Brisure de symétrie hyperbolique et formation du plan d`organisation

Biologie du développement et de la reproduction
Brisure de symétrie hyperbolique et formation du plan d’organisation des
vertébrés
Vincent Fleurya,*, Olena P. Boryskinab, Alia Al-Kilania.
aLaboratoire Matière et Systèmes Complexes, université Paris Diderot. 10, rue Alice Domon et Léonie Duquet
75013 France
bInstitute of Radiophysics and Electronics NAS of Ukraine, Acad. Proskura str. 12, Kharkov 61085, Ukraine
R É S U M É.
Cette Note présente un ensemble de preuves expérimentales montrant que la formation
du plan d’organisation de l’embryon de poulet passe par un écoulement de tissu
embryonnaire de nature hyperbolique. Il est suggéré que ce phénomène est général pour
la formation des tétrapodes. A partir d’une configuration initialement 2D (« coque » ou
« plaque » de tissu au sens mécanique), un écoulement visco-élastique de tissu, bi-
directionnel dans le sens Antéro-Postérieur et bi-directionnel dans le sens Gauche–Droite
forme l’embryon aviaire typique. Cet écoulement présente un point neutre, identifié
comme un point de stagnation de l’écoulement. Ce point est rigoureusement situé à
l’emplacement du pédicule vitellin présomptif des oiseaux (analogue du nombril des
mammifères). Autour du point de stagnation, l’écoulement présente une brisure de
symétrie se traduisant par une symétrie miroir Gauche-Droite et Haut-Bas. Cette brisure
de symétrie est transmise à tous les stades ultérieurs de développement (principe de
Curie), et est visible sur l’animal adulte. Le tissu s’applatissant le long de l’axe Antéro-
Postérieur de symétrie forme les parties dorsales (axiales) de l’animal. Les parties
s’enroulant suivant quatre cadrans répartis autour du point hyperbolique forment les
plaques latérales de l’animal, desquelles émanent les membres. En outre l’enroulement de
l’axe médian par-dessus le plan moyen initial crée la poche abdominale, le cœur et ses
connexions aux organes extra-embryonnaires.
* Auteur pour correspondance. Courriel : vincent.fleur[email protected]
Mots clés :
Gastrulation
Poulet
Extension convergente
Écoulement hyperbolique
Organogénèse
Plan de l’organisation vertébrée
A R T I C L E
I N F O
Texte français d’un article dans les Comptes Rendus Biologies
Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515
2
VERSION FRANÇAISE. La formation des embryons
d’animaux se produit sur une configuration de référence le
plus souvent ronde. Cette masse de matière présente une
structuration en feuillets cellulaires2. Du point de vue
physique, le terme technique est « plaques » s’agissant
d’embryons dont la configuration de référence est plate
(comme pour le poulet) ou « coques » pour les embryons
commençant davantage sphériques (comme les poissons ou
les grenouilles). Dans le cas particulier des vertébrés, la
formation de l’animal proprement dit consiste en un
ensemble de mouvements réputés très complexes, opérant
sur cette coque, et la transformant en un animal
reconnaissable. On considère en général qu’il convient de
suivre tous les mouvements observés à une échelle locale, de
façon à interpréter chaque déplacement ou changement de
conformation cellulaire au niveau même de la cellule,
souvent en termes de chimiotactisme local. Dans une série
d’articles, nous avons proposé d’interpréter différemment
une partie des mouvements morphogénétiques[1-3]. Dans ce
point de vue, une brisure de symétrie globale s’impose à tout
le champ morphogénétique, et à toutes les espèces
chimiques, et se révèle progressivement dans le pattern
animal.
Dans le cas des vertébrés, les mouvements
morphogénétiques observés au cours de la gastrulation
pourraient s’interpréter comme la déformation visco-
élastique de la coque, à travers un écoulement qu’on qualifie
en physique d’écoulement hyperbolique. Ce type de
mouvement n’est pas intuitif, puisque le champ de vecteurs
vitesse présente des orientations antagonistes dans un petit
volume (la blastula a un diamètre d’environ 5mm lorsqu’ont
lieu ces mouvements). Dans cette interprétation,
l’organisation dynamique des champs de vecteurs a pour
cause profonde les lois de conservation physiques, et non
une superposition de champs chimiotactiques définissant des
gradients de concentrations suivant divers axes cartésiens.
