Évaluation de l’influence des Nouvelles Technologies à l’école primaire : une nécessaire référentialisation Jacques Audran Doctorant Université de Provence - Laboratoire CIRADE Département des Sciences de l’Education Mail : [email protected] Résumé : Une des préoccupations politiques du moment, en matière d’éducation, est d’évaluer l’influence de ce que l’on nomme communément les Technologies de l’Information et de la Communication sur le système éducatif. Une entrée possible consiste à concevoir un système de références dont l’un des éléments peut être l’analyse de pages sur le World Wide Web. Toutefois examiner des pages électroniques sur Internet rend délicate l’élaboration d’une méthodologie propre à construire une grille d’hypothèses fiable. 1 Évaluation de l’influence des Nouvelles Technologies à l’école primaire : une nécessaire référentialisation 1. INTRODUCTION 1.1 Technologies et réseaux à l’école On assiste, dans le champ éducatif, à une entrée en force de ce qu’il est convenu d’appeler les réseaux de communication. Se connecter à Internet est devenu, semble-t-il, un objectif prioritaire pour les responsables de la politique éducative des pays occidentaux. Des programmes de connexion à Internet, le “ réseau des réseaux ”, très volontaristes sur le continent nord-américain, tracent une sorte de “ voie à suivre ”, rarement discutée, ni remise en cause, et l’objectif affiché des gouvernements européens semble être de combler un “ retard ”, que les médias stigmatisent sans cesse. Comme le montre WOLTON (1999), le thème du “ retard ” constitue souvent l’argument principal du discours politique dominant et privilégie la focalisation sur le développement des technologies de la communication au détriment de la réflexion sur les liens qui peuvent exister entre les systèmes techniques et l’évolution des modèles sociaux et culturels. L’orientation de ce travail de recherche est marquée par le souci de mettre en évidence ces liens souvent peu visibles. Selon la distinction faite par WARIN (1993), les travaux d’évaluation portant sur les politiques publiques peuvent s’inscrire soit dans la construction d’une “ aire d’intelligibilité ” permettant de mieux comprendre le rôle des acteurs dans le contexte, soit dans le repérage des “ dysfonctionnements ou des efficacités ” de ces politiques. Le travail présenté ici s’inscrira délibérément dans la première catégorie d’approche, et s’intéressera tout particulièrement à décrire la méthodologie développée. 1.2 Une évaluation nécessaire Bien que l’on n’ait pas une idée précise du bénéfice que l’on peut attendre de la diffusion et la banalisation du recours aux réseaux informatiques dont l’Internet constitue l’archétype, il semble impensable que les nouvelles générations ne soient formées à l’usage de ce nouveau médium. Sur le plan sociétal, certains penseurs entrevoient des transformations radicales des rapports aux média (Mc LUHAN, 1968) ou l’apparition d’une intelligence collective (LEVY, 1997). En conséquence, nombreux sont les chercheurs dans le domaine de l’éducation qui défendent l’idée qu’il est indispensable de former les jeunes à l’usage de ces nouvelles technologies (PERRIAULT, 1989) (BARON, BRUILLARD, 1996) et de promouvoir dans le système éducatif “ la nécessité d'un minimum de culture générale "informatique" s'appuyant sur un socle raisonné de connaissances et de savoir-faire progressivement appris tout au long de la scolarité ” (POUZARD, 1998) afin que les nouveautés technologiques puissent être versées au bénéfice du plus grand nombre. Toutefois, nous sommes encore dans une 2 période de transition où l’on ne perçoit pas clairement la nature des transformations induites par l’adoption de ces technologies par les acteurs du système éducatif et l’élaboration de méthodologies d’évaluation des politiques d’éducation engagées sur ce terrain particulier, prend ici toute son importance. 