dom Juan ». Le changement de rythme est dû à l’immense tirade de Don Louis, véritable sermon auquel Dom Juan répond avec la brièveté de l’insolence la plus coupante. Est-ce à dire qu’il n’écoute pas, comme le suggère J. Guicharnaud ? Il est sans doute plus juste de dire qu’il entend sans vouloir entendre. 6 Scène 6 : Elvire vient de la part du Ciel, ou du moins elle se présente comme telle. Se pose la question des transformations d’Elvire. Elle apparaît à Dom Juan lui-même comme « bien changée ». On observera : – qu’il y a une transformation antérieure à la scène ; – qu’un changement se produit en Elvire au cours même de la scène ; – que cette transformation est d’autant plus sensible qu’on assiste d’autre part à un non-changement radical de Dom Juan. Tout au plus éprouveraitil en la voyant une titillation érotique nouvelle, parce que celle qui était sa proie lui échappe désormais. 25 11 Le souper est défini dans le dictionnaire de Littré (qui s’appuie sur des exemples classiques) comme le « repas ordinaire du soir ». Mais c’est plus particulièrement un repas délicat, aux mets choisis, entre intimes (« ces petits soupers délicieux » dont parle Diderot dans l’une des citations faites par Littré). Inviter quelqu’un à souper est alors lui faire une faveur : c’est donc l’une de ces « grandes civilités » que Dom Juan fait à M. Dimanche – lequel ne veut pas y croire, est plutôt gêné par cela et finit par couper court, car il aimerait mieux récupérer son argent que d’être compté par Dom Juan au nombre de ses amis. Cette réplique de la scène 3 (« Oh çà, Monsieur Dimanche, sans façon, voulez-vous souper avec moi ? », l. 64-65, p. 105) est à mettre en relation avec la précédente invitation lancée à la Statue du Commandeur (acte III, scène 5, l. 74-75, p. 96 : « Le Seigneur Commandeur voudrait-il venir souper avec moi ? »). On se rend compte que, d’acte en acte, Dom Juan mène un jeu pervers et subtil : se créer un réseau d’amis, ou prétendus tels (lui qui n’en a pas, et ne peut en avoir), donc dévaluer cette notion même d’amitié ; feindre d’abolir les frontières (entre les vivants et les morts, entre les aristocrates et les roturiers) tout en ayant un sens aigu de ces différences (c’est un trait de son cynisme) ; tout ramener à lui, en ramenant à sa table qui serait un point de commandement. Étape 8 [Invitation et contre-invitation, p. 154-155] 3 Dom Juan a pris la vie du Commandeur. Malgré la grâce qu’il en a reçue (cela signifie qu’il a été disculpé, qu’il a bénéficié d’un non-lieu), la dette n’est pas épuisée. C’est la loi du talion : non pas œil pour œil, dent pour dent, mais vie pour vie. C’est à table que cette dette doit se régler. Il faut se rappeler que, dans la comedia de Tirso de Molina, le festin devait être le lieu du cartel, c’est-à-dire de l’impensable, de l’impossible duel avec la statue du Commandeur. Et dans l’opéra de Mozart, c’est au beau milieu du festin que Don Giovanni paiera sa créance. Or, dans la pièce de Molière, ce n’est pas au cours du souper que la dette se paie : à mort pour mort, il semble que le héros cherche à substituer précisément vie pour vie (du vin, des chansons). La dette se paiera lors de la contre-invitation (V, 6), qui, chez Molière, n’est pas un fes- 26 tin, mais bien plutôt un festin manqué, la Statue venant rappeler à Dom Juan la contre-invitation qu’il lui a lancée. Le système de l’invitation et de la contre-invitation, c’est le système même de l’échange. Comme l’écrit Michel Serres, « dans l’échange des invitations à souper, dans l’aller et retour des visites, curieusement, tout le monde est de bonne foi ». Mais la bonne foi n’est pas plus que la foi la caractéristique de Dom Juan. Après avoir dit « Oui, j’irai » (IV, 8), il cherchera à ruser avec cette règle suprême et ainsi, presque jusqu’au bout, l’échange donjuanesque n’est qu’un échange truqué. 10 Cette notion de potlatch, qu’il peut paraître incongru de faire intervenir ici, contient deux éléments aisément repérables et déjà repérés dans Dom Juan : – le sens de l’échange que Sganarelle a prôné dès l’éloge initial du tabac et que Dom Juan n’a pas (voir plus haut la réponse à la question 10 de l’étape 2) ; – la substitution opérée par Dom Juan qui laisse miroiter trop à quelqu’un qui, par son état (la mort) ou par son rang (la roture), ne peut accéder au don offert : c’est de nouveau l’invitation à dîner (voir la réponse à la question 11 de l’étape 7). Le don offert a alors quelque chose de gênant pour celui qui devrait et ne peut pas en être le bénéficiaire. Étape 9 [Dom Juan Tartuffe, p. 156-157] Remarques sur la signification de l’épisode Ce n’est pas un « détour », comme l’a suggéré Jacques Guicharnaud, et il n’est pas juste non plus de dire, comme ce même commentateur, que Dom Juan « se déguise en dévot ». Il y