La différence cruciale entre le point de vue chimiotactique et
le point de vue physique est la suivante. Si l’on fait
l’hypothèse que les cellules remontent des gradients
chimiotactiques, on admet implicitement une forme
d’autonomie des cellules, qui se déplacent en interprétant un
champ scalaire (l’agent chimiotactique). Cependant, cette
vision des choses n’est pas complète, puisque des cellules ne
peuvent pas exercer des vitesses, mais seulement des forces.
Il faut ensuite admettre que la dissipation visqueuse autour
de la cellule transforme la force, orientée dans un gradient
2 Nous admettons cette structuration en feuillets, sans en discuter
la cause (polarité cellulaire, molécules d’adhésion, desmosomes
etc.)
d’agent chimiotactique3, en une vitesse ; par conséquent,
l’hypothèse d’une autonomie de la cellule dans un champ
chimiotactique est incohérente, puisque la force visqueuse
suppose une interaction avec le milieu. A contrario, la vision
visco-élastique du problème de la morphogénèse
embryonnaire fait dès le départ l’hypothèse que les cellules
ne sont pas complètement autonomes : leur force
individuelle s’interprète comme un terme de force
volumique, agissant comme terme de source des forces, dans
un matériau continu. L’écriture de la loi de Newton donne
alors la déformation et le taux de déformation en chaque
point. Dans cette description, l’embryon est un objet global,
mécanique, et les champs de déformation et de taux de
déformation doivent être étudiés partout en continu, car, par
nature, la mécanique produit des effets à longue distance,
influencés également par les conditions aux limites.
En outre, s’agissant d’un objet stratifié (ectoderme,
mésoderme, endoderme) comme un embryon, il faut
comprendre l’effet réciproque de l’action et de la réaction,
sur les champs de déformation observés dans chaque couche.
Dans ces couches, les cellules, stratifiées dans la direction
perpendiculaire aux couches, peuvent avoir des mouvements
antagonistes par l’effet des lois d’équilibre, sans que cela
suppose des agents chimiotactiques ayant des effets opposés,
à quelques nanomètres de distance en épaisseur.
La complexité d’une étude globale des mouvements, a
pour avantage de réduire certains aspects globaux à des
observations topologiques simples. L’observation
topologique simple rapportée ici est que, lorsque démarre
l’extension visco-élastique de l’ectoderme 1 jour de
développement pour un poulet), le mouvement ectodermique
est lan avec une brisure de symétrie hyperbolique,
caractérisée par la présence d’un « point de stagnation », qui
est un point de vitesse nulle dans le repère de l’œuf initial.
Ce point se caractérise par une vitesse nulle dans toutes les
directions, dans le repère statique de l’œuf. Il faut noter
qu’on ne saurait imposer une vitesse nulle ailleurs, par un
changement de référentiel: le champ de force moyen étant
nul, l’œuf initial est statique. Dans ce référentiel-là, seul un
changement de référentiel vers un point de vitesse nulle est
galiléen. Tout autre changement de référentiel vers un point
matériel de l’embryon, de vitesse non-nulle, est non-galiléen
(en particulier parce que les trajectoires étant courbées,
autour d’un point hyperbolique, un point matériel se déplace
en traversant un champ de vitesse qui n’est pas constant).
Autour de ce point de stagnation, l’écoulement rapproche
les tissus dans le sens Gauche-Droite, et les étire dans le sens
Antéro-Postérieur. L’écoulement qui construit l’animal est
3 Effet obtenu par exemple en biaisant les distributions de
filopodes membranaires.
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très lent (les vitesses typiques sont de l’ordre de
1micromètre/Min., la taille de l’animal est de l’ordre de 5
mm, sa densité proche de celle de l’eau, sa viscosité de
l’ordre de 100 fois celle de l’eau ; on estime alors le nombre
de Reynolds R=ρV/µL<1, qui caractérise les régimes
laminaires ; dans nos expériences sur le poulet, la durée
totale des mouvements permettant de passer d’un animal plat
et ovale à un petit vertébré reconnaissable est de 36 heures,
les vitesses de rotation dans les régions tourbillonnaires sont
de l’ordre de un tour par jour), aucune autre brisure de
symétrie spontanée n’intervient, et la croissance de l’animal
transmet cette brisure de symétrie à tous les stades de
développement jusqu’à l’adulte.
S’agissant d’une brisure de symétrie globale œuvrant
dans tout l’embryon, il est vain dans ce cas d’en chercher la
cause dans le mouvement ou le changement de conformation
des cellules individuelles qui se déplacent dans la blastula.
