La Finance islamique

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Habiba Atouf
La Finance islamique :
un apport éthique
au système financier international
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2
A mes parents, ma famille
Et ma sœur Fatiha qui a lu, relu et corrigé
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3
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Préface
La finance islamique fascine tant par sa vitalité, en
particulier depuis le début des années 2000, que par
l’originalité des mécanismes qu’elle offre en vue de
concilier la recherche de la rentabilité avec le respect
des principes éthiques et moraux.
L’ouvrage de Madame Habiha Atouf constitue
une précieuse contribution à la compréhension de ce
phénomène.
Il s’articule autour de deux parties, rédigées
suivant un style clair et concis. La première revient,
d’abord, sur la double question des origines et des
fondements juridiques et religieux de la Finance
Islamique. Elle met en lumière les principes découlant
du Coran, de la Sunna (la tradition du Prophète) et
des autres sources du droit musulman, qui
soumettent l’exercice de l’activité économique et
financière à des conditions qui garantissent le respect
des préceptes de l’Islam et des finalités supérieures
qu’il impose au comportement des hommes, de
manière générale.
Outre l’interdiction du RIBA (l’intérêt produit par
l’argent), celle de la thésaurisation de l’or ou de l’argent,
celle de l’aléa (Gharar), celle du maysir (la spéculation)
ou celle de l’investissement portant sur des activités
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illicites (alimentation porcine, alcool, jeux, armes…),
l’Islam est hostile aux activités non productives et
notamment aux opérations financières dans lesquelles
l’argent est déconnecté de tout actif réel.
Ce
point
est
largement
connu.
Les
développements que lui consacre Madame Habiba
Atouf sont cependant utiles pour le lecteur non averti.
L’auteur analyse, ensuite, la situation actuelle de la
finance islamique et aborde le développement de ce
système, qui reste en dépit de la variété des produits
offerts (Murabaha, Mudaraba, salam, istisna, ijaar, joalah,
Musharaka, Takafoul, Quard El hassan, émission des
Sukuks ou obligations sharia compliant…), très
inégalement réparti au plan géographique.
La deuxième Partie traite de la Finance islamique,
comme réponse à la crise économique et financière
internationale. Elle montre, d’abord, les différences
qui séparent les banques islamiques des banques
conventionnelles et pose notamment la question de
savoir si la finance islamique, en ce qu’elle évite les
dérives de la financiarisation de l’économie, peut
constituer une réponse adaptée à la crise financière et
économique internationale.
Elle aborde, ensuite, les études qui peuvent étayer
une réponse positive à cette question.
Si une conclusion définitive dans un domaine
aussi complexe et fluide n’est pas possible, l’ouvrage a
le mérite d’aborder, dans un style simple, les
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questions toujours actuelles que soulève l’émergence
de la finance islamique et son insertion dans le
système économique et financier mondial.
Mohamed Mahmoud MOHAMED SALAH
Agrégé des facultés de droit, Professeur
à l’Université de Nouakchott
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Introduction
« Aujourd’hui, on s’accorde à reconnaître qu’un
système économique et technique, global, a saisi le
monde. Il s’agit d’un système financier, de l’économie
concurrentielle de marché. Coupé du politique et de
l’éthique, ce système concurrentiel de marché tend à
devenir une idéologie, dans la mesure où il est
organisé autour d’une logique financière de moyens et
de profits. Il n’est pas organisé en termes de fins ni de
valeurs. Que peuvent donc nous dire, en termes de
fins et de valeurs, dans ce contexte les trois
monothéismes et, en particulier, l’islam qui informe
explicitement la finance islamique ?
Selon les trois monothéismes, au commencement
est le Dieu Unique, créateur du monde et de l’homme.
De l’unicité de Dieu créateur, on peut déduire à la fois
l’universalité d’une morale exprimée à travers
l’universalité du commandement de respect du
prochain et de la conception d’une humanité
historique, inscrite dans une communauté, en marche
vers la réalisation de son idéal. L’historisation du
religieux implique une éthique de l’action dans le
monde »1.
1
D. de Courcelles, La finance islamique à la française, un moteur pour
l’économie, une alternative éthique, Paris, Sécure finance, 2008, pp. 19-
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À partir de là, on peut légitimement se poser la
question suivante : en quoi les religions peuvent-elles
agir sur l’économie et, plus en particulier dans le
domaine financier ?
Les religions interviennent afin de sacraliser
l’interdit. Ainsi s’agissant de l’usure, par exemple, le
judaïsme
l’a
interdit
dans
ses
relations
intracommunautaires, tandis que sa pratique est
autorisée avec les étrangers. Traditionnellement, le
catholicisme l’a condamné, notamment concernant
l’intérêt rémunératoire. L’Islam a, quant à lui, mis en
place un système économique et financier qui répond
à des exigences morales et sociales, encadrant ainsi
toute dérive, tant financière que spéculative.