2. CADRE DE LA RECHERCHE 2.1 Un objet virtuel Cette communication porte sur les résultats d’une recherche menée en Sciences de l’Education, constituant la première phase d’une thèse qui étudie l’influence de l’usage des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication sur le fonctionnement des groupes institutionnels en éducation. Elle vise plus particulièrement à examiner le cas des écoles primaires disposant d’un site sur le World Wide Web (appelé, plus loin, simplement Web) sur Internet. Ces sites Web sont constitués de pages électroniques fondées sur l’utilisation de liens hypertextes, et dont les contenus, très divers, peuvent aller de la simple présentation sommaire de lieux, de personnes, jusqu’à la mise “ en ligne ” de travaux extrêmement élaborés et notamment de documents multimédia interactifs. On accède à ces pages à l’aide d’une adresse réticulaire ou URL que l’on peut obtenir à partir de sites spécialisés, de sites moteurs de recherche, ou que l’on peut relever dans la presse écrite, dans les média de masse ou encore simplement connaître par le canal du bouche à oreille. En conséquence, ces adresses peuvent être célèbres comme très confidentielles. Ces pages électroniques sont hébergées par des serveurs dont la localisation géographique est sans rapport avec le lieu d’émission, et sont accessibles en tout point du globe pour peu que l’on dispose d’un micro-ordinateur et d’une liaison avec un fournisseur d’accès à Internet à travers un réseau de télécommunication (téléphone, réseau câblé, réseau hertzien). Pourquoi choisir ces pages comme objet d’évaluation ? Le fait de travailler sur des produits issus de l’école primaire présente l’avantage de permettre la perception des orientations choisies par le ou les auteurs et de distinguer plus facilement ce qui est produit par l’adulte du travail des élèves. On peut constater qu’un nombre grandissant d’établissements se connectent à Internet et disposent donc aujourd’hui d’une adresse électronique de messagerie (e-mail). Toutefois, fin 1998, en France, seulement une “ école connectée ” sur dix, a construit un site sur le Web (AUDRAN, 1998). Pour un total de 60732 écoles primaires (élémentaires et maternelles) en France métropolitaine et er DOM, j’ai pu recenser, au 1 janvier 1999, 625 sites scolaires (sur 659 adresses URL obtenues durant l’année 1998, certains sites ayant disparu entre temps). Cette quantité, déjà importante (un site peut inclure des dizaines de pages) reste toutefois raisonnable sur le plan des données brutes si l’on s’en tient à analyser des éléments clés comme les pages d’accueil (home pages), les rubriques, les liens internes et externes, les adresses réticulaires. Ces “ écoles sur le Web ”, constituant à peine plus du centième des écoles 3 primaires de France, ont un caractère nettement pionnier qui situe clairement ce travail dans la catégorie des études de phénomènes naissants. 2.2 Le site Web scolaire, un objet provisoire d’évaluation Dans le cadre d’une précédente recherche portant sur l’usage du courrier électronique par des enseignants et élèves débutants (AUDRAN, 1998), j’ai pu constater que la nature des échanges réalisés répondait peu, dans la pratique, à l’intention et la programmation initiale de l’enseignant. Cet écart contraignait plutôt ce dernier à insérer dans sa pratique éducative une forme de “ bricolage ” des signes au sens où l’entend LEVY-STRAUSS (1962), c’est à dire la prise en compte d’une forme expérimentale d’apprentissage destinée à intégrer les questionnements induits par les difficultés à se comprendre, à coordonner des projets marqués par des cultures et des intentionnalités éloignées de celles qui présidaient lors de la mise en place de l’activité. Travailler sur des sites Web réalisés par les acteurs (enseignants et élèves) d’écoles primaires me conduit à compléter ce travail de proximité par l’étude, à distance, de pages élaborées par des personnes qui ont dépassé le stade de la simple découverte, qui ont réalisé des choix quant