puis des remarquables écrits de Guichardin et de Machiavel ; par ce moyen on
s'est dispensé de beaucoup de lectures et de beaucoup de peines, et surtout de
recourir aux sources. A l'aide des Espagnols Sandoval et Vera, on pourrait
également retracer sans peine le règne de Charles-Quint.
Il y a surtout Leti, le vieillard érudit qui, à soixante-dix ans, entreprend l'histoire
du grand empereur ; œuvre, comme il le dit lui-même, d'un corps qui est
presque hors du monde et peut disparaître à tout moment. Aussi, ajoute-t-il, je
ne me crois plus obligé de suivre la maxime qu'en écrivant on doit garder des
ménagements et des mesures. Je place Leti bien au-dessus de Robertson,
l'historien dogmatiseur, justement tombé en discrédit en Angleterre comme
Hume et Smollett. Avec ces travaux seuls, il est facile d'accomplir un travail
vulgaire sur le XVIe siècle. Parlerai-je de M. Gaillard, esprit si médiocre, pauvre
homme si tiraillé dans son érudition, beau diseur, ma foi, de lieux communs,
humanitaires ? M. Gaillard est philosophe, mais avec cela il est historiographe du
roi et pensionné, ce qui le met à une torture épouvantable quand il veut écrire un
fait ou porter un jugement. Admirateur de Voltaire, comme lui il voudrait faire du
scepticisme, mais il a besoin de ménager la cour, les grands, le clergé, de sorte
que ses volumes si enflés ne contiennent rien que quelques réflexions
boursouflées dans le beau style du temps.
L'objet du présent livre n'est que de placer en présence des lecteurs une série de
documents originaux, de pièces authentiques, qui, je l'espère, pourront modifier
les idées qu'on a jusqu'ici jetées sur François Ier, et en général sur le XVIe
siècle. Ce travail a été fort simple ; il m'a suffi de prendre les grandes collections
Dupuy, Béthune, Colbert, Fontanieu, et de rechercher là toutes les pièces
originales que ces hommes patients et consciencieux ont recueillies ; et avec ces
pièces, j'ai dû comparer les registres de l'hôtel de ville, les documents espagnols
de Simancas, les archives d'Augsbourg, de Vienne, de Munich, de Venise, de
Florence, Gênes et Milan ; de pénétrer aux grandes sources du Vatican, de
manière qu'à l'aide de ces pièces on puisse rétablir l'histoire de François Ier et de
la Renaissance ; non plus en empruntant les opinions de quelques Mémoires,
mais avec les pièces officielles elles-mêmes. J'ai tenté d'accomplir ce que font les
antiquaires pour restituer les monuments grecs ou égyptiens ; j'ai arraché les
derniers fragments de pierre pour élever un édifice.
Que si les opinions que j'émets sur ces pièces ne sont pas exactes, comme les
documents restent sous les yeux du lecteur, il lui sera toujours facile de s'en
former d'autres. Qui pourrait s'en plaindre. Je n ai pas l'orgueil d'imposer mes
œuvres aux générations futures. Ces générations viennent après nous pour nous
juger, et de nos œuvres que restera-t-il ? les seuls documents du passé, et c'est
seulement ce qui les fera vivre.
Certes, nul règne n a plus d'attraits pour l'imagination et l'étude que celui de
François Ier ; je m'y suis livré avec une passion qui tient à mes goûts ; il n'est
pas un lieu de bataille en Allemagne, en Italie que je n'aie parcouru, pas une ville
que je n'aie saluée pour retrouver les traces de ce règne. Visitez Milan, Gênes,
Venise, Rome, vous qui voulez connaître l'histoire du XVIe siècle, parcourez aussi
l'Espagne, les archives de Séville et de Simancas, et vous serez émerveillé des
points de vue nouveaux qui vous viendront à l'esprit avec les couleurs du temps.
Combien de fois je me suis promené autour des murs de Pavie pour retrouver les
traces de ces nobles chevaliers morts sous l'étendard de France. Et au moment
où j'écris ces lignes, la vieille basilique de Santo-Michaelo (œuvre aussi antique que
les ariens), sonne à plein glas pour un convoi funèbre que les pénitents mènent à