INTRODUCTION
(Scène d'exposition : complémentarité des personnages)
Dans la typologie théâtrale on a coutume de distinguer les personnages d'un nom propre ou
d'un nom commun, singulier ou pluriel. Cet usage nous rappelle que toute personne était
autrefois identifiable sur scène par un persona, masque dont les caractéristiques permettait de
reconnaître les personnages individuels et les personnages collectifs. Si ces derniers sont
rarement désignés comme « acteurs », ils n'en sont pas moins des « actants » à part entière et
dont la figure « commune » suggérait explicitement l'état de médiateur entre le public et la
scène. Plus largement, il faut entendre que ces personnages ne jouent pas seulement les
« utilités », mais que leur fonction, très fluctuante au cours de l'histoire du théâtre, les désigne
comme des intercesseurs de la sphère publique et des instances sociétales dans l'espace
fictionnel du drame. Cette thèse postule l'irrésistible ascension de cette figure au cours du XIXe
siècle et de son accession au rang de protagoniste essentiel – explicite ou implicite – dans les
nouvelles conceptions de l'écriture théâtrale. Désormais inséparable du destin du personnage
individuel, la notion de collectif devient l'un des ressorts effectifs du drame. Notre étude
recense et analyse les figures variables et ambivalentes de ce personnage qui est à la fois
« personne » et « tout le monde » mais dont aucun courant de pensée, aucune école ne pourra
désormais faire l'économie. Statufié en décor chez les Naturalistes ou désincarné chez les
Symbolistes, Peuple de Zanzibar chez Apollinaire ou masse anonyme chez les
expressionnistes, l'histoire du personnage collectif ne saurait se concevoir comme une réalité
autonome. Elle ne se comprend que sous l'allure dialectique d’un dialogue permanent avec le
personnage individuel.
L'analyse de ce rapport nécessite au préalable une définition conjointe des deux types de
personnages qui ne se limite pas à un simple jeu de faire valoir. Nous ne traiterons pas ici des
questions relatives à l'origine de ce binôme - la problématique du chœur grec mériterait en effet