DOSSIER SPÉCIAL L e s c a n c e rs professi on n els 3 4 Le projet OCCAM H E S A N E W S L E T T E R • J U I N 2 0 0 8 • N o En Italie, une approche innovante pour combattre un vieux problème Paolo Crosignani a Alessandro Marinaccio b Roberto Audisio a Plinio Amendola c,d Alessandra Scaburri a Marcello Imbriani c a Unité d’épidémiologie environnemen- tale et d’enregistrement des cancers, Institut national du cancer, Milan, Italie b Unité de médecine du travail, Institut national de santé au travail, Rome c Fondation Maugeri de la santé au travail, Pavie d Département de médecine, Université de Pavie L a recherche sur les cancers professionnels peut fortement contribuer à prévenir les cancers et à préserver la santé de la population tout entière (1). L’Union européenne (UE) a récemment incité les États membres à mettre en œuvre un système d’enregistrement des maladies professionnelles (2). Le droit italien exige une identification des cas de cancers liés à une exposition professionnelle et une indemnisation des patients. Toutefois, seule une fraction minime des cancers professionnels est identifiée (3), non seulement en raison de la longue période de latence liée à ces pathologies et de la multiplicité des causes, mais aussi parce les patients ne sont presque jamais interrogés sur leurs antécédents professionnels, même dans les cas de cancers pouvant avoir une origine professionnelle (comme les cancers de la vessie ou des poumons). En outre, les médecins traitants ne sont en général pas sensibilisés à la recherche des causes professionnelles des cancers (4) (5). On estime pourtant qu’au début des années 1990 une proportion importante des travailleurs de l’UE était exposée à des agents cancérigènes (6). La loi italienne sur la sécurité au travail (décret-loi 626/94) prévoit l’établissement d’un registre national des cancers professionnels sous la tutelle de l’Institut national de la santé au travail (ISPESL), qui a pour mission d’identifier à la fois les activités associées à un risque de cancer et les cas de cancers susceptibles d’avoir une origine professionnelle. L’Institut national du cancer de Milan et l’ISPESL ont commencé à travailler ensemble en 2000 afin d’évaluer le potentiel d’utilisation de la base de données informatisée sur les emplois qui était tenue à jour depuis 1974 par l’Institut national italien de la sécurité sociale (INPS). Ce dernier conserve, année par Pourquoi de nombreux cancers professionnels ne sont-ils pas reconnus ? Les antécédents professionnels ne sont jamais recueillis au lit du malade. ■ Les patients ont rarement conscience d’avoir été exposés antérieurement à des agents cancérigènes. ■ Les médecins traitants négligent souvent de rechercher les causes professionnelles des cancers. ■ Les cancers professionnels ne sont pas différents des cancers survenant “spontanément”. ■ Le pouvoir cancérigène de nombreuses substances fait souvent l’objet de controverses. ■ Correspondance : Paolo Crosignani Unité d’épidémiologie environnementale et d’enregistrement des cancers Institut national du cancer Via Venezian 1 20133 Milan, Italie Fax: + 39 02 239 027 62 [email protected] www.occam.it 26 année, les noms des entreprises et secteurs industriels qui emploient les travailleurs italiens du secteur privé. Il existe plusieurs sources de données sur les cas de cancers dans une population : les registres des cancers (RC), les registres des décès tenus par les administrations des régions et les données régionales des fichiers de sortie des hôpitaux. Pour l’échantillonnage de témoins appropriés, les fichiers informatisés de la population concernée, qui sont aussi disponibles dans de nombreuses régions, peuvent être utilement consultés. Il est donc possible de mener des études cas-témoins des populations de différentes zones afin d’estimer les risques de cancers site par site en relation avec les secteurs industriels, en mettant les cas et les témoins en relation avec leurs antécédents professionnels. De plus, il est possible d’identifier les cas de cancers attribuables à des expositions professionnelles en utilisant des estimations de risques spécifiques de certaines zones ou simplement en examinant les patients atteints de cancers, notamment de la vessie, qui ont travaillé dans les industries du cuir et des chaussures ou ceux atteints de cancers du poumon qui ont travaillé dans des usines métallurgiques ou sidérurgiques. L’OCCAM (Occupational Cancer Monitoring) est un système innovant d’information sur les cancers professionnels basé sur une mise en relation