COURRIER
gelmor
La reaction
d'André Miquel
Je suis cent fbis d'accord avec Mohammed Ar-
koun et Michel Chodkiewicz. Je ne suis, il est vrai,
ni musulman ni islamologue. Simplement arabi-
sant, mais jé ne sais que trOp bien de quelle ri-
chesse un islam créateur
innerva,
directement ou
non, la littérature arabe. Tout le problème, jus-
tement, est dé créer. Et de créer aujourd'hui. Un
triple et redoutable problème est posé par votre
dossier.
Sur le plan des institutions, il est, comme le diSent
Arkoun et Chodkiewicz, de savoir si l'islam peut
s'adapter à. une société démocratique fondée sur la
laïcité, la séparation absolue du public et du reli-
gieux. L'islam peut le faire : ce ne serait qu'une de
plus de ses aventures réussies au cours d'une
longue histoire. Faute de quoi, le conflit éclatera
entre ceux qui voudront fonder l'Etat sur le reli-
gieux et ceux qui estimeront à bon droit que leurs
pères ont pour eux réglé le problème.
Sur le plan de la pensée religieuse, tout le pro-
blème est de savoir Si un oecuménisme, un vrai et
qui ne soit pas à sens unique, peut voir le jour.
J'entends par là le libre, loyal et égal dialogue
entre un islam qui pose l'impuissance de- notre
langage dit rationnel à rendre compte d'un Dieu
transcendant et une pensée chrétienne qui pose,
elle, en vertu du même principe, que la seule façon
de rendre compte de Dieu est, justement, de
passer par l'irrationnel et la folie.
Sur le plan de la vie quotidienne, rien, que je
sache, dans l'islam, n'impose de vivre à la
maghrébine ou à l'orientale pour .être musul-
man : les obligations canoniques sont de foi, non
de lieu ou de circonstance. Et le Coran, pour
prendre cet exemple, n'a jamais imposé un type
de mosquée. . '
Cé pays, on l'a dit et redit, s'est distingué non pas
par une prétendue race mais par un système de
valeurs assez puissant pour lui donner une défini-
fion et même, tout compte fait, son nom. A lui et à
l'islam, au vrai, celui qu'appellent de leurs voeux
Arkoun et Chodkiewicz, de tenir le pari. Faute de
quoi,
on aura
non l'oecuménisme mais la contro-
,
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
/COURRIER
verse. Non pas le débat d'idées mais le choc de
deux codes. Et la paix, le bonheur dans tout cela ?
ANDRÉ MIQUEL
professeur au Collège de France
administrateur général
de la Bibliothèque nationale
Une lettre
du père Lelong . .
Je vous remercie — et je remercie Claude-Fran-
çois Jullien — de l'exactitude avec laquelle a été
rapporté l'entretien paru dans le dernier numéro
(n° 1109 du 7 février, « l'Islam en France »).
Je tiens cependant à apporter une précision — ou
plutôt un complément --aux propos *qui me sont
attribués à la fin de cet entretién.
En effet, en disant que «
les musulmans, s'ils sont
fidèles à leur foi, ne peuvent pas être à cent pour
cent d'accord avec la législation française »,
j'avais ajouté — et cette précision me semble très
importante : « de
même que les catholiques
ne
peuvent pas être, à cent pour cent , d'accord avec
cette même législation, lorsqu'elle prévoit, par
exemple, le remboursement de l'avortement par
la Sécurité sociale ou lorsqu'elle n'encourage pas
suffisamment la famille».
Cela dit, il est évident (est-il besoin de le dire ?)
que, comme les chrétiens et les juifs, les musul-
mans peuvent parfaitement être fidèles à leur
religion tout en étant d'excellents citoyens fran-
çais. MICHEL LELONG
Le devoir de français
de Ilàbiba
Mme Simone Curtillat, professeur de lettres-his-
toire au LEP d'Audincourt (Doubs), nous a fait
parvenir le devoir de français de Habiba, jeune
Beur originaire d'Algérie.. Celle-ci développait le
sujet suivant : « Etes-vous attaché à votre pays
natal ? » Mme Curtillat précise i « Sur vingt-sept
élèves dont la plus grande partie est de souche
française, c'est celle qui
.
a le mieux parlé de notre
pays... » Voici le texte en question.
Qui de nous n'est pas attaché à sa patrie ? Au
pays où l'on est né, originaire ?
