Production de cellules souches pluripotentes humaines à

Images en Dermatologie Vol. I 1 janvier-février-mars 2008
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Production de cellules souches pluripotentes humaines
à partir de fi broblastes cutanés adultes
Human pluripotent stem cells derived from adult skin fi broblasts
L. Martin, G. Le Boulanger (Service de dermatologie, CHU d’Angers)
La production par deux équipes indépendantes
japonaise et américaine, dans l’espèce humaine
et à partir de fi broblastes adultes, de cellules
identiques aux cellules souches embryonnaires
(dites induced pluripotent stem cells ou iPS) constitue
sans aucun doute un évènement médico-scientifi que
majeur. Pour bien en mesurer la portée, il convient
de le replacer dans le contexte scientifi que
mais aussi, dans le contexte sociétal (d’aucuns diraient
philosophique), parfois violents,
qui entourent ce champ de recherche.
Contexte scientifi que
Rappelons tout d’abord quelques définitions. Les cellules
souches embryonnaires, présentes au stade de blastocyste
(5,5 à 8 jours), sont des cellules ayant les capacités de s’autore-
nouveler indé niment (in vitro) et de pouvoir se différencier en
tous les types cellulaires de l’organisme. Elles sont quali ées
de “pluripotentes”. Les cellules souches sont dites “adultes”
après le huitième jour du développement embryonnaire. Elles
peuvent être isolées, par exemple, du sang du cordon ombilical,
de la peau, de l’épithélium digestif ou de la moelle osseuse,
et ne peuvent plus se différencier qu’en un nombre limité de
types cellulaires. Elles sont alors dites “multipotentes”. Leur
faculté de renouvellement est limitée. L’intérêt médical des
cellules souches est a priori considérable, puisque leur utilisa-
tion pourrait être envisagée pour des études toxicologiques, en
recherche fondamentale et en thérapeutique pourrégénérer”
divers types cellulaires dé cients ou devenus malins.
Jusqu’à une date récente, la production de cellules souches
pluripotentes dans l’espèce humaine n’était possible qu’à partir
d’embryons âgés de quelques jours. Cette limite technique
portait en germe une énorme pomme de discorde : pouvait-
on, devait-on utiliser des embryons humains pour des travaux
thérapeutiques ou de recherche ? Ces embryons devaient-ils
être considérés comme des êtres humains vivants ou des êtres
en devenir ? Une véritable fracture a divisé à la fois la commu-
nauté scienti que, la société civile et les États sur cette ques-
tion ontologique. En France, ce type de travaux a été interdit,
sauf en cas de dérogation (sic). Toutefois, en 2006, l’équipe de
Yamanaka (université de Kyoto, Japon) a montré qu’elle était
capable de produire des cellules souches pluripotentes à partir
de  broblastes prélevés chez la souris adulte, ouvrant la voie
à une transposition de la technique à l’espèce humaine. Après
une brève période d’incrédulité de la part des scienti ques
devant la relative simplicité de la méthode, les résultats de
Yamanaka et al.
(1)
ont été reproduits par plusieurs équipes
nord-américaines concurrentes au cours de l’année 2007, écar-
tant toute idée de fraude scienti que. On se souvient en effet
de la triste affaire des résultats truqués publiés par Hwang et
al., et la prudence scienti que s’imposait.
Faits scientifi ques
Les deux articles chroniqués ici ont été publiés en ligne à la n
de l’automne 2007 sur le site des prestigieuses revues améri-
caines
Cell
et
Science (1, 2)
. Il n’est pas question de détailler
ces deux articles relativement indigestes (en fait pas tant que
cela…), mais de résumer les méthodes et la caractérisation
phénotypique des lignées cellulaires produites.
Brièvement, l’équipe de Yamanaka a reproduit presque à l’iden-
tique la méthode qu’elle avait utilisée en 2006 chez la souris
pour “reprogrammer” des cellules somatiques différenciées.
Les types cellulaires utilisés chez l’homme “adulte” ont été des
broblastes dermiques, des broblastes de synoviale et des
broblastes de prépuce de nouveau-né. Ces cellules ont intégré
dans leur génome des vecteurs rétroviraux exprimant quatre
gènes codant pour des facteurs de transcription connus a n d’
être activés dans les cellules souches embryonnaires : hOCT4,
hSOX2, hKLF4 et hC-MYC. Après une trentaine de jours dans
des conditions dé nies, optimales pour la culture de cellules
souches, les auteurs ont obtenu des colonies de cellules souches
pluripotentes (mêlées à d’autres types de colonies qui restent à
caractériser). Ces cellules pluripotentes ont pu être ampli ées
lors de subcultures. L’identité du phénotype des cellules obte-
nues avec des cellules souches embryonnaires pluripotentes a
été démontrée par un grand nombre de tests :
– morphologiques à l’échelle unicellulaire ;
– expression de marqueurs antigéniques de surface ;
pro ls d’expression génique (par
microarray
) et épigénétique,
activité télomérase ;
fonctionnels : formation de “corps embryoïdes” in vitro,
différenciation correcte en divers types cellulaires (neurones,
myocytes, etc.), transmission des caractères génétiques à la
descendance, formation de tératomes après greffe à des souris
immunodé cientes.