systématique des cas de cancers (ou des témoins) et des données fournies par les archives de la sécurité sociale. Le projet vise à évaluer l’incidence des cancers professionnels, à les prévenir et à les identifier. Il propose trois axes de recherche : 1. Une estimation du risque de cancer professionnel par zone géographique ; 2. Une recherche active des cas de cancers professionnels ; 3. Une recherche et un classement des données disponibles sur les cancers professionnels. Estimation du risque de cancer professionnel par zone géographique L’estimation du risque de cancer professionnel est réalisée à l’aide d’une série d’études cas-témoins de la population de zones où les archives informatisées disponibles permettent une identification des nouveaux cas (incidents) et un échantillonnage des populations sources. Les deux sources disponibles de cas de cancers sont les cas incidents extraits des DOSSIER SPÉCIAL L es ca nce rs prof e ssionne ls H E S A Comment le système OCCAM fonctionne-t-il ? 2 0 0 8 • N o 3 4 Bien que les RC d’une population soient une source importante et non biaisée de connaissance des cas J U I N Les cas fournis par les RC concernent tous une population définie et sont également tous caractérisés par un diagnostic d’une grande fiabilité. Ainsi, comme les témoins sont échantillonnés au sein de la population source et que les antécédents professionnels d’un sujet sont recueillis automatiquement, indépendamment de son statut de cas ou de témoin, la seule source de biais de ces études provient de lacunes dans les histoires professionnelles fournies par les archives de la sécurité sociale. Un article publié récemment par l’American Journal of Industrial Medicine (7) donne de plus amples détails sur la manière dont elles ont été conçues et les méthodes qu’elles ont utilisées et présente les limites de cette approche. L’utilisation des données des RC permet d’évaluer l’incidence des facteurs de risque connus dans chacune des zones couvertes par les registres. De plus, comme les cancers de toutes les zones du corps sont examinés, de nouvelles hypothèses peuvent être émises sur le rôle potentiel de l’activité professionnelle d’un sujet sur la genèse de néoplasmes autres que ceux déjà identifiés. • registres des cancers (RC) et les cas incidents identifiés grâce aux fichiers de sortie des hôpitaux (SH). Localisation des patients atteints de cancers professionnels ■ Les cas récemment diagnostiqués de cancers du poumon, du larynx et de la vessie ainsi que de leucémies* sont identifiés à partir des fichiers de sortie des hôpitaux. ■ Les antécédents professionnels des patients concernés sont systématiquement recherchés dans les registres des services de la sécurité sociale. ■ Les cas de patients ayant des antécédents de travail dans des secteurs à haut risque (par exemple cas de cancers du poumon chez des patients ayant travaillé dans des aciéries) sont notifiés par les unités de médecine du travail des services de santé locaux, qui fournissent la liste des anciens employeurs des patients. ■ En s’appuyant sur la connaissance antérieure des risques existant dans ces entreprises et en les associant à des entretiens en face à face, les services de santé locaux peuvent identifier des patients dont le cancer peut être considéré comme provoqué par des expositions antérieures à des agents cancérigènes. ■ Ces cas sont notifiés à la caisse d’assurance maladie et donnent lieu, le cas échéant, à des actions en justice. N E W S L E T T E R Cartographie des cancers et amélioration des connaissances sur la genèse des cancers professionnels ■ Des séries d’études cas-témoins de la population d’une zone spécifique sont menées. ■ Le recensement des cas incidents se fait par les registres des cancers et les fichiers de sortie des hôpitaux. Les témoins sont échantillonnés à partir des registres du système national de sécurité sociale. ■ Les antécédents professionnels (anciens employeurs et type d’activité) des cas et des témoins sont recherchés systématiquement dans les registres des services de sécurité sociale. ■ Les cas et les témoins sont considérés comme “exposés” à une activité professionnelle si celle-ci est le principal secteur d’activité des entreprises dans lesquelles ils ont travaillé. ■ Les cas et les témoins qui ont travaillé exclusivement dans les secteurs du commerce de gros et de détail sont considérés comme “non exposés”. ■ Les risques relatifs sont évalués par zone et par activité professionnelle. ■ L’existence de risques élevés dans des secteurs où des activités cancérigènes “connues” sont exercées (par exemple le risque de cancer du poumon dans les aciéries) doit inciter à des actions visant à éliminer les risques suspectés, si ceux-ci subsistent. * En Italie, la plupart des régions possèdent un registre des mésothéliomes et des cancers du nez. de cancer, ils ne couvrent que de manière limitée (c’est-à-dire à environ 20 % seulement) l’ensemble de la population italienne, et les données relatives à leur incidence ne deviennent disponibles au mieux que deux ans après l’occurrence des cas (et souvent plus tard encore). Ceci signifie que toutes les zones couvertes ne se prêtent pas à un suivi des cancers basé sur les RC. De plus, le délai de disponibilité des données enregistrées implique que les risques professionnels émergents ne sont pas détectés suffisamment tôt pour permettre des recherches approfondies (par ex., sous forme d’interrogation de patients atteints d’un cancer avant qu’ils ne décèdent), la vérification des conditions de travail et de la persistance ou non des expositions. Les fichiers de sortie des hôpitaux constituent une autre source de connaissance des cas de cancers. Dans la plupart des régions d’Italie, ils sont utilisés pour les versements des fonds régionaux aux hôpitaux privés et publics au titre du remboursement des frais de diagnostic et de traitement des patients. En conséquence, ils sont normalement exhaustifs. Ces fichiers contiennent les codes d’identification des patients, leur lieu de résidence, les codes de diagnostic les concernant et leur date de sortie. Ces données sont archivées dans les bases de données régionales et ne sont accessibles que pendant six mois. L’identification de nouveaux cas (incidents) 27 DOSSIER SPÉCIAL 3 4 L e s c a n c e rs professi on n els N E W S L E T T E R • J U I N 2 0 0 8 • N o est uniquement effectuée en utilisant les codes de diagnostic et en définissant comme un cas incident ponctuel le cas d’un sujet n’ayant pas été inscrit auparavant à sa sortie comme atteint de la même maladie. Les informations contenues dans ces registres sont moins fiables que celles des RC. Leur utilisation s’est néanmoins révélée efficace pour l’identification de risques “connus” dans certaines parties de la Lombardie où étaient pratiquées des activités industrielles dangereuses (notamment des risques de cancers de la vessie associés à la fabrication de chaussures dans la province de Pavie). Recherche active des cas de cancers professionnels H E S A Certains cas de cancers de travailleurs exerçant des professions reconnues comme présentant des risques cancérigènes conviennent pour mener des recherches approfondies sur leur éventuelle origine professionnelle. Les zones d’atteinte concernées sont le nez, le larynx, les poumons, la plèvre (même si un registre des mésothéliomes est tenu à jour dans de nombreuses régions d’Italie), la vessie et le sang (leucémie). À des fins d’exploration, les lymphomes non hodgkiniens et les sarcomes des tissus mous sont aussi pris en considération. Pour chaque cas, le système OCCAM fournit aux services locaux de médecine du travail les informations suivantes : ■ les données personnelles du patient (nom, prénom, date de naissance et adresse) ; ■ les données cliniques du patient : le diagnostic, l’hôpital (les hôpitaux) dont il est sorti ainsi que la (les) date(s) de sortie, la référence des données cliniques et le nom du médecin traitant ; ■ les données professionnelles du patient : le nom de son (ses) employeur(s), la (les) date(s) de commencement et de cessation de l’emploi. Les services de médecine du travail, grâce à ces informations et à leur connaissance des cycles de L’OCCAM est-il efficace ? 102 cas de cancers professionnels ont été identifiés en Lombardie au cours des deux premières années qui ont suivi la mise en service du système. ■ 271 antécédents professionnels ont été examinés pour identifier ces cas. ■ Ces cas n’avaient jamais été considérés comme ayant une origine professionnelle. ■ Il est prévu d’étendre le système à d’autres régions d’Italie. ■ Les principaux obstacles à l’application du projet sont le manque de ressources des services locaux de médecine du travail et le manque de soutien financier régulier apporté aux activités de coordination. ■ 28 production et des entreprises de leur région, peuvent identifier un sous-ensemble de sujets susceptibles d’être atteints d’un cancer professionnel. Les généralistes sont chargés d’aider à prendre contact avec ces sujets en vue d’un entretien et d’un éventuel guidage vers une indemnisation pour maladie professionnelle. Si