Dit autrement, la présence d’un « point-col » hyperbolique
dans l’embryon est une propriété topologique du
phénomène, dont la cause n’est pas le comportement
individuel des cellules. Des cellules préparées dans une
situation initiale présentant un point fixe hyperbolique,
engendrent dynamiquement un écoulement tel que celui
observé, qui transporte les cellules de la blastula initiale
(ronde) et les redistribue sur une forme reconnaissable
comme une embryon de vertébré tétrapode.
Plus précisément, un écoulement planaire présente une
configuration hyperbolique, lorsqu’il est convergent dans
une direction, et divergent dans l’autre, autour d’un point de
vitesse nulle. Autour de ce point la conservation de la masse
s’écrit div(V(x,y))=0, soit xVx(x,y)+ yVy(x,y)=0. À deux
dimensions cette équation implique une forme linéarisée de
l’écoulement qui est V(x,y)=(-kx, ky) k est un paramètre
quantitatif commandant l’écoulement au premier ordre[3].
Ceci se démontre en écrivant simplement V(x,y)=(k1x, k2y),
et comme div(V)= k1+k2=0 on en déduit k1= - k2. Le
changement de signe (+) suivant l’axe OY, (-) suivant l’axe
(OX), traduit le fait que si l’embryon s’étire suivant (OY),
alors nécessairement il se ramasse suivant (OX). De par les
lois de conservations de l’hydrodynamique, l’étirement est
relié à la contraction. Ainsi, les mouvements dits
« d’extension-convergente » en biologie du développement,
ne sont pas indépendants, de par les lois fondamentales de la
physique. La force produisant ce mouvement est simplement
la force cumulée des tractions cellulaires, orientées
initialement avec la brisure de symétrie en question. De
surcroît, les cellules peuvent s’aligner dans le champ de
vitesse qu’elles créent, ce qui renforce spontanément le
phénomène.
Cependant, le jeune embryon est une plaque qui est
repliée vers « le dessous » le long de son axe médian ; les
forces morphogénétiques en question doivent donc tenir
compte des mouvements dans le mésoderme, les cellules du
mésoderme étant en contact avec l’ectoderme (« par en
dessous »). Nous montrons dans cette note (Fig. 5) que la
migration du mésoderme, son arrêt, la fermeture du premier
sillon, et la traction observée sur l’ectoderme, sont correllées
à longue portée, comme on attendrait d’un champ physique,
par l’effet de l’action et de la réaction. L’invagination du
mésoderme a pour effet d’inverser la force de traction de ces
cellules qui tirent sur l’ectoderme, dans le sens qui
expliquerait l’extension soudaine vers l’arrière. Des
hypothèses chimiotactiques devraient, pour rendre compte
de ces observations, expliquer des coïncidences
extraordinaires, à longue portée, permettant la fermeture
d’un pli d’un côté, la formation de nouveaux plis de l’autre,
au moment exact où le mésoderme rentre par le premier
sillon et remplit la cavité située sous l’ectoderme, ce qui
paraît extravagant du point de vue conceptuel, et même
impossible du point de vue évolutif.
La structure globale du mouvement imprimé à la
blastula est immédiatement visible sur un jeune embryon
(Figure 1), et également sur un animal adulte comme un chat
(Voir Figures Supplémentaires), ce qui suggère que la
brisure de symétrie est « up-scalée ». Pour valider ces
concepts, nous avons tout d’abord effectué des expériences
indépendantes de mesure du comportement du tissu
embryonnaire, lorsqu’il est soumis à une contrainte externe,
exercée avec un jet d’air (expérience dite de tonométrie à jet
d’air, utilisant un instrument nouveau [4]). Ces expériences
révèlent que le tissu embryonnaire a un comportement de
matériau visco-élastique (Figure 2, et Figures
Supplémentaires), visqueux à des temps supérieurs à 5
secondes. Par conséquent, les mouvements cellulaires
observés pendant la morphogénèse sont bien des
écoulements.
Nous avons ensuite mesuré finement les vitesses du
tissu embryonnaire, tel qu’observé au microscope. Pour
obtenir ces films, nous avons développé un protocole
amélioré de visualisation du développement embryonnaire.
Dans ce protocole, l’embryon est sorti de l’œuf, puis
longuement rincé dans un tampon de PBS (Tampon
Phosphaté PBS, Merck). Ce faisant, tout le jaune est éliminé.
