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peu partout dans l’Hexagone, en commençant par les villes nouvelles,
seront de véritables pépinières d’espaces publics. Ceux-ci riment avec
qualité des espaces, propreté et retour à des usages plus collectifs et inven-
tifs de l’espace. Au contraire des espaces techniques ménagés entre ou
à côté du bâti, tels les espaces verts, les parkings, les aires de jeu, les
voies d’accès, l’espace public est d’abord conçu à partir de la ville, comme
un maillon actif dans un réseau de relations où les quartiers sont arti-
culés entre eux et le centre avec la périphérie. L’attention portée aux
espaces publics est inversement proportionnelle aux méfaits consécu-
tifs à leur disparition pendant la période d’industrialisation du logement,
d’une part, et à la distance qu’instaure le pouvoir central avec ses admi-
nistrés sur toutes les questions touchant aux espaces nécessaires à la vie
locale, d’autre part. Les nouvelles politiques d’aménagement qui recon-
naissent la collectivité territoriale comme étant une bonne échelle pour
traiter et gérer des espaces urbains ont relayé, en fait, les mouvements
de défense des espaces sociaux de la vie quotidienne, où s’est formée
une nouvelle génération de sociologues et d’anthropologues. Centripètes
et centrifuges, les espaces publics sont aussi essentiels au brassage des
différences qu’à la concertation et au partage des points de vue. S’ils
sont un marqueur des sociétés démocratiques, c’est qu’ils rendent pos-
sible le dissensus comme le consensus. C’est dans ce contexte qu’il est
demandé aux artistes d’agir par le biais de diverses instances — muni-
cipalités, régions, communautés d’agglomérations, État, Drac, Frac, mais
aussi des associations —, de réaliser des œuvres dans des espaces choisis
par eux-mêmes ou indiqués par le commanditaire.
Les nouvelles qualités des espaces publics de proximité et d’ouver-
ture, de localité et de lointain, d’élévation et de creusement sont aussi
des dimensions qu’explorent les artistes et qu’ils savent parfaitement
faire coexister et mettre en tension en un seul lieu. Si pour les premiers,
les urbanistes, il s’agit d’associer configuration spatiale et dynamique
sociale, pour les seconds, les artistes, il s’agit de déclore l’œuvre des
lieux de l’art, le musée, la galerie et d’aller au devant du réel sans filet,
de se risquer à d’autres mesures sans socle ni cadre, d’affronter d’au-
tres horizons et d’autres temporalités. C’est même une des caractéris-
tiques des précurseurs de l’art contemporain (ou presque) d’avoir
La plupart des œuvres réalisées par les artistes aujourd’hui, et depuis
le dernier quart du siècle précédent, intègrent les programmes architec-
turaux et urbains, c’est-à-dire qu’elles sont commandées à l’occasion
de la construction de bâtiments publics, de projets de rénovation et d’ex-
tension, voire d’innovation urbaines. Elles rompent avec la tradition mémo-
rielle et affichent des préoccupations spatiales et sociales. Elles ignorent
la forêt de symboles qui avait toutes les faveurs de la ville du
XIX
e
, elles
ne balisent pas non plus l’espace comme la statuaire révolutionnaire qui
marquait les nouveaux territoires de la République. Non seulement elles
sortent du champ de la statuaire mais débordent aussi celui de la sculp-
ture, vers des environnements, ou des « installations » qui ouvrent des
lieux. Les œuvres modernes investissent la ville dans toutes ses dimen-
sions et travaillent avec toutes ses composantes à grande ou petite échelle
— sol, sous-sol, route, trottoir, mur, quai, grille, friche —, mais aussi
la nature — flore, faune —, le paysage; elles jouent aussi avec les éner-
gies du soleil, du vent, de l’eau, etc. Les œuvres sont tout entières tour-
nées vers la ville, pas seulement inscrites en elle, mais aussi participant
de sa ou de ses spatialités, les découvrant, les actualisant par la mise en
œuvre de relations réelles et virtuelles.
En pleine mutation dans les années 1960-1980, la ville fait voler en
éclats ses frontières géographiques et juridiques, produit de nouvelles
formes urbaines, est en quête de nouvelles perspectives où se voir et se
penser. Dans les compositions urbaines qui se cherchent, parmi les efforts
qui sont faits pour mettre un terme à un chaos urbain généré par des
opérations immobilières ne répondant qu’au seul impératif de l’habitat,
des espaces publics apparaissent comme des formes capables d’impulser
un mouvement centripète, d’induire des directions et d’établir des rela-
tions entre des blocs hétérogènes et isolés, de telle sorte qu’un tissu urbain
disloqué retrouve un rythme grâce à des polarisations différentielles, des
directions et des activités. À Barcelone, qui devient une référence, la
création d’espaces publics a joué un rôle essentiel dans la restructura-
tion des zones urbaines. En France, qui retient la leçon catalane, le recours
aux espaces publics exprime de façon assez explicite la volonté de renouer
avec des qualités urbaines et des pratiques sociales éliminées par les
mécanismes d’urbanisation. Les projets urbains qui vont voir le jour un
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