une cartographie des cancers professionnels

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DOSSIER SPÉCIAL
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Le projet OCCAM
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En Italie, une approche innovante
pour combattre un vieux problème
Paolo Crosignani a
Alessandro Marinaccio b
Roberto Audisio a
Plinio Amendola c,d
Alessandra Scaburri a
Marcello Imbriani c
a Unité d’épidémiologie environnemen-
tale et d’enregistrement des cancers,
Institut national du cancer, Milan, Italie
b Unité de médecine du travail, Institut
national de santé au travail, Rome
c Fondation Maugeri de la santé au travail, Pavie
d Département de médecine, Université de Pavie
L
a recherche sur les cancers professionnels peut
fortement contribuer à prévenir les cancers et
à préserver la santé de la population tout entière
(1). L’Union européenne (UE) a récemment incité
les États membres à mettre en œuvre un système
d’enregistrement des maladies professionnelles (2).
Le droit italien exige une identification des cas de
cancers liés à une exposition professionnelle et
une indemnisation des patients. Toutefois, seule
une fraction minime des cancers professionnels est
identifiée (3), non seulement en raison de la longue
période de latence liée à ces pathologies et de la
multiplicité des causes, mais aussi parce les patients
ne sont presque jamais interrogés sur leurs antécédents professionnels, même dans les cas de cancers
pouvant avoir une origine professionnelle (comme
les cancers de la vessie ou des poumons). En outre,
les médecins traitants ne sont en général pas sensibilisés à la recherche des causes professionnelles
des cancers (4) (5). On estime pourtant qu’au début
des années 1990 une proportion importante des travailleurs de l’UE était exposée à des agents cancérigènes (6).
La loi italienne sur la sécurité au travail (décret-loi
626/94) prévoit l’établissement d’un registre national des cancers professionnels sous la tutelle de
l’Institut national de la santé au travail (ISPESL), qui
a pour mission d’identifier à la fois les activités associées à un risque de cancer et les cas de cancers
susceptibles d’avoir une origine professionnelle.
L’Institut national du cancer de Milan et l’ISPESL ont
commencé à travailler ensemble en 2000 afin d’évaluer le potentiel d’utilisation de la base de données
informatisée sur les emplois qui était tenue à jour
depuis 1974 par l’Institut national italien de la sécurité sociale (INPS). Ce dernier conserve, année par
Pourquoi de nombreux
cancers professionnels
ne sont-ils pas reconnus ?
Les antécédents professionnels ne sont jamais
recueillis au lit du malade.
■ Les patients ont rarement conscience d’avoir
été exposés antérieurement à des agents cancérigènes.
■ Les médecins traitants négligent souvent de
rechercher les causes professionnelles des
cancers.
■ Les cancers professionnels ne sont pas différents des cancers survenant “spontanément”.
■ Le pouvoir cancérigène de nombreuses substances fait souvent l’objet de controverses.
■
Correspondance : Paolo Crosignani
Unité d’épidémiologie
environnementale et
d’enregistrement des cancers
Institut national du cancer
Via Venezian 1
20133 Milan, Italie
Fax: + 39 02 239 027 62
[email protected]
www.occam.it
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année, les noms des entreprises et secteurs industriels qui emploient les travailleurs italiens du secteur privé.
Il existe plusieurs sources de données sur les cas de
cancers dans une population : les registres des cancers (RC), les registres des décès tenus par les administrations des régions et les données régionales des
fichiers de sortie des hôpitaux. Pour l’échantillonnage de témoins appropriés, les fichiers informatisés
de la population concernée, qui sont aussi disponibles dans de nombreuses régions, peuvent être
utilement consultés. Il est donc possible de mener
des études cas-témoins des populations de différentes zones afin d’estimer les risques de cancers site
par site en relation avec les secteurs industriels, en
mettant les cas et les témoins en relation avec leurs
antécédents professionnels.
