“ je tte les fondements de notre m onastère proche du F o rt de Québec-, “ qui est le lieu le plus s û r et encore : “ Nous nous établissons à “ Q uébec, comme au lieu le plus sû r pour nos personnes ; et les m ères Ilospi“ talières y font achever aussi une maison.” P o u r ce même motif, après qu’on eut abandonné le projet de b â tir la ville dans la vallée de Saint-C harles, les Jésu ites résolurent de construire, non plus à la rivière de ce nom, mais dans le voisinage du F o rt, leu r séminairc-collége, en faveur des enfants ta n t sauvages que F rançais. U n gentilhomme P icard, lle n é R ohault, qui é ta it entré dans la compagnie de Jé su s, avait désiré que son patrim oine fû t consacré à procurer le salut des peuples du Canada ; et son p ère, le m arquis de G am ache, offrit la somme de seize mille écus que les Jésu ites destinèrent à la construction do ce collège. Enfin, pour favoriser, de leur coté, une si utile institution, les Associés de la N ouvelle-France leur accordèrent, le 18 m ars 1637, douze arpents de te rre , à p rendre dans le lieu q u ’ils avaient désigné pour y b â tir la ville de Québec, à condition que ceux d ’entre eux qui seraien t présents aux exerci­ ces du collège, y occuperaient le rang que, dans ces sortes d ’établissements, on avait coutume de donner aux fondateurs. DE L’AUTORITE EN PHILOSOPHIE. L IV R E I I I . DE L’A U T O lilT É IIUMANO-DIVINE OU DE L ’ÉGLISE. C H A P IT R E V I I . SERVITUD E PRÉTEN D U E I)E LA PH IL O SO PH IE SOUS L ’E M PIR E DE l ’a u t o r it é . S 'il suffisait, pour persuader ce que l’on affirme, de l’établir sur de solides fondements, j ’aurais lieu d ’espérer, ce me semble, g râce à la nature de mon sujet, l’assentim ent de tout lecteur sérieux et m éditatif. Mais la m eilleure dém onstration est souvent im puissante à convaincre même un bon esprit, prévenu contre la vérité, entraîné et affermi dans l’erreu r par le vice de son éducation prem ière, par une longue habitude, par des exemples imposants, et par une finisse m anière d ’envisager les choses. O r, principalem ent en ce qui touche l’autorité divine et humano-divinc eu philosophie, un grand nombre ont appris dès l’adolescence à n ’en pas tenir compte. On leur a dit dès lors et dans la suite, que le domaine do la religion et celui de la philosophie form aient deux em pires amis et alliés sans doute, mais indépendants, en sorte que l’un ne pouvait prétendre sur l’autre aucune espèce do suzeraineté. Que si, parfois, brisant l ’équilibre des droits prétendus égau x, on venait à faire pencher la balance, c ’était constamment du cote de la philosophie. Do cette circonscription rigou­ reuse de la juridiction de l’autorité doctrinale, on concluait, dans l’hypothose la plus îavorable a cette autorité, qu’ un bon catholique était à la vérité strictem ent obligé d’écouter l'E g lise dans les m atières de la reli­ gion, mais qu ’en dehors de ce cercle sacré, il ne devait compte de scs opinions qu ’à lui-même. Pouvait-on ne pas prêter une oreille attentive à des leçons qui caressaient si doucem ent l’amour de l’indépendance? Donc, on y a donné créance pleine et entière ; 011 a grandi avec la per­ suasion qu’elles avaient produite, et cette persuasion s’est fortifiée par le cours du temps et plus encore par la répétition des actes ; enfin, elle est devenue d’autant plus puissante, qu ’on l’a vue autorisée par un plus grand nombre et de plus éclatants exem ples. Chose déplorable et pourtant bien commune ! On voit des hommes, estimables d’ailleurs, réclam er une liberté entière en tout ce qui 11e tait pas directem ent partie de la doctrine révélée. On leur entend dire sou­ vent : M ais, je fais de la politique, de l'économ ie sociale ; je traite des sciences naturelles ; Qu ai-je a dém êler avec la th éo lo gie ? Voudrait-on nous ramener au m oyen-âge, où toutes les notions étaient confondues ? O ù l’on ne connaissait les limites de quoi que ce soit? O ù le pouvoir spiri­ tuel s’arrogeait des droits de toutes sortes, tandis que souvent de son coté le pouvoir temporel franchissait ses propres limites ? •Je n’ entreprendrai point, en ce lieu, la justification du m oyen-iVe ; ce serait un hors-d’œ uvre. Mais je ferai observer d ’abord, qu ’il est impos­ sible de citer un seul exem ple où le pouvoir spirituel du Saint S ié r,e ait dépassé ses droits naturels, ou du moins scs droits légitim em ent acquis par «le raisonnables concessions. Je