L’Islam est une religion qui repose sur le principe
de la propriété privée et qui vise le bien-être des
individus, ainsi que la prospérité. Cette religion ne
remet en cause en aucune manière l’existence du
Marché ou du commerce ; elle vient plutôt encadrer
ces deux secteurs, les entourer de règles morales et
éthiques et, si l’Islam prohibe l’usure, ce n’est que
dans la seule fin de protéger les plus faibles et
d’encourager la participation et la finance directe. De
plus, afin de venir en aide aux plus nécessiteux,
l’Islam a créé une aumône légale obligatoire : la
« zakât ».
De cette façon, les règles islamiques d’ordre moral
20.
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et éthique servent à maintenir de bons
fonctionnements, tant dans la distribution des revenus
que dans le maintien des conditions d’échange saines
et équilibrées. À cet effet, l’Islam interdit toutes les
situations d’inefficience économique, notamment, le
monopole, le cartel, le contrôle des prix, la fraude, la
spéculation, etc…, et encourage la concurrence qui va
dans l’intérêt général.
Ceci dit, nous constatons que la pensée
économique islamique est foncièrement différente de
la pensée économique occidentale laïque. La première
est inspirée et est encadrée par la Sharia. De plus,
« l’effondrement du système socialiste et l’incapacité
du système capitaliste a répondre valablement aux
aspirations matérielles et spirituelles du monde
musulman à encourager les penseurs musulmans à
donner corps à cette pensée économique islamique
reposant surtout sur l’éthique et la satisfaction
conjointe des besoins matériels et spirituels »2.
En revanche, la seconde est uniquement inspirée
par le profit.
L’Islam est une religion qui encourage la richesse,
à condition qu’elle ne soit pas gaspillée par des
dépenses ostentatoires et, à cet effet, elle favorise le
travail sous toutes ses formes ; celui-ci reconnu
comme étant aussi important que la foi. Ainsi, en
2
L. Siagh, L’Islam et le monde des affaires, Paris, Ed. d’Organisation,
2003, p. 5.
2
11
économie islamique, on retrouve les mêmes notions
de rationalité et de bien-être économique que dans
l’économie capitaliste, à la seule différence que
l’économie islamique est entourée par l’éthique ; de ce
fait, elle ne laisse pas le champ libre au simple
comportement humain.
Ainsi,
dans
l’économie
islamique,
le
comportement humain et ses actions sont influencés
par la Présence divine qui le voit, l’écoute et le
rétribue pour ses actes. L’homme agi en fonction des
commandements de Dieu qui, seuls, lui permettront
le bien-être tant ici que dans l’au-delà.
« Travailler pour assurer son propre bien-être,
celui de sa famille et celui de la société en général est
aussi spirituel que l’acte de prières pourvu que l’effort
matériel soit guidé par les valeurs morales et n’éloigne
pas l’individu de l’accomplissement de ses autres
obligations spirituelles et sociales »3.
En somme, au centre de tout ordre humain, doit
se trouver la loi Divine telle que transmise dans le
Coran et interprétée par le Prophète Muhammad4 et
3
M. Ruimy, La finance islamique, Paris, Ed. Afarnaud franel, 2008, p.8
Les musulmans ont reçu la recommandation de prier sur le Prophète à
chacune des mentions de son nom. Il est donc courant de lire la formule
« Salla Allahu ’alayhi wa sallam » (Que la paix et la Bénédiction de Dieu
soient sur lui) à chaque citation de son nom. Ce travail s’adressant à un
public tant musulman que non musulman, nous ne l’indiquerons pas
dans le texte, nous laissons le soin au lecteur de formuler,
personnellement, cette prière au cours de sa lecture.
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non la loi créée par l’homme lui-même.
L’Islam apparaît donc comme une conception du
monde qui prend position à l’égard de l’ensemble des
questions de la vie humaine.
De cette façon, cette dimension transcendantale
influence le monde des affaires et notamment la
finance, en y introduisant l’éthique et les valeurs
morales islamiques qui sont le fondement de toute
réflexion concernant l’activité financière, tant dans les
pays musulmans qui souhaitent que leur économie
soit adaptée aux principes islamiques, qu’au reste du
monde, afin de répondre aux besoins des adeptes de la
religion musulmane.
Depuis 2007, date du début de la crise financière
provoquée par le manque de confiance suite à la crise
immobilière, nous constatons l’émergence d’une
nouvelle finance reposant sur une certaine éthique et
une morale qu’est la finance islamique. Toutefois, c’est
dans les années 1950 que ce système financier, alternatif
à l’économie et à la finance traditionnelle, et conforme
aux préceptes du Coran, a vu le jour. Les premières
expériences ont eu lieu en Malaisie en 1956 (Tabung
Hadjji) et en 1963 Egypte (Mit Gammar) ; elles
détermineront la profonde hétérogénéité de son
histoire. La crise de 2007 a donné corps à cette industrie
qui pèse aujourd’hui plus de 1540 milliards de dollars.
En effet, depuis la crise des subprimes, la finance
islamique est à la une, comme seul produit solide et
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meilleure solution d’avenir pour toutes les banques et
assurances qui veulent maximiser les gains mais aussi
s’éloigner de l’usure et des risques démesurés de la
spéculation.
Elle s’impose comme une solution juteuse.