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Schéma. Cellules pluripo-
tentes humaines induites
par des facteurs de trans-
cription.
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Notons que les auteurs ont observé un arrêt de l’expression des
quatre transgènes après l’obtention des cellules pluripotentes,
signi ant que celles-ci étaient correctement “reprogrammées”
et devenues indépendantes de l’expression des transgènes en
question.
Le dé technique résolu par Yamanaka et al. comporte tout de
même quelques limites à ne pas méconnaître. Les vecteurs et
les transgènes utilisés ne sont pas anodins : ils ont un poten-
tiel carcinogène. Les vecteurs rétroviraux peuvent s’intégrer
dans le génome en étant responsables de mutations aux sites
d’insertion.
C-MYC
est bien connu, en dermatologie et ailleurs,
pour être surexprimé dans un certain nombre de tumeurs. De
fait, des cancers ont été décrits chez les souris obtenues par
Yamanaka et al. Par ailleurs, le rendement de ces expériences
est faible : 5 000 cellules transfectées pour une colonie d’iPS.
Dans ces conditions, on comprend mieux la réactivide l’équipe
concurrente de Thomson (université du Wisconsin, Madison)
[2]
.
Le challenge pour les années qui viennent réside en effet dans le
fait d’optimiser l’obtention des cellules souches pluripotentes et
de curiser leur utilisation médicale. On peut anticiper que ce
champ de recherche va être le lieu de brevets multiples obtenus
pour des modi cations successives mineures des conditions de
transgenèse, de culture, etc. Ainsi, Thomson et al. ont obtenu des
cellules souches pluripotentes très peu différentes de celles de
Yamanaka et al. en utilisant deux facteurs de transcription diffé-
rents (sur quatre) :
NANOG
et
LIN28
remplacent
C-MYC
et
KLF4
.
Les critères retenus par les auteurs américains pour af rmer le
phénotype et la fonctionnali des cellules souches pluripotentes
obtenues sont par ailleurs similaires. Leur rendement est de
une colonie pour 10 000  broblastes transfectés.
Apports et perspectives
La reprogrammation de cellules somatiques adultes humaines
en cellules souches pluripotentes est un pas de géant dans la
biologie des cellules souches. En effet, ces cellules ont a priori un
grand nombre d’applications scienti ques et dicales possibles.
me dans les conditions d’obtention actuelles, leur utilisation
pour des études de toxicologie cellulaire in vitro (et non plus sur
des organismes entiers) aux stades précoces du développement
de médicaments est envisageable. Leur emploi dans des travaux
de recherche fondamentale, notamment en oncologie et en
embryologie, est bien sûr prévu. En n, l’utilisation des cellules
pluripotentes en thérapeutique n’est pas encore pour demain,
mais vraisemblablement pour après-demain, s que la production
aura é sécurisée par le recours à des vecteurs de transgenèse
et à des facteurs de transcription non susceptibles d’induire des
cancers. L’ère de la thérapeutique spéci que d’un patient donné
pourra alors commencer – probablement à des cts tout à fait
abordables. On pourra, après une simple biopsie cutanée et sans
risque de rejet, puisque le sujet sera son propre donneur, différen-
cier puis transplanter des populations cellulaires pour des ches
hautement spéci ques : reprise de la syntse d’insuline par des
cellules pancréatiques chez des diabétiques de type 1, régénération
de neurones dans diverses maladies neuro-dégénératives (maladie
de Parkinson, maladie d’Alzheimer) ou après traumatisme médul-
laire, traitement d’hémoglobinopathies ou de leucémies.
Dimension sociétale des résultats
Les résultats publiés par les deux équipes ont un effet supplé-
mentaire : ils vont probablement samorcer le con it qui oppo-
sait les partisans du “clonage thérapeutique” à ses opposants.
L’une des pistes envisagées depuis dix ans dans ce domaine de la
biologie était en effet de détruire des embryons de quelques jours
de vie pour l’obtention de cellules souches à visée thérapeutique.
Cette perspective a heurté un certain nombre de scienti ques,
de citoyens, voire d’États, pour qui elle était inenvisageable pour
des raisons éthiques. Largument principal des tracteurs était
que l’on ne saurait sacri er un organisme humain vivant, fût-il
âgé de quelques jours, compte tenu du “caractère sacré de la
vie”. Pouvoir utiliser les propres cellules d’un patient va lever cet
obstacle. La reconnaissance rapide de ces travaux par le Vatican
ou la Maison-Blanche en témoigne. Pour autant, les travaux
fondamentaux sur les cellules souches embryonnaires ne doivent
pas être interrompus. En effet, une bonne connaissance des
cellules souches dérivées de cellules somatiques cessite une
bonne connaissance de leur mole biologique sponta. En n,
la vigilance éthique s’impose vis-à-vis des iPS, car la possibilité
d’obtenir des spermatozoïdes et des ovocytes existe désormais,
et donc de fabriquer des clones humains
Références bibliographiques
1.
Yamanaka S, Tanabe K, Takahashi K et al. Induction of pluripotent stem
cells from adult human fi broblasts by defi ned factors. Cell 2007;131:861-72.
2.
Thomson JA, Vodyanik MA, Yu J et al. Induced pluripotent stem cell lines
derived from human somatic cells. Science 2007;318:1917-20.
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