L`histoire cachée du peuple africain

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L’histoire cachée du peuple africain
Théologie et vie politique de la terre
Collection dirigée par Dominique KOUNKOU
Dans les années soixante, la vie de la terre rassemblait
les théologiens, les politologues, les acteurs politiques, les
sociologues des religions, les philosophes. Tout, tout était
tenté pour réconcilier l’homme d’avec son Dieu, l’homme
d’avec l’homme, l’homme d’avec l’Homme, l’homme
d’avec sa responsabilité de continuer à faire vivre en
harmonie la création. Tant et si bien qu’on est arrivé à
projeter la construction de la civilisation de l’universel
Puis il y a eu cette sorte d’émancipation de la politique
vite supplantée par le commerce dans un monde en
globalisation.
Et l’homme ?... Et son Dieu ? ... Et sa pensée ? ...
Tout ce qui est essentiel paraît de plus en plus dérisoire
face à la toute-puissance du commerce.
Comment réintroduire l’homme au cœur de cette avancée
évolutionnaire du monde afin que sa théologie et sa
volonté politique influent sur la vie de la terre ?
Tel est le questionnement que poursuit, de livre en livre,
cette collection.
Déjà parus
MOKOKO GAMPIOT Aurélien, Les Kimbanguistes en France.
Expression messianique d’une Église afro chrétienne en
contexte migratoire, 2010.
MUTOMBO-MUKENDI Félix, Le Fils de l’homme
apocalyptique. Sa trajectoire dans l’attente juive et chrétienne,
2009.
KOUNKOU Dominique, L’Emergence d’initiatives africaines,
2009.
Le BERRE Patrick, Objectif bien-être®, 2009.
MARTIN-LAGARDETTE Jean-Luc, Les Droits de l’âme. Pour
une reconnaissance politique de la transcendance, 2008.
Gilles Gilbert
Dominique Kounkou
L’histoire cachée du peuple africain
© L'Harmattan, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-99258-0
EAN : 9782296992580
Aux enfants de la terre, aux enfants de demain.
AVANT-PROPOS
Il faut être Kamit1 pour ressentir le fardeau de l'homme noir.
Mais pas seulement, puisque cette tragédie s'est jouée et a été
vécue en plein cœur de l'histoire humaine. Alors l'humanité est
concernée et, par-delà les mers et la couleur de sa peau, tout
homme est interpellé.
Il faut donc être simplement un homme ou une femme dont
l'intelligence cherche à connaître ce qui s'est vraiment passé
pour comprendre le génocide que la députée française de
Guyane, Christiane Taubira2, traduira en une loi, que le
Parlement français votera en 2001.
En son article premier, la loi Taubira reconnaît la traite et
l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. En son article
second, elle demande l’insertion de ces faits historiques dans les
programmes scolaires.
La version initiale de la loi dut être modifiée avant d’être votée.
En effet, dans sa première version, elle comportait des aspects
portant examen des conditions de réparation dues au titre de ce
crime et la condamnation de ceux qui, par voie de presse,
contesteraient que la traite négrière et l’esclavage furent des
crimes contre l’humanité.
Lors d’une interview publiée dans Afriscope3, Christiane
Taubira explique cette modification par l'absence d’une
pression suffisante sur l'Élysée, Matignon et le Parlement de la
part des descendants de ceux qui souffrirent de ces traites et de
ces esclavages.
1 Kamit : De Cham, nom de l’un des trois fils de Noé qui, selon la Bible,
serait l'ancêtre des Hamites, les peuples noirs d'Afrique.
2 Christiane Taubira, femme politique française née le 2 février 1952 à
Cayenne (Guyane).
3 Afriscope N° 21 : mai, juin et juillet 2011.
7
La mobilisation qu'elle était en voie d'espérer ne s'est pas
réalisée durant ces deux années et demie de navette
parlementaire. Ne dira-t-elle pas notamment à la page 16
d’Afriscope : J'ai proposé d'envoyer même de simples cartes
postales à l'Élysée et à Matignon, d'envoyer des mails.
Personne aujourd’hui n'est en mesure de prouver qu'il a
organisé la moindre démarche. J'ai proposé des invitations
pour assister aux débats. Personne...