à l’orientation des documents qu’elles diffusent vers un large public potentiel. Ce dernier est constitué de plusieurs centaines de millions d’internautes qui sont majoritairement issus du monde culturel occidental. A ce stade, et compte tenu de l’orientation anthropocentrique de ma recherche (RABARDEL, 1995), plusieurs interrogations surgissent : Qui sont donc les acteurs qui ont construit les pages hypertextuelles de ces écoles pionnières, consultables à l’échelle planétaire ? Qui sont les enseignants expérimentés, engagés dans une telle construction. Quels sont leurs projets politiques et pédagogiques sous-jacents ? Coï ncident-ils avec le projet politique gouvernemental ? La simple analyse de pages sur Internet ne peut bien sûr fournir les réponses à l’ensemble de ces questions, mais ce travail quasi-ethnographique fournit toutefois des indications précieuses. On conçoit aisément que la construction d’un site scolaire ne constitue qu’une pratique d’accompagnement pour l’enseignement et l’apprentissage. Un site Web, en soi, est un produit et comme tel, porte un nombre important d’indicateurs et d’indices permettant d’élaborer des hypothèses sur les procédures, les motivations, qui ont présidé à sa construction. A l’inverse, il sera plus hasardeux de se prononcer sur les processus d’apprentissages que cette construction a permis d’enclencher chez les acteurs, éléments qui éclaireraient davantage une recherche portant sur le bénéfice attendu de l’introduction des technologies dans le système scolaire, mais qui demanderont plus de proximité au terrain. L’étude à distance des sites me semble constituer, comme travail préparatoire à une analyse approfondie de proximité, un terrain riche d’enseignements qui peut considérablement aider à la construction de nouvelles grilles destinées à instrumenter une recherche de proximité et donc améliorer l’intelligibilité de la situation. 4 2.3 Intérêts et limites de la méthodologie L’étude et l’analyse de pages électroniques, donc porteuses des caractéristiques du virtuel (LEVY, 1996), conduit à examiner la problématique de l’évaluation sous quatre angles de vue spécifiques : la distance à l’objet évalué, les contenus proprement dits, ce en quoi elles peuvent être représentatives sur le plan humain et leur évolution temporelle. 2.3.1 La distance Parcourir depuis un ordinateur distant un site Web présente tout d’abord l’avantage de travailler sur un “ produit automatiquement publié ”, comme le souligne CHANDLER (1998). Tout comme l’écriture constitue une forme d’“ enregistrement automatique ” du langage, la mise “ en ligne ” de pages électroniques automatise la publication d’écrits. L’évaluation s’en trouve facilitée en terme d’accès et de disponibilité, n’interfère pas sur la situation à évaluer et porte sur un genre d’écrit qui a la particularité d’être révisable à tout moment par son auteur (ses auteurs), donc pouvant refléter les idées ou l’état d’esprit de l’auteur (ou des auteurs) à un moment donné. Les pages Web sont le plus souvent des pages de présentation, à mi-chemin entre ce qui est du domaine public (le terme anglo-saxon de home pages est, à ce titre, révélateur) et du domaine privé. “ Un petit trou que vous percez dans le mur pour laisser le monde entrer ” selon l’expression de John SEABROOK journaliste au New-Yorker. 2.3.2 Les contenus En conséquence, le Web transforme ainsi l’évaluateur, de l’autre côté du mur, en voyeur. Cette posture d’évaluateur-voyeur est typiquement inscrite dans un moment de lecture et, comme telle, soumise aux limites des cadres d’interprétation (ECO, 1979) qui dépendent de la stratégie de l’auteur comme celle du lecteur. Le texte (et a fortiori l’hypertexte) anticipera un “ lecteur modèle ”, le lecteur trouvera son “ auteur modèle ”. Ce mélange d’authenticité et de falsification potentielle rend ce support d’écrit aussi complexe à analyser qu’un récit de fiction. Ce sont donc les régularités, les persistances et autres invariants qui guideront prioritairement la recherche sur les contenus au risque pour l’évaluateur, faute également d’un travail sur soi, de ne voir se refléter que le “ modèle de pensée du moment ” (VIAL, 1997). 