Transition écologique et modification du travail

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Lucile Schmid
Transition écologique et modification du travail
Il est frappant de constater qu’aujourd’hui aucune définition commune de la transition
écologique, partagée par l’ensemble des composantes de la société n’existe réellement.
Pour élaborer cette définition, il convient d’aller au bout de ce que l’on entend par transition
écologique dans l’ensemble de ses aspects, des plus économiques aux plus “psychologiques”.
Commençons donc par définir l’expression de transition écologique. Contrairement à certains
raccourcis du débat public ou du discours politique, la transition écologique n’est pas réductible
à la “transition énergétique”. Elle renvoie à une redéfinition en profondeur des modes de vie
et de relations entre les êtres et la nature, des systèmes de pensée et d’action, et de la relation
au temps. Elle propose une transformation globale du modèle de développement actuel.
La transition énergétique a une place à part dans cette dynamique. Elle est à la fois centrale
et partie d’un tout. Inscrite à l’agenda politique français, elle conduit à se poser des questions
concrètes, à entrer dans la réalité des modifications techniques, économiques, budgétaires et
sociales à assumer pour transformer nos modes de vie. La transition énergétique représente en
quelque sorte une étape obligée pour que la transition écologique soit considérée comme une
perspective et non plus comme aujourd’hui un sujet de réflexion intellectuelle, de prospective,
voire une utopie.
La transition écologique est une révolution sociale et culturelle, et ses conséquences sur le
travail sont de plusieurs ordres.
La transition écologique modifie la nature et la place du travail dans le domaine économique,
mais plus encore dans l’organisation sociale, la culture, et les valeurs. En économie, de nouvelles
filières industrielles, une autre relation à l’énergie, les liens entre recherche et innovation
nécessitent une modification de la structure des emplois mais aussi de notre système de
formation et de nos manières de travailler. On pense à la mobilité, à la formation professionnelle,
à l’organisation des entreprises, à de nouvelles formes de créativité. Dans l’organisation sociale
et la culture, la place du travail est à repenser dans cette “nouvelle société” où le productivisme
et la croissance sont remis en cause, où les échanges non marchands, l’attention portée aux
nouvelles générations, le souci de la liberté, du temps pour soi et de la démocratie redéfinissent
les rôles sociaux et relativisent la réussite, l’argent, la consommation.
La réduction du temps de travail fait ainsi partie de manière structurante du projet écologiste. Et
ce pour deux raisons : parce qu’elle permet de partager l’emploi, ce qui pour les écologistes est
intrinsèquement lié à la volonté d’établir l’égalité des droits entre générations, et parce qu’elle
conduit à l’organisation différente des temps de vie en donnant toute leur place à des activités
choisies, solidaires, bénévoles, amicales, familiales. Cette place de la réduction du temps de
travail s’appuie également sur la relativisation de la croissance ; celle-ci n’est pour les écologistes
ni un objectif, ni une condition nécessaire pour créer des emplois. Sur ce point, ils sont d’ailleurs
aujourd’hui très minoritaires, voire marginaux, alors même que la crise économique et la montée
de la dette publique sur fond de stagnation conduisent les dirigeants politiques à mettre tous
leurs espoirs dans un retour de la croissance. Même si les projections de l’Institut national de
la statistique et des études économiques sur les 15 prochaines années pour la France prévoient
des niveaux de croissance limités (entre 1,2% et 1,5%), la croissance reste en effet considérée
comme le principal moyen de relancer la création d’emplois et de réduire la crise des finances
publiques. Quant au partage du travail, plus de 10 ans après l’élimination surprise de Lionel
Jospin lors de l’élection présidentielle le 21 avril 2002, la gauche semble avoir renoncé à évaluer
les 35 heures, ce qui interdit de fait qu’une réduction du temps de travail puisse de nouveau être
envisagée. Les discussions sur l’emploi se font en effet quasi exclusivement sur le terrain qui
avait été celui de la majorité politique précédente (coût du travail, compétitivité).