De plus, il est possible d’identifier les cas de cancers attribuables à des expositions professionnelles
en utilisant des estimations de risques spécifiques
de certaines zones ou simplement en examinant les
patients atteints de cancers, notamment de la vessie,
qui ont travaillé dans les industries du cuir et des
chaussures ou ceux atteints de cancers du poumon
qui ont travaillé dans des usines métallurgiques ou
sidérurgiques.
L’OCCAM (Occupational Cancer Monitoring) est
un système innovant d’information sur les cancers
professionnels basé sur une mise en relation systématique des cas de cancers (ou des témoins) et
des données fournies par les archives de la sécurité
sociale. Le projet vise à évaluer l’incidence des cancers professionnels, à les prévenir et à les identifier.
Il propose trois axes de recherche :
1. Une estimation du risque de cancer professionnel
par zone géographique ;
2. Une recherche active des cas de cancers professionnels ;
3. Une recherche et un classement des données disponibles sur les cancers professionnels.
Estimation du risque
de cancer professionnel
par zone géographique
L’estimation du risque de cancer professionnel est
réalisée à l’aide d’une série d’études cas-témoins de
la population de zones où les archives informatisées disponibles permettent une identification des
nouveaux cas (incidents) et un échantillonnage des
populations sources. Les deux sources disponibles
de cas de cancers sont les cas incidents extraits des
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Comment le système OCCAM fonctionne-t-il ?
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Bien que les RC d’une population soient une source
importante et non biaisée de connaissance des cas
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Les cas fournis par les RC concernent tous une
population définie et sont également tous caractérisés par un diagnostic d’une grande fiabilité. Ainsi,
comme les témoins sont échantillonnés au sein de
la population source et que les antécédents professionnels d’un sujet sont recueillis automatiquement, indépendamment de son statut de cas ou de
témoin, la seule source de biais de ces études provient de lacunes dans les histoires professionnelles
fournies par les archives de la sécurité sociale. Un
article publié récemment par l’American Journal
of Industrial Medicine (7) donne de plus amples
détails sur la manière dont elles ont été conçues et
les méthodes qu’elles ont utilisées et présente les
limites de cette approche. L’utilisation des données
des RC permet d’évaluer l’incidence des facteurs
de risque connus dans chacune des zones couvertes par les registres. De plus, comme les cancers de
toutes les zones du corps sont examinés, de nouvelles hypothèses peuvent être émises sur le rôle
potentiel de l’activité professionnelle d’un sujet
sur la genèse de néoplasmes autres que ceux déjà
identifiés.
•
registres des cancers (RC) et les cas incidents identifiés grâce aux fichiers de sortie des hôpitaux (SH).
Localisation des patients atteints de cancers
professionnels
■ Les cas récemment diagnostiqués de cancers du
poumon, du larynx et de la vessie ainsi que de
leucémies* sont identifiés à partir des fichiers de
sortie des hôpitaux.
■ Les antécédents professionnels des patients
concernés sont systématiquement recherchés dans
les registres des services de la sécurité sociale.
■ Les cas de patients ayant des antécédents de travail dans des secteurs à haut risque (par exemple cas de cancers du poumon chez des patients
ayant travaillé dans des aciéries) sont notifiés par
les unités de médecine du travail des services de
santé locaux, qui fournissent la liste des anciens
employeurs des patients.
■ En s’appuyant sur la connaissance antérieure
des risques existant dans ces entreprises et en
les associant à des entretiens en face à face,
les services de santé locaux peuvent identifier
des patients dont le cancer peut être considéré
comme provoqué par des expositions antérieures à des agents cancérigènes.
■ Ces cas sont notifiés à la caisse d’assurance
maladie et donnent lieu, le cas échéant, à des
actions en justice.
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Cartographie des cancers et amélioration
des connaissances sur la genèse des cancers
professionnels
■ Des séries d’études cas-témoins de la population
d’une zone spécifique sont menées.
■ Le recensement des cas incidents se fait par les
registres des cancers et les fichiers de sortie des
hôpitaux. Les témoins sont échantillonnés à partir des registres du système national de sécurité
sociale.
■ Les
antécédents professionnels (anciens
employeurs et type d’activité) des cas et des
témoins sont recherchés systématiquement dans
les registres des services de sécurité sociale.
