L Losev Alekseï Fedorovitch (10 (22). 09. 1893, Novotcherkassk – 24. 05. 1988, Moscou). Philosophe, historien de la philosophie et de l’esthétique. A fait ses études à la faculté d’histoire et de philologie de l’Université de Moscou (section de philosophie et de philologie classique). En 1919, il fut choisi comme professeur de philologie classique de l’Université de Nijni-Novgorod, et ensuite comme membre actif de l’Académie des sciences artistiques et professeur de l’Université d’Etat des sciences musicales. Au début des années 20, le cercle des relations philosophiques de Losev était très large : la Société de psychologie près l’Université de Moscou, la Société philosophico-religieuse à la mémoire de Vl. Soloviev, le Cercle philosophique du nom de Lopatine, l’Académie libre de culture spirituelle, comprenant des acteurs de la renaissance religieuse russe tels que Ivanov, Berdiaev, Florenski et al. La vision du monde de Losev se constitua sur la base d’un profond intérêt pour l’enseignement philosophique de Platon. L’article intitulé «Eros u Platona » [L’éros chez Platon] (1916) fut sa première publication, présentant sa conception du platonisme. C’est à travers le prisme du platonisme que Losev appréhendait les manifestations les plus diverses de la culture spirituelle : la musique et les mathématiques ; les visions de Dostoïevski, V.S. Soloviev, Schelling, Hegel, F. Nietzsche, A. Bergson, P. Natorp, E. Cassirer ; les théories physiques de H.A. Lorentz et A. Einstein. De 1922 à 1929, Losev enseigna l’esthétique au conservatoire de Moscou, entrant en contact avec des musiciens (Gnessine, Goldenweizer, Neigauz), des mathématiciens (Louzine, Egorov, Finikov). C’est précisément à cette époque que paraît tout le cycle des œuvres philosophiques de Losev : Antičnyj kosmos i sovremennaja nauka [Le Cosmos antique et la science contemporaine], Muzyka kak predmet logiki [La Musique comme objet de la logique], Filosofija imeni [La Philosophie du nom], Dialektika čisla u Plotina [La Dialectique du nombre chez Plotin], Dialektika hudožestvennoj formy [La Dialectique de la forme artistique], Kritika platonizma u Aristotelja [La Critique du platonisme chez Aristote], Očerki antičnogo simvolizma i mifologii [Les Essais sur le symbolisme antique et la mythologie], Dialektika mifa [La Dialectique du mythe]. Filosofija imeni [La Philosophie du nom], synthèse originale de la phénoménologie et du platonisme, fut L’œuvre centrale, dans laquelle Losev exprima ses vues philosophiques. Les idées philosophiques de Plotin et de Proclus, développant les constructions dialectiques du Parménide de Platon, furent utilisées comme base par Losev pour transformer la phénoménologie d’E. Husserl en une dialectique universelle. « La philosophie du nom » était 1 étroitement liée aux disputes du début du XX siècle sur la ‘glorification du Nom’ [ndr. Imeslavie]; la manifestation de l’être était organisée sur la base d’une analyse minutieuse (67 catégories) de la nature du « nom » et du « mot ». Pour Losev , le nom représentait un moment particulier de la rencontre du « sens », inhérent à la pensée humaine et du « sens » immanent à l’être de la chose. Dans son traité philosophique, Losev affirmait que dans le monde, y compris la nature non-vivante, tout est sens, et que, pour cette raison, la philosophie de la nature et la philosophie de l’esprit s’unissent dans la Philosophie du nom, en tant qu’auto-découverte du sens. Le nom dans son expression achevée, est compris comme l’« idée », saisissant et soulignant l’ « eidos », l’être essentiel de la chose. Il acquiert son plus grand accomplissement et sa plus grande profondeur quand il embrasse la couche secrète et « mystique » de l’être, quand il se découvre comme un mythe, pensé lui-même non point comme une fiction, mais au contraire comme auto-manifestation complète et ultime et connaissance par soi-même de la réalité. Selon Losev, la philosophie du nom coïncide avec la conscience que l’être peut avoir de lui-même et, en général, avec la philosophie, car le nom, compris ontologiquement, est le sommet de l’être qui s’atteint dans son auto-découverte immanente. En 1930, parurent une série de publications comportant une critique acerbe de « La dialectique du mythe » de Losev (L.M. Kaganovitch, M. Gorki, et autres). Le philosophe était qualifié d’ennemi de classe, d’obscurantiste, de réactionnaire, de membre des Cents Noirs et de monarchiste. Les conclusions de la commission d’enquête conduirent à l’arrestation et au transfert dans un camp de travail du canal de la Mer blanche. Après sa libération en 1933, Losev se consacra exclusivement, pendant presque 20 ans, à l’activité pédagogique dans le domaine de la philologie classique. En 1943, on lui accorda le titre de Docteur en sciences philologiques pour l’ensemble de ses travaux. Au début des années 50, après de nombreuses années de silence imposé, commence une nouvelle période de création philosophique. Le bilan de cette période fut la publication d’environ 400 travaux scientifiques (près de 30 monographies). Parmi ces livres de Losev, une place à part revient à l’ouvrage de 8 tomes Istorija antičnoj estetiki [Histoire de l’esthétique antique], Ellinističeski-rimskaja estetika [L’Esthétique hellénique et romaine], Estetika Vozroždenija [L’Esthétique de la Renaissance], Problema simvola i realističeskoe iskusstvo [Le Problème du symbole et de l’art réaliste], Vladimir Soloviev i ego vremja [Vladimir Soloviev et son temps]. Dans toute la série de ses travaux tardifs, Losev tenta dans une certaine mesure de rapprocher son enseignement philosophique du marxisme, mais il ne parvint pas à une réelle synthèse. Pour ce penseur qui fut un captif du platonisme toute sa vie, il apparut impossible de marier le style de la pure philosophie et le système idéologisé à l’extrême du marxisme de cette époque. 2 Œuvres : Iz Rannih proizvedenij (Premières œuvres), M., 1990 ; Filosofija, Mifologija, Kul’tura (Philosophie, Mythologie, Culture), M., 1991 ; Očerki antičnogo simvolizma i mifologii (Essais sur le symbolisme antique et la mythologie), M., 1993 ; Bytie, Slovo, Kosmos (L’Etre, le nom, le cosmos), M., 1993 ; Mif, Čislo, Suščnost’ (Le Mythe, le nombre, l’essence), M., 1994. Bibliographie : A.F. Losevu : K 90-letiju so dnja roždenija (à A.F. Losev : à l’occasion des 90 ans de sa naissance), Tbilissi, 1983 ; Taho-Godi A.A., A.F. Losev. Zizn’ i tvorčestvo (Takho-Godi A.A., A.F. Losev. Vie et oeuvre) in : Losev A.F., Filosofija, Mifologija, Kul’tura, (Philosophie, Mythologie, Culture), M., 1991 ; Du même auteur, Aleksej Fedorovič Losev (Alekseï Fedorovitch Losev) in Losev A.F., Bytie, Slovo, Kosmos (L’Etre, le nom, le cosmos), M., 1993. A.I. Abramov (trad. M. Dennes) 3