Cette loi fut critiquée par certains historiens au nom du principe
selon lequel les lois ne doivent pas écrire l'histoire. Ces mêmes
historiens s'expriment dans le manifeste Liberté pour l'Histoire
depuis 2005, et en 2008 dans L’appel de Blois.
Il faudrait au contraire voir dans l'adoption de cette loi par le
Parlement français, une volonté politique de réconcilier la
nation française avec elle-même. Par ailleurs, elle donne de la
signification aux valeurs de la République qui a eu le courage
de reconnaître que la traite négrière et l'esclavage constituent un
crime contre l'humanité.
Pour Christiane Taubira, c'est cela faire société ensemble. Cette
belle parole vaut certes pour la réconciliation de la société
française, mais également pour celle de la société désormais
mondialisée.
Cette société s’est engagée dans un défi laborieux consistant à
faire société ensemble avec ce qui continue à faire souffrir ceux
qui, dans notre monde et dans notre histoire, ont été blessés et
continuent à l'être.
Un crime commis dans l'histoire, s'il est reconnu, n'en occulte
pas un autre, ni ne lui fait ombre. Au contraire, cette répétition
des crimes dont l'homme est capable contre son semblable
invite à une vigilance constante. Aucune époque n'est à l'abri de
la commission d'un crime que l'histoire a déjà reconnu et
déploré. C'est donc dans les aspects tortueux du cœur de
l’homme que doit fleurir l'amour de la liberté par la
connaissance.
8
Cette liberté est le plus grand honneur qui soit fait à l'homme de
tous les temps. Ainsi, s'il est d'une grande importance de lire
l'histoire du côté de la tragédie, il est d'un intérêt extrême
d'admirer et finalement de s'inspirer des moyens de lutte et de
défense mis en œuvre pour renverser le statut des victimes sans
pour autant prendre la hache du bourreau. Je porte au rang de
génie splendide et porteur d’un pouvoir de renversement de
toutes les puissances maléfiques : la négritude.
Dans mon bureau, nous avions bien conscience de mettre le
doigt sur un peu de l'universel quand, celui qui est devenu mon
ami depuis, Gilles GILBERT et moi sommes tombés d'accord
pour explorer la négritude afin d'en expliquer les situations
historiques, la philosophie et la spiritualité qui la sous-tendent,
la communauté qu'elle éveille et qui constitue ses modes de
production, de partage et son universalité.
Nous percevions assez clairement que même pour renverser son
fardeau, l'homme noir devait renverser sa souffrance et faire
jaillir la lumière qu'elle a toujours cachée au fil de l'histoire.
De tout temps, les autres peuples ont su voir les richesses du
peuple noir que lui-même n'a pas vues – ses terres, sa
civilisation, son intelligence – que celui-ci, trop préoccupé par
la souffrance infligée par les pirates de ces richesses, n’a pu
renverser pour découvrir l'éblouissante lumière qu'elle cache.
Dire les choses ainsi n'est pas verser dans le dolorisme
politique, c'est au contraire rendre utile le vieux proverbe
africain selon lequel on ne jette des pierres que sur un arbre qui
a de bons fruits. C'est ainsi qu'un peuple mûrit, apprend à
défendre ses richesses, à faire le choix de partenaires sûrs dans
le monde, à faire respecter ses intérêts et respecter ceux des
autres. Que l'Africain Dominique KOUNKOU et l'Européen
Gilles GILBERT découvrent un bonheur rare à rouler ensemble
la pierre que l'histoire a mise sur la négritude, est le signe que
l'ère du relativisme des conflits et tragédies humaines est
dépassée. Notre histoire aussi bien passée qu'immédiate est
devenue un patrimoine commun de l'humanité. Nul ne peut
9
rester indifférent à la souffrance de l'autre partie du globe. Nul
ne peut encore demeurer l'étranger de l'autre.
Mais bien au-delà, ce travail dessine une mise ensemble des
cœurs de chacun dans la misère – miséricorde de notre histoire.
Il sollicite le salut pour les peuples de la terre qui marchent
encore dans l'ombre de la mort en méditant des projets qui ne
produisent que de la vanité, rien que de la vanité et la poursuite
du vent de la haine.
