fidèle n'en saisit pas ponctuellement la significa-
tion.
PC-
-
Dieu, l'un faisant le détour par le terreau hébraï-
que, l'autre suivant le sillon creusé par l'antique
poésie arabe. Deux traductions qui divergent tant
dans la forme qu'en esprit, quand bien même
s'enjolivent-elles d'allègres calligraphies jaillies
du calame de l'Irakien Ghani Alani. «
En lisant
l'arabe coranique on découvre par transparence
les textes hébraïques nés d'une même inspira-
tion »,
observe Chouraqui. De la poésie pré-
islamique le Coran ne répudie
«die lyrisme, ni la
couleur, ni même parfois les mètres », souligne
Berque. Celui-ci invoque à l'appui de son «
essai
de traduction »
une tradition littéraire arabe
e
barbare » dont l'islam a récupéré les formes après
en avoir banni l'esprit ; celui-là s'appuie sur des
Ecritures dont le Coran perpétue l'esprit tout en
proscrivant les formes. De
quoi exciter la sagacité de
l'honnête homme, mais
tout autant le soupçon du
commun des croyants et
davantage la fureur d'un
islamiste. «
En Occident,
les orientalistes ne tradui-
sent jamais le Coran afin de
l'étudier, de le méditer
pour leur gouverne, mais
plutôt pour mieux le com-
battre »
' avertissait l'heb-
d om a dair e wahhabite
« El-Mouslimoun » («- les
Musulmans », du 11-17
mai 1990). C'est que le
Coran occupe en islam la
place non pas de la Bible en
chrétienté mais du Christ.
Il n'est pas plus un livre
créé que Jésus un homme
mort el . L'un et l'autre
participent de toute éter-
nité de l'Etre suprême.
Consubstantiel à Allah,
son Livre constitue un tout
— lettres, sons, mots, lan-
gue, grammaire, images et
sens — indissociable, un
« miracle divin », inimita-
ble, absolument inconver-
tible.
«L'impie qui récite le
Coran est pareil au myrte
dont le parfum est agréable
mais la saveur amère I »,
fait
dire la Sunna au Prophète.
Les musulmans redoutent
autant de se pencher sur
l'origine, la composition et
le contenu du Livre que les
chrétiens sur la naissance, la nature et la résurrec-
tion du Christ. Emanation audible du souffle
divin, le Coran émeut constamment l'existence du
croyant comme le vent la flûte de roseau. Il en
récite des bribes à chacune des cinq prières
quotidiennes, au moment du coït, avant de s'en-
dormir, en sortant de chez lui, à l'occasion d'une
joie, en cas de malheur. L'arabe est la langue
d'Allah, des anges, du paradis, de l'islam. La
question de la traduction se posa aux ulémas dès
que les sabots des cavaliers arabes touchèrent les
terres étrangères. Très tôt apparurent des ver-
sions persanes, berbères, sindis et turques (Dr siè-
cle). On pouvait donc « interpréter » le Coran.
Néanmoins la « Fatiha », l'e Ouverture », soit la
première des 114 sourates, « chapitres », du Coran,
doit être articulée en arabe, quand bien même le
126
LE NOUVEL OBSERVATEUR /LIVRES
Calligr
Il faut attendre le xxe siècle pour voir Kemal
Atatürk en instituer dès 19201a récitation en seule
langue turque. Et ce n'est qu'en 1932 qu'un uléma
d'Al-Azhar, mélange de Sorbonne et de Vatican du
sunnisme, Moustapha el-Maraghi, se fit une
religion des traductions du verbe d'Allah. Une
révolution si on songe que le calife abbasside
El-Maamoun, un des héros de Saddam Hussein,
dut instituer en 833 une implacable inquisition
(« mihna »,
calvaire) pour imposer la doctrine d'un
Coran créé. L'idée fit son chemin et donna lieu à
une exégèse critique de la langue, de la gram-
maire, du style et de l'imagerie poétique du Livre.
musiques. Les interprètes pallient le fait de
n'avoir pas innové en sens, chacun selon son
tempérament propre, par une profusion d'images
et de mélodies.