2.3.3 La représentativité Si l’atout principal d’un site Web est qu’il constitue une manière commode de se présenter (CHANDLER, 1998), cette auto-présentation relève selon TURKLE (1998) de la construction identitaire. Les pages électroniques sont l’occasion pour l’auteur de dire ce qu’il pense, ce à quoi il est attaché, de montrer ses compétences (techniques ou pédagogiques) soit explicitement soit de façon implicite. Néanmoins, on ne sait pas toujours qui a élaboré ces pages, quelle est leur origine (qu’est-ce qu’un “ original ” sur le Web !). Ces sites se présentent eux-mêmes majoritairement comme des “ sites d’école ”, même si parfois une équipe réduite (une seule “ classe ” pour reprendre le 5 terme générique le plus souvent employé) est productrice au sein d’un établissement. Quelques sites (14 en tout) regroupent les productions de plusieurs “ écoles ”. En termes d’auteurs la notion de “ site d’école ” peut donc recouvrir des situations assez différentes dont il faudra tenir compte avant de conclure ou de généraliser. Les analyses conduites ne pourront donc formellement attribuer une paternité aux pages électroniques et refléteront l’identité d’un auteur épistémique qui pourra être aussi bien un enseignant et ses élèves, qu’un groupe d’adultes, ou une personne seule devant son ordinateur. 2.3.4 Le temps Enfin, la date d’édition n’apparaît pas toujours clairement sur ces pages Web et la périodicité de la mise à jour de ces pages est extrêmement variable. Au-delà de l’analyse synchronique, une étude diachronique est absolument nécessaire pour distinguer les sites régulièrement mis à jour et vivants, des sites figés, et ainsi repérer “ les jardins qui sont devenus champs de ronces ” selon l’expression de PERRAYA (1999). L’étude diachronique constitue également un des moyens permettant de mettre en évidence ce qui relève des “ défauts de jeunesse ” du travail pédagogique sur les réseaux informatiques, de noter l’évolution des pratiques des enseignants à travers la familiarité à l’usage d’Internet. Comme le souligne PERRENOUD (1997) cette familiarité est liée à l’existence d’une “ nouvelle compétence professionnelle ” à construire “ face à ces situations singulières ”. 3. REFERENTIALISATION Ces premières caractéristiques laissent penser que la base constituée à partir de données numériques recueillies par “ capture électronique ”1 des sites Web, peut participer d’un travail de “ référentialisation ” tel que le propose FIGARI (1992). Ceci dans la mesure où cette base de données peut servir à élaborer un cadre de références induisant des critères, que ce cadre prendra le statut d’élément dans un système plus large et qu’elle ne constitue pas un objet préexistant normé qui servirait simplement de repère. Toutefois, si l’on tient compte des particularités des pages électroniques précédemment énoncées, on mesure la difficulté à déterminer les éléments les plus pertinents à retenir pour élaborer une grille de critères efficace. A minima, deux modèles semblent nécessaires pour construire une première typologie en vue de la faire participer d’un système de référence : le modèle sémiologique et le modèle du réseau. 3.1.1 De la trace au signe Les pages capturées sur Internet constituent un ensemble de documents mêlant l’écrit, l’image (fixe ou animée), les liens hypertextes et parfois, le son, ce que l’on nomme communément le “ multimédia ”. Pour passer de ces traces, fixées 1 J’entends par là l’usage d’un programme “ aspirateur de sites ” qui permet de définir précisément une zone de capture à partir des parentés d’arborescence, comme par exemple le programme Memoweb, de l’éditeur Goto Informatique. 