Les leçons de l'histoire réussiront-elles à faire naître en nous la
crainte, peut-être la crainte de Dieu que l’on a toujours pris pour
une marchandise à travers les siècles ? Si nous sommes arrivés
à ne susciter que cette crainte, c'est déjà le commencement de la
sagesse politique dans le monde.
Maître Dominique KOUNKOU,
Docteur en Droit International Public
Avocat au Barreau de Paris
Gilles GILBERT,
auteur d’ouvrages didactiques
et d’utilité publique
CHAPITRE I : LES ESCLAVES
On ne saurait comprendre la négritude sans au préalable parler
de cet esclavage si particulier que l'on a appelé la traite
négrière. L’histoire de la traite des Noirs tranche si fort avec
celle de l’esclavage en général que l’on doit traiter ce sujet à
part.
Commençons par quelques généralités sur l'esclavage afin de
mieux en saisir les différences avec la traite des Noirs d’Afrique
déportés en Amérique et dans les Caraïbes.
Pour la plupart des religieux et des philosophes, l’esclavage
semble une pratique normale. Dans l’Antiquité, les juifs, tout
comme les chrétiens, ne conçoivent pas la société autrement.
Une formule de saint Paul le résume d’ailleurs assez bien :
Maîtres, aimez vos esclaves, esclaves aimez vos maîtres.4
Il n'est donc pas étonnant qu'on ne découvre presque aucune
critique de l’esclavage en tant qu’institution. Seul Grégoire de
Nysse5, un évêque relativement peu connu, y voit un péché.
Dans l’Antiquité, tant en Grèce qu’à Rome, les esclaves n’ont
pas de statut juridique : on les considère comme des objets. Ils
restent pourtant des êtres humains qu'il est illégal de punir sans
raison.
L’esclavage en terre d’Islam6
Au Moyen-Orient, l’esclavage ne fait que continuer la tradition
de l’Antiquité. Cependant, un événement d’une importance
capitale va considérablement modifier les choses : l’islam !7
4 1 Corinthiens 7 : 21-22.
5 Grégoire de Nysse (331-394) : Théologien chrétien et Père de l’Église
chrétienne, né dans une région de l'actuelle Turquie.
6 Information provenant de l’ouvrage de Malek Chebel : L’esclavage en terre
d’Islam - Fayard, 2007.
11
Considéré comme le dernier des prophètes monothéistes –
religion ne vénérant qu’un seul dieu – Mohammed est un
Arabe né à La Mecque8 en 570 après J.-C. A ses compagnons, il
révèle que via l'ange Gabriel9, Allah (Dieu) lui transmet ses
enseignements.
Ces instructions forment des groupes de versets appelés des
sourates. Après la mort de Mohammed, on les réunit dans un
livre saint appelé le Coran. En arabe korãn signifie la lecture
(du verbe karn, lire).
La Sunna
Quant aux propos et aux actions significatives de la vie de
Mohammed, ils forment la base du droit musulman10. Le tout
fait partie d’un recueil de récits appelés hadits, dont la somme
constitue la Sunna (le cheminement ou la pratique).
Attitude du Coran envers les religions monothéistes
Mohammed parle avec un très grand respect du message et de la
personne de Jésus qu’il considère comme l’un des prophètes.
Quatre-vingt-douze versets du Coran attestent ce fait. Trentesept d’entre eux font référence au Christ comme étant le « fils
de Marie », elle-même reconnue comme étant une vierge
fécondée par intervention divine.11
7 Ce terme signifie une soumission ou une allégeance à Dieu.
8 La Mecque est une ville située dans l’Arabie saoudite actuelle.
9 Ange Gabriel : Un ange cité dans l'Ancien et le Nouveau Testament.
Dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, Dieu communique avec ses
prophètes soit par l'intermédiaire d'anges, soit par des visions ou des
apparitions. Gabriel est considéré comme le messager de Dieu dans la Bible et
dans le Coran.
10 Musulman : de l'arabe muslim (croyant, fidèle).
11 Assani Fassassi : Le péché du pape contre l’Afrique, page 75.
Al Qualam, Paris.