Ce long rinçage a pour effet de rendre l’embryon
pratiquement transparent, et d’éliminer toutes formes de
diffusion optique par les gouttes d’acides gras du jaune, qui
rendent l’imagerie de l’embryon de poulet très peu piquée.
Dans nos films, l’image est suffisamment piquée pour faire
un suivi en PIV (Vélocimétrie de particules) de la surface
directe de l’embryon, sans aucun marquage.
Néanmoins, l’inconvénient de ce rinçage est que la
culture de l’embryon dans cette configuration n’est possible
que pendant une dizaine d’heures au maximum. Nous avons
donc fait les mesures sur différents embryons, sur des temps
n’excédant pas 5 heures, en sorte que chaque embryon est
dans une situation pratiquement normale de croissance. Ceci
est techniquement corroboré par l’apparition successive des
somites, qui est en général un critère de développement
normal de l’embryon de poulet.
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Le module Tracker (O. Cardoso, Université Paris-
Diderot), est utilisé, dans le logiciel ImageJ (W. Rasband,
NIH) pour déterminer les champs de vitesses. Les films sont
acquis à la loupe binoculaire (Leica FZLIII), en lumière
rasante (fond noir), afin de pouvoir imager un grand champ
embryonnaire, puisque le but de ce travail est de mettre en
évidence le caractère global de l’écoulement. Pour certaines
expériences, nous avons installé un système de double
imagerie, par-dessus, et par dessous, permettant d’observer
les deux côtés de l’embryon (voire le mésoderme, à travers
l’endoderme4). En particulier, les films de formation du pli
cardiaque et de la poche abdominale sont particulièrement
nécessaires en double vue, pour comprendre comment
s’effectue la morphogénèse de ces régions.
L’ensemble des films est visible en accès libre sur le
site :
http://www.msc.univ-paris.diderot.fr/~vfleury/portailembryons0.html
Concernant la forme de ces écoulements les films
analysés plus particulièrement pour cet article donnent les
résultats suivants. La Figure 4 montre le champ de vitesse
déduit par PIV d’un enregistrement au moment la chorde
commence à s’étendre. On distingue un très net enroulement
caudal et cranial, s’éloignant d’un centre qui est un point
neutre de mouvement. Le point de stagnation est situé juste
devant l’apex du premier sillon. La Figure 3B, qui se
rapporte au film Movie 1, montre le champ de vitesses le
long de l’axe médian, au voisinage du premier sillon, au
moment de sa fermeture, stroboscopé par intervalles de 50
minutes. On observe que le mouvement d’extension est
correllé à la fermeture du premier sillon. Au fur et à mesure
que se ferme le premier sillon, le mouvement dans la région
du sillon est de plus en plus étiré vers l’arrière. La fermeture
du sillon s’accompagne d’une traction sur la partie située en
avant, celle qui formera le corps de l’embryon, qui s’étire
vers l’arrière. En s’étirant, la partie médiane cisaille et
enroule le tissu latéral, en formant des vortex situés de part
et d’autre de l’axe médian.
Lorsqu’on mesure finement les vitesses le long du
sillon, et juste en avant du sillon (Movie 1 Figure 4Haut), on
constate une évidente corrélation à longue portée, entre la
fermeture du sillon, et l’accélération du mouvement de
l’ectoderme (Figure 4Bas), qui est étiré vers l’arrière. Par
conséquent, l’invagination du tissu à travers le sillon joue un
rôle mécanique dans la traction de l’ectoderme vers l’arrière,
mais les mouvements des uns et des autres sont
indissociables, en raison de la longue portée des interactions.
C’est pourquoi nous avons également mesuré le mouvement
du mésoderme, en filmant celui-ci à travers l’endoderme
(Movie 3, Figure 5), « par en dessous ». Le film révèle que
l’écoulement remplit uniformément la cavité située en
4 L’endoderme est beaucoup plus fin que l’ectoderme.
dessous de l’ectoderme, et que la fermeture du sillon, et
l’extension de l’ectoderme (et donc de la chorde) coïncident
avec l’arrêt de la progression du mésoderme, quand il finit
de remplir la cavité. On comprend que dans le repère du
laboratoire, l’ectoderme et le mésoderme glissent l’un sur
l’autre par l’effet de leurs forces de traction. Mais si le
mésoderme est empêché d’avancer lorsqu’il a rempli la
cavité située sous l’ectoderme, l’effet des tensions sera une
accélération antagoniste de l’ectoderme, associée donc d’une
part à la femeture du sillon, puis au pli des tissus.