rappellerai ensuite que, tout en dis­ tinguant parfaitement renseignem ent théologique et religieux de l’ensei­ gnement profane, on ne doit pas laisser de dire ou de croire, ainsi <iuc nous l’avons prouvé, que la théologie et la philosophie s'im pliquent trèssouvent, et que, par suite, l’autorité doctrinale établie par le Christ a, dans ces occurrences, juridiction sur les diverses branches de la philo­ sophie. Si donc, on rencontre parfois de bons esprits qui proclament la sépara tion absolue du sacré et du profane, de la philosophie et de la révélation pour ren seign em en t rév é lé e t les in terprétation s d e l ’au torité d octrin ale, on les en tende d ire fièrem en t : “ J e fais de la philosophie e t non pas de la dogm atique ; de la scien ce e t non de la relig io n ,” on d ev ra être affligé de leu r fatale e rre u r, m ais on ne sera pas éb ran lé p ar l ’ au torité de le u r exem ple ; c a r, d it a vec g ra n d e raison un célèb re a u te u r, on ju g e des exem ples p ar la d octrin e, e t non point d e la d octrin e p ar les exem p les. M ais enfin, m e direz-vous, on ne p eu t ad m ettre vos conclusions sans re c u le r ju s q u e v e rs les siècles d e b arb a rie. I l fa u d ra it, de n écessité, q u ’à présen t, com m e alors, la philosophie fu t re g a rd é e com m e la servante de la théologie : anema theologiœ. O r, le m oyen de ram en er le X I X e siècle au x poudreuses erreu rs des vieu x tem ps ? N o u s avons conquis n otre lib e rté à trop g ra n d s frais pour a ller ainsi lâch em en t nous incliner en vaincus sous Us fourches Caudinex du passé.— (P ie r r e L er o u x .) L ’ autorité d octrin ale étab lie p a r J é su s-C h rist pour co n serv er in tact le d ép ôt de la révé la tio n , étan t absolue e t sou verain e, d e v ra pouvoir citer à son tribunal tout en seignem ent qui lui serait hostile e t tra c e r la vo ix aux scien ces profanes, alors et en tant q u ’elles sont en con tact a v e c la vérité /révélée. O r, nous avons v u que la révé la tio n em brassan t le dogm e, la m orale e t le cu lte d ivin , éten d a it scs ram eaux sur les différen tes parties du cham p do la connaissance h um aine. L ’ autorité d octrin ale a donc sur les scien ces d iverses un pouvoir lég i­ tim e. A moins do nier l ’ autorité d octrin ale elle-m êm e, e t p ar suite la révéla tio n , on ne peut rejete r ce tte conséquence. V o ilà pourquoi les anciens ont nomm é quelquefois la philosophie servante de la théologie. Ils voulaient exprim er par là la d ép en dan ce de la philosophie dans les questions qui intéressent le d ogm e, la m orale ou le cu lte. Jam ais ils n ’ont prétendu autre chose, du moins les esp rits d e q u elq u e valeur. T outefois, cette qualification de servante, q u i d ép lait si fort a u x m odernes, parce q u ’ils y attach en t un sens q u ’ elle n ’ a v a it pas ch ez les an cien s, nous n ’avons pas d ’in térêt à la faire re v iv re e t nous ne le désiron s aucunem ent. Il y a plus : nous avouerons m êm e sans d éto u r q u ’ une apcllation de cette sorte 110 nous p arait pas suffisam m ent propre e t com plètem en t ex a cte, et q u 'elle est susceptible de plu sieu rs sens erro n és. S i l ’on dit que la phi­ losophie est la servan te de la th éo lo gie, ancilla theologiœ, il faud ra dire, à contrario, que la théologie est la m a îtresse de la philosophie, Domina philo8ophiœ. M ais il n ’ en va pas ainsi, il s’ en faut. L a m a îtresse, Do­ mina, peut com m ander arb itrairem en t à l ’ escla v e, ancillæ ; elle a de plus, sur elle, un d roit u n iversel, à l ’ excep tion de ce que réclam en t la religion et la m orale. Il en est tout au trem en t de la théologie vis-à-vis de la phi­ losophie. 1° . E lle no p eu t en aucun cas lui com m ander arbitrairement, tous ses droits étan t uniquem ent fondés su r les ex ig e an ces d e la d octrin e révélée. Si l’autorité doctrinale voulait faire acte de juridiction eu philosophie, alors que l’intérêt du dogme, de la morale ou du culte divin ne le requiert pas véritablement ; si elle franchissait les limites tracées par les nécessités de ce triple intérêt, il y aurait alors chez elle usurpation de pouvoir et ses entreprises seraient nulles et tyranniques, par où l’on voit : 2 ° . Que le pouvoir de l’autorité doctrinale en philosophie n’est point universel, mais qu’il est au contraire dans des bornes nécessaires. C ’est pour ces motifs que nous ne