12
Au sujet de l’esclavage, les enseignements de Mohammed
apportent des changements essentiels. Le Coran consacre
quinze sourates à cette question. Entièrement basé sur la parole
de Dieu, ce livre saint ne pouvait que venir au secours des
faibles, des démunis et donc des esclaves.
Le cas échéant, le Coran permet à chaque esclave de
s’affranchir12 en adoptant la foi islamique. Dans L’esclavage en
terre d’Islam, Malek Chebel mentionne la réponse spontanée du
prophète à une question sur ce que doit faire le croyant pour
mériter le ciel :
Délivrez vos frères des chaînes de l’esclavage.13
Et encore : Avez-vous fait de vos esclaves des associés dans la
jouissance des biens que nous vous avons donnés, au point que
vos positions soient égales ? De même : Ceux qu’Allah a
préférés font part des dons [qu’ils ont reçus] à leurs esclaves,
en sorte que tous aient une part égale.14
Le témoignage du Coran est sans équivoque : l’esclavage
n’entre pas dans les desseins de Dieu envers ses créatures.
L’auteur rapporte encore que le tout premier muezzin15 de
l’islam est un Abyssin nommé Bilal Al-Habachi. Désireux de
faire un exemple, le prophète le choisit de préférence pour
appeler les croyants à la prière :
Ce geste aura eu une portée symbolique extraordinaire, car
des générations entières d’esclaves africains ou berbères,
affranchis et convertis à l’islam, trouvèrent désormais en Bilal
12 Affranchir : dans ce sens, rendre sa liberté à un esclave.
13 Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, Fayard, 2007, page 17.
14 Ibid. page 18.
15 Muezzin : de l’arabe mouâdzdsin, crieur public qui annonce du haut du
minaret l'heure de la prière.
13
le saint patron qui pouvait les raccorder au tronc commun de
l’islam.16
Cependant le Coran n’est pas contraignant. Ainsi, la libération
d’un esclave relève d’un choix délibéré. De plus, ce livre
reconnaît l’état d’infériorité de l’esclave 17 :
L’idée qu’une partie des élus soit élevée au-dessus de l’autre,
moins privilégiée, revient très explicitement dans deux versets :
VI, 165 et XLIII, 32 : Dieu a élevé les uns au-dessus des autres,
en degrés, afin que les premiers prennent les autres à leur
service, tels des serviteurs. 18 Deux doctrines, conclut l’auteur,
s’affrontent en islam, la première est celle des féodaux, qui
distordent le sens des versets coraniques pour les rendre plus
favorables à leur commerce. La seconde est celle des
abolitionnistes qui prennent prétexte de la loi coranique pour
affranchir à bon prix leurs esclaves.
En effet, le Coran permet à chacun de se racheter d’un acte
contre la morale en libérant un esclave. S’il ne parvient pas à
abolir l’esclavage, l’enseignement de Mohammed tente d’en
améliorer les conditions le plus possible.
Une tendance moderne en faveur de l’égalitarisme peine parfois
à réaliser que les progrès humanitaires ne se font pas en un jour.
En des temps où les mœurs sont à des années-lumière de notre
conception des Droits de l’homme, il convient de saluer
l’initiative du Coran dans sa lutte contre le fléau de l’esclavage.
Et enfin, comme le remarque Assani Fassassi 19 :
Lorsque les Africains ou les intellectuels noirs mettent l’Islam
et les « pays musulmans » à l’index, il faut qu’ils réalisent que
les premières figures emblématiques de la religion musulmane
16 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, pages 49-50.
17 Tel qu’attesté dans le Coran (sourate 2 : 256).
18 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, page 19.
19 Assani Fassassi : Le péché du Pape contre l’Afrique. Al Qualam Paris,
page 119.
14
étaient des noirs et des métis. Il faut qu’ils réalisent que le
premier bastion de l’Islam après la Mecque […] était une terre
d’Afrique l’Éthiopie, où avait séjourné pendant treize ans
Oumn Habîba, fille d’Aboû Soufyan, une des épouses du
prophète de l’Islam.