■ Les cas et les témoins sont considérés comme
“exposés” à une activité professionnelle si celle-ci
est le principal secteur d’activité des entreprises
dans lesquelles ils ont travaillé.
■ Les cas et les témoins qui ont travaillé exclusivement dans les secteurs du commerce de gros et de
détail sont considérés comme “non exposés”.
■ Les risques relatifs sont évalués par zone et par
activité professionnelle.
■ L’existence de risques élevés dans des secteurs
où des activités cancérigènes “connues” sont
exercées (par exemple le risque de cancer du
poumon dans les aciéries) doit inciter à des
actions visant à éliminer les risques suspectés, si
ceux-ci subsistent.
* En Italie, la plupart des régions possèdent un registre des
mésothéliomes et des cancers du nez.
de cancer, ils ne couvrent que de manière limitée
(c’est-à-dire à environ 20 % seulement) l’ensemble
de la population italienne, et les données relatives à
leur incidence ne deviennent disponibles au mieux
que deux ans après l’occurrence des cas (et souvent plus tard encore). Ceci signifie que toutes les
zones couvertes ne se prêtent pas à un suivi des
cancers basé sur les RC. De plus, le délai de disponibilité des données enregistrées implique que les
risques professionnels émergents ne sont pas détectés suffisamment tôt pour permettre des recherches
approfondies (par ex., sous forme d’interrogation de
patients atteints d’un cancer avant qu’ils ne décèdent), la vérification des conditions de travail et de
la persistance ou non des expositions.
Les fichiers de sortie des hôpitaux constituent une
autre source de connaissance des cas de cancers.
Dans la plupart des régions d’Italie, ils sont utilisés
pour les versements des fonds régionaux aux hôpitaux privés et publics au titre du remboursement des
frais de diagnostic et de traitement des patients. En
conséquence, ils sont normalement exhaustifs. Ces
fichiers contiennent les codes d’identification des
patients, leur lieu de résidence, les codes de diagnostic les concernant et leur date de sortie. Ces
données sont archivées dans les bases de données
régionales et ne sont accessibles que pendant six
mois. L’identification de nouveaux cas (incidents)
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est uniquement effectuée en utilisant les codes de
diagnostic et en définissant comme un cas incident
ponctuel le cas d’un sujet n’ayant pas été inscrit
auparavant à sa sortie comme atteint de la même
maladie. Les informations contenues dans ces registres sont moins fiables que celles des RC. Leur utilisation s’est néanmoins révélée efficace pour l’identification de risques “connus” dans certaines parties
de la Lombardie où étaient pratiquées des activités
industrielles dangereuses (notamment des risques
de cancers de la vessie associés à la fabrication de
chaussures dans la province de Pavie).
Recherche active des cas de cancers
professionnels
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Certains cas de cancers de travailleurs exerçant
des professions reconnues comme présentant des
risques cancérigènes conviennent pour mener des
recherches approfondies sur leur éventuelle origine
professionnelle. Les zones d’atteinte concernées
sont le nez, le larynx, les poumons, la plèvre (même
si un registre des mésothéliomes est tenu à jour dans
de nombreuses régions d’Italie), la vessie et le sang
(leucémie). À des fins d’exploration, les lymphomes
non hodgkiniens et les sarcomes des tissus mous
sont aussi pris en considération.
Pour chaque cas, le système OCCAM fournit aux
services locaux de médecine du travail les informations suivantes :
■ les données personnelles du patient (nom, prénom, date de naissance et adresse) ;
■ les données cliniques du patient : le diagnostic,
l’hôpital (les hôpitaux) dont il est sorti ainsi que
la (les) date(s) de sortie, la référence des données
cliniques et le nom du médecin traitant ;
■ les données professionnelles du patient : le nom
de son (ses) employeur(s), la (les) date(s) de commencement et de cessation de l’emploi.
Les services de médecine du travail, grâce à ces
informations et à leur connaissance des cycles de
L’OCCAM est-il efficace ?
