Jardins sauvages et refuges naturels par Martin Tanghe - mai 2009 Les expressions « jardin sauvage » ou « jardin naturel » sont contradictoires puisque le terme jardin implique l’aménagement, la domestication, la sélection et l’entretien des végétaux par l’homme, c’est-à-dire, tout le contraire de la nature sauvage. En revanche, l’expression « refuge naturel » proposée par l’asbl RNOB évite cette association antinomique, alors qu’elle désigne bel et bien une conception du jardin plus accueillante pour la vie sauvage, en particulier en milieu urbain bruxellois où elle a été mise en pratique depuis une dizaine d’années par quelque 500 propriétaires de jardin. Reprenant en somme une idée de l’architecte paysagiste hollandais Louis LE ROY qui prétendait inclure la nature sauvage dans l’espace urbain au lieu de l’exclure, le concept de « refuge naturel » a pour objectif de favoriser le maintien, voire le développement de nos flore et faune sauvages dans un environnement qui lui est largement hostile. Cette hostilité se manifeste autant dans le milieu rural et forestier qu’urbain, puisque tant l’agriculture et la sylviculture intensives que l’urbanisation sont responsables de la fragmentation et de l’isolation des habitats naturels et de leur populations végétales et animales sauvages. La conservation et le développement de la vie sauvage dans les espaces verts privés et parcs publics peut donc, au même titre d’ailleurs que les dépendances vertes des autoroutes, routes et voies ferrées, contribuer à la continuité du réseau écologique régional. Un jardin refuge de vie sauvage à Rixensart Un jardin de ce type n’est donc pas un espace vert abandonné, exempt de toute intervention et livré à l’invasion débridée des mauvaises herbes et de la sauvagine, sinon il ne mériterait pas le nom de jardin. En réalité, il s’agit bien d’un espace vert aménagé et entretenu soigneusement pour l’agrément, l’esthétique, le délassement et la production de fruits et légumes, mais où la nature sauvage est admise et même favorisée dans certaines limites. Une deuxième particularité est l’exclusion des herbicides et une troisième, le recyclage de tous les déchets verts (1). La multiplicité des compartiments du jardin, de même qu’une structure aussi complexe que le permet la superficie et la charge d’entretien, conditionnent une biodiversité élevée. Ainsi, le jardin en question contient des pelouses régulièrement tondues, un petit élément de prairie fauchée, un jardin potager désherbé manuellement, des bordures fleuries, des haies vives taillées, des massifs arbustifs, un bosquet d’essences indigènes, une fougeraie, etc. De la sorte, l’espace vert rassemble sur un espace restreint d’une dizaine d’ares, des flores de milieux très différents : • Herbes annuelles des cultures avec des espèces à grande valeur ornementale malgré leur rusticité comme le bleuet, le coquelicot, la nielle des blés et le chrysanthème des moissons ; • Herbes vivaces des prairies comme la renoncule âcre, la knautie des champs, la mauve musquée, la marguerite, la flouve odorante, l’achillée millefeuille, etc. ; • Herbes des friches et clairières forestières dont la saponaire, le seneçon jacobée, l’épilobe hérissé, le millepertuis perforé, le seneçon de Fuchs, la digitale pourpre, etc. ; • Arbustes des fourrés et arbres pré-forestiers qui s’installent spontanément dans les haies, notamment le cornouiller sanguin, la viorne obier, la viorne mancienne, le noisetier, le houx, l’érable champêtre, le sorbier des oiseleurs ; • • Herbes sylvatiques liées au sous-bois ombragé du bosquet, notamment l’anémone sylvie, le sceau de Salomon commun, l’ail des ours, la jacinthe des bois, la corydale solide, la primevère élevée ; Herbes des lisières et sous-bois clairs comme la stellaire holostée et l’épipactis à larges feuilles, orchidée qui est apparue spontanément et compte bon an mal an de vingt à trente individus (photo). Une partie des espèces sauvages se sont installées spontanément, arrivant dans le jardin soit par le vent (plantes anémochores), soit grâce aux oiseaux (plantes ornithochores) ; d’autres, en particulier les annuelles, appartenaient au stock grainier du sol (2) ou ont été introduites involontairement lors du repiquage de plantes potagères achetées au marché ; d’autres encore ont été introduites volontairement, soit par le semis de graines récoltées dans les champs, prairies et bois, soit par la plantation. Dans ce dernier cas, il s’agit surtout des espèces de sous-bois à floraison printanière dont la plupart ne s’installent pas d’ellesmêmes dans les boisements de recolonisation spontanée ou artificielle d’anciennes cultures. Les seules plantes sylvatiques qui arrivent facilement en sous-bois par la voie des airs ou avec les animaux sont le lierre, les fougères, les ronces, la benoîte et le gouet tacheté. Aussi, nombre des plantes forestières citées ci-dessus proviennent-elles de la récupération, et en quelque sorte du sauvetage in extremis, des plantes lors du lotissement de terrains boisés des environs. Conclusions On voit qu’un « jardin sauvage » ou « refuge naturel » ne se crée pas tout seul. Paradoxalement, il exige une attention et une intervention soutenues qui s’appuient d’abord sur la connaissance des plantes, ensuite sur le désir de les avoir chez soi parce qu’elles sont intéressantes, rares, attractives pour les oiseaux et insectes ou tout simplement parce qu’elles sont aussi belles que les plantes cultivées (3). De plus, dans ce jardin rixensartois, nombre d’entre elles ont une petite histoire comme ce Telekia speciosa plantureux dont les graines ont été récoltées dans les montagnes de la Transylvanie, lors d’un arrêt d’urgence, pour cause de crevaison, d’une voiture trop petite pour cinq personnes et leurs bagages ! Cette conception de l’horticulture (parce qu’il s’agit bien de cela) relève donc d’un esprit à tout le moins naturaliste, autrement dit de la sensibilité à la nature au sens de F. TERRASSON, c’est-à-dire à ce que l’homme ne contrôle pas. Une attitude caractéristique de celui qu’on pourrait qualifier d’ « horticulteur naturaliste », c’est l’attention portée à toutes les plantes qui apparaissent spontanément au cours des années, au contraire du réflexe d’éliminer systématiquement tout ce qui est inconnu et étranger à ce que l’on a semé ou planté. On peut imaginer que cela ne simplifie pas la vie ; surtout lorsque la tondeuse doit louvoyer entre dix pieds d’une orchidée sauvage qui s’obstine à pousser en plein milieu de la pelouse ou que des nouvelles venues se comportent finalement comme des envahisseuses, telles que le gratteron, l’épiaire des champs, l’égopode ou la ronce laciniée pourtant si généreuse en mûres énormes et succulentes. Cela ne facilite pas non plus les relations avec les voisins qui ont un autre idéal horticole : celui du jardin tiré au cordeau, net et aseptisé dont l’uniformité est sans doute source de repos pour les yeux et l’esprit comme le jardin zen tout simplement dépourvu de végétaux. (1) Cette troisième caractéristique ne constitue pas toutefois une condition sine qua non ; elle est simplement complémentaire et participe de la même conception écologique générale. (2) Le jardin en question, comme beaucoup d’autres à Rixensart, est issu du lotissement d’anciennes terres de culture. (3) Une autre motivation peut être la création de véritables écosystèmes comme un étang ou un bosquet où plantes et animaux sauvages vivent en équilibre avec le milieu et entre eux.