Pour moi, le hasard a voulu que je naisse en
FranCe. C'est une chose naturelle que pour ce
pays je ressente des sentiments d'affection ou tout
simplement d'amour. Pour dire ce qui est, ce n'est
pas parce que ce territoire m'a vu naître mais bien
plus.
A la naissance; je suis devenue citoyenne fran-
çaise même si c'était indépendant de la volonté de
mes parents. Eux, étant originaires d'un autre
pays, l'ont toujours pleuré dans leur coeur. Par-
dessus notre toit, ils voient le ciel qui lés y ramè-
nera. Mais moi ? N'ai-je pas mon mot à dire ? Je
représente ici la nouvelle génération, j'ai su m'in-
tégrer dans cette société française. En fait, la
France, avec ses '
yeux
de tourterelle, a su m'hyp-
notiser et j'ai été contrainte de vivre ici et de
m'attacher à un pays qui devrait m'être étranger.
Ma pensée s'est rapidement imprégnée de ces
paysages, de ces villes aussi belles les unes que les
autres. Je suis devenue une passionnée de sa
gastronomie, de ses spécialités régionales, de sa
mode, de tout ce qui s'y trame. La beauté de ses
paysages naturels, je l'imagine telle une princesse
ayant une destinée des plus merveilleuses. Eh oui,
sous le
-
Ur robe blanche les Alpes ont conquis
d'innombrables coeurs. Le mien est à jamais in-
crusté à cette terre sauvage. Un attachement aussi
fort est invraisemblable, et pourtant, à l'heure
actuelle, c'est drôle qu'un jeune immigré soit
contraint de repartir dans le pays de ses parents
alors qu'il a pris racine ici et qu'ilse sent comme le
meilleur patriote françaii qui existe. Le bonheur,
je le tiens ici, en France. Je suis libre d'agir comme
bon me semble. Mes parents sont acceptés dans
cette société, et qui sait si cela n'encourage pas la
jeunesse à devenir fraternelle ? A la France, j'offre
ma main droite, mon coeur, ma tête pour avoir une
chance de rester sur cette terre d'accueil. Certains
jeunes éprouvent des sentiments violents, mais à
quoi bon ?
Ici, je vis au jour le jour. J'ai des tas de camara-
des qui m'ont appris que l'amitié est chose rare.
Mais si je devais quitter ce pays natal, j'évoquerais
la chaleur qui m'anime lorsque je parle avec
amour de la France..., celle où je suis née.
HABIBA
Bravo, professeur Arkoun !
En tant que musulman et Algérien, j'ai eu la
semaine dernière trois réconforts, et ce n'est pas
rien par les temps qui courent, croyez-moi. Le
premier, c'est de lire que le bureau de la Ligue
arabe de Paris avait solennellement condamné les
attentats imbéciles chez Gibert et à la FNAC, des
lieux où nous allons tous tout le temps avec les
amis La seconde bonne nouvelle, c'est la télé-
vision avec les reportages sur le raï, le rock algé-
rien, qui défoule les jeunes et contre lequel les
idiots d'intégristes ne peuvent rien. Enfin, et je
' dois dire surtout, c'est « le Nouvel Obs » et le
merveilleux et super article de Mohammed Ar-
koun sur l'islam. On l'a lu tout haut devant les
copains et On lui dit merci et bravo. On est fier
d'être musulman comme lui, sans polygamie,
sans vieux préjugés sur la main des voleurs et
autres foutaises. Mais avec la pensée de nos pères
et de Dieu. M. H.,
Paris.
-
•
Une précision de Samy Cohen
Dans son éditorial du 7 février dernier (n° 1109),
« le Sphinx et les CEdipes », Jean Daniel se de-
mande où il a trouvé ce jugement prêté à Jean
François-Poncet : «
Un chef d'Etat n'a que deux
ou trois épreuves tests à maîtriser; le reste du
temps, il ne fait qu'épouser l'imprévisible et répa-
rer les erreurs des siens. »
Puis-je suggérer une réponse ? Sans doute dans
mon livre « la Monarchie nucléaire » (Hachette),
auquel votre journal consacre, dans le même
numéro, deux comptes rendus très élogieux. Jean
François-Poncet a d'ailleurs plus exactement
confié : «
Un homme d'Etat a deux, trois déci-
sions stratégiques à prendre. Le reste consiste à
éviter de faire des gaffes. »
Le
propos a été
rap-
porté par Serge July, cité dans « la Monarchie
nucléaire » (p. 125). SAMY COHEN