
Marchandiser les soins nuit graveMent à la santé
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cela, en bien saisir tous les enjeux et prendre la mesure de leur
complexité. La difculté principale est, en réalité, de se donner
des moyens intellectuels qui permettent de rompre le cercle des
évidences partagées et trompeuses. Quoi de plus évident, en effet,
que l’enchaînement de propositions suivant :
– tout le monde souhaite une médecine toujours plus efcace ;
– cette efficacité accrue passe par des moyens techniques
toujours plus perfectionnés mais aussi toujours plus lourds et plus
onéreux ;
– ce renchérissement de la santé est d’autant plus important que
la population des pays riches est toujours plus âgée ;
– la part du revenu national consacrée à la santé ne peut donc
que croître sans cesse jusqu’à atteindre des niveaux difcilement
supportables ;
– il est donc inévitable de procéder à une rationalisation drastique
des dépenses de santé en veillant à leur meilleure utilisation
possible ;
– et la seule manière de parvenir à ce résultat est d’appliquer au
champ de la santé les recettes managériales qui ont fait leurs preuves
dans l’économie de marché en soumettant chacun des acteurs,
médecins, inrmiers, gestionnaires etc. aux normes managériales
en vigueur dans le secteur privé (et, de plus en plus désormais, par
isomorphisme, également dans le secteur public) : benchmarking,
reporting, tarication à l’activité etc.
– formulé autrement, chacun des agents du système doit se
comporter comme s’il était une entreprise ou un centre de prot,
que son activité et sa production soient évaluées en prix effectifs
ou en quasi-prix, en prix ctifs.
Nombre de ces propositions mériteraient une ample discussion,
qui tournerait largement autour de la question des ressorts profonds
de l’efcacité thérapeutique, ou, à l’inverse, des effets iatrogènes
possibles d’une certaine médecine. Mais nous ne nous intéresserons
ici qu’aux trois dernières, qui n’en font qu’une : quel est le degré
de rationalité des mesures de rationalisation déployées depuis une
vingtaine d’années dans le domaine de la santé ?
Tout le monde voit bien, en effet, que quelque chose, en la
matière, ne tourne pas rond, que le compte n’est pas bon. Les
hôpitaux sont toujours plus engorgés et déshumanisés malgré tous
les efforts en sens contraire, la conance en la médecine s’érode si