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mais aussi un effet de contexte spatio-temporel puisque le
phénomène n’était présent que dans le miroir d’une cham-
bre d’hôtel lors d’un voyage et a été transitoire.
Tous ces patients présentaient des troubles cognitifs
d’intensité et d’étiologie variables. Si une si petite série ne
permet pas de tirer de conclusion, relevons le diagnostic de
probable démence à corps de Lewy dans deux cas sur qua-
tre. La présence de troubles exécutifs dans les quatre cas
et d’une prédominance hémisphérique droite bien étayée
dans le cas No 1 (figure 6) rejoignent les données de la lit-
térature.23 La perception de sa propre image ou du «self»
nous ramène à la conscience de soi, sous-tendue par un
vaste réseau incluant le cortex préfrontal, l’insula antérieure,
le cortex cingulaire antérieur, le cortex pariétal et temporo-
occipital prédominant sur l’hémisphère droit. Notons ce-
pendant que le trouble de l’identification de soi, (cas No 1
et 4), peut varier selon le lieu, le moment et même le mi-
roir utilisé, un fait qui reste à réconcilier avec des modèles
explicatifs purement neurologiques et cognitifs.
conclusion
Les comportements spéculaires (tableau 1) permettent
de tester de façon simple et non verbale de multiples axes
cognitifs chez des patients avec une démence avancée ou
en phase plus précoce dans une démence à corps de Lewy.
Ces conduites spéculaires nous renseignent aussi sur les
réseaux neuronaux impliqués dans les fonctions visuospa-
tiales, la reconnaissance de soi, «le self» et le cerveau social.
2098 Revue Médicale Suisse
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Figure 6. CT du patient No 1 : atrophie pariéto-
temporale à prédominance droite
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec
cet article.
uniquement dans la salle de bains de l’hôtel et à cha-
que fois qu’il s’y rend. Il ne se reconnaît pas, interprète
son image comme celle d’étrangers maléfiques qui lui
veulent du mal. De retour à domicile, le phénomène a
totalement disparu. Il se reconnaît parfaitement, pointe
sur son nez ou ses oreilles de même que ceux de l’exa-
minateur. Un DAT-scan montre une dénervation dopa-
minergique striatale droite compatible avec une maladie
à corps de Lewy.
discussion
Notre premier patient, le plus étudié, présente trois
comportements spéculaires : 1) le réflexe psychovisuel : si
l’on bouge le miroir en face de son visage, il suit de façon
réflexe le mouvement du reflet de son image dans le miroir,
signifiant que sa vision est normale ; 2) un trouble marqué
de l’identification de son propre reflet 8-22 qu’il invective
dans le miroir de la salle de bains. Il s’agit ici de la perte
de la reconnaissance de soi, (autoprosopagnosie) associée
à un dysfonctionnement hémisphérique droit, et/ou d’un
syndrome de délire des sosies de soi-même, ou Doppel-
gänger ou Capgras de soi-même, qui peut être du même
sexe 8-11,14,15,18-21 ou de sexe différent (hermaphrodisme
délirant),15 parfois une personne étrangère, intrus, compa-
gnon ou ennemi 19,20 et 3) une agnosie du miroir, décrite in-
dépendamment par Ramachandran12 et Binkofski,13 à savoir
une perte des capacités normales du concept et de l’utili-
sation du miroir, ne sachant plus comment orienter le miroir
et cherchant avec sa main à toucher l’image derrière le miroir,
alors qu’il est capable d’expliquer assez correctement ce
qu’est un miroir et un reflet. Les cas rapportés dans la lit-
térature impliquent essentiellement l’hémisphère droit, plus
précisément le lobe pariétal ;15,22 les termes de diplopie
mentale11 et de signe de l’image vivante 20 ont été utilisés,
mais ne nous semblent pas très heureux car trop restrictifs.
La deuxième patiente présente un comportement de dé-
pendance à l’environnement d’origine visuelle avec grasping
du regard sur le miroir, mais aussi pour tout objet nouveau
présenté devant elle. Ces comportements, décrits par
Lhermitte,3 sont bien documentés depuis 4-7 dans les atro-
phies fronto-temporales et la paralysie supranucléaire pro-
gressive.4-7 L’attraction irrépressible du reflet spéculaire,
complaisante et obsessionnelle avec incessants maniéris-
mes et grimaces dans ce contexte, rappellent le «signe
du miroir» décrit quasiment simultanément par Abély1 et
Delmas 2 dans le cadre de psychoses naissantes chez des
jeunes adultes.
Le troisième patient présente un trouble de l’identifica-
tion de sa propre image spéculaire (auto-Capgras) isolée et
constante, accompagnée d’un délire relativement élaboré
cherchant à expliquer la présence du «jumeau», contraire-
ment au premier patient où le phénomène était intermit-
tent, dépendant du contexte, accompagné des autres com-
portements spéculaires pathologiques, et qui ne présen-
tait pas de délire explicatif quant à l’origine et l’identité du
«double».
Le quatrième cas illustre un nouvel exemple d’interpré-
tation délirante isolée de l’image spéculaire (auto-Capgras),
Implication pratique
Placer un dément avancé devant un miroir peut être un test
non verbal utile permettant d’interroger la perception du
«self» et de l’entourage, le cerveau social, les capacités visuo-
motrices, la mémoire procédurale et sa vision
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