Recherche Production de cellules souches pluripotentes humaines à partir de fibroblastes cutanés adultes Human pluripotent stem cells derived from adult skin fibroblasts L. Martin, G. Le Boulanger (Service de dermatologie, CHU d’Angers) L a production par deux équipes indépendantes japonaise et américaine, dans l’espèce humaine et à partir de fibroblastes adultes, de cellules identiques aux cellules souches embryonnaires (dites induced pluripotent stem cells ou iPS) constitue sans aucun doute un évènement médico-scientifique majeur. Pour bien en mesurer la portée, il convient de le replacer dans le contexte scientifique mais aussi, dans le contexte sociétal (d’aucuns diraient philosophique), parfois violents, qui entourent ce champ de recherche. Contexte scientifique Rappelons tout d’abord quelques définitions. Les cellules souches embryonnaires, présentes au stade de blastocyste (5,5 à 8 jours), sont des cellules ayant les capacités de s’autorenouveler indéfiniment (in vitro) et de pouvoir se différencier en tous les types cellulaires de l’organisme. Elles sont qualifiées de “pluripotentes”. Les cellules souches sont dites “adultes” après le huitième jour du développement embryonnaire. Elles peuvent être isolées, par exemple, du sang du cordon ombilical, de la peau, de l’épithélium digestif ou de la moelle osseuse, et ne peuvent plus se différencier qu’en un nombre limité de types cellulaires. Elles sont alors dites “multipotentes”. Leur faculté de renouvellement est limitée. L’intérêt médical des cellules souches est a priori considérable, puisque leur utilisation pourrait être envisagée pour des études toxicologiques, en recherche fondamentale et en thérapeutique pour “régénérer” divers types cellulaires déficients ou devenus malins. Jusqu’à une date récente, la production de cellules souches pluripotentes dans l’espèce humaine n’était possible qu’à partir d’embryons âgés de quelques jours. Cette limite technique portait en germe une énorme pomme de discorde : pouvaiton, devait-on utiliser des embryons humains pour des travaux thérapeutiques ou de recherche ? Ces embryons devaient-ils être considérés comme des êtres humains vivants ou des êtres en devenir ? Une véritable fracture a divisé à la fois la communauté scientifique, la société civile et les États sur cette question ontologique. En France, ce type de travaux a été interdit, sauf en cas de dérogation (sic). Toutefois, en 2006, l’équipe de Yamanaka (université de Kyoto, Japon) a montré qu’elle était capable de produire des cellules souches pluripotentes à partir 38 Images en Dermatologie • Vol. I • n° 1 • janvier-février-mars 2008 de fibroblastes prélevés chez la souris adulte, ouvrant la voie à une transposition de la technique à l’espèce humaine. Après une brève période d’incrédulité de la part des scientifiques devant la relative simplicité de la méthode, les résultats de Yamanaka et al. (1) ont été reproduits par plusieurs équipes nord-américaines concurrentes au cours de l’année 2007, écartant toute idée de fraude scientifique. On se souvient en effet de la triste affaire des résultats truqués publiés par Hwang et al., et la prudence scientifique s’imposait. Faits scientifiques Les deux articles chroniqués ici ont été publiés en ligne à la fin de l’automne 2007 sur le site des prestigieuses revues américaines Cell et Science (1, 2). Il n’est pas question de détailler ces deux articles relativement indigestes (en fait pas tant que cela…), mais de résumer les méthodes et la caractérisation phénotypique des lignées cellulaires produites. Brièvement, l’équipe de Yamanaka a reproduit presque à l’identique la méthode qu’elle avait utilisée en 2006 chez la souris pour “reprogrammer” des cellules somatiques différenciées. Les types cellulaires utilisés chez l’homme “adulte” ont été des fibroblastes dermiques, des fibroblastes de synoviale et des fibroblastes de prépuce de nouveau-né. Ces cellules ont intégré dans leur génome des vecteurs rétroviraux exprimant quatre gènes codant pour des facteurs de transcription connus afin d’ être activés dans les cellules souches embryonnaires : hOCT4, hSOX2, hKLF4 et hC-MYC. Après une trentaine de jours dans des conditions définies, optimales pour la culture de cellules souches, les auteurs ont obtenu des colonies de cellules souches pluripotentes (mêlées à d’autres types de colonies qui restent à caractériser). Ces cellules pluripotentes ont pu être amplifiées lors de subcultures. L’identité du phénotype des cellules obtenues avec des cellules souches embryonnaires pluripotentes a été démontrée par un grand nombre de tests : – morphologiques à l’échelle unicellulaire ; – expression de marqueurs antigéniques de surface ; – profils d’expression génique (par microarray) et épigénétique, activité télomérase ; – fonctionnels : formation de “corps embryoïdes” in vitro, différenciation correcte en divers types cellulaires (neurones, myocytes, etc.), transmission des caractères génétiques à la descendance, formation de tératomes après greffe à des souris immunodéficientes. Recherche Schéma. Cellules pluripotentes humaines induites par des facteurs