pensons pas qu’il soit convenable et à propos d’appeler la philosophie servante de la théologie. Contentons- nous de croire et d’enseigner qu’elle lui est soumise sous les différents rapports déjà plusieurs fois exposés. L e rationalisme mitigé que nous combattons en ce lieu, ne saurait nous voir avec indifférence écarter de la philosophie la dénomination odieuse que nous avons discutée ; mais il ne se contentera pas d’une concession si légère ; il nous dira même que la grande difficulté existe toujours. En effet, il ne peut manquer de rechercher et de demander si l’autorité doc­ trinale aura ou n’aura pas la faculté de signaler, par elle-même, authen­ tiquement et sans appel, l’étendue et les limites des droits que le R évéla­ teur tout puissant lui a concédés dans le domaine de la philosophie ; et nous devrons répondre qu’il en est certainem ent ainsi. Mais, alors, ne voyez-vous pas (pie le despotisme pourra tout envahir, tout absorber ? En effet, dans cette hypothèse, le corps enseignant, le Pape et les Evêques, peuvent d'une p art, attendu la suprématie doctri­ nale qui leur est dévolue, exercer leur juridiction sur la philosophie sans contrôle aucun ; et, de l’autre, constater et tra ce r par eux-mêmes souve­ rainement les limites de cette juridiction. O r, cela posé, n’est-il pas à craindre évidemment que maintes et maintes fois ils ne soient exposés, entraînés à en élargir la sphère 'i N e sait-on pas (pie tout pouvoir est doué d’une force d’expansion qui le fait s’étendre peu à peu jusqu’à ce qu’il rencontre un invincible obstacle ? Mais l’autorité doctrinale souve­ raine, absolue, n’en rencontrera point. Ainsi donc, étendant toujours sa sphère d’action, elle anéantira enfin toute distinction entre le sacré et le profane, engloutira tout, et fera peser sur le vaste empire de l'intelligence le joug d’une servitude universelle. Si le pouvoir doctrinal établi dans l'Eglise n’avait pas des prérogatives particulières ; si Jésus-Christ, eu l’instituant, ne lui avait pas promis de l’assister efficacement tous les jours jusqu’à la fin du inonde ; s’il n’avait pas exigé de nous, sous les plus formidables m enaces, une soumission inté­ rieure et extérieure, absolue à tous ses jugem ents dogmatiques ; en un mot, si le corps enseignant n’était pas rigoureusement infaillible dans un certain cercle déterminé par la nature même de sa mission, e t dont, à raison de sa souveraineté, il doit pouvoir toujours au besoin reconnaître par lui-même et distinguer la circonférence, sans être jam ais exposé à la dépasser aucunem ent ; je reconnais et je confesse que les craintes que l’on exprime seraient légitim es. M ais dans les conditions actuelles de la réalité, elles n ’ont pas de fondem ent raisonnable. Jésus-C hrist ayant donné à l’Eglise enseignante un pouvoir tel que quiconque ne l’écoute point avec une entière soumission doit être regardé comme un païen et un public ai n, et que son partage, s’il no fléchit pas le céleste courroux, ne saurait être que le feu éternel de l’enfer, comment se persuader que le Sauveur a voulu nous laisser croire en même temps que l’Eglise p û t nous trom per jam ais ! Il y aurait dans cette conduite une horrible tyrannie. M ais, si nous n ’avions pas la parfaite certitude que jam ais le corps ensei­ gnant n ’a rrach era les bornes dans lesquelles il a plu au Seigneur de le circonscrire, il est manifeste que nous pourrions et devrions craindre que plus d ’une fois, il no s’é ca rtâ t du sentier de la vérité et ne nous entraînât avec lui dans l’erreu r. C’est pourquoi, si l’on pose en principe l’institu­ tion divine de l’autorité doctrinale infaillible, dans la société chrétienne, on doit reconnaître aussi, nécessairem ent, que cette autorité n ’outrepas­ sera jam ais, dans son enseignement, la limite de ses droits, alors au moins qu’elle exigera l’assentim ent intérieur, absolu, universel. Tout clair et concluant q u ’il soit, ce raisonnem ent ne dissipera pas sans doute tous les nuages. O n ne m anquera pas d ’invoquer l’histoire à re n ­ contre et de signaler a divers époques, dans le corps enseignant, des abus de pouvoir énormes. Discutons brièvem ent les faits les plus généraux. A u moyen âge, les représentants de l’autorité doctrinale ont souvent, d ’un accord unanim e, dépassé les limites de leur pouvoir, et dans l’objet de leur jugem ent, et dans les châtim ents q u ’ils y infligeaient, et dans les moyens q u ’ils