Diversité du statut d’esclave en terre musulmane
Grâce à l’influence musulmane et à sa législation, le statut
d’esclave en terre d’Islam n’a pas de caractère infâmant. Par
leurs qualités, et/ou leurs talents, certains individus accèdent
aux mêmes charges que des hommes libres. L’accès à des
postes à responsabilités par des esclaves existe déjà dans
l’Antiquité. Sauf pour les malheureux confinés dans les
latifundias.20
Au Moyen-Orient, grâce aux réformes coraniques, même si leur
condition reste pesante, elle leur offre cependant beaucoup de
possibilités d’affranchissement. Si lourd est le sens du mot
esclave que l’on oublie parfois que leurs propriétaires n’étaient
pas obligatoirement des ogres.
En fait (toutes proportions gardées), comparé au sort de certains
travailleurs (notamment dans l’Amérique moderne) que l’on
abandonne dès que les affaires vont moins bien, l’esclave
jouissait d’une certaine sécurité. Et comme le note Malek
Chebel, en cas d’infraction, et tant qu’il n’était pas converti, un
esclave encourait des peines moins sévères que celles infligées
aux croyants.21 En bref, on leur concédait un peu le même
degré de responsabilités que celui qu’on accorde à des enfants.
Esclaves militaires, voire fondateurs de dynasties
Malek Chebel rapporte qu’à l’époque où l’Andalousie était
musulmane, il existait un corps militaire composé de soldats
20 Latifundias : vastes regroupements de domaines agricoles dans l’Empire
romain.
21 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, page 30.
15
(esclaves) noirs. Leur vocation était de défendre leur maître au
péril de leur vie. Ailleurs il mentionne :
Durant les 14 siècles de l’islam, un grand nombre d’esclaves
[…] sortirent de l’anonymat et donnèrent à l’islam une part de
sa noblesse et de son éclat. Les sultans esclaves de Dehli,
les mamelouks22 d’Égypte, les janissaires23 de la Turquie
ottomane, un grand nombre de théologiens, de prosateurs
[écrivains], de musiciens et de soldats faisaient partie de cette
catégorie « noble » d’esclaves. Bon nombre d’entre eux
accédèrent même au pouvoir et créèrent des dynasties.24
Les femmes esclaves, un statut particulier
Dans l’Antiquité, notamment en Grèce, certains métiers et les
charges publiques ne sont pas accessibles aux femmes. D’où
l’institution du gynécée, résidence abritant les mères, les filles,
les épouses ou les concubines.
Paradoxalement les prostituées, le plus souvent esclaves,
mènent une vie beaucoup plus libre. Selon leur pouvoir de
séduction ou leurs aptitudes, leur condition peut varier entre la
pire des servitudes, la pleine liberté, voire la toute-puissance.
Quoi qu’il en soit, au Moyen-Orient, notamment en Turquie, la
coutume du gynécée donne naissance au harem. Il est
intéressant de noter l’évolution de ce mot à travers l’histoire. En
effet, contrairement à l’imagerie qu’il véhicule dans les esprits,
à l’origine, ce terme signifiait littéralement interdit aux
hommes. Il s’agit d’un lieu exclusivement réservé aux épouses
et aux concubines de personnages importants. Harem, dérivé du
22 Mamelouks (possédé) : Nom d’une milice formée d'esclaves affranchis au
service des califes musulmans et de l'Empire ottoman (turc). Ils occupent le
pouvoir par eux-mêmes à de nombreuses reprises. En 1798, Napoléon
Bonaparte les écrase lors de sa campagne d'Égypte.
23 Janissaires : Littéralement nouvelle milice. Elite de l’infanterie dans
l'Empire ottoman.
24 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, pages 50-51.