6 momentanément comme une photographie à des signes utilisables dans le cadre d’une recherche, il faut postuler comme Eco (1992) que ces traces sont porteuses d’une “ intentio operis ”, une intention propre de l’œuvre qui peut conduire à émettre des hypothèses sur une “ intentio auctoris ” l’intention de (ou des) auteurs(s). Le modèle sémiologique est donc requis pour développer une interprétation sur le “ mode du soupçon ” à partir d’indices tangibles sous la “ surface du texte ”, ici de l’hypertexte. La manipulation des signes mérite la plus grande prudence “ le détective aussi bien que l’homme de science soupçonnent par principe que certains éléments, évidents sans être apparemment importants peuvent être le témoignage de quelque chose d’autre qui n’est pas évident – et sur cette base ils élaborent une nouvelle hypothèse qu’il leur faudra tester ”. 3.1.2 Des signes aux réseaux de signes Il y a plus de vingt ans, De ROSNAY (1975) proposait, d’une manière assez visionnaire, dans le sillage des travaux de VON BERTALANFFY, d’utiliser un outil systémique le macroscope, “ instrument symbolique ” destiné à “ amplifier ce qui relie, faire ressortir ce qui rapproche ”. Utiliser l’ordinateur et Internet pour examiner des productions scolaires à distance peut être réalisé dans l’esprit de l’utilisation du macroscope. L’idée est de profiter de cet angle de vue pour conjuguer un point de vue systémique global, avec l’examen des détails des signes ou encore l’étude des structures leur servant de support. Une voie praticable me semble l’appui sur examen préalable des pages selon une approche s’appuyant sur le modèle du réseau. Ce modèle fait partie du contexte des technologies éducatives, permet le repérage à travers des pratiques de modélisation de plusieurs champs scientifiques et peut constituer une sorte de “ carte d’étude ” (Vial, 1991), provisoire, construite pour cette première phase du dispositif, qui permettra une première lecture. 3.2 Construction et référentialisation sur la base d’un système de signes en réseau L’idée de réseau, manière commode de conjuguer le simple et le multiple, est de plus en plus présente dans notre société, de nombreux auteurs l’ont constaté durant ces dix dernières années (PARROCHIA, 1998). Le domaine de l’éducation est naturellement touché par ce recours fréquent aux modèles réticulaires. Ne parle-t-on pas, au sein du système scolaire, de remplacer ou de compléter des structures fondées sur une politique sectorielle de découpage en zones (MULLER, 1985) (Zones d’Education Prioritaire, Zones Sensibles), par des Réseaux d’Education Prioritaire (REP), ou autres Réseaux d’Aide ou d’Ecoles ? L’emploi du terme réseau est largement inspiré ici par le modèle canonique que constitue le schéma très actuel du réseau informatique, qui est le contexte particulier de cette étude. De fait, le paysage éducatif s’en trouve redessiné, et sur des bases bien différentes de celles qui avaient présidé à l’élaboration du système actuel. La nécessaire anticipation de ce système éducatif “nouvelle forme” rend ce modèle tout 7 indiqué pour élaborer la stratégie de repérage préliminaire, déjà fixée, à partir des sites Web. Deux grandes orientations peuvent guider l’élaboration des critères : l’une structuraliste pour dégager les éléments caractéristiques des réseaux mis en évidence, l’autre systémique, s’intéressant aux stratégies visibles des acteurs dans la différence de leurs agencements. 3.3 L’approche structuraliste Une première classification, utilisée notamment dans l’étude des réseaux sociaux et des structures relationnelles est celle de la méthode structurale, employée en sociologie (LAZEGA, 1998). Dans cette approche, les réseaux peuvent être examinés selon leur organisation (niveau structural), à partir de leurs nœuds (niveau individuel) ou encore à partir des liens (niveau relationnel). 