avaient coutume de prendre pour en assurer l’exécution* Souvent, ils appelaient a leur tribunal purem ent spirituel, des causes pure­ m ent politiques ; ils prononçaient, par exemple, sur la légitim ité ou l’illé­ gitim ité des tributs ; prétendaient décider auctoritativem ent entre les souverains, de la paix et de la g uerre ; appelaient, eux-mêmes, les nations aux arm es, anim aient leur ard eu r p ar des promesses et des menaces ; pro­ hibant, sous les peines les plus sévères, tout commerce avec les peuples devenus l’objet de leur anim adversion. E t, ce qui est plus fâcheux encore peut-être, c’est qu’ils appuyaient leurs jugem ents, en m atière tem porelle e t spirituelle, des châtim ents les plus terribles de l’ordre m atériel ; de la spoliation des biens, des honneurs, des dignités même souveraines, du trône royal et im périal, de la privation de la liberté, et, m oyennant le m inistère du m agistrat séculier, de la vie elle-même. Combien n ’a-t-on pas vu de particuliers et de souverains ainsi dépouillés de tout p ar sentence apostolique, et signalés au monde comme des bêtes iauves sur lesquelles il fallait courir sus ! Divers em pereurs de G erm anie, des rois de F ran ce, d ’A ngleterre e t d ’E spagne ont ainsi été voués à l’anathêm o. Avant de répondre directement aux difficultés proposées, nous croyons devoir rappeler certains principes généraux nécessaires pour éclairer la discussion. 1°. L ’Eglise, c’est-à-dire le Pape à la tête des Evoques, n’est pas et ne se prétend point infaillible dans les matières de simple fait, et jamais elle n’a exigé, sous les peines de droit, l’assentiment inté­ rieur aux jugements par lesquels elle a cru devoir décider des questions de cette sorte. Si l’Eglise universelle n’est point infaillible quand il s’agit d’un simple fait, à plus forte raison une portion quelconque de l'Eglise, ses chefs subalternes. 2°. L ’Eglise, c’est-à-dire le Pape uni à la tête des Evêques, n’est infaillible que dans les jugements doctrinaux qui concernent l’enseigne­ ment révélé, et où elle exige rigoureusement l’assentiment intérieur. Dans la conduite de la vie, le Pape, les Evêques, le concile écuménique lui-même, peuvent suivre et suivent, en effet, quelquefois de simples opinions qu’ils regardent comme probables ou plus probables que leurs contraires. Cela posé, il est évident que l’infaillibilité de l’Eglise n’est point enga­ gée dans l’espèce qu’on nous oppose ; car, on n’y allègue que de simples faits et des manières de conduite plutôt que d’enseignement. Ainsi, il n’est nullement prouvé par les exemples mentionnés plus haut, que l’auto­ rité doctrinale infaillible, alors qu’elle exigeait rassentimeut intérieur uni­ versel, absolu, ait franchi dans son enseignement les limites de ses droits. Venons maintenant au particulier. L ’Eglise, dit-on, a prononcé sur des questions politiques, sur les tributs, sur la paix et la guerre. L'Eglise, simplement dite, c’est l’Eglise universelle, c’est-à-dire le Pape la tête des évêques. Or, je ne sais si l’on pourrait citer un seul fait où l’Eglise ainsi entendue ait décidé, comme autorité purement spirituelle, les sortes de questions dont on vient de parler. Le Pape en a traité quel­ quefois en sa qualité de Souverain Pontife et de souverain de divers Etats et en vertu du droit public de l’époque.* Des évêques, chez diverses nations chrétiennes, en ont aussi traité, d'ordinaire en leur qualité de seigneurs temporels. Voilà tout ce que nous apprend l’histoire. Mais, fut-il véritable que l’Eglise, en tant que pouvoir spirituel, eut connu quelquefois de ces matières, il ne s’en suivrait pas qu'il y eût ou, dans son fait, usurpation de pouvoir. Est-ce que la morale n’est point intéressée dans la question de l’impôt, dans le maintien de la paix et dans la déclaration de la guerre. Le souverain ne peut-il pas grever ses sujets * Voyez : Pouvoir du Pape sur les Souverains nu moyen âge, pawim. tyranniquement ? N ’est-il pas constant que plusieurs ont fait ainsi ? gardien-né de la justice n’avait-il pas le droit de les avertir ? Le N ’était-ce pas son devoir quand il pouvait espérer quelque bon résultat de son aver­ tissement ? A ux yeux de la philantropie comme de la religion, n’est-ce pas un grand crime au chef de l’E ta t de déclarer la guerre sans raison suffisante ? Le sang injustement versé ne demande-t-il pas vengeance ? Qui aura le droit d’élever la voix contre les ra vageu rs de