Le Coran » , « essai de traduc

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PC- Dieu, l'un faisant le détour par le terreau hébraï- fidèle n'en saisit pas ponctuellement la significa- musiques. Les interprètes pallient le fait de
que, l'autre suivant le sillon creusé par l'antique tion.
n'avoir pas innové en sens, chacun selon son
poésie arabe. Deux traductions qui divergent tant
tempérament propre, par une profusion d'images
Il faut attendre le xxe siècle pour voir Kemal et de mélodies.
dans la forme qu'en esprit, quand bien même
Le sépharade cueille les mots à la racine
s'enjolivent-elles d'allègres calligraphies jaillies Atatürk en instituer dès 19201a récitation en seule
du calame de l'Irakien Ghani Alani. « En lisant langue turque. Et ce n'est qu'en 1932 qu'un uléma étymologique, les entend au pied de la lettre et les
l'arabe coranique on découvre par transparence d'Al-Azhar, mélange de Sorbonne et de Vatican du articule au premier degré. La moisson est déconles textes hébraïques nés d'une même inspira- sunnisme, Moustapha el-Maraghi, se fit une certante de poésie mais aussi d'occasions de
tion », observe Chouraqui. De la poésie pré- religion des traductions du verbe d'Allah. Une perplexité. On y parcourt des vers amples comme
islamique le Coran ne répudie «die lyrisme, ni la révolution si on songe que le calife abbasside le désert de sable : « Un jour les humains seront
couleur, ni même parfois les mètres », souligne El-Maamoun, un des héros de Saddam Hussein, comme des papillons éparpillés I Les montagnes
Berque. Celui-ci invoque à l'appui de son « essai dut instituer en 833 une implacable inquisition comme des flocons effilochés » (101,4-5). Toutede traduction » une tradition littéraire arabe (« mihna », calvaire) pour imposer la doctrine d'un fois, ce parcours se détourne de mirages et d'oasis.
e barbare » dont l'islam a récupéré les formes après
Coran créé. L'idée fit son chemin et donna lieu à Les métaphores arabes ne survivent pas à une
en avoir banni l'esprit ; celui-là s'appuie sur des une exégèse critique de la langue, de la gram- traduction qui se révèle presque infidèle à force
Ecritures dont le Coran perpétue l'esprit tout en maire, du style et de l'imagerie poétique du Livre. d'être scrupuleusement littérale. Ainsi du notoire.
proscrivant les formes. De
qualificatif de «Miséricorquoi exciter la sagacité de
e; dieux » revendiqué par
l'honnête homme, mais
Yahvé (Rahamim) et par
tout autant le soupçon du
Allah (Rahim), que Choucommun des croyants et
raqui, s'appuyant sur la
davantage la fureur d'un
racine RHM, « entrailles»,
islamiste. « En Occident,
« matrice » en hébreu
les orientalistes ne traduicomme en arabe, rend par
sent jamais le Coran afin de
« Matricant » ou « Matril'étudier, de le méditer
ciel ». En cherchant à dépour leur gouverne, mais
busquer le tronc sémitique
plutôt pour mieux le comdu mot arabe, Chouraqui
battre »' avertissait l'hebne remonte pas jusqu'à la
d om a dair e wahhabite
racine ultime, babylo« El-Mouslimoun » («- les
nienne, cananéenne ou
araméenne. Il s'arrête et
Musulmans », du 11-17
mai 1990). C'est que le
s'appuie sur le rameau
Coran occupe en islam la
biblique, au risque certain
place non pas de la Bible en
d'hébraïser ainsi la langue
chrétienté mais du Christ.
coranique. Il l'admet, et le
Il n'est pas plus un livre
justifie par une farouche
créé que Jésus un homme
volonté oecuménique. Le
mort el . L'un et l'autre
catholique, qui jouit d'une
élégante plume française
participent de toute éternité de l'Etre suprême.
tout en maniant parfaitement le calame arabe,
Consubstantiel à Allah,
son Livre constitue un tout
poursuit moins la couleur
— lettres, sons, mots, lanlocale que la densité, sous
gue, grammaire, images et
la cape des mots. Quête de
profondeurs qui le plonge
sens — indissociable, un
dans des commentaires
« miracle divin », inimitafleuves et au coeur de l'exéble, absolument inconvergèse coranique la plus exitible. «L'impie qui récite le
geante. A chaque sourate
Coran est pareil au myrte
traduite la note critique
dont le parfum est agréable
qu'il faut, l'aperçu historimais la saveur amère I », fait
dire la Sunna au Prophète.
que qui s'impose. Berque
tient la dragée haute au
Les musulmans redoutent
» lecteur mais sait le faire
autant de se pencher sur
retomber sur ses pieds. La
l'origine, la composition et
Calligraphie coufique sur une édition du Coran (Ix-x' siècle, musée de Téhéran)
rigueur y épouse la grâce :
le contenu du Livre que les
chrétiens sur la naissance, la nature et la résurrec- Des poètes, tel Ibn el-Maouardi (mort en 864), « Au jour où les humains seront comme sauterelles
tion du Christ. Emanation audible du souffle s'enhardirent, horresco referens, à vouloir sur- répandus/ où les montagnes seront comme touffes
divin, le Coran émeut constamment l'existence du passer en virtuosité la prose coranique ! Las ! La de laine qu'on carde » (CI, 4-5). L'« essai de
croyant comme le vent la flûte de roseau. Il en contre-attaque des conservateurs, l'imam Ibn traduction » de Berque s'achève par une tentative
récite des bribes à chacune des cinq prières Hanbal (mort en 855) en tête, l'ancêtre spirituel de mise en perspective historique du Livre de
quotidiennes, au moment du coït, avant de s'en- du wahhabisme saoudien, devait avoir raison en l'Etemel. L'auteur des « Arabes d'hier et d'audormir, en sortant de chez lui, à l'occasion d'une dernière instance de ces velléités rationalistes. Le jourd'hui » souligne dans son apologue « En
joie, en cas de malheur. L'arabe est la langue calife El-Qadri (992-1031) y mit brutalement un relisant le coran » que « le grand problème de
d'Allah, des anges, du paradis, de l'islam. La terme en « fermant la porte de l'"Ijtihad" », l'islam aujourd'hui, c'est le divorce, qui pourrait
question de la traduction se posa aux ulémas dès l'exégèse littéraire et historique.
s'aggraver, entre les positions de la doctrine et la
que les sabots des cavaliers arabes touchèrent les
marche effective du monde ». Mais ceci est une
terres étrangères. Très tôt apparurent des verLe Coran d'André Chouraqui comme l'essai autre histoire... SLIMANE ZEGHIDOUR
sions persanes, berbères, sindis et turques (Dr sièd'interprétation du Livre de Berque ne décèlent
cle). On pouvait donc « interpréter » le Coran. rien de notablement inédit quant au contenu d'un « Le Coran », traduction de l'arabe par André
Néanmoins la « Fatiha », l'e Ouverture », soit la texte qui compte déjà une cinquantaine de ver- Chouraqui, Robert Laffont, 1 434 pages, 198E
sions françaises. Cependant les mots recèlent des «Le Coran » , « essai de traduction »de 1 'arabe,par
première des 114 sourates, « chapitres », du Coran,
doit être articulée en arabe, quand bien même le idées, tissent des métaphores et composent des Jacques Berque, Sinalacl, 840 pages, 380E
126 LE NOUVEL OBSERVATEUR /LIVRES
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