Avec le mouvement d’invagination du mésoderme, un
point de stagnation se vèle sur l’ectoderme, qui sépare la
partie qui se déforme vers l’avant, de celle qui se déforme
vers l’arrière. Bien que l’embryon n’ait pas de forme à
proprement parler (il est pratiquement plat et ovale),
l’écoulement de l’ectoderme présente une structure
caractéristique, hyperbolique, au voisinage du point de
vitesse nulle. Cette structure hyperbolique du mouvement, va
progressivement se révéler dans la forme de l’embryon.
Tandis que la chorde devient visible, l’enroulement fait
apparaître une structure de plus en plus reconnaissable
comme une région pelvienne.
L’embryon continuant de se développer, il atteint le
stade de 3 paires de somites, les plis de la neurulation
recouvrent la chorde, en s’étendant de façon spectaculaire
vers l’avant et vers l’arrière (Figure Supplémentaire 3,
Movie 4). Au stade 5 somites le tissu s’applatit le long du
corps, tout en s’enroulant de façon très visible dans la région
de la plaque latérale qui formera les futures pattes arrières
(Figure 6A, Movie 5). On distingue toujours clairement un
point de stagnation, qui préfigure la région du pédicule
vitellin des poulets, qui est l’analogue du nombril des
mammifères. Le tissu poursuit son extension bi-
directionnelle au stade 10 somites (Figures 6B et
Supplémentaire 4). On observe très clairement que les
somites, ne « descendent » pas le long du corps : au
contraire, ils sont produits périodiquement dans la région
ombilicale et remontent : ils apparaissent effectivement vers
la région postérieure5, mais leur mouvement est antérieur,
donc ils remontent en rafale, tandis que toute la partie située
« au dessus » du point de stagnation dérive vers la direction
antérieure à partir du point de vitesse nulle (Figure
Supplémentaire 5). Les seuls points fixes du mouvement de
morphogénèse, dans le repère l’embryon dans son
ensemble est immobile, est le point de stagnation de
l’écoulement, et aussi le centre des recirculations latérales.
Néanmoins, comme l’embryon est limité dans son
extension par la frontière de la blastula, arrive un moment où
le mouvement de l’ectoderme plie la blastula, en sorte que
l’axe du corps passe au dessus de la blastula dans la région
antérieure, et dans la région postérieure (Movie 6,7,8). En
filmant les embryons recto-verso, avec un système de double
5 Sauf pour les 3 premiers.
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5
microscopie, on voit parfaitement l’instant ou la poussée des
tissus crée un pli en avant de l’axe dorsal, et comment la
formation de la tête est indissociable de la formation du
coeur. La tête s’enroule vers l’avant, tandis que le pli se
contracte vers l’arrière, en devenant progressivement la
poche abdominale et les tubes cardiaques situés à l’intérieur,
qui se connectent aux annexes extra-embryonnaires par le
bord du pli. La contraction de ce pli amène progressivement
les plis au niveau du futur nombril (« yolk sac stalk », ou
pédicule vitellin aviaire). Ce mouvement est continu, et
hormis les non-linéarités physiques liées aux déformations,
on ne perçoit pas de discontinuité du phénomène biologique
lui-même (par exemple, la contraction de l’arche gastro-
cardiaque a lieu a vitesse rigoureusement constante[14]).
En résumé : nous avons filmé et mis à disposition à peu
près tout les stades de développement du poulet, avec une
qualité permettant de mesurer les champs de vitesses, entre
le stade « blastula » (alors que le premier sillon finit tout
juste de s’ouvrir), et jusqu’au stade treize somites, alors que
le plan d’organisation d’un vertébré typique est
reconnaissable ; ces films couvrent 36 heures du
développement. Les données confirment l’existence d’un
point de vitesse nulle sitau centre de l’embryon, dans la
région ombilicale présomptive. Ce point apparaît devant
l’apex du premier sillon. Tandis que le sillon s’étire
brutalement vers l’arrière, la chorde apparaît immédiatement
dans le sillage de l’étirement bi-directionnel, puis le tissu
s’enroule le long des plaques latérales en formant des plis
dorsaux et les bourrelets des bourgeons de pattes. Le pattern
hyperbolique se propage vers toutes les échelles supérieures,
au fil de l’accroissement de l’embryon. Les forces
responsables de ce mouvement sont les forces de traction
réciproques du mésoderme et de l’ectoderme.