Plus globalement, le fait que la question de la transition écologique ait pris une ampleur nouvelle
dans le débat public lorsque régnait la stagnation économique et de forts déficits des comptes
sociaux et du budget de l’État, n’aide pas à sa mise en œuvre, et encore moins à l’articuler
concrètement au travail. Ce contexte retarde l’engagement dans la transition écologique au
sein des entreprises, l’aménagement du territoire et les politiques d’investissement. Elle reste
encore trop souvent perçue comme une menace (pertes d’emplois, remise en cause de filières
industrielles) et non comme une promesse.
Les contradictions entre question sociale et écologie sont aujourd’hui particulièrement fortes.
Contradiction dans l’ordre des priorités budgétaires d’abord. Lorsque, lors de la conférence
environnementale de septembre 2013, François Hollande annonce un budget de 20 milliards
d’euros pour la transition énergétique sans précision sur le calendrier, ce chiffre est à rapprocher
des coûts estimés de la sortie du nucléaire en Allemagne (plusieurs centaines de milliards
d’euros). La transition coûte cher et implique une programmation des dépenses d’investissement
nécessaires sur le moyen terme. Mais aujourd’hui la priorité c’est l’emploi (bien compréhensible
avec 5 millions et demi de personnes inscrites à pôle emploi) et le retour à la confiance et à la
compétitivité des entreprises. L’accepter n’implique pas de se voiler la face : sans financements
massifs, pas de transition.
Il est donc logique (et regrettable), qu’il s’agisse d’emploi ou de fiscalité, que les objectifs de
la transition écologique soient souvent apparus ces derniers mois, décalés par rapport aux
préoccupations des acteurs sociaux. Ainsi en juin 2013, le débat sur la transition énergétique
a vu les syndicats et le MEDEF faire front commun face aux ONG environnementales dont ils
contestaient la représentativité ; derrière ces passes d’armes c’est bien sûr le sujet des coûts
économiques et sociaux de la transition qui était en cause.
Difficultés à définir les modalités des politiques de reconversion ensuite. Il ne suffit pas de
décréter la reconversion de filières industrielles en difficulté vers des filières écolo-compatibles
pour offrir des emplois correspondant à leur qualification, et à leurs contraintes géographiques
et familiales, aux personnes concernées par des fermetures d’usine. Faire le lien entre transition
écologique et travail nécessite de sortir de raisonnements macro-économiques de long terme
pour entrer dans la réalité des politiques de conversion et de reconversion économique en
allant au bout de la définition de feuilles de routes sociales. Au delà, il est important de replacer
les conséquences de la transition écologique sur le travail dans une réflexion plus prospective
sur la modification des parcours professionnels qu’elle implique (évolution des qualifications,
formation tout au long de la vie, articulation entre recherche et spécialisation industrielle…).
Enfin, il importe de faire le lien entre transition écologique et question des inégalités. En
modifiant l’économie en profondeur, la transition écologique rebat les cartes de la spécialisation
des territoires, à l’échelle nationale, européenne, internationale. Le risque de formes d’exclusion
liées à la transition écologique existe donc. Celles-ci sont aujourd’hui déjà sensibles entre les
habitants des centre villes et ceux qui vivent dans des territoires enclavés. Elles ne peuvent que
s’accentuer si elles ne sont pas anticipées et combattues.
C’est bien dans la recherche d’une articulation entre question sociale et transition écologique
qui aujourd’hui fait défaut que nous devons rechercher les clés des liens entre transition
écologique et travail.
Les élèves des lycées La Martinière Duchère (Lyon),
René Descartes (Saint Genis Laval), Roumanille (Nyons),
Saint-Exupéry (Lyon) et Colbert (Lyon)
se sont eux aussi penchés sur le thème de la rencontre.
Retrouvez leurs recherches et leur édito sur le blog www.villavoice.fr
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