3.3.1 Le point de vue organisationnel De la manière la plus large le réseau est un tissu, un habillage qui partage son origine latine (retiolus) avec les “ rets ” qui emprisonnent le lion de la fable. Dans cette perspective définir un réseau consiste à en déterminer l’infrastructure, le dessin pour le comparer, signe à signe, à des réseaux aux formes différentes. La structure est le révélateur de l’esprit dans lequel est conçue la communication entre sites scolaires. Dans le cas de nos pages sur Internet, elle peut refléter une organisation purement hiérarchique (tout élément appartient à un niveau et pour communiquer avec un autre élément de même niveau doit passer par au moins un élément de niveau supérieur). Ces structures se distinguent nettement de celles qui tendent vers une organisation dite “ allchannel ” (où tout élément peut potentiellement communiquer de façon directe avec un autre) et qui témoignent de la volonté d’ouverture des auteurs, ou encore de celles en anneaux (où chaque élément propose une connexion vers l’élément suivant ou précédent sans qu’il soit possible d’atteindre directement chaque membre de l’anneau) où la communication est conçue comme “ chaînée ” de maillon en maillon. 3.3.2 Le point de vue individuel A l’opposé, au plus près du réseau se trouve le carrefour ou l’intersection. Symboliquement, c’est le point critique de l’ouvrage et du processus de sémiose (la transformation du signal, du code, en signe porteur de sens). Selon l’échelle employée le nœud sera site, page ou mot et reflétera des indicateurs différents. Sur le plan quantitatif les nœuds donnent une indication intéressante à condition de travailler sur une même échelle et autoriseront des comparaisons géographiques. Sur le plan qualitatif l’examen nodal, à titre individuel, au sein d’un réseau se réalise par l’étude de ce qui distingue un nœud des autres nœuds du réseau, sa capacité relationnelle, sa place dans une hiérarchie, son rôle s’il est spécifique ou s’il constitue un trait commun à un sous-ensemble nodal du réseau et enfin les options retenues par les auteurs. 8 3.3.3 Le point de vue relationnel Le lien, caractéristique des formes réticulaires, est bien sûr un élément très important puisqu’il est indispensable à la connexion comme à la transmission. Le lien a un rôle à la fois mécanique (il maintient des éléments en tension) et relationnel (il permet l’échange, l’altération). Etudier les liens revient donc, au delà de leur quantité, à s’intéresser à leur qualité. Dans notre cas, la quantité de liens d’un site peut donner une indication sémiotique sur la volonté relationnelle supposée des auteurs, alors que la nature des relations proposées renseigne sur les options qu’ils ont choisies. Les liens ont donc un rôle essentiel dans l’idée de réseau dès lors qu’on s’intéresse à leur nature, à ce qu’ils véhiculent dans la mesure où ils peuvent témoigner par leur simple existence d’une appartenance, d’un choix en relation avec la structure globale du réseau ou à l’inverse en rupture avec cette structure. Chaque lien implique l’existence d’un cheminement potentiel et a contrario, l’absence de toute relation détermine donc les limites du réseau, ses frontières. 3.4 De l’approche structuraliste et à l’analyse systémique Ces trois points de vue montrent combien la perception d’un phénomène fonctionnant sur un schéma en réseau conduit le plus souvent à appliquer une méthode analytique d’inspiration structuraliste en privilégiant l’un d’entre eux comme grille de lecture principale. La prise en compte de chacun de ces points de vue, associée à la confrontation des analyses, peut permettre une approche plus fine des structures ainsi caractérisées par l’importance des relations qui existent en leur sein et déboucher sur une analyse systémique permettant d’en comprendre mieux la logique. Comme CROZIER et FRIEDBERG l’ont montré (1977) “ une structure formelle ne contraint jamais totalement un acteur ”, l’approche systémique peut donc utilement compléter l’approche formelle. La structure initiale devient système quand elle s’inscrit dans une dynamique de transformation. Chaque acteur est