La ville de Solingen prise en étau entre islamistes et

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MARDI 27 MARS 2012 LE NOUVELLISTE
RELIGION
L’ACTU
KEYSTONE
Voyage papal à Cuba
Benoît XVI, qui a achevé une
visite de trois jours au Mexique,
est attendu sur l’île pour sa
première visite avec au
programme sa rencontre avec
Fidel Castro.
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SUISSE | MONDE | ÉCONOMIE
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ALLEMAGNE Deux organisations extrémistes se disputent le haut du pavé
dans une cité qui cultive pourtant une tradition de tolérance.
La ville de Solingen prise en étau
entre islamistes et néonazis
cet événement qui avait secoué tout le pays. La ville met
un point d’honneur à intégrer
ses 20% d’immigrés, essentiellement d’origine turque,
notamment en les associant
dans les structures sociales et
politiques. «Nous sommes venus dire stop à l’amalgame entre
musulmans et salafistes», explique Jürgen Reu, responsable
de l’association Bunt statt
Braun («bigarré au lieu de
brun»), organisatrice de la
contre-manifestation. «Pro
NRW instrumentalise le problème salafiste pour faire monter la pression contre tous les
étrangers, alors que nous voulons vivre en harmonie avec eux.
Leur discours pousse des néonazis à prendre des couteaux, des
armes à feu ou des bidons d’essence contre les étrangers. A Solingen encore moins qu’ailleurs
nous ne pouvons l’accepter.»
SOLINGEN
PATRICK SAINT-PAUL
Les cinq jeunes hommes
bondissent de leur chaise en
plastique à la moindre intrusion étrangère. Cheveux longs
coiffés en arrière, barbes naissantes et vêtements bouffants,
ils soignent leur allure «pachtoune», importée des zones
tribales pakistanaises et d’Afghanistan, très en vogue chez
les salafistes. Et ils cultivent les
mauvaises manières: «Foutez
le camp d’ici, c’est une propriété
privée», éructe l’un d’eux sur
un ton menaçant. Les jeunes
islamistes fondamentalistes de
Solingen gardent jalousement
l’arrière-cour, qui abrite leur
mosquée Milatu Ibrahim.
Propulsée au centre de l’attention de cette ville de
Rhénanie-du-Nord-Westphalie
par un prédicateur réputé
pour ses liens avec al-Qaïda,
la mosquée a déclenché une
bataille rangée avec l’extrême
droite: Solingen est désormais prise au piège entre extrémistes se réclamant de l’islam et néonazis.
Adeptes de bodybuilding
Brandissant des drapeaux allemands et de la région du
Berg, les militants de Pro
NRW, un mouvement populiste régional qui ne dissimule
pas sa nostalgie du IIIe Reich,
ont décidé de capitaliser sur la
peur inspirée par la mosquée
Milatu Ibrahim. Ce samedi,
quelque 150 «combattants contre le fascisme islamiste» se
sont rassemblés à proximité
de la mosquée, sur la principale avenue piétonne de So-
Un défi nouveau
et inconnu
Manifestation anti-islamique du parti d’extrême droite Pro NRW, à Solingen, en mai 2010. SP
L’ennemi adopte des visages
«différents,
mais nous défendons
toujours les mêmes valeurs.»
NORBERT FEITH MAIRE DE SOLIGEN
lingen. Prenant soin de rappeler que le tueur de Toulouse se
réclamait du salafisme, Pro
NRW promet de protéger Solingen «contre les dangers de
l’islam». Parce qu’«ici tout le
monde sait que les groupuscules
salafistes sont très dangereux».
Trois crânes rasés adeptes de
bodybuilding applaudissent à
tout rompre, entraînant derrière eux les autres partisans.