L’écoulement hyperbolique crée donc ainsi des
conditions physiques différentes dans chaque région, qui
s’imposent à toute la morphogénèse, de même que la
symétrie gauche-droite s’impose à toute la morphogénèse.
L’applatissement le long du dos se traduit par la fermeture
des crêtes neurales. Au point de stagnation, les tissus sont
tournés à angle droit du corps, et on voit s’y former les
artères omphalomésentériques (artères du sac vitellin).
L’enroulement latéral, produit naturel des lois de
conservations physiques, se traduit par la formation de la
région pelvienne et des bourgeons de pattes. Dans la région
scapulaire, le passage de la tête par dessus le plan de la
blastula complique la vision du phénomène, sans en changer
le principe. Tout ceci confirme que l’écoulement crée des
conditions physiques locales particulières qui imposent en
chaque point du tissu la configuration déduite de l’advection
dans le champ de vitesse local, lui-même contraint par la
condition initiale globale[3]. En particulier, la symétrie
miroir partielle, entre le haut et le bas du corps, qui avait été
remarquée par Jeffries Wyman[5] pourrait suffire à
expliquer la chiralité inverse des membres supérieurs et
inférieurs, par une conséquence du principe de Curie.
Ce principe universel stipule que la symétrie des effets
est à chercher dans la symétrie des causes. Plus pécisément,
dans le cas d’un champ physique étendu satisfaisant des lois
générales de conservation, la brisure de symétrie n’est pas
inhérente au champ physique, qui peut se développer
dynamiquement dans n’importe quelle symétrie ou
asymétrie (par exemple, lorsqu’on fléchit une plaque, les lois
de flexion ne contiennent aucune brisure de symétrie
particulière, c’est la condition initiale qui fixera la direction
de flexion). Ainsi, dans les embryons, comme dans tout
système matériel usuel, c’est la condition initiale, souvent
imposée de façon très modeste, qui impose la symétrie
initiale du problème, qui est ensuite passée à toutes les
échelles. Dans le cas qui nous occupe, si la morphogénèse
embryonnaire est un mouvement lent et continu opérant sur
une petite galette de 4mm de diamètre, le mouvement lui-
même, une fois lancé, continue et révèle les brisures de
symétrie initiales, mais il ne peut ni les défaire, ni en faire
surgir de nouvelles ex nihilo.
S’agissant maintenant du cœur, nous avons montré dans
une précédente note que le cœur était formé dans le
mouvement de pli situé en avant de l’axe dian[14] qui
enroule le mésoderme viscéral, ce qui est confirmé ici. Dans
la note[14], nous n’avions pas montré de film du moment
exact où plie la partie antérieure de l’endoderme (Movie
6,7), mais seulement la contraction de la poche gastro-
cardiaque (Movie 8). Ce pli apparaît alors que les plis
dorsaux poussent vers l’avant et cisaillent la blastula. C’est-
à-dire que le pli cardiaque est également induit dans le sens
de l’écoulement hyperbolique, ensemble avec la poche
abdominale. La tête passe par-dessus le plan de la blastula,
au niveau de ce pli (Fig. 8A), en enroulant l’endoderme et le
mésoderme dans le sens Haut-Bas du côté ventral (poche
abdominale) et dans le sens Gauche-Droite du côté dorsal
(plis dorsaux se refermant comme une crêpe mexicaine), ce
qui crée une situation complexe à l’origine du cœur et de
l’abdomen. Par la suite, le cœur et la tête croissent en
directions opposées, en raison de la forme sigmoïde de la
surface à cet endroit. Au stade 13 somites (Fig. 8B),
l’ensemble de l’embryon, notamment quand il est imagé à
45° (Voir Figure Supplémentaire 6) montre clairement la
région de l’enroulement hyperbolique (zone des pattes et du
dos), et le raccordement automatique du cœur au sac vitellin,
exactement au « nombril » ou pédicule vitellin présomptif où
les tissus embryonnaires sont connectés à angle droit au sac
vitellin. (Voir Figures Supplémentaires)
Ainsi, l’ensemble des films montre l’existence d’un
« point-col » ou encore « point hyperbolique », présent dès
les premières minutes de formation du corps embryonnaire,
et qui est constamment présent, et finalement apparent sur
l’animal adulte. Ce « point-col » sépare la morphogénèse en
quatre cadrans, présentant une double symétrie droite-
gauche et antéro-postérieure. Le tissu cisaillé sur le côté
s’enroule en engendrant la forme enroulée de la plaque
latérale et de toute la région pelvienne. Dans la région
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