provinces, si vous prétendez fermer la bouche à ceux qui sont établis de Dieu pour amener tous les hommes à la fidèle observation de la loi du Seigneur ? C’est donc sans fondement solide que l’on soutient que l’Eglise, au moyen-âge. franchit les bornes de sa juridiction, dans l’objet de ses jugements, quand elle prononça sur la légitimité de la guerre et de l’impôt et sur l’ensemble do la conduite du souverain. Si l’Eglise, elle-même, a parfois provoqué la guerre, comme il arrivait, en effet, dans ces expéditions héroïques appelées guerres saintes ou croi­ sades, on ne saurait prétendre non plus, qu’en ces rencontres, elle est sortie de sa propre sphère d’action et d’influence. L a guerre est quelque­ fois permise, quelquefois nécessaire, et partant commandée. L ’Eglise, qui a mission de déclarer à chacun son droit et son devoir, peut donc, quand il y a lieu, prononcer que la guerre est permise et même obligatoire ; elle peut, en conséquence, par des menaces et des promesses, exhorter à la faire, et par suite, elle a le droit de défendre, sous des peines sévères, à tous ses enfants, de donner aide et secours à la partie qui voudrait faire prévaloir l’injustice. Il n’est pas de mon sujet de faire voir, qu’en réalité, lorsque l’Eglise a poussé le peuple à la guerre, la guerre, communément, était non-seulement permise, mais même nécessaire. Qu’il me suffise de faire observer en général, par rapport aux croisades, que leur grand but était de repousser et de détruire un ennemi qui ne prétendait à rien de moins qu’à la ruine du christianisme, qu’il aurait remplacé par sa barbarie musulmane, par l'impiété manichéenne, ou par l’asservissement de la conscience à la force brutale. Si donc, le christia­ nisme avait le droit de vivre, il avait par là même, le droit de repous­ ser par la force ceux qui l’attaquaient à force ouverte. Si les peuples chrétiens étaient rigoureusement tenus de ne pas se laisser enlever par des étrangers, le plus précieux de tous leurs biens, l’Eglise pouvait leur intimer cette obligation et les contraindre par les peines en son pouvoir, à faire tous leurs efforts pour repousser leurs plus cruels et leurs plus dangereux ennemis. A la bonne heure. Mais, l’Eglise, interprète légitime du droit et du devoir, chargée de déclarer ce qui est juste et injuste, pouvait-elle sanctionner ses jugements par des châtiments de l’ordre temporel, par la spoliation des biens, la privation des honneurs, des dignités et de la liberté ? L ’Eglise, pouvait-elle, par elle-même, frapper de mort civile, et com m ander au m agistrat d ’infliger la m ort corporelle ? E n faisant ainsi y très-souvent, n ’a-t-elle pas franchi les bornes de son droit ? J e rappellerai : 1 ° . Que l’Eglise n ’a jam ais défini qu’elle eut le pouvoir de condam ner les coupables aux peines tem porelles dont on parle : Q u’elle y ait condamné en eflct, et, p a r suite, qu’elle se soit crue autorisée il le faire, j ’en dem eure d’accord. M ais, pour l’Eglise, autre chose est croire pouvoir faire certains actes, au tre chose définir q u e lle a le droit de les faire. Dans le prem ier cas, il suffit d ’une vraie probabilité ; la certitu d e, une certitu d e fondée sur la révélation est nécessaire dans le deuxièm e. Ainsi, lors même qu’il ne serait pas vrai en soi, que l'Eglise put faire subir a certains délinquants des châtim ents corporels, lors même q u ’il consterait m aintenant que la probabilité qui lui a servi de règle en ces rencontres, n ’était qu’une fausse apparence, 1 ° . on ne pourrait pas lui reprocher l’envahissem ent du droit d ’autrui ; elle ne m ériterait aucune imputation odieuse, car elle aurait suivi pour réglé de conduite, ce qui l’est en effet, le jugem ent probable : 2 ° . On ne saurait non plus prétendre que l’autorité doctrinale a failli et s’est trom pé, atten d u qu’elle n ’a rien décidé. Mais, il est certain que l’Eglise a pu légitim ement infliger les peines temporelles dont on parle ; ou du moins re q u érir la puissance temporelle de les d écern er elle-même. N on que ce pouvoir soit inhérent a l’Eglise ; mais parce q u ’elle l’avait reçu de l’E ta t. O r, l ’E ta t avait pu le concéder à l’Eglise très-légitim em ent. A u moyen âge, l’Europe chrétienne, était en même temps catholique. L a religion catholique était la religion de l’E ta t et une de scs lois fondamentales. Elle faisait partie de la constitution. P a r conséquent* attaquer la religion