Par conséquent, dans l’école démocratique, il est légitime d’instaurer une
instruction civique, dont l’objectif est de nous apprendre le fonctionnement des
institutions politiques et les règles du vivre ensemble. Mais il n’est pas légitime
d’imposer une instruction morale, dont l’ambition serait de nous engager dans l’une
ou l’autre de ces façons de vivre.
Il est vrai que cette position de neutralité éthique de l’État ne fait pas elle-
même l’unanimité, même parmi les défenseurs du libéralisme politique. Pour certains
philosophes, l’État doit se garder de toute tentation perfectionniste7 c’est-à-dire qu’il
doit éviter de chercher à promouvoir un certain idéal de la vie bonne, fût-il celui de
l’autonomie personnelle.8 Leur raisonnement part de l’idée qu’il peut y avoir un
accord sur la vie juste (c’est-à-dire sur ce que doivent être des rapports équitables
entre les citoyens) mais, au mieux, un désaccord raisonnable sur la vie bonne (c’est-
à-dire sur le style de vie personnel, plus ou moins individualiste ou traditionaliste,
plus ou moins orienté vers la carrière, le plaisir, le loisir, le confort matériel, la vie de
famille ou de communauté, etc.)9
En faveur de cette idée, ils avancent trois ensembles de raisons : 1)
sociologiques ou historiques : ces idéaux sont, de fait, trop divergents dans les
sociétés modernes pluralistes ; 2) physiques et psychologiques : ce qu’est une vie
bonne dépend de la constitution naturelle de chacun, et cette dernière est variable ;
3) conceptuelles : il existe des difficultés intellectuelles propres au débat sur ce sujet
particulier qu’est l'éthique et c’est pourquoi nos idéaux de la vie bonne sont pluriels
et appelés à le demeurer10.
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7 Chez John Rawls, cette position est plus clairement affirmée dans son Libéralisme politique (1993),
trad. Catherine Audard, Paris, PUF, 1995 que dans Théorie de la justice, (1971), trad. Catherine
Audard, Paris, Seuil, 1987, p. 362-369. Sur le débat autour du perfectionnisme et de la neutralité
éthique de l’État, voir Perfectionism and Neutrality, Steven Wall et George Klosko, (dir.), Oxford,
Rowman & Littlefield Publishers, 2003.
8 Cf. Charles Larmore, The Autonomy of Morality, chap. 5, Cambridge, Cambridge University, 2008.
9 Cf. John Rawls, Libéralisme politique, op. cit.
10 Ibid., p. 83-87.