de transcription. Notons que les auteurs ont observé un arrêt de l’expression des quatre transgènes après l’obtention des cellules pluripotentes, signifiant que celles-ci étaient correctement “reprogrammées” et devenues indépendantes de l’expression des transgènes en question. Le défi technique résolu par Yamanaka et al. comporte tout de même quelques limites à ne pas méconnaître. Les vecteurs et les transgènes utilisés ne sont pas anodins : ils ont un potentiel carcinogène. Les vecteurs rétroviraux peuvent s’intégrer dans le génome en étant responsables de mutations aux sites d’insertion. C-MYC est bien connu, en dermatologie et ailleurs, pour être surexprimé dans un certain nombre de tumeurs. De fait, des cancers ont été décrits chez les souris obtenues par Yamanaka et al. Par ailleurs, le rendement de ces expériences est faible : 5 000 cellules transfectées pour une colonie d’iPS. Dans ces conditions, on comprend mieux la réactivité de l’équipe concurrente de Thomson (université du Wisconsin, Madison) [2]. Le challenge pour les années qui viennent réside en effet dans le fait d’optimiser l’obtention des cellules souches pluripotentes et de sécuriser leur utilisation médicale. On peut anticiper que ce champ de recherche va être le lieu de brevets multiples obtenus pour des modifications successives mineures des conditions de transgenèse, de culture, etc. Ainsi, Thomson et al. ont obtenu des cellules souches pluripotentes très peu différentes de celles de Yamanaka et al. en utilisant deux facteurs de transcription différents (sur quatre) : NANOG et LIN28 remplacent C-MYC et KLF4. Les critères retenus par les auteurs américains pour affirmer le phénotype et la fonctionnalité des cellules souches pluripotentes obtenues sont par ailleurs similaires. Leur rendement est de une colonie pour 10 000 fibroblastes transfectés. Apports et perspectives La reprogrammation de cellules somatiques adultes humaines en cellules souches pluripotentes est un pas de géant dans la biologie des cellules souches. En effet, ces cellules ont a priori un grand nombre d’applications scientifiques et médicales possibles. Même dans les conditions d’obtention actuelles, leur utilisation pour des études de toxicologie cellulaire in vitro (et non plus sur des organismes entiers) aux stades précoces du développement de médicaments est envisageable. Leur emploi dans des travaux de recherche fondamentale, notamment en oncologie et en embryologie, est bien sûr prévu. Enfin, l’utilisation des cellules pluripotentes en thérapeutique n’est pas encore pour demain, mais vraisemblablement pour après-demain, dès que la production aura été sécurisée par le recours à des vecteurs de transgenèse et à des facteurs de transcription non susceptibles d’induire des cancers. L’ère de la thérapeutique spécifique d’un patient donné pourra alors commencer – probablement à des coûts tout à fait abordables. On pourra, après une simple biopsie cutanée et sans risque de rejet, puisque le sujet sera son propre donneur, différencier puis transplanter des populations cellulaires pour des tâches hautement spécifiques : reprise de la synthèse d’insuline par des cellules pancréatiques chez des diabétiques de type 1, régénération de neurones dans diverses maladies neuro-dégénératives (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer) ou après traumatisme médullaire, traitement d’hémoglobinopathies ou de leucémies. Dimension sociétale des résultats Les résultats publiés par les deux équipes ont un effet supplémentaire : ils vont probablement désamorcer le conflit qui opposait les partisans du “clonage thérapeutique” à ses opposants. L’une des pistes envisagées depuis dix ans dans ce domaine de la biologie était en effet de détruire des embryons de quelques jours de vie pour l’obtention de cellules souches à visée thérapeutique. Cette perspective a heurté un certain nombre de scientifiques, de citoyens, voire d’États, pour qui elle était inenvisageable pour des raisons éthiques. L’argument principal des détracteurs était que l’on ne saurait sacrifier un organisme humain vivant, fût-il âgé de quelques jours, compte tenu du “caractère sacré de la vie”. Pouvoir utiliser les propres cellules d’un patient va lever cet obstacle. La reconnaissance rapide de ces travaux par le Vatican ou la Maison-Blanche en témoigne. Pour autant, les travaux fondamentaux sur les cellules souches embryonnaires ne doivent pas être interrompus. En effet, une bonne connaissance des cellules souches dérivées de cellules somatiques nécessite une bonne connaissance de leur modèle biologique spontané. Enfin, la vigilance éthique s’impose vis-à-vis des iPS, car la possibilité d’obtenir des spermatozoïdes et des ovocytes existe désormais, et donc de fabriquer des clones humains… Références bibliographiques 1. Yamanaka S, Tanabe K, Takahashi K et al. Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors. Cell 2007;131:861-72. 2. Thomson JA, Vodyanik MA, Yu J et al. Induced pluripotent stem cell lines derived from human somatic cells. Science 2007;318:1917-20. Images en Dermatologie • Vol. I • n° 1 • janvier-février-mars 2008 39