«A bas le multikulti. Nous sommes là pour faire cesser la prise
de pouvoir des étrangers, qui
mettent en danger l’avenir germanique de l’Allemagne»,
scande Jörg Uckemann, l’un
des leaders du parti. «Les mosquées sont les points d’appui des
extrémistes.» Les militants
d’extrême droite reprennent
en chœur les slogans lancés à
la tribune: «Nous voulons la loi
fondamentale allemande, pas la
charia», «Nous ne voulons pas
de femmes lapidées en Allemagne», «Oui à la liberté, non à
l’islam». Avant d’entonner le
Deutschlandlied, l’hymne national allemand. Encadrée par
La communauté turque catastrophée
Associéeàlalutteantifondamentaliste,la
communauté turque de la ville est catastrophée. Elle a immédiatement saisi que
l’amalgame troublerait l’harmonie entre
communautés. Solingen a remporté une
première victoire en parvenant à faire fuir
Mohammed Mahmoud. Ce salafiste
d’origine autrichienne, identifié par les
autorités allemandes comme le plus dangereux de la mouvance fondamentaliste
outre-Rhin, se fait appeler «l’émir». Il
avait été condamné en 2007 pour avoir
fabriqué une ceinture d’explosifs. Libéré
de sa prison viennoise en septembre,
après quatre ans de détention, il a promis
d’instaurer un «califat» à Solingen, où il
s’est installé en décembre après un court
séjour à Berlin. Il y a repris en main la
mosquée Masjid al-Rahmah, qu’il a rebaptisée Milatu Ibrahim, du nom de son
réseau Internet. La Toile diffuse ses prêches radicaux enflammés, déclamés dans
un allemand chevrotant mâtiné d’arabe.
«Nous avons le choix entre une vie dans
l’honneur ou dans l’esclavage. Je parle debout. Au nom d’Allah, je ne me courberai jamais devant un kafir (réd: un infidèle)»,
s’emporte Mahmoud, qui se dit prêt au
martyre. Avant d’inciter les musulmans à
suivre son exemple en portant le couteau
à la ceinture: «Pourquoi certains frères ontils honte de porter une arme? Par Allah, c’est
tout l’honneur de l’islam.»
Mosquée «sous bonne garde»
Désormais, il hante la Ruhr et la région
de Francfort, dans un jeu de piste avec la
police allemande, qui le surveille constamment. Il avait fait «tilter» tous les radars de lutte antiterroriste, lorsqu’al-Qaïda avait réclamé sa libération en échange
de deux otages autrichiens. Les services
de renseignements allemands, qui ont
longtemps sous-estimé le problème, s’in-
quiètent de la montée du salafisme et de
son influence grandissante sur des jeunes isolés et désœuvrés. Inquiété par la
police après avoir tabassé un journaliste,
Mahmoud s’est éclipsé de Solingen.
Non sans laisser sa mosquée en «bonne
garde». Incarcéré en Grande-Bretagne
en 2011 parce qu’il transportait dans ses
bagages de la propagande fondamentaliste, dont un manuel de fabrication de
bombes artisanales, Norbert B., 23 ans, y
a fait son retour triomphal vendredi
après sa libération. Son complice, Christian E., est attendu dans cette ville réputée pour son industrie de fabrication de lames dans les prochaines semaines.
Handicapé par un arsenal juridique pauvre, Norbert Feith est prêt à flirter avec
les limites de la légalité pour obtenir la
fermeture de la mosquée Milatu Ibrahim. Solingen n’en a pas fini de son combat contre les extrêmes. PSP
des barrières métalliques, la
manifestation est protégée
par des centaines de policiers.
«Dehors les nazis, nous ne voulons pas de vous ici», hurlent
des contre-manifestants agglutinés au cordon policier.
«Nazis Raus, Salafisten Raus»,
«Nous voulons la tolérance»,
s’époumone en chœur un
large groupe de lycéens de Solingen.
Traumatisée par l’assassinat
de cinq immigrés turcs dont la
maison avait été brûlée par
des néonazis en 1993, Solingen cultive la tolérance depuis
Combatif, Norbert Feith, le
maire de Solingen, avoue que
sa ville est confrontée à un
défi peu commun. «Nous nous
battons sur deux fronts avec la
plus grande détermination», assure-t-il. «L’ennemi adopte des
visages différents, mais nous défendons toujours les mêmes valeurs. Nous nous battons pour
notre Constitution, nos droits,
nos libertés et la démocratie.
Nous ne laisserons pas l’extrême
droite s’enraciner ici. Et nous
surveillons de très près les salafistes. C’est un défi nouveau et inconnu. Cela concerne une quinzaine de personnes, qui ont déjà
démontré leur potentiel violent.» Le Figaro
RHÉNANIE-DU-NORD-WESTPHALIE
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