Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515
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microscopie, on voit parfaitement l’instant ou la poussée des
tissus crée un pli en avant de l’axe dorsal, et comment la
formation de la tête est indissociable de la formation du
coeur. La tête s’enroule vers l’avant, tandis que le pli se
contracte vers l’arrière, en devenant progressivement la
poche abdominale et les tubes cardiaques situés à l’intérieur,
qui se connectent aux annexes extra-embryonnaires par le
bord du pli. La contraction de ce pli amène progressivement
les plis au niveau du futur nombril (« yolk sac stalk », ou
pédicule vitellin aviaire). Ce mouvement est continu, et
hormis les non-linéarités physiques liées aux déformations,
on ne perçoit pas de discontinuité du phénomène biologique
lui-même (par exemple, la contraction de l’arche gastro-
cardiaque a lieu a vitesse rigoureusement constante[14]).
En résumé : nous avons filmé et mis à disposition à peu
près tout les stades de développement du poulet, avec une
qualité permettant de mesurer les champs de vitesses, entre
le stade « blastula » (alors que le premier sillon finit tout
juste de s’ouvrir), et jusqu’au stade treize somites, alors que
le plan d’organisation d’un vertébré typique est
reconnaissable ; ces films couvrent 36 heures du
développement. Les données confirment l’existence d’un
point de vitesse nulle situé au centre de l’embryon, dans la
région ombilicale présomptive. Ce point apparaît devant
l’apex du premier sillon. Tandis que le sillon s’étire
brutalement vers l’arrière, la chorde apparaît immédiatement
dans le sillage de l’étirement bi-directionnel, puis le tissu
s’enroule le long des plaques latérales en formant des plis
dorsaux et les bourrelets des bourgeons de pattes. Le pattern
hyperbolique se propage vers toutes les échelles supérieures,
au fil de l’accroissement de l’embryon. Les forces
responsables de ce mouvement sont les forces de traction
réciproques du mésoderme et de l’ectoderme.
L’écoulement hyperbolique crée donc ainsi des
conditions physiques différentes dans chaque région, qui
s’imposent à toute la morphogénèse, de même que la
symétrie gauche-droite s’impose à toute la morphogénèse.
L’applatissement le long du dos se traduit par la fermeture
des crêtes neurales. Au point de stagnation, les tissus sont
tournés à angle droit du corps, et on voit s’y former les
artères omphalomésentériques (artères du sac vitellin).
L’enroulement latéral, produit naturel des lois de
conservations physiques, se traduit par la formation de la
région pelvienne et des bourgeons de pattes. Dans la région
scapulaire, le passage de la tête par dessus le plan de la
blastula complique la vision du phénomène, sans en changer
le principe. Tout ceci confirme que l’écoulement crée des
conditions physiques locales particulières qui imposent en
chaque point du tissu la configuration déduite de l’advection
dans le champ de vitesse local, lui-même contraint par la
condition initiale globale[3]. En particulier, la symétrie
miroir partielle, entre le haut et le bas du corps, qui avait été
remarquée par Jeffries Wyman[5] pourrait suffire à
expliquer la chiralité inverse des membres supérieurs et
inférieurs, par une conséquence du principe de Curie.
Ce principe universel stipule que la symétrie des effets
est à chercher dans la symétrie des causes. Plus pécisément,
dans le cas d’un champ physique étendu satisfaisant des lois
générales de conservation, la brisure de symétrie n’est pas
inhérente au champ physique, qui peut se développer
dynamiquement dans n’importe quelle symétrie ou
asymétrie (par exemple, lorsqu’on fléchit une plaque, les lois
de flexion ne contiennent aucune brisure de symétrie
particulière, c’est la condition initiale qui fixera la direction
de flexion). Ainsi, dans les embryons, comme dans tout
système matériel usuel, c’est la condition initiale, souvent
imposée de façon très modeste, qui impose la symétrie
initiale du problème, qui est ensuite passée à toutes les
échelles. Dans le cas qui nous occupe, si la morphogénèse
embryonnaire est un mouvement lent et continu opérant sur
une petite galette de 4mm de diamètre, le mouvement lui-
même, une fois lancé, continue et révèle les brisures de
symétrie initiales, mais il ne peut ni les défaire, ni en faire
surgir de nouvelles ex nihilo.
S’agissant maintenant du cœur, nous avons montré dans
une précédente note que le cœur était formé dans le
mouvement de pli situé en avant de l’axe médian[14] qui
enroule le mésoderme viscéral, ce qui est confirmé ici. Dans
la note[14], nous n’avions pas montré de film du moment
exact où plie la partie antérieure de l’endoderme (Movie
6,7), mais seulement la contraction de la poche gastro-
cardiaque (Movie 8). Ce pli apparaît alors que les plis
dorsaux poussent vers l’avant et cisaillent la blastula. C’est-
à-dire que le pli cardiaque est également induit dans le sens
de l’écoulement hyperbolique, ensemble avec la poche
abdominale. La tête passe par-dessus le plan de la blastula,
au niveau de ce pli (Fig. 8A), en enroulant l’endoderme et le
mésoderme dans le sens Haut-Bas du côté ventral (poche
abdominale) et dans le sens Gauche-Droite du côté dorsal
(plis dorsaux se refermant comme une crêpe mexicaine), ce
qui crée une situation complexe à l’origine du cœur et de
l’abdomen. Par la suite, le cœur et la tête croissent en
directions opposées, en raison de la forme sigmoïde de la
surface à cet endroit. Au stade 13 somites (Fig. 8B),
l’ensemble de l’embryon, notamment quand il est imagé à
45° (Voir Figure Supplémentaire 6) montre clairement la
région de l’enroulement hyperbolique (zone des pattes et du
dos), et le raccordement automatique du cœur au sac vitellin,
exactement au « nombril » ou pédicule vitellin présomptif où
les tissus embryonnaires sont connectés à angle droit au sac
vitellin. (Voir Figures Supplémentaires)
Ainsi, l’ensemble des films montre l’existence d’un
« point-col » ou encore « point hyperbolique », présent dès
les premières minutes de formation du corps embryonnaire,
et qui est constamment présent, et finalement apparent sur
l’animal adulte. Ce « point-col » sépare la morphogénèse en
quatre cadrans, présentant une double symétrie droite-
gauche et antéro-postérieure. Le tissu cisaillé sur le côté
s’enroule en engendrant la forme enroulée de la plaque
latérale et de toute la région pelvienne. Dans la région