a bien plutôt une logique dans la création moliéresque et dans la progression dramatique. La première intention est sans doute une intention polémique, puisque la création de Dom Juan se situe en pleine bataille de Tartuffe. Molière a pu exercer son regard critique aigu sur la conversion brutale du prince de Conti, son ancien protecteur, sur des dévots ou faux dévots de la cour, et surtout sur les associations de dévots comme la Compagnie du Saint- 27 Sacrement. Mais il faut éviter de pousser à l’extrême cette intention polémique, plus circonstancielle que profonde, et vraisemblablement exagérée par certains historiens de la littérature. La deuxième raison est une raison dramatique. Dom Juan est acculé. C’est, comme l’écrit cette fois très justement J. Guicharnaud (voir p. 296 et suivantes), le « dernier recours d’un homme menacé par le monde au nom du Ciel » et donc « un recours qui s’est, en quelque sorte, offert de lui-même ». Ce recours a été tardif parce que l’arsenal dont disposait Dom Juan était jusqu’ici suffisant ; « mais maintenant, par la bouche des hommes et par le truchement d’un prodige, le divin s’est vraiment mis de la partie. Dom Juan a besoin d’une autre arme ». Donc « on apaisera les croyants en leur promettant de faire pénitence – et peut-être, du même coup, apaisera-t-on le Ciel ». La troisième raison est d’ordre psychologique. Dom Juan éprouve un plaisir pervers à faire l’hypocrite. Étape 10 [Le triomphe du surnaturel, p. 158-159] 9 Comme l’écrit Jacques Guicharnaud (p. 219), « le Ciel est ici arme de destruction, non source de grâce ». On peut penser que peu de place est faite à la grâce divine dans la comédie de Molière. Elle est représentée pourtant d’une certaine manière par Elvire, ou du moins par l’un des visages d’Elvire que Dom Juan n’a pas su voir. C’est que, comme le fait observer Paul Bénichou (Les Morales du Grand Siècle, p. 280), « Dom Juan court le monde en défiant Dieu, qui n’a pas de prise sur son âme. À ce conflit ouvert, il n’est pas d’autre solution que la foudre finale ». La loi du talion trouve ici sa suprême illustration : Dom Juan, on le sait, ne rend pas ce que l’autre lui donne ; à une femme il demande la main, sans lui donner sa main par mariage. Et c’est pourquoi la Statue exige sa main, pour l’entraîner en enfer. Dom Juan suscite le feu de l’amour, et il joue avec lui ; il est repris par le feu de l’enfer. 10 « Ah ! mes gages ! mes gages ! » : cette parole de théâtre a fait scandale ; on a voulu parfois la supprimer, alors qu’elle est essentielle pour la compréhension de la comédie. C’est, écrit Michel Serres, « le mot de la fin, comme de juste, c’est la morale de l’histoire : rupture de contrat, reniement de 28 parole, abus de confiance, foi surprise. Méchant homme, mauvais payeur, le maître n’a point honoré sa promesse ». Et c’est là que le philosophe place son analyse de l’éloge initial du tabac, pour montrer la cohérence de la pièce. Sganarelle est la première et la dernière victime du refus donjuanesque de l’échange ou, si l’on préfère, de la pratique donjuanesque du non-échange. Quelques remarques supplémentaires à ce propos : – Le cri de Sganarelle se comprend mieux si l’on sait que les gages n’étaient traditionnellement versés qu’au terme de l’engagement. – Si ce n’était que cela, on ne comprendrait pas que cette revendication, apparemment banale, ait été supprimée. C’est qu’il existe un système de rétribution générale, universel en quelque sorte. Et dans ce système, il n’y a qu’un insatisfait, c’est Sganarelle, parce qu’à certains égards son maître était son dieu. – Les autres sont satisfaits, et Sganarelle en établit le catalogue : « Voilà par sa mort un chacun satisfait : Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content » (p. 137). Sganarelle est le seul exclu de la liste qu’il tient, le seul donc que laisse insatisfait la mort de Dom Juan. 12 Il peut paraître inadéquat de parler de « logique » alors qu’on est dans le domaine du surnaturel – du terrifiant plus que du merveilleux. Pourtant le texte dramatique de Molière contient les indices d’un déroulement logique : « et » a valeur de « donc » dans l’avertissement du Spectre, au début de la scène 5 (p. 134) ; Dom Juan cherche une preuve, alors que, selon Sganarelle, les preuves abondent, et c’est comme si le héros, poussé dans ses derniers retranchements, refusait l’évidence du « donc » (p. 135). Dans la scène 6, la Statue va au bout des conséquences : conséquence de l’acceptation d’une invitation (Dom Juan est obligé d’en convenir et de répondre « oui ») ; conséquence de « l’endurcissement au péché » malgré les avertissements (« traîne » : entraîne une conséquence, p. 136). La scène offre une mise en image d’une telle conséquence : l’abîme de feu. © Éditions Magnard, 2004 www.magnard.fr