catholique, c ’était attaquer la loi fondam entale, la constitution de 1 E tat. L ’E ta t pouvait donc légalem ent punir p ar lui- même ce délit, ou bien, en accorder le droit a l’Eglise. Le pouvait-il légitim em ent ? Voilà l’importante question qu il faut m aintenant résoudre. E tablir solidement l’affirmative, c’est constater en meme tem ps, que l’Eglise n ’a point dépassé les limites de sa juridiction, en d eccrnant, autrefois, des peines temporelles. O r, il ne nous semble pas difficile de prouver, en peu de mots, que l’E ta t a pu faire légitim ement la concession dont il s’agit. Tout se réduit à savoir si l’E tat a pu raisonnablem ent faire de la religion catholique, une de ses lois fondamentales ; cai il est manifeste, dans cette hypothèse, qu il aura pu et d u e t la défendre aussi bien que scs autres lois. M ais, la protegei dem andei si l’E ta t avait le droit, au m oyen-âge, de ranger parm i scs lois fonda­ m entales la religion catholique, c’cst dem ander si 1 E ta t avait le d io it de vouloir sortir de la barbarie et du chaos, pour s avancer ensuite, à la conquête de la civilisation. Ecoutons sur ce sujet le célébré Brownson déjà cité. “ Dans les âges de barbarie qui suivirent la destruction de l’empire Romain d ’O ccident, âge contre lesquels, nous entendons ta n t de déclam a­ tions bruyantes et insensées, et où, pour notre p art, en dehors de la catholicité et de ses produits, nous trouvons bien peu de chose qui ne nous révolte ; l’Eglise de Dieu avait une double mission à rem plir, et elle était obligée d ’ajouter à ses fonctions spirituelles, la plus grande partie des fonctions de la société civile elle-même. E lle était seule dépositaire de ce qui avait été sauvé du naufrage de la vieille civilisation romaine, et la seule force civilisatrice qui re stâ t après l’irruption et les ravages des barbares. L a société laïque se trouvait dissoute p ar l'anéantissem ent de l’empire et des populations civilisées, et incapable do conduire les affaires séculières, selon les exigeances de la civilisation ; l ’Eglise, était obligée d ’ajouter à sa mission d ’évangélisatrice, laquelle est sa mission de tous les tem ps et de tous les lieux, la mission tem poraire et acciden­ telle, de civilisatrice de toutes les nations. E lle avait à apprivoiser des barbares féroces et hum aniser d ’im pitoyables barbares, à ré ta b lir l’ordre social, à raviver les sciences et les arts, à faire re n a ître e t à perfectionner la civilisation. On avait tout démoli ; elle avait tout à reconstruire. Il lui fallait être homme d ’E ta t, avocat, m édecin, m aître d ’école, peintre, sculpteur, musicien, agriculteur, horticulteur, relieur, ouvrier et artisan ; tout, en un mot, excepté banquier et soldat. A y an t ainsi à rem plir la plus grande partie de la tâche de la société civile, il lui devint absolument nécessaire d ’avoir une existence civile et politique, et d ’être incorporée à 1 E ta t, comme un élém ent intégrant de la constitution civile et de faire reconnaître connue la loi du pays, aussi bien que comme la loi de D ieu, son culte sans lequel elle aurait eu aussi peu d ’inHucncc religieuse. C était la une condition tout à fait nécessaire pour re tire r la société du chaos et de la barbarie où elle était plongée et pour rappeler à la vie, la civilisation et assurer son progrès. L ’infidélité, l’hérésie et le schisme qui étaient aussi directem ent opposés à la mission de civilisation q u ’à la mission d évangélisatrice des nations, étaient, alors, directem ent et immédia­ tement des crim es contre la société, et, comme tels ils pouvaient punis par les autorités publiques. être E n a ttaq u a n t l’E glise, ils attaquaient la société civile elle-même, s’en prenaient aux conditions essentielles de I ordre social et m ettaient en péril tous les in térêts sociaux.” M ais, ajoute le même au teu r, nations, est très-bonne des restreinte aux âges et aux de civilisatrice des contrées barbares, par la raison que l’Eglise ne p eut pas être appelée à civiliser nations qui le sont déjà. accomplie en grande m ettre a même de nécessaire C ette partie, dans ce et par suite, la nécessité donc pas “ C ette mission la mission, elle q u ’on l’a m aintenant appelle la chrétienté ; de l’ordre politique spécial, destiné à la rem plir, q u ’elle soit n ’existe plus m aintenant. Il n ’est aujourd’hui incorporée à l’E tat de la môme manière qu’elle l’était dans les âges de