102 cas de cancers professionnels ont été identifiés en Lombardie au cours des deux premières années qui ont suivi la mise en service du
système.
■ 271 antécédents professionnels ont été examinés pour identifier ces cas.
■ Ces cas n’avaient jamais été considérés comme
ayant une origine professionnelle.
■ Il est prévu d’étendre le système à d’autres
régions d’Italie.
■ Les principaux obstacles à l’application du projet sont le manque de ressources des services
locaux de médecine du travail et le manque de
soutien financier régulier apporté aux activités
de coordination.
■
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production et des entreprises de leur région, peuvent identifier un sous-ensemble de sujets susceptibles d’être atteints d’un cancer professionnel. Les
généralistes sont chargés d’aider à prendre contact
avec ces sujets en vue d’un entretien et d’un éventuel guidage vers une indemnisation pour maladie
professionnelle. Si les entreprises où ces sujets ont
travaillé sont encore en fonctionnement, une recherche poussée de la présence d’agents cancérigènes
sur le lieu de travail sera menée. Le projet pilote, mis
en œuvre en Lombardie, a permis d’identifier 102
cas de cancers d’origine professionnelle sur les 271
cas initialement considérés comme potentiellement
liés à l’activité exercée.
Une matrice des données disponibles a été établie
pour aider à identifier les types d’activités professionnelles qui comportent un risque de cancer. De
plus, la survenue d’un nombre important de cas
dans des entreprises (de taille suffisante) peut être
recherchée.
Recherche et classement
des données disponibles
Pour faire progresser la reconnaissance des cancers
d’origine professionnelle et pouvoir interpréter les
résultats obtenus à l’aide du projet OCCAM, nous
avons procédé à une recherche bibliographique
étendue de la littérature scientifique relative aux
cancers professionnels.
Nous avons donc établi une matrice informatisée
de la littérature existante (disponible sur www.
occam.it) qui présente les résultats “positifs” des
685 études épidémiologiques, disponibles en janvier 2008, (cas-témoins, études transversales et
en cohortes) publiées sur les cancers professionnels. Les monographies du Centre international
de recherche sur le cancer (CIRC) y ont été aussi
incluses. Ces documents ont été systématiquement
dépouillés et les résultats ont été classés par organe
atteint et cycle ou type de production (par ex.,
usine sidérurgique, usine de traitement du cuir ou
de fabrication de chaussures, etc.). La matrice est
régulièrement mise à jour et contient actuellement
les résultats de 1870 études épidémiologiques
menées à partir des années soixante.
La matrice peut être considérée comme un outil permettant de décider si un cas de cancer peut être
attribué ou non à une activité professionnelle antérieure dans une entreprise ou un secteur industriel.
Elle a été conçue pour faciliter le travail des médecins traitants peu ou non expérimentés en médecine
du travail. Pour utiliser notre ensemble de données,
il suffit de connaître l’organe atteint et le secteur
d’activité du patient.
La matrice peut aussi servir à interpréter les résultats
des études sur les cancers professionnels comme
celles fournies par le projet OCCAM (7), dans lequel
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plusieurs liens entre données doivent être évalués.
L’outil peut fournir des preuves évidentes de la plausibilité d’un lien intéressant et éviter d’effectuer des
recherches approfondies dans la littérature.
•
Un système interactif (OCCAM-Medici di Medicina
Generale) a été mis en place pour permettre aux
médecins généralistes (hospitaliers ou non) de
confirmer la possibilité d’un lien entre un cas de
cancer et l’activité professionnelle d’un patient. Le
système est accessible sous Windows et peut être
téléchargé à partir du site de l’OCCAM.
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Nous espérons que le système que nous avons mis
en place sera utilisé par d’autres pays. Nous partagerons bien volontiers notre expérience et nos outils
pour faire progresser la reconnaissance des risques
professionnels et la recherche active des cas de cancers d’origine professionnelle. ■
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Références bibliographiques
3 4
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M., Berrino, F., The Italian Surveillance System for Occupational Cancers : Characteristics, Initial Results and
Future Prospects, American Journal of Industrial Medicine,
49, 791-8, 2006.
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