Le sépharade cueille les mots à la racine
étymologique, les entend au pied de la lettre et les
articule au premier degré. La moisson est décon-
certante de poésie mais aussi d'occasions de
perplexité. On y parcourt des vers amples comme
le désert de sable : «
Un jour les humains seront
comme des papillons éparpillés I Les montagnes
comme des flocons effilochés »
(101,4-5). Toute-
fois, ce parcours se détourne de mirages et d'oasis.
Les métaphores arabes ne survivent pas à une
traduction qui se révèle presque infidèle à force
d'être scrupuleusement littérale. Ainsi du notoire.
qualificatif de
«Miséricor-
e;
,.
dieux »
revendiqué par
Yahvé
(Rahamim)
et par
Allah
(Rahim),
que Chou-
raqui, s'appuyant sur la
racine
RHM, «
entrailles»,
« matrice » en hébreu
comme en arabe, rend par
« Matricant » ou « Matri-
ciel ».
En cherchant à dé-
busquer le tronc sémitique
du mot arabe, Chouraqui
ne remonte pas jusqu'à la
racine ultime, babylo-
nienne, cananéenne ou
araméenne. Il s'arrête et
s'appuie sur le rameau
biblique, au risque certain
d'hébraïser ainsi la langue
coranique. Il l'admet, et le
justifie par une farouche
volonté oecuménique. Le
catholique, qui jouit d'une
élégante plume française
tout en maniant parfaite-
ment le calame arabe,
poursuit moins la couleur
locale que la densité, sous
la cape des mots. Quête de
profondeurs qui le plonge
dans des commentaires
fleuves et au coeur de l'exé-
gèse coranique la plus exi-
geante. A chaque sourate
traduite la note critique
qu'il faut, l'aperçu histori-
que qui s'impose. Berque
tient la dragée haute au
aphie coufique sur une édition du Coran (Ix-x' siècle, musée de Téhéran)
Des poètes, tel Ibn el-Maouardi (mort en 864),
s'enhardirent,
horresco referens, à
vouloir sur-
passer en virtuosité la prose coranique ! Las ! La
contre-attaque des conservateurs, l'imam Ibn
Hanbal (mort en 855) en tête, l'ancêtre spirituel
du wahhabisme saoudien, devait avoir raison en
dernière instance de ces velléités rationalistes. Le
calife El-Qadri (992-1031) y mit brutalement un
terme en «
fermant la porte de l'"Ijtihad" »,
l'exégèse littéraire et historique.
Le Coran d'André Chouraqui comme l'essai
d'interprétation du Livre de Berque ne décèlent
rien de notablement inédit quant au contenu d'un
texte qui compte déjà une cinquantaine de ver-
sions françaises. Cependant les mots recèlent des
idées, tissent des métaphores et composent des
« Le Coran », traduction de l'arabe par André
Chouraqui, Robert Laffont, 1 434 pages, 198E
«Le Coran » , « essai de traduction »de 1 'arabe,par
Jacques Berque, Sinalacl, 840 pages, 380E
»
lecteur mais sait le faire
retomber sur ses pieds. La
rigueur y épouse la grâce :
« Au jour où les humains seront comme sauterelles
répandus/ où les montagnes seront comme touffes
de laine qu'on carde » (CI, 4-5).
L'« essai de
traduction » de Berque s'achève par une tentative
de mise en perspective historique du Livre de
l'Etemel. L'auteur des « Arabes d'hier et d'au-
jourd'hui » souligne dans son apologue « En
relisant le coran » que «
le grand problème de
l'islam aujourd'hui, c'est le divorce, qui pourrait
s'aggraver, entre les positions de la doctrine et la
marche effective du monde ».
Mais ceci est une
autre histoire...
SLIMANE ZEGHIDOUR
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