barbarie, et conséquemment l'infidélité, l’hérésie et le schisme, quoiqu’ils soient m aintenant contre Dieu, des crimes aussi grands que jamais, ne sont pas néanmoins des crimes contre la société, au môme sens qu’ils l’étaient alors, et ne doivent pas être punis comme tels. C’est pourquoi aussi longtemps que leurs par­ tisans m ènent une conduite paisible, qu’ils ne commettent aucun acte de violence contre la vraie religion, on doit leur accorder la tolérance politi­ que, et laisser à Dieu le soin de leur demander compte de leur délit qui est très-grand sans doute. Quand l’infidélité, l’hérésie et le schisme sont clairement et directement des crimes contre la société, ils pourraient être justem ent punis par les autorités civiles ; mais quand ils n’attaquent les intérêts sociaux que d’une manière éloignée, et que leur malice con­ siste principalement et à peu près exclusivement à nuire à l’âme, on ne peut leur impliquer de châtiment corporel et le prince ou-la république est obligé de les tolérer ( * ) . Ainsi le philosophe qui refuse de se soumettre aux représentants de l’autorité doctrinale, n’aura plus à craindre, comme autrefois, la confisca­ tion de ses biens, la prison, l’exil ou la mort. C’est quelque chose, sans doute, dans l'intérêt de la liberté philosophique. La philosophie n’est plus dès lors condamnée à un honteux esclavage., Si elle s’incline encore devant l’autorité, ce ne sera pas du moins, en vertu de la force matérielle dont elle redouterait la violence. Fort bien. Mais, n’aura-t-elle pas à craindre l’infamie ? La puissance spirituelle, renfermée dans ses limites, ne laisse pas, dit-on, d’avoir des moyens ceërcitifs. Elle ne lancera plus, comme autrefois, la foudre qui tuait les corps ; mais n’a-t-elle pas en réserve des peines infamantes ? L ’Excommunication jadis tant redoutée, est-elle tombée de sa main? Ne pourra-t-elle pas m ettre les libres-penseurs au ban de la Société Chrétienne? N ’auraient-ils pas à craindre d’être rangés par elle, aux yeux de plus de deux cents millions de leurs semblables, parmi les païens et les publicains ? O r, s’il en est ainsi, ou sera pour eux, la vraie liberté ? Quel prodigieux déchet ne lui fera point subir la perspective d'une si grande ignominie. Ami trop passionné de la philosophie, que protendez-vous en reclamant ainsi pour elle une liberté absolue ! Voulez-vous dépouiller 1 autorité doc­ trinale du droit essentiel de protéger toute la vérité révélée commise a sa _'ardc ? Si un chef de Cosaques ou d autres barbares ravagaient la plus belle province de votre patrie ; trouveriez-vous mauvais que le gouverne­ ment employât, pour le réduire, les moyens matériels qui lui furent confiés pour protéger la vie et les biens de ses subordonnes t lie garde riez-vous comme une exigeance absolue de la sacrée prérogative de la liberté de l’homme, l’obligation pour le chef du pouvoir de se tenir les bras croisés, ( • ) Q u nrto rly Ueview, New Sériés, 11, XI, p. 295,207. et de contem pler en silence les cam pagnes désolées e t les villes e t les villages mis à feu et à sang ? Pourquoi donc, dans l ’hypothèse m alheureusem ent trop vraisem blable, où il p ren d rait fantaisie à u n sophiste de dévaster le cham p de la vérité révélée confiée à l’Eglise, voudriez-vous condam ner celle-ci à dem eurer spectatrice inutile des m aux affreux q u ’elle voudrait parto u t faire. V ous êtes vivem ent touché des in té rê ts de la liberté, à la bonne heure : M ais ne devez-vous pas l’être d ’avantage de ceux 'd e la vérité. Voudriez-vous sacrifier aux mille caprices de la curiosité toujours inquiète, aux puissances de la vanité et de l’orgueil tan t de fois extrava­ g an t e t aveugle, le bien le plus précieux de l’hum anité ? E h ! pourquoi tan t vous affliger de voir l ’autorité doctrinale im poser à la liberté un frein nécessaire ? Vous devez plutôt vous en réjouir très-fort. P lu sieu rs qui ont coutum e de célébrer avec une fastueuse magnificence et des louanges excessives, les conquêtes du génie de D cscartcs sur les pré­ ju g és antiques e t p ar dessus tout, le bienfait inestim able, selon eux, de la m éthode par lui inventée, proclam ée et soutenue avec tan t de courage et de persévérance, ne m anqueront pas de nous dire que notre théorie étant essentiellem ent incompatible avec les idées de ce grand homme, ne saurait être véritable, e t qu’elle doit ê tre censée ju g ée p a r cotte opposition là même. N