alors caractérisé par une stratégie participant du sens de l’ensemble de la structure, le sens n’existant que par la spécificité de l’analyse d’un des points du réseau. Certaines entrées, qui s’inscriront nécessairement dans le cadre des observations diachroniques, pourront être privilégiées afin d’examiner un réseau selon ses éléments dynamiques : 3.4.1 Les flux L’une des caractéristiques d’un réseau est de permettre la circulation, l’échange du matériel comme de l’immatériel. En éducation, cette circulation peut concerner divers types de contenus (informations, idées, produits d’un collectif) et va conditionner la qualité des interactions ou de la communication interindividuelle, le potentiel de négociation ou de création. La fluidité des échanges permettra l’observation d’une forme particulière d’“ efficacité ” de fonctionnement, témoignera de la vie et de l’activité d’un réseau. L’observation fine des flux peut mettre en évidence un écosystème au sein d’un 9 réseau, les différences locales de flux, des sections mieux “ irriguées ” que d’autres, ce que BAKIS (1993) nomme géographie des relations. 3.4.2 Les parcours Le réseau offre également des potentiels de circulation et s’intéresse aux parcours, aux itinéraires des contenus, ce qui peut offrir des éléments d’information importants si cet itinéraire fait sens. A la manière des trames sémantiques, le réseau rejoint son étymologie et emprisonne comme dans des rets une partie encyclopédique qui fait sens car on peut la dissocier d’un tout (ECO, 1988). Le parcours révélera, sous cet angle, les aspects occultes d’un réseau caché, en devenir, au sein d’un autre réseau plus visible et officiel. 3.4.3 Les stratégies Comme système organisé, un réseau peut prétendre à être le théâtre de jeux stratégiques. La chronologie des relations établies, les enjeux de pouvoir, les manipulations, les négociations sont autant d’indices mettant en évidence les stratégies des acteurs à contraindre les autres membres de l’organisation, et en même temps se protéger pour échapper à leur contrainte (CROZIER, FRIEDBERG, 1977). Une analyse systémique devra dégager les règles stratégiques les plus fréquentes au sein du réseau, déterminer si ces règles lui sont spécifiques ou non, si des ressemblances ou dissemblances peuvent être utilement mises en évidence. 3.4.4 La clôture, l’ouverture Tout réseau peut être conçu comme un ensemble avec un domaine, un territoire intérieur et un extérieur. L’analyse qualitative des relations entre des membres permettra de constater la présence, l’absence et l’évolution de liens exclusifs et donc d’observer les variations du “ degré d’ouverture ” d’un réseau, le recouvrement de relations selon leur nature. Comme le rhizome de DELEUZE et GUATTARY (1980) un réseau humain ou un réseau d’idées n’est jamais complètement clos ni figé, et communique par des microfentes plus ou moins nombreuses, et de manière plus ou moins régulière. Les critères qui permettront de faire la différence entre les “ relations ordinaires stables ” du réseau et ces “ relations exceptionnelles ou épisodiques ”, ces fils tendus vers l’extérieur, permettront de mieux connaître la nature de la frontière qu’ils ont franchie. 3.5 Les rapports entre pratique éducative et politique éducative Cette première référentialisation débouche sur une première constatation : on problématise rarement les pratiques des acteurs du système éducatif sur les réseaux informatiques d’une manière qui ferait intervenir la réciprocité. En d’autres termes, pourquoi se pose-t-on toujours la question “ En quoi Internet va-t-il intervenir dans les changements de systèmes éducatifs ? ” et non “ En quoi l’emploi des réseaux dans les systèmes éducatifs vont-ils changer Internet ? ”. Cette approche conditionne toute 10 tentative d’évaluation qui ne peut plus être seulement pensée dans une logique d’impact des structures réticulaires sur les groupes humains, mais doit l’être aussi dans une perspective