En somme, la finance islamique s’impose comme
une identité éthique dans un monde globalisé et, au
18 décembre 2007, elle avait atteint 500 milliards de
dollars dans le monde. De plus, la Banque Mondiale
(BM) participe, tant en Afrique qu’en Asie, à la
création de banques islamiques répondant au mieux
aux attentes des pays sous-développés. À cet effet, la
BM a apporté sa garantie au financement d’un projet
conforme à la Sharia, consistant en un terminal de
conteneurs à Djibouti, par le biais de son agence pour
garantir les investissements (MIGA).
Fondée sur les principes de la Sharia qui imposent
la justice, l’équité et la transparence, la finance
islamique met en avant l’éthique et la morale et puise
ses sources dans la révélation divine et la Sunna, qui
forment le droit islamique. Elle obéit à des règles
qualitatives comme l’interdiction de l’usure, de l’aléa,
ou encore de la spéculation et de la thésaurisation.
La finance islamique connaît un fort
développement tant dans les pays musulmans, où dès
1977 (notamment en Arabie Saoudite, au Koweït, en
Égypte, aux Émirats-Arabes-Unis et dans les pays du
Maghreb), se multiplient les colloques internationaux,
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2
avec la participation de juristes, banquiers,
universitaires, afin de dégager les fondements de la
« théorie de l’économie islamique », en particulier la
spécificité de nouvelles procédures bancaires,
conformes à l’esprit de l’Islam.
Cette industrie commencera également à se
développer en Occident à partir des années 1980, où,
malgré quelques obstacles juridiques et un manque de
diversification, elle parviendra finalement à s’installer
et ce, grâce à l’un de ses produits phares qu’est le sak
(pl. sukuk5), ou obligation, équivalent de l’Asset
Backed Security. Lancées par les États musulmans
(Bahreïn, Malaisie), les obligations islamiques
séduisent de plus en plus d’émetteurs, qu’il s’agisse de
banques, d’entreprises ou d’États, quasiment partout
dans le monde.
On pourrait rapprocher les fonds éthiques, dits
d’investissements socialement responsables (ISR)
(souvent d’origine chrétienne et parfois soupçonnés de
vues protectionnistes) des préoccupations islamiques
pour ce qui concerne la responsabilité par rapport à la
gestion de la richesse et à la purification de l’argent.
La finance islamique a ainsi donné naissance aux
banques islamiques qui, au départ, étaient considérées
comme une « aberration », dans la mesure où elles
venaient défier l’ordre institutionnel établi,
5
Ce produit, selon l’Islamic Finance Information Service a progressé de
73 % en 2007, atteignant 47 milliards de dollars.
2
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contrevenant de ce fait, aux normes bancaires
conventionnelles. Aujourd’hui, elles se développent
de plus en plus à travers le monde et enregistrent des
taux de croissance inhabituels dans ce secteur.
Pour autant, les études réalisées sur
l’investissement islamique se font plus rares. Le jeune
âge de ce service, quoi qu’augmentant à un rythme
soutenu depuis une dizaine d’années ainsi que la petite
taille du marché, expliquent ce phénomène. En
saisissant le fait que tout développement d’une
stratégie nouvelle dans la sphère financière mondiale
repose essentiellement sur deux facteurs, le temps et la
performance, on peut légitimement se demander s’il
n’est pas opportun de mesurer, à sa juste valeur, la
contribution de l’investissement islamique à la création
ou à la destruction de richesses pour ses partisans.
L’engouement que suscite actuellement l’ISR, ne
trouve t-il pas ses origines dans la découverte de la
viabilité financière d’une industrie dont les débuts
étaient controversés ?
La crise financière actuelle a bouleversé l’ordre
financier au niveau mondial. Les impacts sur
l’économie réelle sont importants.
Les banques occidentales et les pouvoirs publics ont
commencé à s’intéresser de près à la finance islamique
qui constitue une poche importante de liquidité.
La France a, de son côté, mis en place, sous
l’impulsion du Ministère de l’Economie et des
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Finances, des groupes de réflexion qui ont fait un
certain nombre de propositions afin de pouvoir
bénéficier de ce nouvel instrument financier.
Dans ce cas, la finance islamique est-elle une
chance pour l’éthique ? Peut-elle être une alternative à
la finance conventionnelle ? Et peut-elle être une
réponse à la crise ?
Nous tenterons d’apporter des solutions à ces
questions au sein de cette étude. Dans une première
partie, nous fournirons une synthèse de
l’environnement global de l’industrie en commençant
par décrire ses fondamentaux pour tenter, ensuite, de
tracer une vue d’ensemble de la situation actuelle et de
ses enjeux. Dans une seconde partie, nous décrirons
comment la finance islamique est vue en tant
qu’alternative à la finance conventionnelle, en réponse
à la crise financière internationale et nous aborderons
l’étude empirique qui s’emploie à effectuer des mesures
de performance des fonds selon cinq méthodes : ratio
de Treynor, ratio de Sharpe, Alpha de Jensen et ration
d’information et décomposition de Fama.
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Partie 1
La finance islamique : définition,
fondements, origines et principes
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