Guyane 14
Une saison en
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Guyane 14
Une saison en
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en Guyane. En outre, chacun des membres de cette
équipe apporte une expertise taxonomique essen-
tielle à l’obtention de données qui serviront à ré-
pondre à nos questions écologiques. La taxonomie
et les compétences naturalistes en général, souvent
en déclin, ne peuvent être occultées sous peine de
mécomprendre l’extraordinaire diversité de nos fo-
rêts guyanaises». Malgré l’augmentation perpé-
tuelle des connaissances scientiques, l’estima-
tion du nombre total d’insectes sur la planète (~
6-7 millions d’espèces) reste à ce jour 6-7 fois
inférieure au nombre d’espèces taxonomique-
ment décrites. Énumérer cette diversité pour
comprendre les mécanismes qui permettent son
maintien est notre principal objectif. L’expres-
sion «face immergée de l’iceberg» prend tout
son sens en forêt amazonienne, notamment
avec un nombre inimaginable d’organismes in-
férieurs à 1 centimètre qui se confondent avec
leur habitat ou qui imitent d’autres organismes.
Il existe notamment un groupe d’arthropodes
encore peu étudié en milieu tropical et qui pré-
sente ces caractéristiques: les araignées (Arthro-
poda: Arachnida: Araneae). Dans le monde, on
énumère environ 43 000 espèces d’araignées,
regroupées dans 110 familles. Elles constituent
une part importante de l’extraordinaire diver-
sité des arthropodes des forêts tropicales hu-
mides, de par leur rôle écologique de prédation
qui s’avère crucial dans le fonctionnement des
écosystèmes.
L’ÉVOLUTION D’UNE SUPERCHERIE
Le mimétisme est la ressemblance d’un orga-
nisme (ou de certains aspects) à un autre orga-
nisme taxonomiquement diérent. Cette straté-
gie implique des adaptations morphologiques,
physiologiques et comportementales. Elles per-
mettent ainsi aux imitateurs de maintenir leur
survie, en améliorant leur capacité à échapper
aux prédateurs ou, à l’inverse, en augmentant
leur possibilité d’attraper des proies. Le phéno-
mène de mimétisme a intrigué des générations
de scientiques pour la simple raison qu’il il-
lustre la sélection naturelle en pleine action. Le
terme mimétisme a été introduit en biologie en
1862 par Henry Walter Bates dans son essai sur
l’évolution de la communication trompeuse.
D’une manière simple, il décrit un
système d’interactions composé d’un
organisme imité (appelé modèle),
d’un organisme imitant (le mime)
et d’un ou plusieurs organismes vus
comme des agents de sélection.
La myrmécomorphie est un cas de
mimétisme passionnant. Ce phéno-
mène inclut toutes les espèces qui
ressemblent aux fourmis à travers des
convergences morphologiques, com-
portementales, chimiques ou rela-
tives à des caractères de texture. Chez
les araignées, la myrmécomorphie
est généralement considérée comme
un type de mimétisme dit Batésien:
les araignées gagnent une protection
contre les prédateurs grâce à leur
ressemblance avec les fourmis agres-
sives ou dites délétères. Les fourmis
n’en restent pas moins dupes quant
à l’apparente ressemblance des arai-
gnées avec leurs semblables. Les
prédateurs potentiels des araignées,
qui observent et attendent d’atta-
quer, intrigués évitent clairement
la confrontation pensant qu’il s’agit
d’une fourmi dotée d’un système de
défense «high-tech» et d’une colo-
nie de congénères en soutien à proxi-
mité. Le dit prédateur passera donc
son chemin alors qu’il aurait pu ai-
sément attaquer cette araignée isolée.
La magie du mimétisme et son eet
opèrent donc très bien à ce niveau.
PERFORMANCE D’UNE
TROMPERIE
La myrmécomorphie renvoie à une
évolution composée d’adaptations
comportementales et morpholo-
giques. Ces dernières englobent un
ensemble de modications, tant de
couleurs que de formes de corps, qui
permettent aux araignées de prendre
l’apparence de fourmis. Les adapta-
tions morphologiques incluent ainsi
d’incroyables modications du pro-
some (première partie du corps seg-
menté des araignées, appelée égale-
ment céphalothorax et composée de
la tête et du thorax qui ont fusionné),
de l’opisthosome (seconde partie du
corps, équivalent de l’abdomen chez
l’insecte) et des pattes. L’adaptation
morphologique la plus étonnante
est le rétrécissement du prosome et
de l’opisthosome, ce qui donne clai-
rement l’impression d’un corps for-
mé de trois parties, caractéristique
propre aux insectes et non aux arai-
gnées. L’exemple des spécimens de la
famille des Corinnidae (Myrmecium
spp.) démontre bien l’extrême préci-
sion de cette modication morpho-
logique. Avec un prosome à plusieurs
constrictions et une petite taille, ces
araignées ressemblent à une Myrmi-
cinae. Cette sous-famille de fourmis
est la plus riche en espèces et la plus
abondante dans les écosystèmes tro-
picaux. Ses membres sont caractéri-
sés par la présence de deux segments
entre le mésosoma (le «thorax» des
fourmis) et le gastre (leur « abdo-
men») formant ce que l’on appelle
un pétiole et un post-pétiole.
Chez certaines araignées, les pattes
deviennent généralement plus lon-
gues et nes et donc plus proches de
celles des fourmis. Enn, certaines
myrmécomorphes ont modié leur
apparence pour donner l’illusion
d’être dotées de mandibules (les
araignées, elles, ont des chélicères).
L’observation in situ du spécimen du
genre Myrmecium (page 94) en est
▲Araignée du genre
Myrmecium (Corinnidae) qui
rappelle la morphologie de
certaines fourmis arboricoles
du genre Dolichoderus
(Dolichoderinae). Photo de
Vincent Vedel.
►L’araignée Synemosyna
(Salticidae) peut rappeler la
fourmi Ponerinae du genre
Neoponera (anciennement
Pachycondyla) notamment
Neoponera villosa ou autres
espèces proches. Photo
Thibaut Delsinne.