16
mot harâm, désigne ce qui est tabou, interdit par la religion. Sur
le harem, l’eunuque règne en maître. Ce terme désigne un
esclave dépourvu de ses organes génitaux. Comme le remarque
Malek Chebel : Le harem constitue une république de l’ombre,
régie par des lois cruelles. Il a connu une histoire et un
développement que peu de gens connaissent ; la plupart
ignorent que le harem turc [...] est en grande partie un héritage
de Byzance. Aucune logique ne viendra à bout de la question de
l’esclavage, si elle n’emprunte pas un détour par l’organisation
du harem. Lorsqu’on sait que le chef des eunuques, eunuque
lui-même, était le quatrième personnage de l’État ottoman, on
prend conscience de l’importance acquise par le harem, non
pas tant […] pour la satisfaction sexuelle du potentat en place,
mais pour la perpétuation même de la dynastie.25
Il n’empêche que chez les Occidentaux, tout un imaginaire
perdure au sujet de cette institution qui, dans l’Empire ottoman,
se prolonge jusque dans les temps modernes. Plus encore que
dans la littérature, la production de certains peintres de la fin du
XIXe siècle témoigne de la fascination qu’exerce l’univers du
harem sur les artistes. Notamment chez ceux que l’on appelle
les orientalistes. Ne trouvant plus dans la vie moderne
l’inspiration classique à laquelle ils sont encore attachés, ils
s’émerveillent au contact de l’Empire ottoman, resté
pratiquement inchangé depuis des siècles.
Le phénomène des contes des mille et une nuits
Le monde arabe s’enrichit d’un recueil anonyme de contes
populaires. Introduits dans le monde arabe via la Perse, ils ne
seront mis par écrit qu’au XIIIe siècle.26 Si les contes des mille
et une nuits mettent en scène des esclaves, ils évoquent surtout
l’influence de toute une caste d’esclaves chanteuses,
25 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, page 115.
26 Ils refont surface par la suite en Europe, notamment au cours du XIXe à
l’époque de la vogue de l’orientalisme. Ce phénomène marquerait la reprise
du cheminement de notions de culture orientale vers l’Occident lorsque les
chemins y conduisant seront largement ouverts.
17
musiciennes et poétesses. Il faut dire que certains personnages
de cour en étaient fort épris. Quant à leur prix, il atteignait
parfois des hauteurs fabuleuses.
Les centres d’approvisionnement en esclaves
au Moyen-Orient
Pour Malek Chebel, La route privilégiée des marchands
d’esclaves était celle qui reliait les steppes eurasiennes27 en
passant par la Crimée, Byzance et la Phénicie. Plus tard, ces
mêmes routes seraient empruntées par les marchands arabes
pour asseoir et faire fructifier leur négoce. Les marchands
allaient acheter des esclaves germains et slaves sur les côtes
d’Allemagne, à l’embouchure du Rhin, de l’Elbe et du
Danube.28
D’autres sources d’approvisionnement existaient bien
évidemment, notamment en Afrique orientale. Ce panorama
nous ramène à la question de base : quelle est l’origine du mot
esclave ?
Origine du mot esclave
Ce terme aurait une lointaine origine. Elle remonterait à la
guerre livrée par Othon le Grand contre les Slaves.29
De nombreux guerriers slaves furent capturés et réduits en
esclavage, d’où l’équivalence slaves = esclaves, qui
remonterait au Xè siècle.30
27 De l’Eurasie, qui est le bloc formé par l'ensemble de l’Europe et de l’Asie.
28 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’Islam, pages 38 et 39.
29 Pour rappel, Othon le Grand est un roi de Germanie couronné empereur
des Romains par le pape Jean XII en 962. Il est le véritable fondateur de ce
qu’on appellera plus tard le Saint Empire romain germanique. Ce
regroupement de plusieurs États prendra par la suite le nom de Reich.
30 Op. cit. Malek Chebel : L’esclavage en terre d’islam, page 35.
18
A la fin du Moyen Âge, lorsque les ressources en esclaves des
Arabes s’épuisent, ils s’approvisionnent chez les pirates qui
écument la Méditerranée. Ce sont les habitants des villages
côtiers européens qui en font alors les frais.
Ces razzias ne cesseront vraiment qu'avec la conquête de
l'Afrique du Nord par les Européens au milieu du XIXe siècle.
L’esclavage est donc un mal international, qui trouve cependant
une cristallisation historique avec ce qu’il convient d’appeler la
cruelle histoire du peuple noir. Dire ce qu’a vraiment été cette
histoire, c’est déjà parcourir un long chemin de croix. Mais
c’est aussi l’espoir de la résurrection historique de tout un
peuple dont se veut porteuse la négritude.
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