ous répondrons d ’abord que D escartes ayant prétendu affranchir la pensée du jo u g de l’autorité, n ’a point voulu, sans doute, p ar après, l’enchaîner a son propre char. Une doctrine ne sau rait donc ê tre censée ju g é e p a r la simple raison q u ’elle n ’est point en harmonie avec les idées du fameux réform ateur. N ous répondrons ensuite que notre théorie du pouvoir doctrinal établi dans 1 Eglise, ne nous fait pas m éconnaître les ém inents services que D escartcs a rendus a la science. Ce grand homme a dégagé la philosophie de beaucoup d injustes entraves dont l’em barrassaient des autorités tyran­ niques. Il I a soustraite a 1 em pire excessif q u ’exerçaient sur elle certains préjugés d éducation et de routine, certains noms, certaines écoles. Voilà le beau coté de I oeuvre de D escartes que nous reconnaissons, que nous proclamons et acceptons volontiers. Mais sa m éthode a soustrait, tres-probablcm cnt contre son intention, la philosophie à la surveillance légitime de la théologie, et voilà le coté défectueux que nous croyons devoir attaq u er. O r, en vérité, nous ne voyons point comment l ’on pour­ ra it m aintenant trouver à redire à un procédé si rationnel. La prétendue servitude de la philosophie sous l’em pire de l’autorité doctrinale n ’est qu’un épouvantail im aginé pour faire peur aux simples : nous pensons l’avoir suffisamment dém ontré e t nous le ferons plus claire­ ment encore dans les chapitres suivants. M ais, avant de clore celui-ci, je proposerai une dernière considération à l’adresse de quiconque continuerait a vouloir se laisser effrayer de la juridiction du corps enseignant, sur la philosophie, et persisterait à la regarder comme ennemie de la liberté et favorable à la servitude. Vous ne voulez pas reconnaître l’autorité doctrinale en philosophie, soit. Mais alors rejetez aussi la révélation qui serait, comme nous Tarons fait voir, à peu près inutile au monde, s’il n’y avait près d’ elle une autorité vivante et visible chargée d’en conserver le dépôt et d’en fixer infailliblement le sens. O r, si vous rejetez la révélation, il faudra aussi vous inscrire en faux contre le sens commun de l’ humanité, et plus spécialement encore, contre le sens commun des peuples chrétiens, partie la plus avancée de beaucoup sans contredit de l’humanité tout entière. Mais prenez-y bien garde, vous ne pouvez vous insurger contre le sens commun sans tomber dans l’individualisme absolu. O r, de l’ individualisme, si vous avez de la tête et du cœur, l’inflexible logique vous poussera jusque dans l’abîme sans fond et sans rivage du scepticisme, tombeau de l ’activité, et partant, de la liberté humaine. C ’est-à-dire, en un mot, que pour vouloir éviter une servitude imaginaire, vous vous précipitez dans l’esclavage le plus réel, le plus complet, le plus redoutable qu’il soit possible d’imaginer. P O S T -S C R IP T U M D E L A L E T T R E A R A T T A Z Z I, M IN IS T R E D E Y IC T O R -E M M A N U E L . P A R M G R . D U P A N L O U P , E V E Q U E D ’O R L É A N S . Il est dur pour un évoque de voir les intérêts sacrés de la religion mêlés chaque matin aux trames ténébreuses de la politique ; très-dur d’être obligé de se jeter sur ce terrain, et de toucher sans cesse à la politique en ne cherchant qu’à servir la religion. Ce rôle me pèse ; je le garderai pourtant jusqu’au bout. Que la calomnie, la plaisanterie, la menace tombe sur moi ; que d ’hon­ nêtes gens, fatigués de la lutte, ou que mes adversaires irrités me poussent au silence, que ma voix s’ épuise et se refuse â me s efforts, je parlerai cependant, et jusqu’ à mon dernier moment je demanderai à mon pays de garder son honneur et de ne pas trahir le Pape. Que se passe-t-il donc à l’heure qu’il est, et qu’est ce qu’on nous prépare ? Rien de ce qui se fait en ce triste pays ne ressemble à ce qui se voit ailleurs. Nons sommes là manifestement en face d’un gouvernement et d’un peuple à part, ayant des procédés à part, un langage à part, des mensonges à part, des armes à part. Rien ne s’ explique ici d’après les règles de la logique et du droit. L a raison comme la conscience demeure confondue. On voit là la tromperie organisée comme 011 ne l’a jamais vu ; tout ce qu’on peut imaginer d’ incroyable et d’impossible, d’ insolences et d’audaces révolutionnaires ; d’impuissance et de complicité gouverne­ mentale ; c ’est l’oubli de l’honneur, la violation de la foi jurée, l’insulte à