visant à mettre en évidence la manière dont peuvent se construire de nouvelles identités et de nouvelles compétences professionnelles sur les réseaux. Les premières classifications obtenues, qu’il est impossible ici d’exposer dans le détail, laissent penser que les acteurs du système éducatif ont essentiellement volonté d’“ exister ” sur le Web. Grossièrement, on peut noter des tendances fortes qui poussent les enseignants à mettre en avant soit leurs compétences technologiques, ce que j’ai appelé les sites “ techno-démonstratifs ” (Audran, 1998), soit leurs compétences pédagogiques mais d’une manière plus symbolique que concrète (les sites à orientation didactique semblent plus rares que ceux qui emploient l’appartenance à des mouvements pédagogiques comme argument de présentation). En tout état de cause ces pages ne sont pas neutres et révèlent des parentés et des coupures. Les options sont parfois explicites et témoignent de choix sensiblement distincts de la voix du ministre. On a donc bien affaire à des acteurs et non seulement des agents de l’Etat et leur public, comme l’image de la monolithique Education Nationale pourrait le laisser croire. Ces premières identifications ne doivent pas faire oublier que toute référentialisation doit s’appuyer sur des approches complémentaires permettant de tester ces hypothèses. Dans l’examen critique des sites se trouve seulement le moyen d’élucider les fondements de la construction d’un élément du dispositif d’évaluation : la construction d’une nouvelle grille à partir de ces indicateurs et indices. Jacques Audran BIBLIOGRAPHIE : AUDRAN J. (1998), Du bricolage en éducation, Mémoire pour le DEA, Université de Provence BAKIS H. (1993) Les réseaux et leurs enjeux sociaux, PUF BARON G.-L. BRUILLARD E (1996), L’informatique et ses usagers dans l’éducation, PUF CHANDLER D. (1998), Personal home pages and the construction of identities on the Web [www document] URL http://www.aber.ac.uk/~dgc/webident.html [visit 25/4/99] CROZIER M., FRIEDBERG E. (1977) L’acteur et le système, Seuil DEULEUZE G., GUATTARY F (1980), Mille plateaux, Minuit De ROSNAY J. (1975), Le macroscope, Seuil ECO U. (1979), Lector in fabula, Grasset 11 ECO U. (1988), Sémiotique et philosophie du langage, PUF FIGARI G. (1991), Pour une référentialisation des dispositifs éducatifs, Rapport de synthèse pour l'habilitation à diriger des recherches, Université des Sciences Sociales de Grenoble LAZEGA E ; (1998) Réseaux sociaux et structures relationnelles, PUF LEVY P. (1997), Cyberculture, Odile Jacob LEVY P. (1996), Qu’est-ce que le virtuel ?, La Découverte LEVY-STRAUSS (1962), La pensée sauvage, Plon Mc LUHAN M. (1968), Pour comprendre les média, Seuil MULLER P. (1985), “ Un schéma d’analyse des politiques sectorielles ”, Revue française de science politique – 04/1985 PARROCHIA D. (1998), Philosophie des réseaux, PUF PERAYA D. (1999), “ Une plateforme pour l'utilisation pédagogique d'Internet ”, Cahier et recherche pédagogique (1999) PERRENOUD P. (1997), De nouvelles compétences pour enseigner à l’école primaire, [www document] URL http://agora.unige.ch/ctie/educateur/perrint.htm [visit 28/2/99] PERRIAULT J. (1989), La logique de l’usage. Essai sur les machines à communiquer, Flammarion POUZARD G. (1998), “ Nouvelles technologies nouvelle école ? ” Revue de l'Association française des Administrateurs de l'Education, N°2, 1998 RABARDEL P. (1995), Les hommes et les technologies, Armand Colin TURKLE S. (1995), Life on the screen, Touchstone (New York) VIAL M. (1997), “ Essai sur le processus de référenciation ” in BONNIOL J.-J., VIAL M., Les modèles de l’évaluation, De Boeck VIAL M. (1991), Instrumenter l’auto-évaluation, Contribution à la pensée complexe des faits d’éducation, Thèse de l’Université de Provence, Aix-Marseille I WARIN P. (1993), Les usagers dans l’évaluation des politiques publiques, L’Harmattan WOLTON D. (1999) Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias, Flammarion 12