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tout comme Freud, pouvait servir tout autant à avancer avec son temps, qu’à trahir le « zeitgeist » dans
une tentative de récupération nostalgique du passé. A cause de l’illusoire « stabilité » et prétendue
« éternité » des archétypes, Jung a séduit les conservateurs opposés au changement, et les possibilités
révolutionnaires de la théorie jungienne ont été niées. La théorie des archétypes est souvent détournée
par des thérapeutes et humanistes inquiets qui ont vu trop de changements sociaux et avec eux les
dégâts cliniques de ces changements – et qui souhaiteraient remonter le temps de la culture cinquante
ou même cent ans en arrière afin de protéger les hommes du chaos et de la souffrance des temps
modernes. Les archétypes jungiens sont considérés, de manière tout à fait erronée, comme des
éléments immuables et stables lovés dans un esprit éternel et immuable. C’est au moment où les
fondations du patriarcat commencent à trembler, au moment où les potentialités de changement réel
sont les plus grandes que certains jungiens ( analystes qualifiés ainsi que d’autres ) pondent en série
des best-sellers qui font la promesse « d’archétypes » stables (parlons plutôt dans ce cas-ci de
« stéréotypes ») pour servir d’identité de genre. Dans le monde jungien populaire, il y a une vue
désespérément irréaliste de l’expérience psychologique.
L’approche jungienne populaire a dégénéré en un système de fantaisies New-Age, où il est dit que tout
ce qui fait défaut dans notre expérience personnelle ou sociale nous est fourni par l’indéfectible ( et
jamais corrompu ) « réseau dur » de l’inconscient. Robert Bly, constatant que les hommes se
transformaient en hommes « mous » au contact du féminin, encouragea les hommes à se durcir en
« descendant » dans l’inconscient pour réveiller le soi-disant « Sauvage-Poilu ». Robert Moore et
Douglas Gillette, constatant à leur tour que les modèles masculins stéréotypés se désintégraient et
perdaient toute crédibilité, allaient utiliser la théorie des archétypes pour convaincre les hommes que
les anciens modèles fiables, le Roi, le Guerrier, le Magicien, l’Amoureux, pouvaient être à nouveau
découverts dans l’inconscient profond. Des livres et manuels ( de nouveau conçus pour attirer le
lecteur mâle « pragmatique ») sont écrits pour guider les hommes vers une récupération « pas-à-pas »
de leurs modèles patriarcaux brisés (3). Guy Corneau et Alfred Collins, conscients du douloureux
gouffre existant entre les pères et les fils, entre le vieux patriarche et le jeune rebelle, inventent de
nouveaux archétypes tels celui du père-fils et réalisent d’autres tours de passe-passe jungiens afin
d’éliminer toutes les brèches et ruptures (4). Gregory Vogt insiste sur le fait que le Fils Perdu peut,
s’il le veut, revenir dans le giron du Grand Père (5). Avec l’aide du pouvoir des archétypes, la réalité
peut être remodelée, re-façonnée, pour convenir aux désirs de n’importe quelle fantaisie mise au
programme !
Mouvements contraires : Embrasser le père et tuer le Patriarche
Selon Robert Bly et le cercle mythopoïétique, « ce que veulent les hommes » c’est faire un avec le
père et être « initiés » au monde du père. Ils parlent de cette « initiation » comme étant
l’accomplissement du désir, comme une sensation presque intoxicante d’appartenance et de profonde
réparation. Mais je considère cette psychologie facile comme étant en fait antipsychologique. Elle
n’apporte pas du tout aux hommes ce qu’ils souhaitent, mais satisfait simplement leur aspiration
régressive à un paradis patriarcal infantile et inconscient, rassasiés d’idéalisations infantiles du père,
que tout freudien reconnaîtrait immédiatement. En ces temps de changement d’époque et de
transformation, les fils ne doivent pas simplement répéter les modèles traditionnels et devenir
membres de la tribu du père. Les fils doivent attaquer à nouveau, reconstruire le monde et refaçonner
sa politique, et les plus créatifs des fils doivent se « paterner » et non pas simplement prendre la route
conventionnelle du « Retour au Père », qui ne réussit qu’à soutenir un patriarcat malade. C’est une
route solitaire, une route courageuse qui exige par-dessus tout que les hommes s’engagent envers
l’esprit créatif du présent et le rêve du futur, pas juste envers l’esprit du passé.
A l’autre extrémité du spectre, les hommes défendant le discours opposé, auteurs d’études sur les
hommes que l’on appelle pro-féministes, fomentent des complots pour renverser le patriarcat, vaincre
l’autorité du père, et rendre impuissant le Père-Dévorant de notre culture. Ce discours principalement
académique, fondé sur les mouvements féministe, marxistes et se nourrissant de la ferveur
révolutionnaire cherche à libérer les hommes en tuant le père. Pour les partisans de cette tradition
intellectuelle, pas de père égale liberté ; là où pour les partisans de la tribu mythopoïétique, pas de père