les entreprises où ces sujets ont travaillé sont encore en fonctionnement, une recherche poussée de la présence d’agents cancérigènes sur le lieu de travail sera menée. Le projet pilote, mis en œuvre en Lombardie, a permis d’identifier 102 cas de cancers d’origine professionnelle sur les 271 cas initialement considérés comme potentiellement liés à l’activité exercée. Une matrice des données disponibles a été établie pour aider à identifier les types d’activités professionnelles qui comportent un risque de cancer. De plus, la survenue d’un nombre important de cas dans des entreprises (de taille suffisante) peut être recherchée. Recherche et classement des données disponibles Pour faire progresser la reconnaissance des cancers d’origine professionnelle et pouvoir interpréter les résultats obtenus à l’aide du projet OCCAM, nous avons procédé à une recherche bibliographique étendue de la littérature scientifique relative aux cancers professionnels. Nous avons donc établi une matrice informatisée de la littérature existante (disponible sur www. occam.it) qui présente les résultats “positifs” des 685 études épidémiologiques, disponibles en janvier 2008, (cas-témoins, études transversales et en cohortes) publiées sur les cancers professionnels. Les monographies du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) y ont été aussi incluses. Ces documents ont été systématiquement dépouillés et les résultats ont été classés par organe atteint et cycle ou type de production (par ex., usine sidérurgique, usine de traitement du cuir ou de fabrication de chaussures, etc.). La matrice est régulièrement mise à jour et contient actuellement les résultats de 1870 études épidémiologiques menées à partir des années soixante. La matrice peut être considérée comme un outil permettant de décider si un cas de cancer peut être attribué ou non à une activité professionnelle antérieure dans une entreprise ou un secteur industriel. Elle a été conçue pour faciliter le travail des médecins traitants peu ou non expérimentés en médecine du travail. Pour utiliser notre ensemble de données, il suffit de connaître l’organe atteint et le secteur d’activité du patient. La matrice peut aussi servir à interpréter les résultats des études sur les cancers professionnels comme celles fournies par le projet OCCAM (7), dans lequel DOSSIER SPÉCIAL L es ca nce rs prof e ssionne ls H E S A N E W S L E T T E R plusieurs liens entre données doivent être évalués. L’outil peut fournir des preuves évidentes de la plausibilité d’un lien intéressant et éviter d’effectuer des recherches approfondies dans la littérature. • Un système interactif (OCCAM-Medici di Medicina Generale) a été mis en place pour permettre aux médecins généralistes (hospitaliers ou non) de confirmer la possibilité d’un lien entre un cas de cancer et l’activité professionnelle d’un patient. Le système est accessible sous Windows et peut être téléchargé à partir du site de l’OCCAM. J U I N 2 0 0 8 Nous espérons que le système que nous avons mis en place sera utilisé par d’autres pays. Nous partagerons bien volontiers notre expérience et nos outils pour faire progresser la reconnaissance des risques professionnels et la recherche active des cas de cancers d’origine professionnelle. ■ • N o Références bibliographiques 3 4 (1) Tomatis, L., The identification of human carcinogens and primary prevention of cancer, Mutation Research, 462, 407-421, 2000. (2) Bosch, X., EC urges reporting of occupational diseases, The Lancet, 362, 1129, 2003. (3) Leigh, J.P., Robbins, J.A., Occupational disease and workers’ compensation : coverage, costs, and consequences, Milbank Quarterly, 82 (4), 689-721, 2004. (4) Merler, E., Vineis, P., Alhaique, D., et al., Occupational Cancer in Italy, Environmental Health Perspectives, 107, Suppl. 2, 259-271, 1999. (5) Azaroff, L.S., Levenstein, C., Wegman, D.H., Occupational injury and illness surveillance : conceptual filters explain uderreporting, American Journal of Public Health, 92, 1421-1429, 2002. (6) Kauppinen, T., Toikkanen, J., Pedersen, D., et al., Occupational exposure to carcinogens in the European Union, Occupational and Environmental Medicine, 57, 10-18, 2000. (7) Crosignani, P., Massari, S., Audisio, R., Amendola, P., Cavuto, S., Scaburri, A., Zambon, P., Nedoclan, G., Stracci, F., Pannelli, F., Vercelli, M., Miligi, L., Imbriani, M., Berrino, F., The Italian Surveillance System for Occupational Cancers : Characteristics, Initial Results and Future Prospects, American Journal of Industrial Medicine, 49, 791-8, 2006. 29