Université européenne d’été 2015
du 30 juin au 3 juillet 2015
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Beaucoup se sont tournés vers une quatrième méthode, intuitivement et habituellement corroborée
dans nos raisonnements éthiques quotidiens, à savoir la méthode par la responsabilité historique. Le
fardeau de la responsabilité pèse sur ceux qui ont le plus émis par le passé. À notre grand désespoir,
cette méthode peut faire l’objet de quatre façons de penser la responsabilité historique, qui
aboutissent toutes à des résultats très différents. La première façon consiste à calculer la
responsabilité des pays par la somme totale de leurs émissions entre 1850 et 2007. En première
position viennent les États-Unis, avec presque 340 milliards de tonnes de CO2 émis, puis la Chine et
la Russie. La seconde méthode, dénonçant l’aspect trop général de la première, dit qu’il est plus
pertinent de comparer les émissions historiques par tête, en tenant compte de la population du pays.
Cette fois, le pays dont les émissions par personne ont été les plus importantes, et de très loin, est le
Luxembourg, avec une émission moyenne par personne de 1 429 tonnes de CO2. Le Royaume-Uni
vient en seconde position, et les États-Unis n’arrivent qu’en troisième position. En fin de liste, on
trouve des pays comme le Tchad. La quatrième méthode tient compte de l’empreinte carbone de la
consommation des pays, dans la mesure où elle va permettre de relocaliser les biens et les services
de consommation dans les pays où ils sont consommés et non pas simplement produits. Les États-
Unis reviennent ici à la première place, puis viennent la Chine et l’Inde. Il est évident que nous ne
pouvons pas sérieusement nous appuyer sur les analyses de responsabilité historique, puisque nous
ne disposons pas d’une méthode non controversée pour établir la responsabilité. Nos résultats sont à
la fois pertinents et contre-intuitifs. En effet, il est absolument pertinent et justifiable de placer le
Luxembourg en première position selon la méthode que j’ai indiquée plus haut, mais cela implique-t-
il de taxer lourdement ce pays et le désigner comme le coupable essentiel ? Cela n’aurait pas grand
sens. Cette méthode de la responsabilité historique a été fortement remise en cause par un certain
nombre des grands noms de l’éthique appliquée au changement climatique, et au moins quatre
objections lui ont été faites. En premier lieu, il est extrêmement difficile de remonter avec exactitude
la chaîne causale des décisions prises, dans un passé plus ou moins lointain, par des institutions très
complexes à la fois économiques, politiques et même sociales au sens où une fraction de la
population a été partie prenante, à des titres divers, des actions réalisées. Il est tentant d’identifier
les seuls États comme étant les titulaires de la responsabilité, mais en réalité, beaucoup vont dire
qu’il est plus convaincant d’envisager une large gamme de responsabilités englobant plus d’acteurs,
non seulement les États, mais aussi les individus, les entreprises, les institutions de la société civile et
autres. En réalité, plus nous affinons, plus la chaîne causale nous échappe totalement. En second
lieu, l’objection est liée à la question controversée de l’ignorance des générations précédentes.
Certains avancent l’idée que les générations passées ignoraient complètement le risque climatique
ou les effets généraux de leurs actions, ce qui est une vision extrêmement idéaliste. Il est très
vraisemblable qu’une part de compréhension, dans les pays industrialisés, était déjà absolument
réelle. Pour autant, il est beaucoup plus compliqué d’affirmer que ces générations passées savaient
très exactement les effets de leurs actes. Il est très difficile d’envisager d’attribuer la responsabilité à
un titulaire, État ou entreprise, de l’émission de certains polluants avant même que la chimie
moderne n’ait pu déterminer l’existence même de ces polluants. De la même façon, un certain
nombre d’éléments-clés sur les effets du changement climatique n’étaient pas connus des
générations précédentes. D’un point de vue moral, il est très difficile de rendre responsable
quelqu’un qui est ignorant de ce qu’il fait. La troisième objection dit que ce mode de raisonnement
par la responsabilité historique renvoie à un premier principe, qui est très connu, à savoir celui du